04
Je me réveillai suite à un claquement de porte, puis me levai et allai dans la pièce voisine. Les trois se tenaient devant moi. Erwin était couvert de sang sur les mains, avait des filets de sang sur les tempes et souriait de toutes ses dents. Il tenait le brun et l'adolescente par le bras. Sa réaction pouvait se comparer à un chien qui avait enfin attrapé un écureuil qu'il pourchassait depuis longtemps. Peut-être voulait-il une récompense pour les avoir rapportés ? Loki et Seth ne semblaient d'ailleurs pas être en pleine forme ni réjoui d'être de retour. J'estimais que le brun s'était déjà rétabli de sa jambe cassée, ce qui me ravissait. Par contre, son joli visage était amoché : une ecchymose s'étendait sur sa pommette, probablement suite à violent coup au visage. Sa sœur, elle, était vêtue d'un haut laissant entrevoir le bas de son ventre et l'une de ses jambes était dénudée jusqu'à la mi-cuisse. Son genou, lui, était enroulé dans un bout de tissus et avait une couleur cramoisie.
« Tu en as mit du temps.» Dis-je machinalement.
Il me poussa les deux prisonniers dans les bras, Seth me tomba dessus, mais Loki, elle, tomba à un mètre de moi. Elle gémit et je me sentis complètement désolé de ne pas l'avoir rattrapé. Je regardai mon frère d'un regard noir et il quitta la pièce. Je redressai le frère et aidai la fille à se relever.
« Que s'est-il passé ?»
Elle me regarda d'un regard presque rancunier.
« Ton frère est cinglé, voilà ce qui s'est passé.
— Il ne l'a pas toujours été.»
Je soupirai, regardai son bandage, puis repris :
« Tu t'es soignée ? lui demandai-je.
— Non.
— Ton frère alors ? »
Celui-ci me fit signe que non.
« Erwin ? » demandai-je en m'étouffant.
Elle hocha la tête. Depuis quand mon frère soignait les autres ? J'étais complètement perplexe. Je regardai à nouveau sa blessure recouverte. Le bandage ne semblait pas être négligé, à ma plus grande surprise.
« Ne suis-je pas formidable ! » s'exclama Erwin en faisant réapparition dans la pièce.
Le brun se crispa et la fille recula difficilement de quelques pas, les bras croisés. Et moi ? Je regardai mon frère avec lassitude.
« Et si on jouait à un jeu ? »
Il poussa brusquement une chaise au centre à l'aide d'un seul pied. Il tourna ensuite en rond, les bras croisés en regardant ses deux prisonniers de la tête aux pieds. Un silence pesant régnait et personne ne parlait. Je m'adossai au mur, attendant la suite. Je n'étais pas inquiet, pour l'instant.
« Alors... Qui veut commencer ? »
Quand il s'arrêta pour de bon devant Loki et qu'il fit un pas vers elle, elle recula d'un pas, mais perdit l'équilibre. La brunette tomba durement sur le sol, assise. Erwin rigola d'une voix rauque, incapable de s'en empêcher. Elle semblait vexée. Le rire de mon frère ne s'estompait pas et était presque amusant.
« À quel moment es-tu devenu un connard ? » demanda-t-elle sèchement.
Il s'arrêta de rire, posa la main sur son cœur et s'accroupit devant elle. Puis, avec une moue presque offensée, il lui lança :
« Oh comme c'est blessant... dit-il d'une petite voix. Mais puisque tu me le demandes, ça a commencé quand je t'ai rencontré. J'aime prendre exemple sur les autres. »
Elle le fusilla du regard. Mon frère lui prit le menton du bout des doigts et approcha son visage de l'adolescente. Celle-ci sembla alors d'avantage énervée.
***
Ses yeux verts me fixaient malicieusement avec un sourire dépravé collé aux lèvres. Cet homme me dégoûtait. Je voulais m'éloigner, mais un mur m'en empêchait.
« Tu es tellement séduisante quand tu te mets en colère. »
Sans avoir le temps de réagir, il s'approcha de moi, me mordit la lèvre inférieure et vint pour m'embrasser, mais je lui donnai aussitôt un douloureux coup sur le buste qui le propulsa vers l'arrière. Aël explosa de rire. Son frère était couché sur le sol et fixait le plafond.
« Ne me touche plus jamais ! hurlai-je, hors de moi.
