07

« Nous ne pouvons pas partir ! C'est chez nous ici ! » avais-je hurlé.

J'étais appuyé sur la rambarde et je regardai le levé du soleil pour réfléchir, me calmer. C'était complètement insensé. Tout quitté pour se sauver ? Pourquoi maintenant ? Je n'avais jamais craint personne.

« Crois-moi, tu pourrais y rester cette fois. Tu ne peux pas savoir à quel point ils sont dangereux. »

Je fermai les yeux et soupirai.

« Parce que tu t'inquiètes pour moi maintenant, mademoiselle ?
— Je ne veux le malheur de personne, affirma-t-elle faussement.
— Cesse de mentir. Tu rêves à moi tous les soirs... Avec une dague en plein cœur. Ne me dis pas le contraire, tu fantasmes à l'idée de me voir mort, de retrouver ta liberté ! » m'emportai-je en me retournant pour lui faire face.

Je fus surpris de la voir aussi près. Je fus même porté à reculer d'un pas et de m'appuyer sur la balustrade métallique.

« C'est faux, je ne veux pas ta mort. Je veux simplement te torturer, te blesser, t'estropier, te mutiler, jusqu'à ce que tu regrettes de m'avoir enfermé ici, mon frère et moi. » chuchota-t-elle froidement.

Je déglutis et elle partit. Je me levai les yeux au ciel, puis sursautai en entendant la fille hurler :

« Je préfère me jeter en bas de cet édifice, plutôt que de rester ici à les attendre ! »

Je devais prendre une décision. J'étais invincible, mais pas à tout.

Je faisais les cent pas dans la cuisine sous le regard insoutenable de mon frère. Je m'arrachai les cheveux de la tête. Tout quitter ? C'était si absurde ! J'avais envie de tout casser.

Je faisais mon sac : tout ce qui m'était utile, tout ce qui m'était cher. Aël, mon petit frère, avait entrepris de faire la même chose. Vêtements, argent, armes, souvenirs... Tout. Nous n'avions pas de temps à perdre. Nous devions quitter notre chez nous à l'aube : il nous restait donc un peu moins de 24h.

« Tu sais, tes prisonniers ne sont pas en état pour voyager. Loki, par exemple, elle porte des haillons. Tu pourrais peut-être te rendre utile pour lui trouver de quoi se vêtir adéquatement.
— Tu pourrais y aller toi-même, râlai-je comme un gamin.
— Alors charges-toi des provisions. » me proposa mon frère en me jetant un sac pour les vivres.

Je le foudroyai du regard, mais parti de mon côté.

Je revins alors dans la cuisine, là ou les autres s'étaient regroupés. Aël distribuait ses trouvailles à ses petits protégés. Je regardai la scène appuyé sur le mur, sac sur l'épaule, en mangeant une pomme.

Pour les deux garçons, tout se passa très bien. Milor était déjà habillé correctement dès son arrivée ici. Il ne restait plus que l'adolescente. Mon frangin lui tendit alors un vêtement qu'elle enfila aussitôt par-dessus son t-shirt.

« Ça s'est mon pull favori, tête de nœud ! » reprochai-je à mon frère en lui lançant mon cœur de pomme derrière la tête.

Il passa alors sa main à l'endroit de l'impact et m'adressa son majeur. Il se retourna et regarda le fruit sur le sol en le poussant légèrement du bout du pied.

« Je t'avais demandé de ranger les provisions, pas de les manger ! » me réprimanda mon frère.

Je m'approchai de celui-ci et l'attrapais par le collet.

« Tu crois que tu peux me donner des ordres, je fais ce que je veux, c'est moi l'aîné. »

Aël me coupa le souffle quand son poing s'écrasa sur mon ventre. Je m'appuyai sur mes genoux.

« Ramasse la merde que t'as mit sur le sol. » me chuchota-t-il à l'oreille.

Je hochai la tête et entendis les autres se moquer. Je levai les yeux et regardai les trois Ramencheurs. Les deux garçons se turent en détournant le regard. Loki, elle, me fixa dans les yeux, comme toujours.

Aël mit fin à notre échange de regard en distribuant un second morceau de linge. Des pantalons noirs.

