~ Jour 6 (partie 1) ~
J'avais passé une nuit terriblement courte. L'humiliation de la veille restait gravée dans ma tête, et je n'avais plus Bethy pour me réconforter. Je m'étais excusée auprès de lui, parce que j'avais réfléchi à cette phrase : « c'est le Camp ». Et je voulais bien le croire. Ethan avait le droit de m'en vouloir, je lui avais balancé ma haine à la figure sans aucune raison. Au lieu de partir, il m'avait prise dans ses bras. Je n'avais plus eus les idées claires, tout s'était emmêlé dans mon esprit déjà en pagaille.
Heureusement qu'il ne m'avait pas embrassée. Mais avait-il été obligé de me mettre dans une telle situation ? Je comptais gagner le Jeu. Gagner, et pouvoir l'humilier à mon tour. Il ne devait pas avoir l'habitude d'être rejeté, et j'allais le faire. J'étais rentrée dans ma tente, honteuse mais aussi frustrée. Frustrée de ne pas avoir eu ce que je désirai, honteuse de ne penser qu'à cela. Puis j'avais fait un cauchemar. Encore.
J'errais dans les égouts. Les cris de Bethy retentissaient dans l'ombre lourds, pénibles. J'arrivais à temps, j'ouvrais la grille. Seulement, ce n'était pas Bethy que je trouvais, mais ma mère. Je n'avais pas le temps d'esquisser le moindre geste qu'elle me frappait violemment, elle ne cessait de hurler que jamais je n'aurai dû participer à un tel jeu. Puis quelqu'un arrivait, me libérait de l'emprise de ma mère et m'embrassait fougueusement. C'était Ethan. Je me sentais bien dans ses bras. Jusqu'à ce qu'il ait effleuré doucement de ses lèvres humides mon oreille et m'ait chuchoté avec une cruelle tendresse :
-Tu ne vaux rien Abi. Tu vas mourir.
Et je m'éteignais.
Je m'étais réveillée en hurlant. Cette fois, personne n'était accouru pour me bercer. Je ne m'étais pas rendormie une seule seconde.
Je me levai à six heures, j'étais la première. J'allai faire ma toilette, avoir les sanitaires pour moi seule n'arrivait pas souvent. Je pris une longue douche. Je pensais que cela me détendrait quelque peu. Cela ne servit à rien. Le reste de la journée fut long. Je n'allai pas manger, je n'avais aucun appétit. Je guettais le moment où mes concurrentes se rassembleraient car je ne savais à quelle heure avait lieu la prochaine épreuve.
Enfin, à vingt-heures, je les vis se regrouper, alors je me joignis à elle. Nous traversâmes les bois silencieusement. Même Ambre ne pipait mot bien que cette vipère ne cessait de se retourner dans ma direction, me toisant d'un œil mauvais, guettant probablement un signe de faiblesse. Et Même si j'allais très mal car Bethy me manquait énormément, sa mort injuste me restait dans la tête, je ne montrais aucune faille.
Nous arrivâmes à une clairière que je connaissais : c'était ici qu'avait débuté l'épreuve des loups. Je frissonnai en pensant à cela. Aujourd'hui, cinq chaises avec des accoudoirs étaient disposées en cercle à la bordure des arbres. Comme la première fois, il faisait froid et je ne portais qu'un short avec un débardeur. Etrangement, dès que l'on s'éloignait du Camp, la température baissait considérablement. Il faisait sombre mais une lumière blafarde s'étendait sur l'endroit dépourvu d'arbre.
Au milieu se tenait notre maître. Maître dépourvu de tout sentiment. Maître que je souhaitais haïr, chose que mon cœur refusait de comprendre.
Il ordonna d'une voix claire :
-Asseyez-vous chacune sur une chaise.
Nous nous exécutâmes. Même moi, je ne posai aucune question. J'avais renoncé. Quand nous fûmes installées autour de lui, il nous regarda une à une, posant à peine les yeux sur moi.
-Placez vos mains sur les accoudoirs.
J'obéis, tel un automate.
-Pendant toute la durée de cette épreuve, vous serez attachées à votre siège.
Sur ces mots, des anneaux en métal m'emprisonnèrent les poignets et les chevilles. Toutes les filles sursautèrent à cause de la vitesse à laquelle nous fûmes enchaînées et du bruit éclatant du fer. Sauf moi. Je restais imperturbable. Etait-ce une bonne chose de rester aussi insensible ?