— Tu perds ton temps Erwin, tu le vois bien.
— J'étais si près du but ! s'exclama-t-il. C'est bien plus compliqué qu'à l'habitude. J'ai échoué 2 fois ! Tu entends Aël ? 2 fois ! Elle a du caractère celle-là. Ça me plaît. »
Il était fou. Il me répugnait. J'avais une intense aversion pour lui. Il se releva, enleva la poussière de ses vêtements et reprit un air neutre, voir même menaçant.
Seth vint vers moi et m'aida à me relever en fusillant l'autre du regard, puis replaça une mèche de cheveux derrière mon oreille. Je pus lire sur ses lèvres qu'il me demandait si ça allait. Je hochai la tête en guise de réponse. Soudain, mon grand frère fut tiré par le collet, puis s'écrasa sur la chaise un peu plus loin.
« J'ai décidé de commencer par toi. Tu es moins têtu que ta sœur, je crois ? Du moins, je l'espère. »
Un lourd silence s'installa. Seth regardait partout, sauf les yeux de son interlocuteur.
« Mon jeu est tout simple. Je te pose une question et tu me réponds gentiment. Allez, commençons avec quelque chose de simple : comment t'appelles-tu ? »
Seth me regarda perplexe. Je pouvais lire dans ses yeux qu'il avait peur, qu'il avait peur que ce soit une question piège.
« Seth Mendax. » répondit-il d'une petite voix.
Un large sourire se dessina sur le visage d'Erwin. Il ébouriffa les cheveux de mon frère.
« Tu vois comme c'est simple! »
Je regardai Aël qui se foutait complètement de ce qui se passait. Il vit que je le regardais, donc il m'adressa un faible sourire amical.
« Prochaine question : quel âge as-tu ?
— 17 ans ?
— Oh Aël, nous sommes les aînés ! »
Savoir quel âge ils avaient ne m'avait jamais traversé l'esprit jusqu'à maintenant... Je questionnai alors Aël du regard et je pus lire sur ses lèvres « J'ai dix-huit ans » je hochai la tête, presque surprise. Il me sourit et Erwin enchaîna :
« Augmentons la difficulté à présent : quel est le nom du dirigeant des Ramencheurs ? demanda-t-il sévèrement.
— Pourquoi je te le dirais ? »
Aussitôt, Erwin frappa brutalement mon frère.
Aël, affolé, se jeta vers eux en s'interposant entre les deux avant que son frère n'ait le temps de recommencer. Il le frappa à son tour.
« Qu'est-ce qui te prend ? Tu crois vraiment que c'est par la violence que tu obtiendras des informations, espèce d'imbécile ?! hurla-t-il. C'est toi l'aîné, t'es un putain d'adulte, ça te dirait d'agir comme tel ? »
Erwin partit, une main sur la joue et la mine basse. Aël se mit alors à examiner délicatement le visage de Seth du bout des doigts. Je m'approchai lentement. Comment l'un pouvait être aussi attentionné et l'autre si bestial ?
« Tu n'as pas trop mal ? »
Mon frère secoua la tête. Aël disparu aussitôt dans la petite cuisine voisine et revint avec une gourde d'eau et un chiffon. Il mit un peu d'eau sur le bout de tissus et épongea les gouttelettes qui perlaient sur le coin du sourcil de mon frangin. Seth était figé et avait du mal à sourire timidement.
« Mon frère à une dent contre toi, c'est évident. » dit-il en regardant méticuleusement l'œil blessé de Seth.
Il rigola faiblement et baissa la tête. Je le questionnai d'un haussement de sourcils.
« Je me disais qu'au moins, les filles trouvaient ça sexy... » lâcha timidement le brun en pointant le coquard de mon frère.
« Pas que les filles. » pensai-je en le regardant.
Suite à un long silence, mon grand idiot de frère se leva de la chaise. Aël s'éloigna.
« Vous avez faim ? »
Mon frère et moi, nous regardâmes les yeux ronds : nos estomacs criaient famine. Je n'avais presque rien mangé ces derniers jours.
***
Le soleil était fort et insupportable. J'étais assoiffé. J'avais envie d'arracher mes vêtements noirs. Ma peau brûlait. Aël avait raison. Ce n'était pas par la violence que tout se réglait. Mais j'étais trop impulsif et je n'arrivais pas à me contrôler. Je n'avais tué personne depuis déjà environ 3 jours et ce n'était pas l'envie qui manquait. Je me sentais mal. J'avais besoin de décompresser. Je descendis du toit et tombai nez à nez avec mon frère.
