Sang traces (partie 3)
Chère Liraï,
Elle avançait, poussée à travers un couloir aux murs suintants.
Si tu lis cette lettre, c'est que le moment est venu.
La main qui entourait son poignet devenait plus oppressante à chaque pas.
Tu ne dois pas avoir peur.
Ses entrailles se serraient, son sang se glaçait.
Je suis avec toi, ne l'oublie pas.
Des larmes creusaient ses joues meurtries.
Il y a beaucoup de choses que tu dois savoir, que j'aurai dû te dire depuis longtemps.
Elle voulait tout abandonner, tout oublier, elle voulait mourir, tant son chagrin était grand.
Il est vrai que tu ne me connais que depuis peu de temps, mais moi, je sais tout sur toi.
La lettre dans les mains, les mots d'encre mêlés à ses larmes.
Tout comme je connaissais les autres.
L'ami quelle voulait connaitre, qu'elle voulait aimer, la trainait à travers l'obscurité.
Je savais que des choses étranges se passaient, je voulais savoir quoi.
Elle se repassait les mots de cette lettre, qu'elle n'avait pas eu la force de lire jusqu'au bout.
Je les ai vues disparaitre, je les regardais sans agir.
Trop de douleur, trop de peur, trop de sang l'empêchait de voir.
Alors je suis venu en parfait inconnu et je t'ai rencontré, toi, la plus belle du village.
Pourtant, le désir la rongeait, elle voulait savoir, elle le devait.
En parallèle, j'ai mené mon enquête, et ce que j'ai découvert m'a terrifié.
Son cœur s'emballait tandis que l'homme derrière elle ne disait mot.
Mais il y a un prix pour tout, y compris pour ça.
Elle avait lu jusque-là, mais avait dû s'interrompre, la peur la rongeait, elle ne savait pas si elle souhaitait vraiment savoir la vérité. Le papier froissé dans sa main, elle continua d'avancer. Cette histoire lui faisait penser aux histoires que sa mère lui comptait. Celle de la rivière carnivore la faisait particulièrement frissonner, dans cette histoire, un loup blanc ordinaire tomba dans une rivière. Par le lien du sang, leurs esprits fusionnèrent. Depuis, la rivière dévore qui tombe dans ses eaux maléfiques, devenue aussi carnivore qu'un loup.
Sa mère lui disait toujours qu'une part de vérité se cachait derrière les contes, des leçons à en tirer. Mais Liraï était enfant, elle ne prêtait pas attention à ce genre de détail. Sa mère avait disparu, son père meurtri. Tout ce qu'elle aimait, elle le perdait aussitôt, et à l'instant où quelqu'un revenait dans sa vie, il la trahissait. Ses yeux comme des miroirs, elle pleurait sans s'arrêter, ses mains tremblantes tant de froid que de peur. Soudain, une porte apparut, en bois noir et sûrement brulée, elle dégageait une douleur démesurée. Liraï observa avec horreur Shaé insérer une clé dans la serrure et ouvrir la porte sur une salle sombre. Un frisson glacé parcouru le dos de la jeune fille alors que Shaé la poussait à l'intérieur. Des bras d'ombre l'enveloppèrent, dans les coins pointaient de petites flammes, leur énergie semblait aspirée par le mal de la pièce. L'atmosphère sentait la cendre et il lui semblait sentir des mains froides sur ses épaules et entendre des murmures dans ses oreilles.
Tu ne dois pas avoir peur.
Le plafond s'élevait très haut et les murs étaient larges. Ils devaient se trouver très bas sous la terre. Au centre de la pièce patientait un trône de bois, tourné vers une armoire tapissant tous les murs. Que renfermait-elle ? Une horloge produisait un rythme sinistre qui résonnait dans chaque recoin. Elle avait envie de hurler, jusqu'à s'en briser la voix, de hurler si fort que le passé resurgirait, qu'elle serait à nouveau heureuse et que plus jamais elle ne serait trahie. Elle voulait tout oublier, revivre son enfance, crier à Shaé de se réveiller. Elle voulait partir, loin, très loin, seule avec son père et ses larmes, suivie des fantômes du passé. Elle tenta de se laisser tomber, mais Shaé la retint. Enfin, une voix forte et mesquine s'éleva du siège.
