03

La fille n'avait pas reparlé. Nous avions un peu mangé, mais elle n'avait rien voulu avaler. Elle nous regardait, et semblait plutôt distante, même avec son frère.  J'avais expliqué au brun ce que pouvait faire le venin, qu'il allait  peut-être croire sa sœur folle car celui-ci était comme une drogue.

Les deux s'étaient endormis, et moi, je regardais le ciel étoilé, incapable de dormir. Pour le moment, le venin ne semblait pas attaquer ma personne, ce qui m'allait parfaitement. La fille non plus ne semblait pas réagir négativement au poison, ce qui me surprenait.

***

Je fus réveillé par des rires. Je ne sentais plus la présence de Loki blottie contre moi, ce qui m'inquiéta. Je me relevai difficilement et malgré la noirceur du feu désormais éteint, je tentai d'apercevoir ma sœur. À quelques mètres de notre campement improvisé, les deux étaient couchés sur le sol. Couchés en tête-à-tête, Loki la tête presque blottie dans son cou et de même pour lui, les deux rigolaient comme des imbéciles en pointant le ciel et en se chuchotant dans le creux de l'oreille.

« Mais qu'est-ce que...
— Shhhhh...! Tu vas les faire fuir ! »

Et il éclata de rire. Le rire de ma sœur ne tarda pas à se mélanger au siens. Je ne savais pas comment réagir. Ça faisait des années que je n'avais pas entendu Loki rigoler. Mais avec lui ? Je ne comprenais pas.  Il m'avait averti de ce qui pouvait se passer, mais je ne m'y étais pas  préparé, et encore moins quand elle vint pour poser ses lèvres sur les  siennes.

« Loki! » hurlais-je déstabilisé.

Je m'approchai en boitant et je l'obligeai à se lever. Elle était chancelante sur ses pieds et puis, elle se remit à rire en se blottissant contre moi, et elle s'effondra. Au même moment, je vis l'autre se lever et s'éloigner, puis se vider les tripes sur le sol. Je posai Loki, inconsciente, sur le sol. L'autre vomissait toujours et j'avais presque pitié pour lui. C'est alors qu'il s'effondra tout comme ma sœur, mais lui, personne ne le rattrapa. Il se frappa brutalement le crâne sur le sol de pierre. Une petite nappe de sang s'accumula sous sa tête. Enfin, c'est ce que je crus comprendre en voyant une surface briller sous le reflet de la lune.

Une heure passa. Je m'assurais de toujours sentir le pouls de ma sœur. Celui-ci s'accélérait puis ralentissait après quelques minutes. Ses yeux bougeaient brusquement sous ses paupières et ses membres se raidissaient à l'occasion, et j'observais l'autre. Il ne semblait pas être atteint des mêmes symptômes. Peut-être était-il mort ? Mais ça n'avait aucune importance. Il allait terminer par se lever un jour ou l'autre, mort ou non.

Elle ouvra les yeux et je l'aidai alors à s'asseoir. Aussitôt, elle se mit à me pousser et à hurler. « Il arrive ! On doit partir ! » Elle se leva brusquement et je suivis le mouvement. Je la tenais par les épaules en tentant de la raisonner. C'était peine perdu. Elle hurlait des choses incompréhensibles.

***

Seth s'effondra à genoux et tomba ensuite lourdement sur le sol. L'autre se tenait debout derrière lui et il relâcha une énorme pierre, un sourire fendu jusqu'aux oreilles. Un éclat de rire  plutôt spontané s'échappa de ma gorge, et avec un délai de réaction  supérieur à la normale, je m'écrasai la main sur la bouche pour cesser ce rire nerveux complètement incontrôlable. Puis, sans aucune raison apparente, je me mise à trembler. Je n'arrivais plus à respirer. J'essayais, mais ça ne fonctionnait pas. Mes poumons ne se remplissaient plus d'air. Je suffoquais ! Il n'y avait plus d'air ! C'était lui, devant moi, ce démon qui me la volait ! J'allais mourir par sa faute ! Il respirait et volait ce qui me permettait de vivre. Il ne voulait rien partager !

« Tu tentes de me tuer ! » hurlai-je en pleurant.