« Je ne sais pas s'ils te feront. C'est mieux que ceux que tu as, j'imagine. J'espère qu'ils ne seront pas trop petits. »

Je crus alors qu'elle allait les enfiler plus tard, ailleurs, mais devant tout le monde, elle retira ses haillons en lambeaux. Mon pull trop grand lui arrivant un peu au-dessus de la mi-cuisse. Je déglutis, me sentant presque mal de reluquer une mineure. Elle enfila les jeans que mon frère lui avait fournis. Ils étaient beaucoup trop étroits... Et effectivement, dès que Loki plia un genou à la fois, le tissu se déchira à cet endroit. Elle pouffa de rire avec Seth, mais reprit son sérieux pour s'adresser à Aël.

« Merci, ça ira. »

Mon idiot de frère revint à côté de moi et me tapa l'épaule.

« Respire Erwin, elle n'a que 16 ans. Je crois que tu es en manque mon vieux. Tu n'as vu que ses jambes, mon pauvre. » me murmura celui-ci, en se moquant.

Je mis à rougir. Jamais en 10 ans, je m'étais senti aussi pitoyable. Je donnai le sac de provisions au cadet et sorti de la pièce d'un pas plutôt pressé.

Je grimpai sur le toit et me couchai au soleil. C'était la dernière fois que je pouvais venir ici. Ça allait me manquer...

Je redescendis rapidement en entendant les choses se corser. J'avais laissé mon frère seul contre 3. J'entrai dans la pièce et fus surpris de voir Aël et Seth se disputer.

« Je veux une arme pour pouvoir me défendre !
— Je ne veux pas ! Je te protégerai s'il le faut ! hurla mon frère.
— Qu'est-ce qu'il y a, tu ne me fais pas confiance, c'est ça ? On fait tout ensemble depuis une semaine et...
— T'as tous compris ! »

L'adolescent se figea et je vis la tristesse suivie de la rage, dans ses yeux. Il bouscula violemment mon petit frère, mais celui-ci ne se laissa pas faire : il le plaqua au mur, le prit à la gorge et lui dit sur un ton menaçant, au creux de l'oreille :

« Tu te rappelles, notre première rencontre ? Je t'ai conseillé de ne pas me provoquer. C'est une très mauvaise idée. Je peux faire bien pire qu'Erwin, crois-moi. »

Je dus intervenir pour ne pas qu'Aël tue mon sujet. Mon frère avait du mal à revenir à lui quand il chavirait de l'autre côté. Le mauvais côté. Je séparai les deux garçons en prenant mon frère, qui se débattait, par les épaules.

« Aël, ça suffit. Calme-toi... » lui demandai-je doucement.

Je le poussai sur une chaise pour qu'il s'assoie.

Je me retournai vers le brun, qui respirait bruyamment, la main sur la gorge.

« Pas trop sous le choc ? »

Il me regarda, toujours affolé.

« Tu ferais mieux d'éviter mon frère, d'ici jusqu'au départ. »

Il hocha la tête faiblement et sortis d'un pas pressé de la salle à manger, suivi par la brunette et le rouquin.

« Seth, attends... » Lâcha mon petit frère, d'une voix frêle.

Il avait le visage enfoui dans ses mains et respirait nettement plus paisiblement. Je vins donc m'accroupir devant lui et ébouriffai ses cheveux bruns légèrement ondulés.

« C'est terminé, il va me détester maintenant.
— Ne fait pas de conclusion hâtive, lui dis-je aussitôt.
— Mais... » commença-t-il la voix tremblante.

Je me levai brusquement, le laissant seul. Je me précipitai vers le brun et l'attrapai par le bras, car il tentait de me fuir subtilement.

« Lâche-le, il n'a rien fait de mal, demanda Loki.
— Ne lui fait pas de mal ! » rajouta Milor.

Je levai les yeux au ciel, en soupirant. Pourquoi dès que j'approchai quelqu'un, ils étaient tous persuadés que j'allais le blesser ?

« Je veux seulement lui parler. »

Il fronça alors les sourcils. Je le tirai donc dans l'autre pièce.

« Écoute-moi bien, Aël et moi sommes de la même famille. Tu ne peux pas savoir à quel point il fait tout son possible pour être la meilleure personne possible. Il se prive pour aider les autres. Il peut impulsif, c'est vrai. Mais je te jure que si tu l'évites après cet épisode, je te casse les deux jambes. »

Il écarquilla les yeux.