- Bienvenu Liraï, j'espère que le voyage a été agréable !
- Très bien, répondit celle-ci d'une voix sèche, la haine qu'elle éprouvait faisait vaciller les bougies.
- Lâches-la, ordonna l'inconnu.
À ces mots, Shaé desserra son emprise, délivrant ainsi Liraï de toutes entraves. Malgré tout, elle ne bougea pas. Elle se força à refouler sa colère et l'envie de s'enfuir après avoir bien fait comprendre sa fureur à l'homme.
Patience.
Tout vient à point à qui sait attendre.
- Que voulez-vous ? Me tuer ?
- Tu vas nous accompagner pour un voyage, un très long voyage.
Elle ne trouva rien à répondre, tout cela n'avait aucun sens. Que renfermaient ces armoires ? De quel voyage s'agissait-il ? Pourquoi « Nous » ?
- Quand vous dites « nous », vous parlez de Shaé ? interrogea-t-elle.
Un rire grave éclata, il rebondit contre les parois, augmentant son aspect sinistre.
- Shaé ? reprit-il, hilare. Non, bien sûr que non, il ne m'est plus d'aucune utilité.
- Quoi ?
Le temps ralentit, derrière elle, Shaé s'écroula lourdement. Liraï se précipita vers lui. Les yeux ouverts sur la mort, respirant par saccades, il fut frappé de convulsions.
- Shaé, non, reste avec moi !! hurla-t-elle sans réellement comprendre la situation.
Ses yeux reprirent de la couleur, son regard moins dur, sa peau moins pâle, un embryon de sourire se dessina sur ses lèvres.
- Liraï ? murmura-t-il en tremblant, c'est bien toi ?
Il semblait revenir de loin, comme s'il était amnésique.
- Oui, oui c'est moi, je vais te soigner, tout va bien se passer je te le promets !!
Un filet de sang perça à travers ses lèvres, Liraï saisit sa main, elle était gelée. Son corps entier tremblait, une lueur de panique brillait dans ses yeux. Il faiblissait plus à chaque secondes.
- La... lettre, articula-t-il, lis-la, c'est... très impor... tant...
À ces mots, sa tête retomba, ses yeux s'éteignirent et son corps cessa de trembler.
Liraï le secoua, pas de réaction, elle répéta son geste mais en vain, Shaé était mort.
Shaé, un ami qu'elle venait de rencontrer mais qu'elle connaissait depuis toujours, un homme mystérieux mais attentionné. Il avait rapporté de la chaleur, de la vie chez Liraï et son père. Et maintenant, il gisait, mort après avoir livré son amie à un tueur fou. Elle ne retint pas ses larmes, plus jamais.
Plus jamais.
Elle était condamnée à perdre ceux qu'elle aimait.
Tout ce que j'aime est aussitôt détruit.
Elle était seule, en proie à une mort certaine, cette douleur s'apaiserait-elle un jour ?
Il lui fallait mourir pour ça.
Mais je ne veux pas mourir.
Je ne veux pas laisser mon père seul, cette vie est la mienne, et j'y tiens malgré la douleur.
Mais qui la protégerait maintenant ?
Shaé.
Le mystérieux et protecteur Shaé, le froid mais sensible voyageur de Yonliam, ne lui sourirait plus jamais. Ne rendrait plus jamais plus chaleureuse la maison, ne rendrait plus jamais la joie de vivre à son père. Même si elle ne le connaissait quasiment pas, elle avait tissé un lien fort en quelque temps avec lui. Pourquoi ? Elle l'ignorait, mais c'était ainsi. D'un geste, elle referma les yeux de Shaé, il était en paix.
Elle laissa le chagrin se répandre dans ses veines, alimenter le moindre de ses gestes, la rendre plus forte, plus vengeresse. Sans réfléchir, elle se jeta sur le fauteuil de bois dans un cri sauvage. Mais lorsqu'elle fit face à l'intérieur du siège, son sang se figea.