« Tu as faim ? » me demanda-t-il.
Une agréable odeur de viande fumée s'était répandue dans l'appartement. Mais je n'avais pas envie de manger quoi que ce soit. Je pris mon pistolet et quittai cet endroit.
Je marchais en traînant les pieds dans le sable. C'était beaucoup trop silencieux dans cette minable ville. J'avais besoin de voyager. De partir d'ici. Seul Aël le faisait. Je vis alors un bar clandestin dans le bas d'un vieil édifice. Il n'y avait pas de porte, pas de table, seulement des vieux alcooliques buvant de l'alcool de fortune dérangeant ma vue.
***
On toqua à la porte, à ma plus grande surprise. J'ouvris la porte et tombai face à face avec mon frère. Son visage était couvert de sang. Il me donna ses armes, m'obligeant à les garder. Il avait un air neutre, mais je pouvais voir de la consternation dans ses yeux.
« Ne me redonne pas tout ça avant un bon moment. »
Erwin était divisé en deux. Une partie de lui aimait ce qu'il faisait. Aimait la violence, le sang... Et l'autre, qui prenait rarement le dessus, se détestait. Il me contourna et alla dans la "chambre". Je déposai son pistolet et son couteau sur la table près de ses deux prisonniers. Je ne m'inquiétais pas. Ils pouvaient prendre toutes les armes qu'ils voulaient, ils pouvaient nous tuer, ça ne changerait rien à leur situation. Erwin voulait que je garde tout ce qui pouvait être dangereux, même si on savait autant l'un que l'autre qu'il était capable de tuer à main nue. Je le rejoignis et il me regarda.
« Qu'est-ce que tu as fait ? » demandai-je doucement.
Il secoua la tête et la plongea dans ses mains.
« Un vrai carnage. Des vieillards, des hommes... Il y avait aussi un enfant qui accompagnait son père, je crois... »
Je me contentais de le regarder. Qu'est-ce que je pouvais bien lui dire ?
« Et j'ai aimé ça Aël. Tu ne peux pas savoir à quel point j'ai adoré. La sensation qui me coulait dans les veines... C'était génial ! »
Je venais de perdre la petite partie qui passait de temps à autre. Il me regardait maintenant avec des étoiles dans les yeux. Toute trace de regret avait disparu. Je rêvais du jour où son côté le plus humain reprendrait le dessus. Celui attentionné, gentil. Mais bon. Je ne voulais pas trop y croire, de peur d'être déçu. Je le laissai en plan et retournai dans la pièce voisine, là où se trouvaient nos invités d'honneur. Ils mangeaient toujours la viande fumée que je leur avais préparée avec quelques quartiers de pomme. Les armes étaient toujours au même endroit. Loki me regarda de ses yeux bruns et me sourit. Je répondis à celui-ci et me tirai une chaise pour m'asseoir près d'eux.
« Tout est à votre goût ? »
Seth hocha brusquement la tête. Je souris d'avantage.
« C'est délicieux. » affirma-t-il.
Erwin fit alors éruption dans la salle à manger, toujours couvert de sang. Je crus d'ailleurs comprendre que ça déplaisait aux deux personnes près de moi.
***
Je détournai la tête pour ne pas l'avoir dans mon champ de vision. J'entendis des pas s'approcher de moi et quelques secondes plus tard, je sentais déjà son souffle sur ma nuque. Je fixai le mur devant moi et je ne bougeai plus.
« Salut toi. Je t'ai manqué ? »
Je soufflai d'énervement. Il me dégoûtait. Par contre, pour le moment, il respectait ce que je lui avais ordonné : ne plus jamais me toucher. Certes, il était près, trop près, mais ne me touchait pas. Il se pencha au-dessus de mon épaule et s'empara d'une tranche de fruit dans mon assiette.
« Merci beaucoup. »
Puis il déposa un rapide petit baiser sur ma joue. Je me retournai en me levant, hors de moi, et bousculai brusquement ma chaise qui tomba en faisant un vacarme fou. J'empoignai le poignard sur la table et lui plantai dans l'épaule. Il fronça les sourcils et retira celui-ci du bout des doigts.
