02
C'est moi qui devais tout nettoyer. Le sang et les restes du cadavre. C'était toujours moi qui héritais des tâches les plus déplaisantes.
Erwin, qui avait retiré tous les vêtements couvrant le haut de son corps, s'essuyait à présent les mains avec un vulgaire bout de tissu. Pourtant, ce n'était pas ce qui était le plus criard. Ce que l'on apercevait en premier lieu était bien le sang qui couvrait entièrement son thorax et légèrement son visage. Il essuya ensuite la lame de son couteau pour la faire briller à nouveau. Il n'avait pas voulu maculer ses vêtements de ce liquide presque brunâtre. Et il savait bien que, depuis que le ciel s'était assombri ce matin, il pourrait se laver lorsque la pluie tomberait. Bien évidemment, je savais que mon frère n'allait pas faire ses choses dans la discrétion. D'autant plus qu'il aimait terroriser les gens et que l'un de ses otages était une jolie jeune fille, ce qui ne le laissait pas totalement indifférent.
J'étalai les derniers bouts de viandes pour les faire sécher, quand je remarquai qu'il n'y avait aucun bruit. Rien du tout, le silence complet. Ce n'était pas normal. Aucun bruit de pas, pas de frère qui siffle pour rompre le silence. Je ne savais pas ce qu'Erwin manigançait encore, mais je n'aimai pas ça.
***
Je regardais le ciel se couvrir rapidement. Je réfléchissais toujours de comment je pouvais m'évader d'ici. Je devais attendre encore quelques jours tout au plus pour que, comme Aël l'avait précisé, la jambe de Seth de nouveau fonctionnelle. Car s'il ne pouvait pas courir, nous étions morts. Le gentil brun disait que son frère allait nous retrouver ? Il venait peut-être tout droit de l'enfer, mais il ne nous connaissait pas. Nous étions la descendance des Mendax. C'est alors qu'un énorme coup de tonnerre résonna et mon cœur cessa de battre quelques secondes. Mais de quoi avais-je peur ? Ce n'était pas une petite tempête de pluie acide qui allait me terroriser quand même ! Un autre coup retentit et j'eus envie de disparaître. J'avais horreur des orages. C'est alors que quelqu'un entra dans la pièce. Je crus sur le coup qu'il s'agissait d'Aël, mais je vis les mèches noires qui couvraient ses yeux. Il marchait lentement et silencieusement. La pièce, presque entièrement plongée dans le noir, faisait briller ses yeux verts de manière radioactive. Il était torse nu, et celui-ci était couvert de sang. Je déglutis et je pensais aussitôt à mon frère. Il se planta devant moi les bras croisés en penchant la tête d'un côté comme un animal, souriant. Son sourire étrangement normal et presque mignon me déstabilisait. Puis un deuxième sourire qui laissait ses dents apparaître remplaça le premier. Elles étaient d'un blanc immaculé. Il s'accroupit devant moi sans dire un mot. Je ne pouvais plus respirer. Il me regardait silencieusement. Son état me terrorisait. Je voulais disparaître à cet instant précis, et je souhaitais de tout mon cœur que Seth n'eût aucun lien avec tout ce sang. Dans l'obscurité, je ne pus m'empêcher de le regarder de la tête aux pieds. Il avait des épaules larges, il était plutôt maigre, mais musclé. À ce que je crus voir, il était couvert de cicatrices, me rappelant la main d'Aël. C'est alors que je revins à la réalité en voyant un éclair suivi d'un énorme coup de tonnerre assourdissant. Je sursautai et Erwin ricana d'une voix rauque. Il se releva et se dirigea vers une arche, dont la porte était inexistante. La pluie tombait toujours et je commençais à paniquer quand je vis qu'il s'apprêtait à sortir à l'extérieur sur un petit balcon. Mais peu importe ce que je voulus crier, les mots se coincèrent dans ma gorge. J'étais terrorisée à l'idée de ce qui allait se produire. Il sortit calmement sous la pluie et à l'instant même où le liquide toucha sa peau, une épaisse fumée commença à s'échapper. Tout se mit à brûler à cause de cet acide qui tombait du ciel. Ses muscles étaient à vif, dénudés d'épiderme. J'eus envie de vomir, mais envahie par la peur, j'étais incapable d'avoir une quelconque réaction. Il était toujours vivant et ne s'affolait pas une seule seconde. Par contre, comme nous l'avions déjà découvert il y a de ça plusieurs années, seule la peau brûlait. Les tissus des vêtements étaient à peine abîmés par l'acide, et étrangement, les cheveux aussi. Il y avait aussi quelques autres choses, évidemment. Mais ce qui était le plus touché restait bel et bien la peau humaine. Quand il tourna la tête vers moi et que je vis son visage brûlé au 3e degré et voir même plus, le souvenir de mes parents me heurta. Tous les deux sur un bûcher, les Ramencheurs s'esclaffant devant le « spectacle » écœurant, accompagné par deux jeunes enfants assistant à cette horreur contre leurs gré : leurs parents hurlant de douleurs sur un énorme feu de joie. Le visage de ma mère... Mon père... Tous les deux brûlés à mort... Je me sentis faiblir d'un seul coup. Je fermai les yeux face à cette horreur et malgré moi, je vomis sur le sol.