Je m'écroulai à genoux, j'avais la tête lourde et mon cœur se débattait, prêt à s'échapper de ma cage thoracique. Il s'approcha lentement, avec quelques troubles de coordination en marchant, puis il s'accroupit devant moi avec maladresse.  Avec difficulté et concentration, il attrapa mon menton du bout des doigts pour redresser ma tête et m'obliger à le regarder dans les yeux. Ses pupilles étaient dilatées et un fin filet de sang séché traversait son visage. D'un regard absent, il pencha légèrement la tête sur le côté et me lança :

« Pauvre de toi. Tu es complètement parano. »

Il se remit à sourire et c'est à ce moment que la haine s'empara de moi. Je lui sautai à la gorge, soudainement plus forte. Mes mains se resserrèrent autour de son cou et il me regarda, les yeux écarquillés, avec énormément de désarroi. Mais son regard ne tarda pas à changer... Ses iris d'un vert presque radioactif dans l'obscurité devinrent presque aussi noirs que ses pupilles, puis son genou heurta violemment ma cage thoracique. Je le relâchai, recherchant à nouveau mon air. Des larmes coulaient sur mes joues suite à cette affreuse douleur. Il se leva et ce fut à son tour de se retrouver au-dessus de moi. Il me regarda un instant avant de s'accroupir près de moi et d'approcher son visage près du mien. Il essuya mes larmes du bout des doigts.

« Tu n'as pas intérêt à me mettre en colère... Encore moins avec ce qui coule présentement dans mes veines. » me susurra-t-il à quelques millimètres de mes lèvres.

Instinctivement, je relevai brusquement la tête et le heurtai brutalement. Il se distança en marmonnant quelques insultes. Il remarqua aussi rapidement que moi qu'un liquide cramoisi s'écoulait de son nez. Par pur réflexe, je me relevai puis me mise à courir. Je fus surprise de constater qu'il ne me suivait pas pour autant. Je tournai alors la tête pour l'apercevoir... Au même moment, il leva son arme vers moi. Il tira une première fois. Mon cœur se serra, mais je continuai ma course. Il m'avait lamentablement raté, mais aussitôt, il commença à vider son chargeur en ma direction. Les balles me frôlaient, mais aucune ne me touchaient. Je m'écroulai en pleurant lorsqu'une une balle transperça mon genou. J'eus l'impression que ma rotule venait d'exploser. Lentement, en rechargeant son pistolet, il me rejoignit. Il me regardait de haut, avec animosité. Un faible ricanement s'échappa de sa gorge tandis qu'il épiait les alentours.

« Qu'est-ce que tu n'as pas compris, quand je t'ai fortement recommandé de ne pas me mettre en colère ? »

Il replongea son regard dans le mien, puis appuya sur mon genou blessé. Je me mise à crier de douleur, si fort, que pendant un instant, je crus que ce n'était pas ma voix. Je pleurais, pleurais sans pouvoir m'arrêter. Il revint à ma hauteur et posa fermement sa main sur ma bouche.

« Ne crie pas trop fort, quelque chose pourrait t'entendre. »

Il me sourit de toutes ses dents et plaça le canon de son arme sur mon front. Je me crispai en le voyant commencer à appuyer sur la détente. Je fermais les yeux, mais le coup ne se déclencha jamais. J'ouvris les paupières, complètement déconcertée. Il baissa son arme et je vis ses yeux redevenir d'un vert éclatant.

« Mais quel imbécile tu es. Tu as besoin d'elle vivante, Erwin. » se marmonna-t-il à lui-même d'une voix rauque.

Mais ses iris redevinrent ébène en un fragment de seconde. Il repointa brusquement son arme vers moi. S'en était fini de moi, mais aussitôt, il se prit la tête et se crispa. Il marmonnait des choses incompréhensibles et moi, j'étais paralysée devant la scène. Il braqua son arme vers moi pour une énième fois et vint pour tirer. Mais à la dernière seconde, ses yeux redevinrent clairs et il pointa le canon sur ses tempes. Il n'hésita pas une seconde de plus et tira. Son cadavre tomba sur moi...

