65.
Hudson était devenu fou. Il beuglait des mots que je ne comprenais. Tout se passa très vite, j'eus à peine le temps de m'en rendre compte, qu'il était déjà nu. Complètement nu. Devant moi. Hudson était nu.
- Hmm
Je hurlais. Je n'allais certainement plus avoir de voix pour le restant de mes jours, mais je ne pouvais pas le laisser faire, ce qu'il s'apprêtait à faire.
- Je compte bien te faire souffrir avant de t'achever, sale petite pute
Il s'approcha du lit. Je priais pour que ce soit un de ces cauchemars bien trop réels, pour que l'on ne les distingue de la réalité.
Le pire était que je ne pouvais compter sur personne. Vraiment. Ace n'était pas là. Il était dans un état à trois heures au moins, d'ici. J'étais seule. Alex n'avait pas prévu de passer me voir. Rien ne pouvait me sauver aujourd'hui et il le savait. Le bateau tangua, le vent devait s'être légèrement mêlé au temps extérieur.
- Je veux voir quel goût tu as
Il se mit à toucher son sexe devant moi. Je le regardai, n'en croyant moi-même pas à ses actes. Il était répugnant, à vomir. Il se jeta entre mes jambes, je tentais de donner des coups de coudes. Un dans la cuisse, un sur le côté, partout où je pouvais.
- Tu as vraiment décidé de me faire chier !
Je criais. Ma poitrine brûlait, mes yeux aussi. Je devais certainement être en train de saigner des chevilles et des poignets, mais c'était le prix à payer. Je voulais juste vivre.
Il me flanqua une gifle et je me tus le temps de reprendre mon souffle. Je déglutis difficilement et me mis à pleurer. J'avais l'oreille qui sifflait.
- Pas la peine de t'effondrer comme ça, imbécile. Tu ne me feras pas tomber dans le panneau de tes larmes
Il tira sur mes cuisses. Je remarquai alors que je n'avais plus le jean que je portais auparavant.
- Pitié
Je hurlais des « pitiés » compulsifs, mais il devait certainement entendre autre chose. Il me déchira ma culotte en coton, et je sentis ma peau se fendre sous ses ongles ravageurs. Ça ne pouvait pas se passer comme ça. Il se pencha sur moi et me mordis au-dessus niveau de la poitrine. Je prenais alors un peu de force dans mes abdos, et lui offrais un magnifique coup de tête dans le nez. Il se redressa, furieux et me fixa.
- Tu l'auras cherché
Il s'éloigna de moi et fouilla quelque chose dans la poche de mon jean
- Je suis désolée !
Est-ce que je le pensais ? Non. Est-ce que je voulais qu'il comprenne mes mots ? Oui. Est-ce qu'il allait les comprendre ? Non. Alors mes supplications étaient veines. Je n'étais pas désolée, je voulais simplement me protéger, mais lui, il s'en fichait. Il se tourna vers moi, mais avec la pénombre qui régnait dans la chambre de ce bateau, c'était difficile d'y voir très clair.
Il se remit devant moi, points l'objet sur mon nez. Une seringue.
- Tu vas faire un tour, rencontrer tes ancêtres mexicains, pendant que je vais jouir de tout le plaisir dont j'ai besoin en t'imaginant agoniser, en imaginant ton corps sans vie
Il était fou... Il était vraiment fou, malade. Avais-je mal comprit, ou il était en train de me parler du plaisir sexuel qu'il tirerait en m'imaginant morte ?! J'espère que cela n'ait été qu'une parole en l'air, mais vu où j'étais actuellement, difficile maintenant d'être sûre de quoi que ce soit.
- Je rigole Lucia...
Je me tus... attendant une suite.
- Je ne suis pas aussi gentil. Cette seringue contient de la fasciculine. Ça n'a pas été facile de m'en procurer, mais j'imagine que ça en valait la peine
Il rit. Je le fixais, désarçonnée.
- Venin. Une injection, et tu es paralysée. Je voulais que tu puisses assister à cette belle partie de jambes en l'air
Je pleurais des quantités incalculables de larmes, sans m'arrêter. Je ne voulais pas savoir comment allait se finir cette histoire. À choisir, j'aurais préféré qu'il me tue immédiatement.