Il n'y avait personne. Juste du vide.
Où était-il passé ?
Elle se tourna frénétiquement, inspectait chaque recoin de la pièce. Personne. Un goût amer d'un mauvais pressentiment dans la bouche, elle repensa aux paroles de Shaé.
Lis la lettre.
Hâtivement elle saisit le papier froissé dans sa poche et poursuivit sa lecture. Elle ignorait où était passé son agresseur mais craignait qu'il ne la surprenne.
Ses yeux arpentèrent les mots griffonnés avec un intérêt effrayant.
Chère Liraï
Si tu lis cette lettre, c'est que le moment est venu.
Tu ne dois pas avoir peur.
Je suis avec toi, ne l'oublie pas.
Il y a beaucoup de choses que tu dois savoir, que j'aurais dû te dire depuis longtemps.
Il est vrai que tu me connais depuis peu de temps, mais moi, je sais tout sur toi.
Tout comme je connaissais les autres.
Je savais que des choses étranges se passaient, je voulais savoir quoi.
Je les ai vues disparaitre, je les regardais sans agir.
Alors je suis venu en parfait inconnu et je t'ai rencontré, toi, la plus belle du village.
En parallèle, j'ai mené mon enquête, et ce que j'ai découvert m'a terrifié.
Mais il y a un prix pour tout, y compris pour ça.
Les filles servent d'offrandes, des offrandes humaines exigées par une de vos légendes, vous les croyez fausses mais elles sont bien réelles.
J'ai découvert qu'un homme enlevait les filles les plus belles, tous les mois, il les offrait à cette légende afin de l'apaiser, il est devenu fou et n'éprouve aucun remord.
Pour en savoir plus, je me suis allié avec lui pour le ronger de l'intérieur, j'ai pris toutes les précautions nécessaires mais j'ai un mauvais pressentiment. Je crois qu'il me cache quelque chose.
Je te donne cette lettre pour te révéler quelque chose qui te détruira sûrement, je ne sais pas si je reviendrai vivant alors je t'en donne une trace.
Voici l'histoire depuis le début.
C'était il y a 2 ans. Deux hommes, Mecki et Elio, le premier jeune d'environ 14 ans, le second de 30 ans. Malgré leur différence d'âge, leur affection était grande et ils aimaient se retrouver pour explorer les environs. A cette époque, seule leur amitié comptait. Un jour, alors qu'ils longeaient la rivière source de la fontaine du village, un passage épineux traça des entailles sur leurs jambes. Alors qu'ils se sortirent de cette situation, Mecki trébucha et tomba dans la rivière. Elio, n'écoutant que son instinct, plongea lui aussi dans l'eau et ramena son ami à la surface. Mais leurs blessures sanguinolentes laissèrent couler le sang dans l'eau.
Plus tard, alors qu'ils se pavanaient ensemble dans les rues, une voix s'insinua dans leur tête, d'où venait-elle ? Aucun moyen de le savoir, elle leur ordonnait de capturer la plus belle fille du village et de l'amener le soir près de la rivière source du village, la rivière dans laquelle Mecki était tombé. Ils se dirent qu'ils déliraient, que c'était dû à l'eau qui leur brouillait le cerveau, alors ils n'obéirent pas, pas plus que la deuxième, la troisième, et la quatrième fois que la voix leur parlait. Ils se crurent malades, fous, alors ils virent un médecin qui se moqua d'eux, personne ne les croyait alors ils cessèrent d'en parler. Le temps passa et la voix dans leur tête les fit perdre la raison, ils souhaitaient que cela s'arrête et alors la cinquième fois que la voix leur réclama des jeunes filles, ils obéirent.
A contrecœur, pleurant et se promettant l'enfer, ils enlevèrent une femme et la déposèrent près de la rivière. Ce manège continua, au départ, uniquement pour en finir avec cette voix, puis, plus le temps passait, plus une soif de sang s'insinuait en eux. Leurs émotions se tarirent et ils obéirent les yeux fermés à cette voix. Tout bascula le jour où ta mère devint la plus belle femme de ton village, ton père a toujours refuser de te dire la vérité, tu avais 10 ans et tu ne voyais pas encore le monde d'un œil adulte. Mais aujourd'hui, je suis désolé d'avoir à te l'apprendre, ta mère est morte comme les autres. Ce geste détruisit Elio, il ne se remit jamais de l'avoir tuée.