***

Je me réveillai avec une énorme migraine. Je touchai mes tempes du bout des doigts et un peu de sang séché s'effrita. Je me relevai tout de même. Par chance, je n'avais pas besoin de repartir à la poursuite de fugitifs, ils étaient là et avaient probablement attendu toute la nuit que je me réveille. La fille avait le genou enroulé dans un vulgaire bout de tissu qu'elle avait déchiré au bas de son t-shirt. Ils m'avaient bien vu et maintenant, je me rapprochais d'eux. La fille brandit un couteau. Par réflexe, je touchais à ma ceinture. C'était mon couteau. Elle tremblait comme une feuille et ne me faisait pas peur. Je m'accroupis devant elle et son frère figea.

« Tu crois vraiment que me tuer changerait quelque chose ? Je n'ai pas l'intention de te tuer, moi.
— Ce n'est pas cette impression que j'ai eu cette nuit. » dit-elle avec une assurance déstabilisante.

Je pouffai faiblement de rire et baissai la tête. Je relevai, quelques secondes plus tard, les yeux vers elle.

« Tu ne crains plus rien, ce n'était que la petite voix dans ma tête qui avait pris le dessus. » lui répondis-je en souriant.

Je lui enlevai donc doucement la lame des mains, sans qu'elle ne proteste. Elle me regardait avec peur.

« On doit reprendre la route. Maintenant.
— Je ne peux plus marcher... » lâcha-t-elle à voix basse.

Elle semblait avoir peur que je me fâche. Je m'accroupis à nouveau, mais cette fois-ci, toute mon attention était portée sur sa jambe.  Elle s'était fait un garrot au-dessus du genoux à l'aide d'une ceinture  qui n'était pas la sienne, probablement celle de son frère à présent muet. Je vins pour toucher à son genou, mais elle s'éloigna brusquement. Je ne dis rien pour autant, je me rapprochai à nouveau et enlevai son bandage. La plaie de la balle semblait s'être infectée. Le bout de tissu était irrécupérable.

« J'imagine que tu n'as pas soif ? » lui demandais-je en levant les yeux vers elle.

Elle fronça les sourcils sur le coup. Elle ne semblait pas comprendre. Je sortis mon couteau et fis semblant de m'ouvrir la main à l'aide de celui-ci.

« Non, je n'en veux pas ! dit-elle presque en hurlant.
— Dommage. »

Je me levai et la redressai à son tour en la tirant par le bras. Elle grimaça de douleur, à cause de sa jambe blessée ou peut-être à cause de ma poigne trop serrée autour de son maigre bras. Son frère se leva aussi sans rien dire et l'aida à rester sur ses deux pieds. Sans aide, elle risquait de s'effondrer.

« Tu peux marcher, toi ? » demandais-je au brun.

Il hocha la tête.

« Alors suis-moi. »

J'attrapai l'adolescente par la taille et la soulevai de terre. Elle se mit à se débattre en hurlant de la reposer au sol. Étonnamment, son frère ne protesta pas. Je la mise sur mon épaule et elle me frappa violemment le dos.

« Tu vas te calmer, oui ? lâchais-je fermement.
— Loki, arrêtes, s'il te plaît. »

Puis elle cessa lentement tout mouvement, probablement déjà épuisée.

***

J'avais l'impression d'être suspendue sur son épaule depuis des heures. Mes paupières étaient lourdes, je m'endormais puis me réveillais, balancée dans tous les sens. Je ne sentais plus ma jambe et c'était peut-être mieux comme ça. Son épaule carrée s'enfonçait douloureusement sous mes côtes. Je souhaitais terriblement qu'il me pose. Seth, mon traître de frère, marchait derrière mon porteur et me regardait d'un air presque amusé. C'est alors qu'un bruit assourdissant se fit entendre. Peut-être un clairon résonnant entre les édifices. Nous étions à nouveau dans la ville, mais je sentais que nous n'allions pas rentrer immédiatement.

« Qu'est-ce que c'est ? » demandais-je, car le bruit ne s'estompait pas.

C'est alors, à ma plus grande surprise, qu'il me posa. Il m'aidait tout de même à tenir sur un seul pied. Il regardait partout, semblant presque perdu. Je fis de même. Je pouvais apercevoir deux édifices, un écroulé sur un autre. Passer sous celui-ci semblait risqué, comme s'il s'apprêtait à s'écrouler à tous moment. Erwin se mit à avancer et, de peine et de misère, je le suivis. Sans lui, je m'écraserais sur le sol comme une pomme qui tombe d'un arbre.