« Aïe. »
Il déposa le couteau sur la table, à côté de moi, et quitta la pièce sans rien dire. Aël me regarda un sourcil levé, les bras croisés sur sa poitrine.
« Je l'avais mis en garde de ne jamais plus me toucher. » dis-je sèchement.
Aël soupira en pouffant légèrement de rire.
« Je t'adore. » lâcha-t-il amusé.
Un faible sourire s'afficha sur mes lèvres.
« Ma sœur a toujours eu un sacré caractère ! » se moqua mon frère.
Je le frappai derrière la tête et repris ma chaise. Aël me regardait fixement et j'étais incapable de le regarder dans les yeux. Il semblait pensif.
« C'est étrange qu'il ne se soit pas énervé. »
Je fixai le couteau qu'il avait posé à mes côtés. Le sang avait coulé sur la table en vieux bois abîmé. Moi-même perdue dans mes pensées, j'essuyai ma joue du revers de la main, me remémorant l'aversion que j'avais éprouvée suite au contact de ses lèvres sur ma peau, de son souffle sur ma nuque. Je regardais mon assiette. Tout appétit m'avait quitté et le brun l'avait remarqué. Il se leva et débarrassa la table.
« J'espère que tu ne t'es pas blessée en te levant trop brusquement pour poignarder mon frère? » me questionna-t-il.
Je secouai la tête, amusée. Il s'inquiétait d'avantage pour moi que pour son frère que j'avais poignardé. Il me sourit et partit. Peut-être allait-il voir son frère ? Seth et moi nous regardâmes pendant de longues secondes, puis il brisa le silence :
« Si ce n'était que lui que nous avions rencontré, je peux presque te jurer que ça ne m'aurait pas dérangé de rester ici. Au moins, il n'a pas l'intention de nous tuer et nous donne à manger. »
J'acquiesçai d'un simple hochement de tête accompagné d'un sourire. Je me levai plus difficilement qu'il y a quelques minutes et me dirigeai vers la fenêtre. Une terrible nostalgie s'empara de moi. Je regardais les édifices à perdre de vue et je pensais que peut-être que nous ne retrouverions jamais notre liberté, du moins, toujours en vie. Quitter cet endroit, sain et sauf, était impossible. Je soupirai et au même moment, une main se posa sur mon épaule. Je me retournais doucement et tombai nez à nez avec de beaux yeux verts qui me fixaient.
« Ça va ? me demanda doucement Aël.
— Non. Je veux partir d'ici... »
Il me sourit d'un air triste et m'aida à me rasseoir sur ma chaise en bois brut. Il s'accroupit devant moi et me regarda directement dans les yeux en replaçant une mèche, qui tombait devant mes yeux, derrière mon oreille.
« Je ferais tout pour que vous puissiez sortir d'ici... vivants. »
Il avait insisté sur le mot vivant. Pourquoi avais-je l'impression que ce n'était jamais arrivé auparavant ?
« Bon, je dois aller chercher quelque chose en ville. Loki, tu devrais rester ici pour te reposer. Tu peux aller n'importe où dans le logement. »
Il fixa ensuite longuement mon grand frère.
« Toi, ça te dirait de m'accompagner et de venir m'aider ? » le questionna-t-il.
Seth accepta, de peur d'énerver le brun. Pourtant, ce n'était pas de lui que nous devions avoir peur.
« Tu... N'as pas peur que ton frère me fasse du mal pendant ton absence ?
— Il l'aurait déjà fait. Ne t'inquiète pas, il va se tenir tranquille. »
Je hochai la tête, très peu rassurée.