« Je ne t'apprécie pas le moins du monde. Mais mon frère a définitivement besoin d'un ami. Donc je te jure que d'ici la tombée de la nuit, tu es mieux de l'avoir pardonné, le menaçai-je. Ne va pas le voir maintenant, il risque de pleurer comme une fillette devant toi, sous le poids de la culpabilité. »

Je relâchai son bras et parti en le laissant seul.

Je revins voir Aël quelques minutes plus tard et Seth était là aussi. L'adolescent tenait mon frère dans ses bras, car celui-ci pleurait toutes les larmes de son corps. Il s'agrippait à son pull et avait la tête enfouie dans son cou. Le brun n'avait pas l'air très à l'aise, mais je crus comprendre que ce n'était pas la première fois qu'il voyait mon petit frère dans cet état de faiblesse. Je m'appuyai donc sur le mur, pour regarder la scène.

« Je t'avais averti. »

Le frère de la brunette me foudroya du regard et je crus bon de les laisser seul.

J'avais oublié quelque chose d'important. Quelque chose dont j'avais besoin. Ou plutôt quelqu'un. Je marchai, laissant à nouveau mon frère seul.

J'arrivai devant l'énorme bâtiment et entrait rapidement à l'intérieur.

« Osar! » l'interpellai-je.

Son bar était vide pour l'instant. Je sautais agilement par-dessus le comptoir et franchi la porte pour me rendre dans la salle des cuves, ainsi que là où il entreposait ses nombreux fut de boisson alcoolisée. Je le trouvai plus loin, il semblait presque surpris de me voir.

« Oh, Erwin. Je ne t'avais pas vu. »

Il essuya son front en sueur à l'aide de sa main. Il s'approcha calmement en me souriant tendrement.

« Je ne croyais pas te revoir si tôt, tu veux quelque chose à boire ?
— Non. »

Il haussa les sourcils, surpris.

« C'est vrai que la dernière fois, tu avais beaucoup bu. Tu n'étais plus totalement là, je crois. Étrangement, je n'arrête pas d'y repenser... »

Je creusai alors dans ma mémoire, mais je ne me rappelais de rien, sauf l'atroce migraine dont j'avais hérité la veille.

« Je ne me rappelle pas ce que j'ai fait. » lui avouai-je.

Il ouvra grand ses yeux vairons et balbutia quelques mots incompréhensibles. Osar semblait troublé par ce qui s'était produit, ce qui piqua ma curiosité.

« Qu'est-ce que j'ai fait ?
— Oh euh... Je... Bah... Tu vois... Tu as... Tu as encore tué quelqu'un dans mon bar.
— Oh ce n'est que ça ? Je veux dire, excuse-moi. »

Je le regardai, mais aucun remords s'empara de moi. Dommage.

À force de le regarder, je compris que ce n'était pas tout. Il y avait autre chose qui m'échappait.

« Tu ne veux vraiment rien à boire ? Je peux te faire un rabais sur... commença-t-il.
— Osar, je n'ai pas le temps.
— Pas le temps ? répéta-t-il. Tu as toujours le temps. Qu'est-ce qui se passe ? »

Il marcha alors lentement en traînant les pieds, jusqu'au comptoir de son bar. Une fois arrivé, il s'appuya sur celui-ci. Il attendait que je parle, mais n'osait toujours pas me regarder dans les yeux.

« Je t'explique dès que tu m'auras tout dit. »

Il haussa les épaules en soupirant.

« Je n'ai rien à ajouter. » répondit-il, ennuyé.

Je l'attrapai alors fermement par les épaules, ce qui le surprit. Je m'approchai pour qu'il ne puisse pas regarder ailleurs.

« Je te croyais plus honnête. »

Il déglutit. Je pouvais sentir son cœur se débattre dans sa poitrine. Sans qu'il ne dise un mot, je compris. Je compris dès la seconde où son regard descendit sur mes lèvres et que ses joues s'empourprèrent. Je savais ce que j'avais fait, mais ne savais pas pourquoi je l'avais fait.

« Je pars Osar. Je quitte cette ville. Je fuis les Ramencheurs, c'est sérieux cette fois. »

Son regard remonta alors brusquement à mes yeux. Il me repoussa brusquement, choqué.