Tu le sais à présent, Liraï, Elio a tué ta mère, ton père a tué sa femme.
Liraï s'interrompit à cette phrase, partagée entre colère et dégoût. Elle voulait déchirer la lettre et la brûler, tout oublier et rentrer chez elle avec son père. Mais son père avait tué sa mère, la femme qu'il aimait, il l'avait donné en offrande à ... Quoi ?
Qu'est-ce qui dans les légendes réclamait ainsi des jeunes filles, rendant fous des hommes ?
Elle ne pouvait pas détester son père, mais lui en voulait, lui en voulait d'avoir caché la véritable mort de sa mère, lui en voulait d'avoir tué sa femme sans résister. Elle n'avait pourtant aucune raison de croire la lettre, mais tout lui paraissait si évident à présent. Cela expliquait beaucoup de chose. Son attitude mystérieuse et brisée, son esprit blessé. Il pleurait pour sa fille mais aussi pour son ami, devenu fou et meurtrier.
Son père savait que c'était Mecki, il avait trop peur, trop peur de perdre son ami de toujours en le dénonçant. Son silence l'avait détruit.
Mais s'il savait pour Mecki, pourquoi avait-il fiancé sa fille à ce tueur ?
Un affreux doute empoigna son cœur.
Et si la voix le lui avait ordonné ?
Et s'il savait que sa fille mourrait et qu'il l'offrirait à Mecki ?
Ses mains tremblaient à cette idée. Ce père qu'elle avait aimé, qui lui avait promis sa protection l'aurait trahi. Elle ne pouvait en être certaine, mais cette sensation de solitude la rongeait. Le papier flottait dans ses mains, l'attirait et l'appelait, les larmes s'écoulant de ses yeux, elle les posa dessus et continua la lecture, redoutant de savoir la suite.
Ce meurtre fut la goutte de trop pour Elio, il décida de se suicider, ainsi, il ne serait plus utile à la voix. Mais celle-ci l'en empêcha, lui implora de ne pas mourir, elle lui fit la promesse de le laisser seul. Ton père obéit et t'éleva dans le secret, le secret envers son ami qui continuait sa tuerie, il ne pouvait le dénoncer, pas après avoir perdu sa femme. Alors il t'éleva dans le mensonge, et Mecki poursuivait les offrandes. Jusqu'au jour où tu es devenue la plus belle fille. Ce jour-là, Havel est mort, accusé d'être coupable. En réalité, c'était son propre frère qui avait mis les bocaux et les membres chez Havel, car celui-ci commençait à douter de Mecki. Il a donc fait cela pour effacer ses traces. Mais la voix est revenue et les offrandes ont repris.
Puis, tu es de nouveau devenue la plus belle. Je suis arrivé, décidé à percer tous les mystères et à réussir à mettre Mecki en déroute. De plus, tu es la fille d'un des tueurs, tu te devais plus qu'un autre de connaître la vérité. J'ignore quelle légende réclame les offrandes, j'ignore pourquoi ton père t'a fiancée à Mecki alors qu'il souhaite te tuer, j'ignore d'où vient le sang de la fontaine. Mais je sais que tu arriveras à t'en sortir, je t'aiderai toujours, si je venais à mourir, sache que je t'aime beaucoup, tu es forte et courageuse, une amie formidable.
Trouves les réponses, finis-en, sauve ton village.
Tout ce que je peux te dire, c'est de te souvenir des histoires, même les plus brèves que tu as entendu durant ton enfance et maintenant, souviens toi des légendes, Liraï.
Je suis désolé pour tout ça, je sais que ça fait beaucoup à digérer, mais je sais que tu t'en sortiras.
Affectueusement,
Shaé.