Ils venaient de franchir la porte avec des sacs à dos vides. Je n'avais pas osé demander à Aël ce qu'il allait chercher. Ils allaient revenir avant le crépuscule. Je marchai lentement, avec difficulté, en explorant chaque recoin. Les murs, le sol, tout empestait la moisissure. Les murs étaient tachés et la peinture s'écaillait au toucher. Je passais ma main sur les quelques meubles qui habitaient les pièces et chaque fois, une tonne de poussières s'envolait. Il y avait très peu de fenêtres et aucune isolation. Même une porte était manquante pour se rendre sur le petit balcon du logement. Toutes les pièces étaient reliées l'une à l'autre. Je n'avais toujours pas croisé Erwin, à croire qu'il était parti. J'avais examiné tous les endroits possibles, sauf une seule pièce qui m'intriguait beaucoup. Mais je n'osais pas y aller. Et si l'autre était là ? Et s'il n'y était pas ? Je regardai la porte. J'étais beaucoup trop curieuse. Sur un coup de tête, j'ouvris lentement la porte et tombai face à un vieux miroir cassé. Les 7 ans de malheur s'étaient-il écoulé ? J'entendis alors des petites vagues danser. Je tournai la tête vers la droite et aussitôt, je le vis, lui, complètement nu dans une baignoire remplie d'une eau rosée. Mon premier réflexe fut de plaquer ma main contre mes yeux. Sans rien voir, je savais qu'il me regardait. Je pouvais sentir son lourd regard posé sur moi. Comment se faisait-il qu'il pouvait prendre un bain ? L'eau courante n'était pourtant plus de ce monde et sa peau ne brûlait pas. Les deux frères possédaient-il suffisamment d'eau potable pour s'en servir de toute les manières possibles?
« Oui, nous avons suffisamment d'eau pour ne pas ressembler à des pouilleux qui n'ont jamais entendu le mot « Propreté ».
— Tu lis dans les pensées ? demandai-je, les yeux toujours cachés.
— Bien sûr que non ! se moqua-t-il. C'était seulement trop évident à deviner. »
Il parlait d'une voix douce, mais pourtant, il n'y avait rien de rassurant.
« Tu me fatigues à te cacher les yeux. Tu as déjà vu des choses plus choquante auparavant, je me trompe ? Comme la mort de plusieurs innocents ? »
J'enlevai ma main pour le regarder dans les yeux.
« Ah ! Voilà qui est mieux !
— Tu me dégoûtes, dis-je sèchement.
— Ah ? Mon corps te déplaît ? » demanda-t-il sur un faux air naïf, un sourire dépravé au coins des lèvres.
Je levai les yeux au ciel et vint pour quitter la pièce, mais au même moment il hurla sur un ton presque désemparé :
« Attends ! »
Je me retournai à nouveau vers lui un sourcil levé. Il était maintenant agrippé au rebord du bain. Seul son torse était visible à présent. Il semblait tendu.
« Qu'est-ce que tu hais tant chez moi ? » me demanda-t-il en reprenant de l'assurance.
Je pouffai alors d'un rire faux.
« Absolument tout. »
Je repartis en claquant la porte. J'étais vraiment enfermée entre quatre murs avec lui ? Je ne savais pas si je devais rire ou pleurer. Qu'est-ce que je devais faire maintenant ? M'asseoir et attendre le retour de mon frère ?
J'étais assise là où je m'étais réveillée, attachée à l'autre. Je fixais le mur et écoutais. J'entendais l'eau remuer dans la salle de bain voisine. C'était tout ce que j'entendais. L'extérieur était complètement silencieux. Je me crispai en entendant la poignée tourner. Il sortit seulement vêtu d'un pantalon noir en séchant ses cheveux à l'aide d'un vulgaire linge. La tête légèrement penchée vers la droite, ses yeux se posèrent sur moi et un sourire malicieux se traça aux coins de sa bouche. Mais à ma plus grande surprise, il continua son chemin.
Erwin venait de s'asseoir devant moi et me fixait. Je l'ignorais. Il me reluquait depuis bientôt plusieurs minutes, mais il ne faisait rien, ne disait rien et ça m'allait parfaitement. Son regard trop intense me faisait peur.
« Ton tatouage, commença-t-il en pointant mon cou. C'était douloureux ? »
Par réflexe, je posai ma main sur celui-ci. Il pencha la tête sur le côté, comme un animal. Ce n'était pas la première fois qu'il agissait comme tel. Je hochai la tête.
« Pourquoi ton frère et toi avez-vous déserté ? »
Mon silence eut l'air de l'énerver. Il souffla d'agacement. Il regardait partout, comme s'il s'attendait à avoir une réponse ailleurs que par moi.
« Si l'on faisait un échange ? Tu me réponds et je te laisse regarder mon passé comme tu l'as fait cette nuit, proposa-t-il sérieusement.
— Nous n'étions pas à notre place depuis beaucoup trop longtemps. »
Il eut l'air surpris de voir à quelle vitesse j'avais accepté son marché.
« Alors... Comment fais-tu ? me questionna-t-il.