-Au milieu de cette clairière vont apparaître vos plus grandes peurs. Vous ne verrez que les vôtres. L'épreuve se termine quand l'une d'entre vous meurt de peur.
Toujours aucune réaction de ma part. Ethan me regarda droit dans les yeux et dit pour la première fois depuis le début du jeu :
-Bonne chance.
Bêtement, je m'imaginai que cette phrase m'était destinée.
-Bon Jeu.
Il sortit du cercle en passant à côté de moi. Sa main effleura imperceptiblement la mienne, et je revins à moi un instant. Mais lui-même sembla ne pas s'en apercevoir, si bien que je crus avoir rêvé. Encore la veille, il m'avait serrée dans ses bras avant l'épreuve, et il en avait été ainsi plusieurs fois. Et tout cela n'était plus. Tout comme Bethy.
Je retombai dans mon indifférence. Tout autour de moi devint noir, je ne voyais plus les autres candidates. Je ne voyais même plus mon propre corps, pourtant, je n'eus encore une fois aucune réaction. Ce qui réussit à m'affoler quelque peu ne fut que mon détachement par rapport à tous ces évènements.
J'étais dans le salon de ma maison. En face de moi apparut ma mère. Elle était rayonnante. Maquillée, coiffée, sur son trente-et-un. Elle me regardait avec cette expression de fierté qu'ont toutes les mères en regardant leur progéniture grandir et réussir. Elle me serra dans ses bras. Elle me chanta une berceuse. Je vivais une scène de mon enfance.
Puis derrière arriva mon père. Il m'avait toujours détestée. J'étais un accident, il me l'avait répété maintes fois, et j'avais gâché sa vie. Et il me le répéta encore. Ma mère me défendit, comme toujours. Puis ils se disputèrent et disparurent tous les deux. Je fus seule.
L'instant d'après, j'étais dans le couloir de l'étage. J'entendais des cris en provenance de la chambre de mes parents. Je savais ce qui m'attendait. Mes pieds de petite fille de dix ans prirent la direction de la chambre alors que mon esprit de celle que j'étais à dix-sept ans me hurlait de ne pas faire ça. Mais je ne contrôlais rien. Je revivais le moment qui avait fait de ma vie un cauchemar, et rien ne pouvait changer cela.
L'obscurité oppressante du couloir ne m'empêchait pas d'avancer, le parquet grinçant dirigeait la danse. J'ouvris la porte, nauséeuse. Là, je vis mon père. Avec une autre femme. Un sourire victorieux s'afficha sur son visage et j'appelai ma mère. Si seulement je ne l'avais pas fait. Elle accourut jusqu'à moi en un rien de temps. Ses joues perdirent leur teinte rosée et un voile s'abattit sur ses yeux. Une expression de pure haine déforma ses traits. Je pensais que c'était envers mon père. Seulement, elle avait trop longtemps écouté ses discours honteux à mon sujet.
-C'est de ta faute ! proclama-t-elle en me pointant du doigt. Si tu n'étais pas née et si tu n'accaparais pas toute mon attention, ton père ne m'aurait jamais fait cela. Il avait raison depuis le début. Tu n'es qu'une erreur.
Son amour aveugle pour mon père avait pris le dessus. Et ce fut ainsi que je reçus ma première gifle. S'en suivirent de nombreuses autres, plus violentes à chaque fois. Mais celle-ci fut probablement la plus humiliante. Ma mère, qui me consolait quand je pleurais, qui me défendait contre l'amour de sa vie, me frappait. Mon père avait planté ses crocs au plus profond de sa chair et l'avait manipulée. J'eus l'impression, et je l'avais toujours, que l'empreinte de sa main avait gravé mon visage au fer rouge.
Je clignai des yeux. J'étais retournée dans le noir. Ma poitrine me paraissait compressée par une tonne de plomb. J'étais enfin sortie de ma léthargie. Je voulais fuir, ne plus voir les choses que je devais oublier, mais les anneaux en métal me brûlèrent les articulations. J'étais déjà morte de peur. Si je voyais un autre souvenir, j'allais le devenir au sens propre. Le courage serait cette fois mon seul allié.
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