Quelqu'un entra rapidement dans la pièce et me redressa un peu, je ne savais plus si j'étais consciente, mais je n'avais plus envie de l'être. D'autres pas se firent entendre.
« Tu as vu dans quel état tu l'as mit ?! s'affola Aël.
— Oui et alors ? C'est bien le plus amusant. »
Le brun me prit par les épaules et replaça une mèche de cheveux derrière mon oreille. J'ouvris lentement les yeux, de peur d'apercevoir à nouveau l'abomination. Mais ce que je vis furent les yeux verts d'Aël briller légèrement dans le noir comme ceux de son frère. Puis ensuite, à mon plus grand étonnement, je vis la dernière parcelle de peau d'Erwin se régénérer. Il se tenait debout, les bras croisés, derrière son frère et il me regardait, souriant. Il était redevenu comme avant, mais plus une seule tache de sang n'était visible. Je me mise à trembler et me sentis idiote d'avoir un aussi grand délai de réaction dans des situations pareilles.
« Je suis désolé pour ce que tu as vu, mais Erwin aime faire peur aux gens coincés ici. »
Le psychopathe rigola et quitta la pièce.
***
Je renfilai mon chandail et tout ce que j'avais retiré tout à l'heure pour ne pas les tacher.
Mon gentil petit frère venait de terminer de nettoyer la vomissure de sa protégée. Au moment où il passa près de moi, il me bouscula brusquement sans même me regarder. Je l'avais énervé. N'avais-je donc pas le droit de m'amuser un peu ? Je retournai voir la fille. Son frère ne m'intéressait guère, sauf si je pouvais le tuer. Elle fixait le vide, l'air presque morte. Je m'accroupis et elle tourna la tête vers moi. Pour la première fois depuis plusieurs années, quelqu'un, autre que mon frère, me regarda dans les yeux. Je déglutis et perdis toute confiance pendant quelques secondes, et je pouvais garantir qu'elle le remarqua. Pour la première fois de ma vie maudite, je cédai le premier. Je baissai les yeux. J'étais drôlement déstabilisé par la situation, mais je me repris en main. Je me relevai et commençai à la regarder de haut. C'est alors que je vis un morceau de bois pointu qu'elle tentait de dissimuler derrière elle. Je l'attrapai par le poignet et la relevai sauvagement avant de la plaquer sur le mur. J'étais soudainement énervé. Elle respirait nerveusement et évitait mon regard. Je lui arrachai l'arme blanche des mains et jetai le poignard de fortune par la porte, là où la pluie tombait toujours. Elle essayait de s'éloigner le plus de moi en tentant de se coller d'avantage sur le mur de briques. De plus, elle tentait de déloger son poignet de ma poigne de fer. Mais bien sûr, elle échoua lamentablement. Plus elle se débattait, plus je resserrai ma prise. Je me fichai complètement de briser son poignet, si c'était nécessaire. Casser un os n'avait rien de complexe. Depuis les onze dernières années, j'avais acquis plusieurs méthodes, donc tout était facile pour moi maintenant. Plus elle s'éloignait, plus je m'approchai. Et ça ne lui plaisait guère. Elle tourna la tête et ferma les yeux. J'approchai mon visage en souriant de toutes mes dents.
« Je peux savoir ce que tu avais l'intention de faire avec ce ridicule morceau de bois ? » Lui chuchotai-je dans le creux de l'oreille.
Elle se tourna brusquement et je me distançai brutalement pour que sa tête ne me heurte pas durement. Elle me cracha ensuite au visage et sans retenue, j'éclatai de rire. Un rire presque hystérique. Je relâchai son poignet, toujours en rigolant.