« On peut savoir ce qui se passe ? » lâcha mon frère.

Il s'arrêta brusquement et tourna la tête vers Seth. Il pointa ensuite l'horizon du bout du doigt.

« Tu vois ces nuages ?
— Oui ?
— Bah on a intérêt à se mettre à l'abri »

Je crus comprendre qu'il se dirigeait vers le métro. Je ne savais pas pourquoi il ne me portait plus, mais bon, ça ne me dérangeait pas le moins du monde.

Une fois à la porte du wagon de métro, il essaya de l'ouvrir. Ce fut un lamentable échec. Il se mit alors à frapper la porte à multiple reprise, jusqu'à ce que celle-ci cède. Il m'aida ensuite à entrer, tandis que mon frère était toujours derrière.

« Supporte-la. » finit-il par dire.

Mon frère m'aida tandis que l'autre se rendit au fond du wagon. Une odeur de décomposition régnait. Pendant que je regardais notre abri, Erwin revint vers nous. Je crus remarquer qu'il avait une épaisseur de vêtements en moins.

« Tu arrives à marcher ?
— À ton avis ? »

Sans mon consentement, il glissa son bras sous mes jambes et me souleva. Je n'eus pas le choix de m'agripper dans son cou. Il m'apporta au fond et me déposa sur le sol où il avait étalé son pull sur le sol décrépi.

« On va assister à une première dans l'histoire de l'humanité. »

***

Elle fronça les sourcils, à croire qu'elle ne savait que faire ça. Seth, son frère, fut celui qui posa la question le premier, à ma plus grande surprise. Moi qui croyais qu'il était devenu muet.

« Qu'est-ce que tu veux dire par là ?
— Je veux dire que, pour la toute première fois, je vais soigner quelqu'un. Ça me dégoûte, mais Aël n'est pas là pour le faire.»

Ses yeux noisette se plongèrent dans les miens quelques instants et je perdis tous mes moyens pour une seconde fois. Je déglutis, mais je repris une grande respiration pour me ressaisir. Des jolis yeux ne m'avaient jamais troublé à ce point.

« Pourquoi me soigner, nous protéger ? Pourquoi ne pas tout simplement nous tuer ? lâcha-t-elle d'un air effronté.
— Je ne le fais pas pour vous, mais pour moi. Vous m'êtes utiles. Quoi de plus ennuyant qu'un malheureux jouet cassé ? »

Je sortis alors tout ce qui pouvait m'être utile. Étrangement, certaines choses me servaient aussi à torturer les autres. J'enlevai le garrot beaucoup trop serré qu'elle avait à la cuisse. Le sang se mit un peu à couler, donc je compris que je devais agir assez rapidement. Sans son consentement, je déchirai une partie de son pantalon. Sa jambe était maintenant dénudée jusqu'à la mi-cuisse. Elle me regarda d'un regard noir, et je me contentai de hausser les épaules. Sa jambe était d'un teint violacé.

« Je ne la sens plus du tout. affirma-t-elle.
— Je ne sais pas comment c'est possible que tu sois encore aussi en forme. Voir même vivante.
— Elle a toujours été une femme forte. » dit le muet.

Je remis le garrot en place, sous son regard captivé.

« Une femme ? Elle a l'air d'avoir 12 ans. »

Je me retournai vers lui qui semblait presque furieux de ma remarque. Certes, elle n'avait pas l'air très âgé, mais elle ne semblait pas être une enfant. Je devais avoir quelques années de plus qu'elle.

« Elle n'est pas une enfant.
— Tu veux me contredire peut-être ? »

Je me levai brusquement et m'approchai de lui. Il s'éloigna rapidement.

« Ne t'approche pas de moi. » lança-t-il ,horrifié.

J'ignorai totalement sa demande. Je plongeai mon regard dans le sien et il déglutit. Il se mit à trembler comme une feuille, mais ne dit rien. Je pouffai de rire devant son regard traumatisé. Je me retournai pour retourner jouer les médecins, mais dès que j'eus le dos tourné, il marmonna dans sa barbe quelque chose qui ressemblait à « va te faire foutre ». Je me retournai et l'agrippai par le col de son chandail.