Elle reprit sa respiration, traitant l'air tout en pleurant, en encaissant et en culpabilisant, son monde même ne tenait plus debout. Elle n'avait plus rien. Ni père, ni amis. Et voilà qu'un poids énorme pesait sur ses épaules, elle devait finir ce que Shaé avait commencé, en dépit de son cœur flétrit, de la trahison, de cette tristesse, lame acérée lui dévorant l'âme. Elle devait se relever. Battre cette souffrance, transformer sa douleur en force, revenir et gagner. Désormais, elle savait que c'était bien Mecki qui lui faisait tant de mal, et elle aurait une discussion avec son père une fois tout cela terminé.
Serrant la lettre contre son cœur, relique du dernier souffle de l'homme le plus courageux qu'elle ait rencontré. Mais elle ne comprenait pas pourquoi il avait changé d'un coup, comme s'il était manipulé, possédé par une force inconnue.
Et puis, pourquoi parlait-il des légendes ? Elle en avait des milliers en tête, le loup avalé par la rivière, l'esprit écartelé par les 100 cris des morts, des âmes perdues dans les montagnes...
Encore quelque chose à découvrir. Soudain, un bruissement retentit près du trône de velours. Par précaution, elle saisit le couteau de Shaé, peut être servirait-il le moment venu ? Se retournant lentement, des frissons lui parcourant le corps, elle s'approcha à pas de loup. Lorsqu'elle arriva en face, elle se figea, sa respiration lui parut soudainement trop forte, les parois se refermaient sur elle, l'oppressant de plus en plus. Un papier gisait sur le fauteuil, venant de nulle part, son message macabre s'imprima dans la rétine de Liraï
Derrière toi
A peine eut-elle le temps de se retourner qu'un choc frappa son crâne, la plongeant dans les ténèbres, là où la mort et la vie ne font plus qu'une.
Lorsqu'elle reprit connaissance, la terre défilait sous ses jambes, elle avançait, tirée par une main malveillante. Les souvenirs revinrent en un éclair, Mecki, le sous-sol, Shaé. Les larmes coulèrent, une vague de panique en prise avec son estomac, elle se débattit, tenta de hurler, mais le bâillon lui obstruait la parole et seuls des couinements étouffés sortaient de sa bouche.
- Tu sais, ton père comptait beaucoup pour moi, mon frère aussi. La seule différence est que Havel risquait de me dénoncer, alors que ton père est trop lâche pour le faire.
- N... gémit Liraï, Non, mon père n'est pas... n'est pas un lâche...
- Ben voyons !! Et pourquoi crois-tu qu'il n'a pas essayé d'empêcher ta mort ? Il a peur, peur de moi et de cette voix, il tient à toi, mais ne sais pas comment te garder !
- Il a essayé...
- Essayer n'est pas réussir !
Elle ne trouva rien à répondre, après tout, il avait raison. Elle ne comprenait plus rien à son père, et cela la brisait, la hantait et la rongeait somme une fissure qui s'étend sur son cœur et le dévore avec elle.
- Allons, poursuivit Mecki (du moins, elle pensait que c'était lui), ne soit pas si triste, tu vas servir une noble cause !
À ces mots, il lâcha son col et la força à se relever. Liraï contempla, ébahie, le paysage qui s'offrait à elle. Une longue rivière serpentait entre les rives, son eau translucide prenait une teinte légèrement rougeâtre et elle semblait vivre, frémir à l'arrivée de la jeune fille. Frémir de plaisir. Soudain, Mecki s'agenouilla, Liraï put enfin le voir, elle regretta d'avoir tourné la tête.
Le Mecki qui se tenait devant elle n'était plus le même, son visage dur et froid dégageait une aura malsaine et sanglante, il semblait prêt à déchiqueter quiconque se dresserait sur son chemin. Dans son regard luisait une lueur effrayante de soif de sang. Liraï n'osait plus esquisser le moindre geste, trop effrayée des conséquences que cela aurait.
- Voici la rivière qui alimente notre fontaine, dit Mecki sous le regard anxieux de Liraï, mais c'est aussi une rivière qui a inspiré nos légendes, des légendes qui ne sont pas forcément fausses.