« Quoi ? Tu... Attends ? Tu pars ? Mais... Tu n'as jamais eu peur d'eux... Tu...
— Je cours à ma perte en restant ici, je ne suis pas complètement immortel et tu le sais. Je dois partir.
— Tu es mon seul ami... commença-t-il.
— Je sais, et c'est pourquoi j'aimerais que tu viennes avec nous.
— Non! Je ne peux pas ! »

Sa tristesse et sa confusion se transformèrent alors en colère.

« Tout ce que j'ai se trouve ici, ma fortune, tout ! C'est complètement stupide ! Tu crois vraiment que je vais te suivre ? Tu es complètement con !
— Tu es comme mon frère, tu fais partie de la famille...
— Sors, me coupa-t-il.
— Je croyais qu'on se comprenait. »

Je sautais par-dessus le comptoir et me dirigeai vers la sortie, les poings fermés, les dents serrées. Je posais ma main sur la porte et me retournais une dernière fois vers mon ami. Il soupira et se passa la main sur le visage.

« Erwin, attends. »

Il se tourna vers moi et enchaîna :

« Il n'y a aucun moyen de te faire changer d'avis ?
— Ma décision est prise. »

La mélancolie le frappa à nouveau de plein fouet. Il s'agrippa au comptoir et je le vis se laisser tomber au sol. Je le rejoignis alors d'un pas pressé. Il était assis au sol, fixait le vide, et se prenait la tête. Je m'étirai pour l'agripper par le chandail et l'aidait à se relever.

« C'est ta dernière chance Osar, je te demande de venir avec nous. J'ai peur pour ta sécurité. Tu m'entends ? J'ai peur pour toi, murmurai-je. Je tiens à toi.
— Je ne peux pas... » lâcha-t-il faiblement.

Son regard dériva à mes lèvres, comme quelques minutes auparavant. Je crus alors bon de jouer le tout pour le tout, pour le faire changer d'avis. C'était mon meilleur ami et je n'avais spécialement envie de jouer avec ses sentiments, mais bon. Je sautai pour énième fois par-dessus le bar et le plaquai doucement sur le mur derrière lui. Il me regarda perplexe, mais tentait de contenir un faible sourire. Je m'approchai et posai mes lèvres sur les siennes. Je pus sentir qu'il était nerveux, mais il ne me repoussa pas. J'avais bien deviné ses pensées.

Je vins pour m'éloigner, mais il agrippa mon pull et m'empêcha de rompre le baiser. J'étais surpris, énormément surpris. Mes mains toujours appuyées, sur le mur derrière lui, de chaque côté de sa tête, il réalisa alors ce qui était en train de se produire. Il mit fin à ce moment en s'écrasant d'avantage sur le mur, les yeux écarquillés.

« Oh putain de merde de... Qu'est-ce qui vient de se passer ?! s'exclama-t-il perplexe.
— C'est ce qui te tourmentait, pas vrai ?
— Mais comment tu as su...
— Tes yeux parlent pour toi. »

Un rire nerveux s'échappa de sa gorge. Il vint pour dire quelque chose, mais je le coupai pour mettre fin à cette discussion qui nous rendait quelque peu mal à l'aise.

« Nous partons à l'aube, si tu changes d'avis. » murmurai-je en déposant un petit baiser sur le dessus de son crâne.

Il se mordit la lèvre et semblait déchiré. Je me doutais bien qu'au fond de lui, il voulait nous suivre. Mais avant qu'il ne me dise quoique ce soit, je partis.

J'ouvris la porte, légèrement déboussolé.

« Erwin! Je te cherchais partout ! me lança Aël énervé.
— Je suis aller voir Osar, lui répondis-je directement.
— Oh... Tu lui as proposé de venir avec nous...? »

Je hochai la tête en m'asseyant.

« Il n'a pas accepté... » comprit mon frère.

Je soupirai et enfouis ma tête dans mes bras, sur la table.

« S'il change d'avis, il nous rejoindra à l'aube. »

Il s'approcha et posa sa main sur mon épaule.

« Tu as tout essayé pour le convaincre ?
— Si tu savais... » dis-je en le regardant, un faible sourire collé au coins des lèvres.

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