« Répètes pour voir ?
— Va te faire foutre, dit-il durement en me crachant au visage.
— C'est quoi cette manie, dans cette famille, de cracher au visage des gens ? Tu n'aurais pas dû faire ça. Je pourrais te tuer en un seul coup-de-poing.
— Ouais c'est ça.
— Seth, ferme... » commença-t-elle.

Mon poing s'écrasa dans son visage et il fut projeté vers l'arrière. Sa sœur ne bougeait plus. Elle fixait le corps au sol. Je m'accroupis près d'elle en ignorant son regard troublé.

« Il n'est pas encore mort. Je me suis contrôlé, j'ai peut-être encore besoin de lui, si toi, tu ne passes pas la nuit. »

Je sortis une bouteille d'alcool que j'avais sur moi et je la versai sur sa plaie. Elle se mit à hurler de douleur à en faire trembler les murs.

***

J'étais blottie contre celui qui nous gardait captifs, car il était une de nos seules sources de chaleur. Seth m'emprisonnait dans ses bras, mais tremblait. Ses mains étaient glacées. Tout le monde dormait sauf moi qui écoutais les débris et le sable se heurter sur notre abri. J'avais énormément souffert. Erwin m'avait versé un liquide qui m'eut donné l'impression que ma peau fut brûlée jusqu'à l'os. Il m'avait ensuite soignée correctement sans aucune douceur.

Je ne savais pas comment Seth pouvait dormir aussi paisiblement.  Il ronflait bruyamment et masquait presque le bruit de la tempête,  tandis que l'autre dormait recroquevillé sur lui-même en ne faisant aucun bruit. Je ne pus m'empêcher de l'épier de la tête aux pieds. Même dans la noirceur, je voyais ses mains tachées de sang. Mon sang. Même s'il était une personne probablement très peu recommandable, son histoire m'intriguait. Je voulais savoir pourquoi et comment il était devenu celui qu'il était.

Longues furent les minutes à me demander si je devais ou non.

La nuit déjà avancée et la tempête interminable, j'avais pris ma décision. Incertaine, j'entrelaçai mes doigts avec les siens. Il se crispa dans son sommeil. Mon cœur cessa de battre pendant un moment. Il ne se réveilla pas. Je fermai les yeux, toujours blottie contre lui, les bras de Seth autour de moi. Je me mis à me concentrer comme jamais. Je ne savais pas à quoi m'attendre.  Découvrir un enfant qui, dès son plus jeune âge, avait un côté psychopathe, égorgeant et décapitant de petits animaux pour le plaisir  ?

Je n'étais pas au cœur de l'action, ou c'est ce que je pensais. Je me trouvais dans une chambre, belle comme je n'en avais jamais vu. Une pièce avec de nombreux jouets en bois sur le sol, des plafonds hauts, une grande fenêtre... Deux lits meublaient la pièce. Ceux-ci étaient habillés de jolies couvertures en laine blanche. Tout était d'une propreté irréprochable, du jamais vu pour moi. C'est alors qu'une porte au fond de la pièce s'ouvrit brusquement. Un jeune enfant, d'environ 8 ou 9 ans, entra en courant, les larmes aux yeux. Il se jeta sous les couvertures du premier lit, puis un deuxième entra, sans courir. Il ferma violemment la porte et s'appuya dessus. Je le regardais, intriguée. Je n'arrivais pas à déterminer son âge. C'était fascinant. Il était grand, avait des épaules larges, les muscles de ses bras étaient saillants. Son visage, lui, était maigre et loin de celui des enfants aux joues joufflues. Il avait une mâchoire carrée et ses yeux verts avaient l'air d'avoir plus vécu que la plupart des gens. Pourtant, je n'arrivais pas à trouver quoi, mais quelques traits rappelaient tout de même ceux d'un enfant. Mais quand on le regardait, la notion de jeunesse et d'enfance semblait inexistante. Quelques mèches rebelles lui tombaient devant les yeux, me rappelant sa coupe qu'il avait toujours. Je le savais, c'était bien lui. Je lui donnais peut-être 14 ans, voir plus, mais tout me laissait croire que je me trompais.