- Quelles légendes ? Que signifie cette rivière ?
En réalité, un pressentiment rongeait la jeune fille, au fond, elle savait pourquoi elle était là, elle savait ce qu'était réellement le danger, mais elle en avait trop peur pour y croire.
- C'est la rivière carnivore.
Liraï blêmie, noyée dans une vague de panique. Si c'était réellement la rivière carnivore, la légende la plus redoutable et la plus effrayante, alors elle avait toutes les chances de mourir.
- La... La rivière carnivore, celle du loup ? balbutia-t-elle, celle dans laquelle un loup blanc tombe dans la rivière et fusionne avec son esprit, rendant la rivière avide de sang, poussant des marins au naufrage ?
Dire qu'elle avait pensé, pendant des années, que ce n'était qu'une histoire pour faire peur aux enfants !
Les légendes sont souvent fondées sur une vérité.
Elle comprit seulement maintenant leur réel sens.
Mettre en garde.
- Oui, elle existe. Mais elle possède un pouvoir très précieux. Lorsque je suis tombé dans la rivière et que ton père est venu me chercher, la rivière aurait pu nous dévorer tout de suite, mais elle a vu une autre opportunité. Notre sang était lié à son eau, lui donnant un accès à notre esprit grâce au lien du sang. Elle nous a forcés à lui amener des jeunes filles belles tous les mois, augmentant ainsi les rendements, pouvant engloutir tout le village à la place de se contenter de deux personnes. Mais ton père est sorti de son emprise par le chagrin d'avoir tué sa propre femme. Alors j'ai continué seul dans le secret. Ton père pensait que, si je me fiançais à toi, je t'épargnerais, en tout cas je le lui avais assuré. Il y croyait vraiment, pensait que j'étais toujours son ancien ami ! Le sang dans la fontaine, c'est tout simplement l'eau rougie qui arrivait, vous buvez l'eau de votre mort ! Mais elle doit être dans son lit pour dévorer les corps. Nous avons faim, c'est toi qui seras la prochaine.
Il est fou.
Consumé par cette voix, son esprit est dévoré, écartelé.
Il éclata d'un rire empli de rancœur et de folie, il résonna dans la vallée, ses mains tremblaient, se tordaient dans des craquements d'os. Son rire se mua en pleurs, il restait à se lamenter, marmonnant des injures et des prières. Puis, il poursuivit son récit sanglant, à nouveau plongé dans sa folie.
- Ensuite, j'ai manipulé ce pauvre Shaé, le poussant à me trouver, et lui faisant avaler un poison ensorcelé, me permettant de le contrôler et de le tuer le moment venu. Tu as dû le trouver bizarre, c'était l'effet du poison ! Puis je t'ai laissé découvrir la vérité avant de mourir, tu emporteras ces secrets dans ta tombe avec ton chagrin !
Il se pencha vers son visage, ses yeux d'un bleu ciel inhabituel injectés de sang.
- Salue mon frère de ma part, tu veux ?
À ces mots, il empoigna Liraï. La jeune fille se débattit au mieux, tentant d'atteindre son rival au visage, de le frapper, le griffer. Elle hurlait, tirait sur son bras, pleurait toutes les larmes de son corps.
- Laisse-moi !! hurlait-elle, je t'en prie !
Mais en vain. Elle chercha désespérément le couteau de Shaé, mais cet infâme Mecki le lui avait retiré ! Dans une dernière pensée pour Shaé, elle ferma les yeux et attendit sa mort. Soudain, un hurlement bestial s'échappa de la gorge de son agresseur. Intriguée, Liraï leva les yeux, la vie émanait du corps de Mecki sous forme de liquide rouge, il se rependit sur ses vêtements, coula d'une dague émergeant entre ses côtes. Le hurlement de douleur s'interrompit, Mecki, prit de convulsions, s'écroula dans son sang, sa bouche ouverte laissant couler un mince filet rouge. Ses yeux éteints fixant la rivière, les mains de la mort englobèrent son corps. C'était fini, la mort qui dansait avec les filles dansait cette fois ci avec lui.