« Oh non ! Mon point faible, comment as-tu sus ? » me moquai-je.
Elle me regardait atrocement perplexe. Elle semblait même... Déstabilisée.
« J'ai arrêté de compter le nombre de fois où l'on m'a craché au visage, tu sais. » dis-je en reprenant mon sérieux.
Je me rapprochai d'elle lentement et elle se mit à trembler.
« Tu as peur que je te fasse du mal ? Me faire cracher au visage ne me met pas en colère, au contraire ! Ça m'amuse. Et de plus pourquoi te torturer quand je pourrais te faire bien plus de choses ? »
J'avais les mains appuyées de chaque côté de sa tête et je rapprochai mon visage du sien. Mais quand nos lèvres se frôlèrent, elle me repoussa violemment, ce qui m'amusa. Le jeu allait être plus corsé qu'à l'habitude et ça me plaisait.
La nuit était tombée, la pluie avait occasionné une température plutôt froide et parce que notre domicile n'avait aucune isolation, notre température corporelle décroîtrait en à peine quelques heures. Les feux étaient nécessaires pour pouvoir se réchauffer.
Je fixais donc les flammes, mais je regardais Aël qui semblait de plus en plus préoccupé chaque minute. Il était toujours agacé par ma présence, il évitait tout contact visuel avec moi. Quand je le regardais, il détournait les yeux. Je continuai alors de détacher la viande de l'os que j'avais entre les mains.
« On ne va pas rester silencieux jusqu'à demain, j'espère ? »
Mon frère leva les yeux au ciel en soupirant d'énervement. Il se leva et quitta la pièce.
Après quelques minutes, je me levai pour retrouver mon cadet. Je n'aimais pas que la seule personne qui me restait soit fâché contre moi. Je m'approchai donc de la pièce d'où il se trouvait. Je l'entendis rigoler. Et quelques mercis se firent entendre. Je ne comprenais pas comment il arrivait à être aimé de tous. Moi, j'y étais incapable. Je ne pouvais rester pacifique que très peu de temps. Quelque chose au fond de moi me donnai tenvie de tuer, de torturer, et ça, depuis les onze dernières années. J'étais damné à présent. Je n'étais pas le gentil garçon. Je ne l'avais jamais été.
Je les rejoignis, incertain, de peur qu'Aël m'enfonce un pieu en plein cœur, comme on pourrait le faire à un vampire. Les trois paires d'yeux se retournèrent vers moi. Plus personne ne parlait. Je pensais venir m'asseoir avec eux, mais je compris que je n'étais pas le bienvenu. Je me dirigeai vers un autre coin de la pièce, seul. Puis je fermai les yeux, décidé à dormir.
***
Je me réveillai par la chaleur du soleil sur ma joue. À présent, la nuit froide était derrière nous. Seth dormait toujours, et je m'étais endormie dans les bras de celui-ci. La couverture qu'Aël nous avait gentiment offerte pour nous réchauffer, la veille, nous couvrait toujours. Aël aussi était là et dormait encore, lui aussi. Je serrai mon grand frère dans mes bras, car j'avais l'impression que bientôt, il allait m'être enlevé à nouveau. Je vis alors Erwin dans le coin de la chambre, assis dans un coin, les jambes rabattues au niveau de son thorax, la tête appuyée sur ses genoux et les mains liées devant ses tibias. Il avait l'air étrangement vulnérable dans cette position. Immédiatement, je me mise à secouer Seth silencieusement. Pendant un bref instant, je crus qu'il allait se réveiller en me hurlant dessus. Mais quand il ouvrit les yeux, je l'empêchai de dire quoi que ce soit en lui écrasant ma paume sur sa bouche. Il fronça les sourcils et je lui pointai les deux frères endormis. Je vis l'espoir brillé dans ses yeux. Je me levai furtivement, mais mon frère ne fit pas de même. Sur-le-champ, je l'interrogeai du regard. Il me désigna sa jambe, la mine basse. J'avais malheureusement oublié son état. Il allait avoir de la difficulté à suivre. Je l'aidai tout de même à se relever. Hors de question de rester ici plus longtemps. Il m'indiqua la sortie et aussitôt, nous quittâmes cette prison sans aucune difficulté.
