Nous nous ruâmes toutes au pied de la montagne. Avant que je ne l'atteigne, Ethan me retins, enserrant mon bras.

-Lâche-moi.

Comme il n'obéissait pas, je tentai de dégager mon poignet, en vain, il était bien trop fort. Il se pencha vers moi et murmura :

-Je vois bien que tu es vexée. Mais je n'ai pas le choix. Je ne me sers pas de toi Abi. Je n'oserai jamais.

Je ne me laissai pas bercer par ses douces paroles mensongères.

-Lâche-moi. Tu me fais perdre du temps.

Il s'exécuta à contrecœur et je me dirigeai vers la falaise. Fort heureusement, je n'avais pas perdu beaucoup de temps, les autres venaient tout juste de trouver une crevasse, et je ne tardai pas à en trouver une à mon tour.

Je m'y glissai. Le passage était étroit, je dus me placer à quatre pattes. J'avais à peine avancé quand l'obscurité m'engloutit. J'avais une peur effroyable du noir, trop de mauvaises choses s'y étaient passées.

Sa main s'abattant violemment sur ma joue, encore et encore, son poing dans mon ventre, me privant d'oxygène.

J'étais tétanisée, la scène était trop claire, trop réelle, encore bien trop présente dans mon esprit. L'angoisse prit possession de mon corps lentement, se glissant telle une ombre pour enfin m'atteindre, me rappelant tout ce que je me forçais de refouler au plus profond de moi.

Une voix m'extirpa de ma léthargie :

-Abi, tu dois avancer. Tu as pris du retard.

Ethan semblait être tout près de moi. Etait-ce mon imagination ou prononçait-il vraiment ces paroles ? Quoi qu'il en soit, je repris possession de mon corps et me forçai à avancer, faisant abstraction des peurs qui m'habitaient. Le sol était boueux, les parois humides, ma progression était lente, mais je voyais la lumière en face de moi, la sortie.

A cause des autres épreuves, mes muscles me faisaient mal, ils étaient tendus, je traînais mes jambes tant je les trouvais lourdes. Mon corps entier était secoué de tremblements.

Enfin, je sortis du tunnel. J'aperçus les autres filles, qui m'avaient largement devancée. Elles formaient une ligne, toutes suivaient une corde différente qui s'enfonçait entre les arbres. Posée juste devant moi, je commençai à suivre la mienne, inquiète au début, encore bouleversée par la caverne noire, puis plus rapidement, de sorte à rattraper mon retard.

Après cinq minutes de course, j'arrivai devant une source d'eau qui barrait complètement le chemin. Elle était étrange, très précise. Trop précise. La ligne de terre qui arrivait dans l'eau s'étendait loin et était parfaitement droite. Il en était de même sur l'autre rive. Pourtant, ce ne fut pas ce qui me frappa le plus : entre les deux berges se tenaient cinq rondins de bois, à environ un mètre trente de distance les uns des autres, et cinquante centimètres au-dessus de la surface de l'eau. La corde passait sur chacun d'eux. Je devais sauter. Premier obstacle du parcours.

Il y avait trois autres filles qui se trouvaient ici aussi, trempées. L'une d'elles était dans l'eau, en train de regagner la berge, une autre sur un rondin au milieu, et la dernière sautait tout juste sur l'autre rive, avant de partir en courant sans plus attendre. Je n'en voyais aucune autre. Je pensai à Bethy, j'étais heureuse qu'elle soit plus avancée que moi. Elle devait rester en vie.

L'eau semblait froide, sale, et envahie de plein de bestioles ignobles. Y avait-il des naïades ici aussi ? Je n'avais vraiment aucune envie de sauter, et encore moins de tomber dans cette marre marronnasse. Et si je me blessais ? Et que, par conséquent, je perdais ? Je me posais trop de questions.

J'arrêtai de tergiverser, pris de l'élan et sautai, piquée par une soudaine poussée d'adrénaline. Mon sang battait dans mes veines, mes cheveux volaient dans le vent, mon cœur remontait dans ma gorge. Puis en un rien de temps, j'atterris sur le rondin, me rattrapant de justesse à quatre pattes. Je repris mon souffle avant de me relever.

Et je sautai sur le suivant. Je fonctionnai comme ça jusqu'au quatrième, j'avais les genoux et les mains écorchées, mes cheveux, normalement blonds, étaient noirs de terre, gras, et collaient à mon visage. Mais je ne me préoccupais pas de cela. Et je sautai encore. Cette fois, je glissai et atterris lourdement dans l'eau, ma tête se cogna contre la dernière bûche. J'étais trempée et la tête me tournait, cela allait devenir encore plus difficile à franchir. L'eau marron dégoulinait le long de mon corps, j'avais l'impression que des centaines de petits insectes grouillaient sur ma peau, laissant un chatouillis dérangeant.

Puis une idée me vint. Je ne devais pas tricher mais... comment Ethan pourrait-il le savoir ? J'avançai directement dans l'eau... et me cognai. Contre du vide. C'était frustrant, je ne pouvais pas avancer alors qu'il n'y avait rien. Qu'est-ce que c'était encore ?

Nous n'étions plus que deux à galérer ici, les autres devaient déjà être loin. Je me hissai sur la berge avec difficulté, je ne savais pas comment mon corps parvenait encore à rester debout. Maintenant, j'étais moi aussi trempée jusqu'aux os et complètement gelée. Je supportais mal le froid, la scène d'hier l'avait prouvé.

Toutefois, je ne devais me montrer faible, je me l'interdisais. Alors je sautai une nouvelle fois. Je réussis. Puis une deuxième. Une troisième. Je prenais plus mon temps, soufflant bien plus à chaque pause. Cependant, j'étais lente, et à présent, seule, ralentie par mes chaussures trempées.

Je ne devais pas tomber. Je sautai. Quatrième rondin. Pause. Puis un bruit vint me perturber. Comme un doigt que l'on faisait sautiller sur une table, plus régulier, plus lent. Comme un tic-tac. D'où provenait-il ? Je me retournai. Et je fus horrifiée, à tel point que je bondis sur le cinquième rondin et gagnai la berge en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Je courus de nouveau, suivant le chemin de ma corde.

Derrière moi, devant la falaise, le paysage disparaissait petit à petit, comme s'il était rongé par un animal géant. L'herbe, les arbres, les cordes, tout disparaissait, au rythme du tic-tac. Le vide.

C'était le Temps. Et il ne devait pas me rattraper.

Je dépassai mes limites pour arriver au prochain obstacle le plus rapidement possible. Ce bruit incessant ne faisait que renforcer ma détermination. Tuée par le Temps. C'était vraiment étrange.

[ Le média ne représente pas bien l'épreuve mais je n'ai pas trouvé mieux, donc tant pis... Rdv partie 3 pour un nouvel obstacle ;) ]