Jour 0



Nous étions dimanche, quatorze heures, le train venait d'arriver à quai. Je saisis mes bagages et descendis. C'était une petite gare, j'étais la seule passagère à descendre à cet endroit. Le sifflement de la locomotive retentit derrière moi, le claquement désagréable des roues sur les rails s'écarta petit à petit, je ne me retournai pas. Pour une fois, j'avais droit à une pause dans ma vie, alors je me devais de regarder droit devant moi.

Il n'y avait qu'un petit guichet fermé autour duquel trainaient quelques merles dont le noir des plumes contrastait délicatement avec la douce lumière du soleil. Leur chant mélodieux parvint à m'apaiser ; je n'étais pas sereine à l'idée de me rendre seule dans un lieu inconnu. Je quittai l'arrêt.

Le village dans lequel j'avais atterri était à l'image de la gare : petit et vide. On y trouvait plus de fleurs que d'habitants, les champs autour s'étendaient à perte de vue. C'était beau, quoique un peu mort. Je sortis la brochure de ma poche, celle qui m'avait permis de fuir. Le plan indiquait bien que je devais me rendre à l'extérieur du village, j'étais sur la bonne voie.

« Envie de liberté ? Notre camp est fait pour vous : dix jours dans un cadre magnifique, des activités divertissantes prévues rien que pour vous, et de nouvelles rencontres qui égayeront votre humeur ! »

La liberté, c'était ce dont je rêvais vainement depuis trop longtemps, alors j'avais immédiatement été attirée par cette brochure. Le camp qui y était décrit semblait trop merveilleux pour être réel, mais les photographies alléchantes avaient eu raison de moi. J'avais tout préparé, de la réservation de mon billet de train à ma fuite. J'avais fugué, prenant un nouvel envol. Mes parents devaient être furieux contre moi, comme toujours, mais pas tristes.

Perdue dans mes pensées, je n'avais pas réalisé que j'étais sortie du bourg. Je me trouvais à la lisière du bois, il était temps que j'emprunte les sentiers soigneusement indiqués sur la carte du fascicule. Traîner ma valise dans ces fourrées n'était pas chose aisée, mais j'étais déterminée. C'était long et épuisant, les hauts arbres fendant le ciel avaient beau cacher le soleil, la chaleur m'étouffait. Le sentier restait plutôt simple à suivre, seulement, la pente était rude et je peinais à monter. Je me disais que la récompense qui m'attendait à l'arrivée n'en serait que plus grande.

Enfin, un endroit plus dégagé apparut devant moi, laissant pénétrer le soleil. Une majestueuse grille en fer forgé me faisait face, de hauts piquets du même matériau la prolongeaient sur les côtés. J'avançai de quelques pas. Un espace impressionnant s'étendait devant mes yeux, si impressionnant que la clôture devenait invisible. Quelques tentes étaient déjà installées sur le terrain où se mélangeaient l'herbe fraîche et les graviers lisses. Sur la droite, la forêt étaient intégrée au camp, cachant, je le savais grâce à la brochure, un magnifique lagon dont je distinguais d'ici un bout d'eau claire. Seul un bâtiment, un peu plus loin, n'était pas en accord avec le lieu, il semblait avoir été posé là par hasard, un gros cube gris planté par inadvertance. Hormis cela, c'était parfait. J'allais me plaire ici, c'était certain.

Quelques personnes arrivaient petit à petit derrière moi, certains seuls, épuisés d'avoir traversé un tel chemin avec une lourde valise, d'autres accompagnés par leurs parents à qui ils disaient au revoir, tentant tant bien que mal de se détacher de leur emprise.

Je me décidai enfin à avancer un peu plus. Devais-je installer ma tente comme bon me semblait ? Il me fallait plus d'informations. J'aperçus une femme un peu plus âgée que les autres, qui guettait les arrivées avec ennui, et m'approchai d'elle en quête de renseignements. Ses yeux bruns étaient grossièrement maquillés, des mèches de cheveux sales s'échappaient par paquets de sa natte mal faite, elle paraissait épuisée. ­

-Bonjour, je...

-Tu trouves une place et tu t'installes, me coupa-t-elle en me soufflant la fumée de sa cigarette au visage.

Je plissai les yeux et me retins de tousser et l'envoyer balader à mon tour ; je tachai de trouver un emplacement. Mon séjour ici commençait mal, mais je ne devais pas m'attarder sur cet échange. Après tout, c'était un malheureux hasard, tout le monde ne pouvait pas être comme elle. Si ? Je m'installai dans un coin un peu plus isolé des autres, les liens sociaux n'étaient pas mon fort.

Je plantai ma tente calmement, suivant les instructions au pied de la lettre. Elle était petite, cela s'avéra relativement simple. Je finissais tout juste de planter les piquets quand une fille de grande taille et à l'allure dégagée, semblant avoir mon âge, s'approcha de moi avec assurance. Elle paraissait... gentille ? Son visage triangulaire exprimait la sympathie. Son teint clair et légèrement rosé s'accordait ses cheveux blonds soyeux, animés par des vagues amples. D'une voix claire et mélodieuse, elle m'adressa la parole :

-Tu viens d'arriver ici ?

Je hochai la tête, timide. Ses lèvres, roses et fines, se fendirent en un sourire qui remonta jusqu'à ses yeux d'un bleu étincelant.

-Moi c'est Ambre.

-Abi, répondis-je simplement.

Elle continua sur sa lancée :

- Tu as entendu parler du Jeu ?

J'avais lu que le camp proposait diverses activités, mais pas d'un Jeu à proprement parler. En guise de réponse, je secouai négativement la tête.

- En fait, il nous manque une candidate. On doit être dix. Dix filles, dix jours, dix épreuves.

-Qui ça, « nous » ?