— J'ai besoin d'un contact physique. »
Sans même le prévenir, je m'approchai et posai ma main sur sa joue. Je crus sentir qu'il frissonna suite à ce contact.
« Je crois que je vais te laisser visionner mes souvenirs plus souvent. » lâcha-t-il vicieusement.
Je le foudroyai du regard et il se tut aussitôt. Je fermai alors mes yeux doucement.
Longues furent les minutes à essayer d'obtenir un résultat. J'avais énormément de difficulté à me concentrer, sachant qu'il était conscient de ce que j'essayais de faire. Je fus d'autant plus déstabilisée quand il prit ma seconde main dans la sienne.
C'était la nuit. Je me trouvais dans la même chambre dans laquelle je m'étais retrouvée la première fois. J'entendais de petits chuchotements presque inaudibles. Je me rapprochai de la source de ces bruits... Les deux enfants étaient assis dans le coin de la pièce. Le petit brun était blessé au visage et pleurait silencieusement dans les bras de son frère qui répétait en boucle quelque chose ressemblant à :
« Nous n'avons pas notre place ici Aël, je nous vengerai. Tu m'entends ? »
Il était plus jeune que la première fois. Il ressemblait d'avantage à un jeune enfant. Petit, frêle. J'avais envie de les prendre tous les deux dans mes bras et de me sauver avec eux pour qu'ils n'endurent plus ce qui semblait être l'enfer. La porte s'ouvrit brutalement et...
Ma vision fut coupée, car il venait de rompre tout contact. J'eus envie de le frapper pour avoir fait ça.
« On avait conclu un marché ! » hurlai-je énervé.
Je me calmai en voyant une larme qui tentait de se sauver au coin de son œil. Il se leva et avant de franchir le cadre de la porte, sans même m'accorder un seul regard, il lâcha :
« Crois-moi. Tu ne voulais pas voir la suite. »
Puis il partit je ne sais où dans le logement.
Le soleil disparut lentement à l'horizon et la porte s'ouvrit au même moment. Aël me salua, puis fronça les sourcils.
« Où est Erwin ? »
Je haussai les épaules. Je n'en avais pas la moindre idée. Il déposa son sac et partit d'un pas plutôt pressé. Je l'entendis appeler son frère, mais aucune réponse ne se fit entendre.
« Oh putain Erwin, pas encore ! » s'exclama le brun horrifié.
Seth et moi le rejoignîmes, beaucoup trop curieux pour ne pas y aller. Nous tombâmes nez à nez avec un corps inerte pendu à une corde. Je figeai devant cette scène.
« Il... Il est mort ?
— Pour l'instant, oui. »
Seth l'aida à décrocher maladroitement le cadavre et ils le déposèrent sur le sol. Aël plaqua sa tête sur le torse de son frère et tenta de prendre son pouls. Il souffla, dégouté par la situation.
« Il va se réveiller d'ici quelques heures.
— Pourquoi avoir fait ça ? demandai-je perplexe.
— Ça n'arrive que très rarement, mais il reprend entièrement conscience de ses actes et se déteste. C'est la deuxième fois aujourd'hui... Ce n'est pas la première fois qu'il essaie de se tuer. Peut-être espère-t-il que ça fonctionne un jour ? » dit-il faiblement.
Nous étions restés là quelques minutes. Le brun nous avait donné un peu à mangé, mais, bouleversée par les événements, j'avais préféré aller dormir.
Aël m'avait proposé, ou plutôt, obligée de m'installer dans le seul lit du logement. J'avais hésité un moment, puis avais cédé à la tentation. Je n'avais jamais été aussi confortable de ma vie. J'étais emmitouflée dans d'énormes couvertures en fourrures soyeuses et j'avais un petit morceau de paradis, dans ce monde violent, qui se nommait un oreiller. Je pouvais entendre Seth discuter au loin avec notre hôte, mais je ne pouvais pas mettre de mot précis sur ce qu'ils se disaient. Mon grand frère rigolait de temps à autre et ça me faisait chaud au cœur.
Je me réveillai brusquement en sentant quelqu'un se glisser sous les couvertures près de moi. Je n'ouvris pas les yeux. Je savais parfaitement de qui il s'agissait. Il effleura mon épaule du bout des doigts puis marmonna faiblement d'une voix rauque :
« Cette aversion que tu as pour moi est peut-être le sentiment qui te permettra de survivre le plus longtemps en ma présence... »
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