Il respirait fortement et marmonnait sans que je puisse comprendre, puis  de bruyants coups éclatèrent de l'autre côté de la porte. La porte bloquée, personne ne pus entrer, à ma plus grande surprise.

« Erwin, ouvre cette porte immédiatement ! hurla la voix rauque d'un homme.
— Non, jamais ! »

Sa petite voix me confirma qu'il était bel et bien un enfant et non un jeune adolescent. Toutefois, elle n'en était pas moins puissante et ne manquait pas d'aplomb. Je m'empressai de passer de l'autre côté du mur pour voir à qui le petit résistait. La ressemblance me heurta. La mère et le père, c'était évident. L'homme tentait d'enfoncer la porte, mais il n'arrivait à rien, ce qui me surprenait vu sa carrure.

« Ouvre maintenant, si non Aël héritera de 20 coups de plus !
— Il n'a que 10 ans ! Pourquoi n'arrives-tu pas à ouvrir cette porte ? lança la femme.
— Je les prendrai à sa place !
— 50 coups !
— J'en prendrais 200 ! » hurla-t-il à s'en briser les cordes vocales.

Le père cessa tout mouvement et la mère cessa de respirer. L'homme se redressa et commença à s'éloigner.

« Apporte-le. »

Aussitôt, elle s'effondra et s'agrippa à son bras.

« Attends, ce n'est pas à lui de payer.. S'il te plaît, ne fait rien. » le supplia-t-elle.

Il ne la regarda pas une seule seconde, et partit pour de bon. Il descendit les escaliers et quelques minutes plus tard une porte claqua, tandis que celle de la chambre s'ouvrait doucement. Il prit la même direction que son géniteur et sa mère le prit par le bras... Mais ça ne l'arrêta pas.

Je me jetai dans la chambre pour regarder par la fenêtre au côté du jeune Aël qui pleurait. Erwin se trouvait à l'extérieur avec ses parents. Il retira son t-shirt et s'agenouilla dans la terre. Je me crispai en voyant son père battre un fouet dans l'air, puis l'homme frappa une première fois. L'enfant hurla, les dents serrées « un ». Ses yeux fixaient le vide, puis il fut fouetté à nouveau. « Deux ». Ses yeux se remplirent d'eau. Des filets de sang se formaient sur son dos. « Trois ». Je tremblais devant cette scène. « Quatre ». Son père n'y allait pas de main morte. « Cinq ». Chaque coup me faisait rater un battement, tant la scène était violente et horrible.

Je me réveillai en sursaut près de mon frère et d'Erwin. J'avais les larmes aux yeux. Je relâchai sa main si brusquement qu'il se réveilla. Je me distançai de lui immédiatement et il se frotta les yeux du revers de la main.

« Pourquoi tu ne dors pas à cette heure ? »

Les mots se coincèrent dans ma gorge, incapable de parler. Ses yeux scintillaient dans l'obscurité et c'était évident qu'ils étaient posés sur moi... Je ne voyais que l'image de l'enfant battu en boucle dans ma tête. D'un geste endormi, sa main s'approcha de mon visage et se posa sur ma joue. Son pouce effleura le dessous de mon œil pour essuyer une larme, mais aussitôt ma main s'écrasa sur sa mâchoire. Je réalisai aussitôt mon acte et je plaquai ma main contre ma bouche, horrifiée de ce que je venais de faire. J'eus l'impression de l'avoir réveillé complètement, brusquement. Il ferma les yeux et posa sa main sur son visage. Pourtant, j'avais le sentiment que je ne l'avais pas blessé pour autant. Il se distança de moi et j'eus l'impression de perdre plusieurs degrés de chaleur corporelle suite à son départ.

« Je préférerais la prochaine fois que tu me demandes l'autorisation de fouiller dans mes souvenirs» Me lança-t-il en me fixant à nouveau dans les yeux.

Je me figeai. Je restais complètement perplexe... Il savait ? Je me rappelais alors d'Aël. Tous les deux pouvaient savoir. Je lâchais innocemment un simple « quoi...? » en bafouillant.

« Il ne s'est pas arrêté à 200. » dit-il dans un murmure.

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