Liraï observa, interloquée, la main de son assassin se desserrer, mourir à sa place. Lorsque le corps de Mecki s'écroula, elle aperçut celui qui maniait la dague.
Elio.
Son père.
N'écoutant que son cœur, elle se jeta au cou de son père avec une exclamation, son corps chaud contre le sien. Elle ne pouvait que l'aimer dans un moment pareil.
- Papa, je... je... bégaya-t-elle
- Chuuuut, c'est fini... Je suis désolé, je n'aurais jamais dû te laisser avec lui.
- Mais comment m'as-tu...
Avant qu'elle ne puisse terminer, un homme s'avança de derrière son père.
Shaé
- Sh... Shaé ?? s'exclama-t-elle en voyant son ami, mais tu étais...
- Mort ? J'avais pris mes précautions, tu m'as laissé pour mort, mais je ne l'étais pas.
- Mais tu ne respirais plus ! Ton cœur ne battait plus !!
- Si mais tellement faiblement que tu ne pouvais pas l'entendre, ça m'a assommé pendant un certain temps et tout est redevenu normal. Cela peut paraitre impossible mais je viens d'un pays où tout est possible...
- Lorsque Shaé s'est reprit, il est venu me prévenir de ta disparition. Poursuivit Elio, J'ai tout fait pour t'éviter de mourir, mais je n'aurais pas dû croire qu'il te laisserait si tu devenais sa femme. Il a beau être mon ami, je ne le reconnais plus, et je n'allai pas le laisser te tuer !
- Tu as sacrifié ton meilleur ami pour moi ! s'exclama Liraï.
- Non, s'enquit son père avec un air grave, mon ami est mort depuis longtemps, j'aurais dû m'en rendre compte, mais j'ai été faible.
Liraï serra Shaé si fort qu'elle eut peur de le briser, après tout, il n'était pas indemne de son passage vers la mort. Le cœur lavé de douleur, elle laissa sa peur s'écouler tandis que son père achevait son récit. Lorsqu'il eut terminé, elle se détacha de son ami et demanda à Elio :
- As-tu réellement tué ma mère ?
Il baissa honteusement les yeux, rouge de honte.
- Oui... Ce geste m'a détruit, je ne me suis pas rendu compte du danger, trop obnubilé par mon passé. J'ai été égoïste, je suis navré, mais je sais que tu m'en veux, je ne te le reproche pas.
- Tu as accepté ton passé pour me sauver, je t'en suis éternellement reconnaissante !
À ces mots, elle se jeta de nouveau au cou de son père, ils étaient réunis, elle, Elio et Shaé. Elle ne pouvait pas être plus heureuse.
Avant de rentrer au village, ils jetèrent le corps de Mecki à la rivière, Liraï crut apercevoir une larme au coin de l'œil de son père, mais elle ne dit rien.
La route du retour se fit dans les retrouvailles et la joie, même si parfois, un silence lourd de sens s'installait, vite brisé par les acclamations de soulagement et de vie.
Au village, la mort de Mecki ne fut pas honorée, on oublia son existence, sa maison fut démantelée et le corps de Havel reçut des funérailles dignes de ce nom.
Shaé, sa mission terminée, reprit route vers Yonliam, non sans avoir versé des larmes à son départ. La vie de Liraï et son père fut emplie d'amour et de joie, le passé était le passé.
Quant à la rivière, on continua de puiser dedans, mais l'accès à son lit fut interdit, même si parfois, un habitant disparaissait mystérieusement. Le village, tel un phœnix, renaquit de ses cendres.
Et les légendes courent toujours, sauf celle de la rivière carnivore devenue un fait, un moyen de prévenir les étrangers.
Si, un jour, vous voyagez dans un de ces villages reculés, perdus du monde et des cartes. Si vous êtes accueillis dans un de ces villages pleins d'histoires et de légendes, veillez à respecter les légendes. Prenez au sérieux les avertissements, car la magie est de ce monde, et si vous n'apprenez pas à l'éviter, elle pourrait bien vous trouver.
Et alors seul un voyageur perdu pourra vous sauver...
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