- Ça ne me fait pas plus plaisir de continuer de partager cette pièce plus longtemps avec toi, mais comme on dit, le plaisir est dans l'attente, alors nous allons prendre notre temps
Je tentai de me débattre, de le repousser. J'étais prête pour tourner dans un de ces films d'horreur, tant ma souplesse était déconcertante. Ça devait être ça l'instinct de survie. Je n'avais jamais été très sportive, la gymnastique n'était pas non plus mon fort, au collège, mais là, j'étais face à des prouesses techniques et physiques.
Il me donna un coup de poing sec dans l'œil. Il perdait visiblement patience, mais je ne pouvais pas faire autrement que me débattre. Je restai quelques secondes les yeux fermés. Je sentis un hématome se former sous ma pommette. Il me fallait le temps de réaliser. Je le sentais encore m'observer. Je secouai la tête, comme pour tout réarranger sur mon visage.
Je jetai l'éponge. Je sentis une aiguille s'enfoncer dans ma hanche. Je savais que ce n'était pas la peine d'espérer. J'allais être paralysée tôt ou tard, mais je savais que cela allait arriver plus tôt que prévu. J'avais trop excité ma fréquence cardiaque et mes muscles pour espérer retarder l'effet du venin.
Je me détestais, car outre le fait d'avoir le crâne fendu à l'arrière de ma tête, les chevilles et les poignets déchirés, la pommette certainement un peu brisé vu la douleur que je contenais, la paralysie imminente, j'allais me faire violer, et ce n'était encore que le début.
MICHAEL
Nous étions passés en coup de vent voir Lucia, mais elle n'était pas là, ou plutôt, elle n'était plus là. Après un tour rapide chez Ace, nos soupçons étaient enfin confirmés. Il y avait des traces de bagarre dans le salon et l'appartement était sens dessus dessous. Ils étaient partis par l'issue de secours, si l'on devait en croire les quelques gouttes de sang dans la cage d'escalier.
Hudson avait complètement déraillé et malgré ma neutralité quant au statut de ma relation avec cette fille, j'étais tout de même en colère, pas seulement pour le procès, pas seulement pour ma défunte copine, mais aussi pour mon amie. Je n'étais pas contre le fait de l'accueillir dans notre groupe. Je m'en fichais. Mais visiblement, ce n'était pas le cas de tous. Ace avait très clairement besoin d'elle et malgré son comportement exécrable que je ne cautionnais personnellement pas, il était clair qu'il l'aimait.
Par conséquent, il était dans un sale état. Il avait abandonné sa veste de costume sur le plan de travail à côté de l'évier dans lequel nageaient nos passeports. Au moins le mystère était résolu. Il nous les avait bien tous pris. Après une analyse des images de vidéo surveillance, on finit par se dire qu'il n'avait nulle part où aller. Sauf à un endroit : Long Island.
Il n'avait pas de lieu d'habitation là-bas, mais après avoir fait appel à la mémoire de Matthew, on finit par comprendre. Il faisait des recherches sur les côtes de la ville, et il était certain que ces côtes plongeaient sur l'océan. Il allait vouloir se débarrasser d'elle là-bas.
Hudson n'aimait pas les villes côtières, ce n'était donc certainement pas un hasard, heureusement que l'un de nous avait été mis à côté du criminel qu'était devenu notre ami. On quitta Manhattan dans l'urgence et j'étais personnellement persuadé que Lucia était déjà dans un sale état, mais je gardais mon pessimisme naturel pour moi.
J'étais le plus calme des trois à notre départ. J'avais donc pris le volant à Ace que je n'avais encore jamais vu aussi préoccupé. Épuisé, ça avait donc été à Matt de se charger de notre transport. Pour une fois que j'aurais aimé que ma sœur, la fouineuse soit encore avec notre otage, mais elle ne savait se rendre utile seulement quand elle l'avait décidé.
- Tu es sûr qu'il s'est renseigné sur Long Island ?