Tout avait été trop facile. Nous marchions à une vitesse peu convenable pour deux personnes qui prenaient la fuite d'un dangereux tortionnaire. Il devait s'amuser à décapiter des gens plus fréquemment que tout les Ramencheurs réunis. Nous déambulions à travers les édifices abandonnés et le soleil me fouettait le dos. Nous n'avions rien à boire ni à manger pour entreprendre un long voyage jusqu'à notre destination initiale, dans un endroit paisible. Les vautours à trois têtes signalaient notre position. Nous n'étions pas à l'abri, et Seth était le plus vulnérable. Bras sur mes épaules, je l'aidais périlleusement à se déplacer dans les longues herbes sèches. Le paysage de la ville était déstabilisant à la vue du jour. Tout ce qui nous tombait devant les yeux empestaient la désolation. La plupart des immeubles étaient tombés comme des dominos et les derniers toujours debout ne semblait pas en meilleur état pour autant. Des anciennes voitures, dysfonctionnelles depuis des lustres, étaient ensevelies par du sable et des plantes asséchées par la température. C'était une ville dans un désert, là où peu de personnes pouvaient s'y établir vu le peu de végétaux comestibles et les bêtes en très faible quantité. Je hurlai contre mon gré lorsque nous tombâmes nez à nez avec une femme maigre, aux cheveux négligés dans l'ombre d'une petite ruelle. Elle empestait la peur et la souffrance. Son ventre pourtant maigre, qui laissait voir la forme prononcée de ses os, était faiblement arrondi, me faisant comprendre qu'elle portait un enfant. Une fois que mon frère m'eut calmé, je me jurais une seule chose : quand nous allions quitter et enfin vivre une meilleure vie, jamais je n'allais laisser quelqu'un vivre dans une condition pareille. Elle nous regarda de ses yeux secs et retourna à sa principale occupation : remplir un petit bol d'eau provenant d'une miniature marre d'acide.
Nous pouvions maintenant apercevoir la fin de la ville. Seth s'emballait trop rapidement selon moi. Nous n'étions à l'abri de rien du tout. Un orage pouvait surgir n'importe quand, tout comme Erwin et son frère. Nous allions être bientôt frappés par la déshydratation face à la chaleur accablante et, pour finir, la faim allait probablement nous assaillir après un certain temps à essayer de trouver le paradis à la marche. Je ne comprenais pas pourquoi les Ramencheurs tenaient à prendre cette ville. Elle ne présageait rien de bon. Pourquoi la vouloir, s'il était impossible d'y vivre ? Ça ne faisait plus partie des questions que nous devions nous poser. C'était leur problème, pas le nôtre. D'ailleurs, je souhaitais qu'ils nous croient morts, pour ne pas qu'eux aussi soient à nos trousses.
***
Loin d'être surpris, Aël m'avait réveillé en me disant qu'ils étaient partis. Depuis combien de temps ? Peut-être quelques heures ? Le soleil était haut dans le ciel. J'étais monté sur le toit de mon chez-moi pour observer le paysage. J'allais attendre la nuit, pour pouvoir les rattraper sans avoir le soleil pesant sur mes épaules. La chaleur de l'après-midi, après un orage violent la veille, était presque insupportable. Ils n'allaient pas se rendre très loin avec une telle température.
En fin de journée, j'étais passé boire un coup Chez Osar. Le jeune barman m'avait servi la seule boisson qu'il possédait, soit une recette maison qui l'avait rendu riche. Dans son arrière-boutique, Osar Jakobac avait de nombreux fût. C'était sa recette secrète, mais tout le monde connaissait bien l'un des ingrédients. L'eau de pluie, celle qui arrachait un petit cri au jeune adolescent qui goûtait pour la première fois à cette boisson envenimée qui convenait seulement aux plus endurcis. J'étais son meilleur consommateur, car j'étais celui qui encaissait le plus de verres par jour. Les autres devaient se contenter de 3 verres tout au plus pour ne pas se tuer de l'intérieur par l'acide.
Je riais à gorge déployée avec mon ami, mes capacités probablement affaiblies. Je me sentai très bien. Je me sentais léger, comme chaque fois que je quittais cet endroit. Je ne pouvais plus filtrer mes paroles. Pour une énième fois, je m'étais mis à nu devant mon ami, à raconter ma vie et mes moindres sentiments. Lui aussi faisait de même, mais son passé était loin d'être aussi sombre que le mien.