-Nous, les filles qui participons.

Cela devenait ridiculement intéressant. Je n'étais pas venue spécialement pour ça, mais après tout, cela faisait bien longtemps que je n'avais pas joué.

- C'est quoi le principe ?

- A la fin de chaque épreuve, l'une de nous est éliminée. Celle qui gagne a droit à une récompense. A the récompense.

- Quel genre ?

- Embrasser the beau gosse.

Je contins mon rire. J'avais mieux à faire.

- Non, désolée. Merci de la proposition quand-même, répondis-je poliment.

Je n'avais pas besoin d'une ennemie.

- Dommage pour toi. Tu rates quelque chose.

A ce moment précis, un garçon au visage renfrogné franchit le portail. Quelques boucles ébènes lui retombaient devant les yeux et il passa sa main pour ordonner un peu ses cheveux abondants. Cet être était tout ce qu'il y avait de plus beau. Il était doté d'un charisme exceptionnel, mon regard détailla chacun de ses pas, il avait en lui quelque chose d'attractif. Divin. Il tira une latte de sa cigarette, je pus presque sentir avec lui le tabac obstruer mes artères, puis il rejeta sombrement la fumée. Sa main retomba lentement contre sa hanche. Il ressemblait un peu à un cadavre debout, mort avant l'heure. Cette impression que j'avais était renforcée par son teint pâle J'avais retenu mon souffle tout ce temps, paradoxalement attirée par ce qui me répugnait. Il semblait être un cliché à lui seul.

Ambre se dirigea vers lui avec confiance, il détacha ses yeux du sol pour la fixer avec... de l'envie peut-être. Etaient-ils intimes ? Je l'entendis dire :

-On n'a pas de dixième candidate. Personne ne veut jouer, les gens ne sont pas drôles ici.

-Mais regarde à quelle genre de personne tu demandes aussi.

Ambre écarquilla les yeux. Etait-ce de moi dont il parlait ? Mon cœur s'énerva, je n'aimais pas ce genre de propos à peine avoués.

- Si tu as quelque chose à me reprocher dis-le-moi en face, indiquai-je, furieuse.

Qu'avaient les gens ici ? Personne ne leur avait appris la politesse ? Le garçon me regarda à peine et ses lèvres sensuelles ne firent qu'enfoncer le clou :

-Tu es ridicule. Tu essaies de te donner du caractère, mais tu es simplement lâche. Tu as peur.

Il insista sur chaque mot de cette dernière phrase, très lentement, comme pour s'assurer que je comprendrai bien. Je devais l'ignorer, je me fichais bien de ce qu'il pensait de moi. Toutefois, l'adjectif « lâche » ne me correspondait pas le moins du monde. Il ne savait quel était le calvaire que je vivais chez moi. Ce simple mot suffit à me faire changer de côté. Susceptible ? Un peu.

-Je participe.

Ma voix n'était pas aussi assurée que je l'avais souhaité, mais j'avais au moins attiré son attention. Il ignora soudainement Ambre et s'approcha de moi à pas lents, comme un félin s'attaquant à sa proie. C'était ce que j'étais devenue. Sa proie. Un sentiment grisant m'envahit, cela me plaisait de le provoquer. Son visage anguleux était au-dessus du mien, je le regardais droit dans les yeux, comme pour le mettre au défi de faire quelque chose. Cela ne sembla pas l'impressionner, ses deux iris aussi noires que l'orage restaient intensément fixées sur moi. Il me détailla de haut en bas sans aucune gêne, tandis que j'avais l'impression que j'allais me liquéfier sur place. Imperturbable, il dit seulement de sa voix caverneuse au timbre chaud :

-Ton nom ?

-Abi, répondis-je avec tout le sang-froid dont j'étais capable.

-Eh bien, Abi, si tu penses m'impressionner, sache que c'est raté. Tu n'as fait que tomber dans mon piège, cela montre seulement que tu es susceptible.

Je restai de marbre. J'avais déjà entendu pire.

- Cependant... tu sembles déterminée, peut-être cela t'aidera-t-il pour gagner le Jeu.

-Ton jeu a l'ait stupide, peu m'importe si je gagne ou non. Mais tu as tout de même l'air de vouloir que je remporte la victoire, tu ne m'as pas prise au piège pour rien. Alors, j'essaierai de faire mon possible, ironisai-je

Une lueur d'agacement, ou de moquerie, traversa son regard. Quand bien même il était magnifique, c'était un crétin.

-Abi, je te mets en garde : le Camp n'est pas celui que tu crois. Que tu te fiches de gagner ou non, je comprends. Mais bientôt, tu comprendras que la vie se mérite. Et une fille au regard aussi brisé que le tien... ne pourra que s'y raccrocher.

Je n'avais pas compris la moitié de son discours. Parlait-on toujours d'un jeu dont la récompense était un baiser ? Comment avait-il lu en moi si facilement ? Je ne quittai pas son regard, ne me laissant pas effrayer.

-Et toi tu me fais plus rire qu'autre chose.

Il sembla surpris un court instant mais ne releva pas.

-La première épreuve aura lieu demain à neuf heures, retrouve les filles devant la forêt, vous saurez où aller. Dis au revoir à ta paisible vie et prépare toi.

Ma « paisible vie ». Comment pouvait-il dire juste après avoir remarqué mon regard brisé ? Puis il ajouta :

-Au fait... moi c'est Ethan. Et je te souhaite la bienvenue à Strange Camp.

Il partit, sans un regard en arrière. Ambre était restée présente tout ce temps et ne paraissait plus aussi sûre d'elle, comme si elle avait cru ses paroles étranges. Malgré tout, elle se reprit rapidement et me lança un regard haineux, annonçant le début de la compétition.

Dans quoi m'étais-je embarquée ?

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