Je le regardai de la tête au pied. Osar avait à peu près mon âge, un corps athlétique et des vêtements tachés par la sueur, car son travail consistait la majorité du temps à déplacer de lourds tonneaux, seul. De plus, il était manchot du bras gauche, son bras gauche n'avait jamais existé, tout s'arrêtait à son épaule. Ses cheveux gris depuis la naissance étaient courts et coupés maladroitement. Il avait constamment l'air décoiffé. Aël avait été surpris en le rencontrant, pensant que ce cher Jakobac avait plus d'une quarantaine d'années, un ventre rond et une minable couronne de cheveux, accompagné d'une grosse barbe crasseuse.
Dès mon retour à mon domicile, Aël ne prit que très peu de temps avant de commencer à me gronder, comme si j'étais un petit enfant insouciant. Il était resté éveillé une partie de la nuit, à m'attendre. J'étais rentré avec une énorme quantité d'alcool dans le sang. Je n'allais pas tarder à rejoindre nos gentils fugitifs qui avaient probablement sombré dans un sommeil profond, pensant m'avoir suffisamment distancé et étant maintenant en sécurité. Je devais les trouver avant le lever du jour, car sinon, j'allais probablement perdre leurs traces.
J'avais proposé à Aël de me suivre. Il avait refusé.
Je courais à une vitesse insensée. J'en perdais le souffle. Je ne savais pas où j'allais précisément, mais je suivais mon instinct. L'obscurité ne me nuisait guère, car ma vue s'adaptait à tout ou presque. Les images défilaient à une vitesse folle, puis je vis quelque chose pendant un fragment de seconde. Je stoppai brusquement, en m'envoyant presque voler plusieurs mètres plus loin. Je me relevai en reprenant vaguement une respiration normale. Je reculai de quelques pas. Déjà loin de la ville, à travers quelques ruines très peu identifiables, je vis un faible point de lumière près de la ligne d'horizon. Il était presque invisible. Peut-être qu'une personne normale ne pouvait pas l'apercevoir.
J'avançais à un rythme constant pendant près d'une heure. L'horizon s'éclaircissait peu à peu et à quelques mètres du petit feu de camp, je ralentis considérablement, voir même complètement. Je m'assurai d'avoir mon couteau à la ceinture, mais je sortis mon arme à feu. Je serrai nerveusement le manche de mon fusil. Le doigt positionné sur la détente, prêt à tirer. Je commençai à avancer lentement, méfiant, car un seul corps était étendu sur le sol. Mais qu'est-ce qui me faisait peur ? Peur de mourir, à nouveau ? Non. Je n'avais pas peur de la mort. Je détestais seulement la douleur quand je revenais à moi. C'était insupportable. C'est alors que j'entendis un cri. Je courus vers celui-ci et je pris mon couteau dans mon autre main. Un peu plus loin, je trouvai la fille. Elle était couchée sur le sol et se débattait. Une énorme bête à deux têtes tentait de se départager sur le fait de qui tuerait leur proie. À tour de rôle, les deux rapprochaient brusquement leurs mâchoires près de son visage angélique. De plus, la salive coulait abondamment de leurs babines. C'est quand elle se mit à hurler de plus belle que je revins à la réalité.
« Non mais ! criai-je. Si quelque chose doit la tuer, ce n'est que moi, et uniquement moi qui ai le droit de le faire...! »
L'animal se retourna férocement vers moi. La bête à deux têtes me fixait de ses 6 yeux. Celle-ci s'approcha de moi. Dès qu'elle se jeta sur moi, je m'écroulai au sol face à son poids. Par pur réflexe, je plantai difficilement mon poignard dans son cœur et tirai à plusieurs reprises dans les têtes du mutant. Je pris une minute avant de repousser la carcasse. Je me relevai, chancelant en enlevant l'excédant de poussière et de sable sur mes vêtements. Je vis alors la morsure sur mon avant-bras. Je soufflai d'énervement. J'espérais ne pas avoir reçu une dose suffisante pour être assailli par des hallucinations. Celles-ci m'inquiétaient plus que la mort elle-même. C'est alors que j'entendis l'adolescente gémir faiblement. Je m'approchai d'elle et m'accroupis, mais au même moment, j'entendis une vulgaire petite branche sèche craquer sous le poids de quelqu'un. Je pointais mon arme vers lui sans même le regarder, tout en dégageant quelques mèches du visage de sa sœur, à l'aide de la pointe de mon couteau. Elle semblait horrifiée de me voir.
« Ne tente rien de stupide, dis-je en m'adressant à lui. Je n'ai pas l'intention de vous tuer. Enfin... Pour l'instant. »
Le garçon laissa tomber quelque chose qui piqua ma curiosité. Je le regardai pour apercevoir ce qu'il avait jeté par terre. Une énorme branche, tout simplement. Je pouffai de rire à la vue de celle-ci. C'était pitoyable.
« Ne lui fais pas de mal... » lâcha-t-il la voix tremblante.
Je compris alors que moi poignard avait glissé sur sa joue, laissant une fine ligne de sang se former au creux de sa pommette. Je retirai rapidement la lame pour ne pas la blesser d'avantage. Le jeune brun regardait l'animal mort, ébahi.
« Si je voulais vous voir mort maintenant, je l'aurais laissé vous bouffer. Donc vous me suivez sans faire de conneries, sinon la prochaine fois, je ne serai pas aussi clément. »
Il hocha nerveusement la tête.
Nous avions parcouru un bout de chemin, mais le soleil commençait déjà à se coucher.
Je pris l'initiative de nous arrêter pour la nuit. Mes deux prisonniers étaient drôlement lents et ma course de la veille m'avait épuisé. Je cherchais quelque chose à nous mettre sous la dent, tandis que l'adolescent cherchait un peu de bois pour un feu. Je pouvais constamment garder un œil sur eux car le paysage était plat et dénudé d'arbres. Seuls quelques arbustes poussaient difficilement à travers le sol rocheux.
Je revins au petit campement avec un petit animal qui s'était attaqué à moi en me mordant la jambe. Je l'avais attrapé par la patte et avais frappé son crâne sur un rocher. Il n'avait ensuite pas tardé à rendre l'âme. La blessure, qui n'était plus visible, était toujours douloureuse. À croire que tous les animaux de notre ère avaient tous évolué pour tuer l'être humain.
Le brun était accroupi près de sa sœur, d'ailleurs, celle-ci était étendue au sol et était assaillie par d'étranges convulsions. De plus, elle semblait fiévreuse. Je m'approchai d'eux en jetant l'animal mort sur le prénommé Seth. Je lui tendis mon couteau en le tenant par la lame.
« Tu sais dépecer un animal, j'espère ? »
Il me regarda, perplexe, puis regarda la lame entre mes mains comme s'il s'agissait du geste le plus absurde que je pouvais faire. Mais il le prit quand même.
« Ma sœur, qu'est-ce qu'elle a ? demanda-t-il nerveusement.
— Occupes-toi de l'animal, et moi, je m'occuperai de ta sœur.
— Je ne te fais pas confiance, lâcha-t-il franchement.
— La bête de tout à l'heure l'a mordu. Le poison, que l'animal a relâché dans son sang affecte son système nerveux. Je dois lui retirer une dose de cette drogue meurtrière, sinon, elle risque de mourir.
— Drogue ?
— Certaines personnes utilisent ce poison en faible quantité pour se contenter d'avoir de simples hallucinations, entre autres.»
La fille se mit à vomir et je compris que c'était maintenant ou jamais car son état ne faisait que s'aggraver chaque minute. Sans même l'avertir, je repris la lame de ses mains, puis j'entaillai le poignet de la fille, ce qui affola son frère. Je me mis alors à aspirer le sang, qui commençait à coaguler. Malgré le goût dominant de fer, je sentais les effets et l'arrière-goût de la toxine dans celui-ci. Je crachai une première fois, je continuai pendant un moment, même si cette technique ne permettait pas de retirer une énorme quantité de poison. Je comptai jusqu'à un certain nombre, puis je m'entaillai le poignet à mon tour. Je l'obligeai à boire mon sang, d'une manière beaucoup moins élégante qu'Aël quand il le faisait. Certes, moi aussi, j'étais contaminé, mais le poison était déjà moins concentré que dans le sien. C'était ça ou rien. Elle se débattait, mais ses convulsions avaient cessé. Malgré tout, elle finit par se résigner et bu. Quand je sentis mon poignet se refermer lentement, je l'enlevai de sa bouche. Seth ne réagissait plus...
La brunette se réveilla brusquement en se redressant au moment même où j'enroulai un bout de tissus autour de son poignet, le temps que mon sang combatte la dose de poison restante et referme la coupure. Malgré la noirceur, je vis ses yeux se plonger dans les miens et je me contentai de lui sourire de toutes mes dents.
« Rebienvenue parmi nous. »
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