La voix d'Ace était étrange. Il ne l'avait jamais eu dans une tonalité pareille. Je l'observais dans le rétroviseur extérieur. Il avait recommencé ce truc de faire trembler sa jambe, et malgré sa chemise encore blanche malgré toutes les émotions, il avait un sale air débraillé.
- Pouvez-vous arrêtez de mettre ma parole en cause ?
- Tu veux savoir quelque chose ?
Je connaissais Ace par cœur. Il allait lui rejeter la faute dessus. Il n'y avait pas de musique dans l'habitacle sombre, alors ses paroles allaient encore plus raisonner dures.
- Si tu avais daigné ouvrir ta grande gueule aussi bien que tu ouvres ta braguette quand tu sors ta queue, on n'en serait pas là
- La bonne blague !
- J'aurais dû mieux surveiller cet enfoiré
Sa voix était pleine de regret. Je l'observais, je savais ce que c'était. J'avais eu des regrets ce jour-là, en j'en avais encore maintenant.
Flashback :
On n'en sait pas plus. Je laissai mon ballon de basket et courais vers Ace, Matt et Hud', entourés d'agents de police. Je ne les avais pas suivis, je n'étais jamais mêlé à leurs merdes, donc je préférais ne même pas être là quand ils avaient ces visités. Cependant, un agent de police, aussi grand qu'Ace lui-même, essaya de lui donner une petite tape réconfortante dans le dos, mais celui-ci le repoussa violemment. Il n'avait jamais fait ça. La règle était « pas de provocation sur des agents de police ». Son père ne l'aurait pas accepté.
Voilà pourquoi je me dirigeais donc vers eux, d'un regard interrogateur. Plus je marchais dans leur sens, plus je distinguais de petites bribes de phrase.
- Morte...
- Aujourd'hui...
- Hôpital...
Mon ballon roula devant moi. Ils se tournèrent alors tous dans ma direction, et comme s'ils se souvenaient tout à coup de ma présence, Matt se précipita vers moi, mais je l'écartais d'un geste brusque.
- Attends, dis Hudson en marchant aussi d'un pas rapide, une main devant lui comme pour me maîtriser
Quelle nouvelle pouvait bien provoquer une telle réaction de la part de mes amis ? J'approchai le second agent. Il me sourit d'un air compatissant. Je fronçais alors les sourcils en regardant Ace puis les deux agents. Ace était pâle. Je ne l'avais jamais vu comme ça. Il avait l'air pétrifié.
- Que se passe-t-il ?
Je lui demandais sans vraiment comprendre.
- Vous êtes ?
- Michael...
- Michael Hoower, je complétais
Ma sœur se précipita dans le gymnase, coupant alors la parole à l'agent qui s'apprétait à parler. Ace se dirigea vers elle :
- DÉGAGE !!
- Que se passe-t-il ?
Je me répétais et ça m'énervait. J'avais l'impression d'être le seul qui n'était pas au courant d'un grand secret collectif. J'ignorais le sort de ma sœur. Matthew savait la défendre et Hudson, pouvait tenter d'éloigner Ace, même si c'était peine perdue.
- Nous sommes sincèrement désolés mon garçon, commença le premier agent qui était équipé d'une belle moustache, cette fin d'après-midi, nous avons découvert le corps de...
Il s'arrêta, regarda l'autre, baissa les yeux, fit semblant d'admirer le gymnase de qualité premium de notre lycée.
- Le corps de... ?
Ils manquaient de professionnalisme, je n'en doutais pas une seule seconde. Ils mettaient un temps fou à terminer leur phrase, tandis que moi je me torturais l'esprit. Je préfèrais avaler la pilule maintenant, que de me rendre compte pendant un aussi long moment que j'en avais une à avaler, ce qui me mettait encore plus en rogne.
- LE CORPS DE QUI !?
Est-ce qu'ils avaient découvert le corps de ma mère ? De mon père ? De la salope de mère d'Alex ? Étaient-ils tombés sur le corps d'un de mes anciens barjos de camarade de classe ?
- Jane... Mademoiselle Jane Scotten
Je fronçais une nouvelle fois les sourcils en laissant apparaître un petit rictus. Elle était morte ? Je ne les croyais pas.
Je me détournais d'eux :
- J'ai vu ma copine ce matin, Messieurs les agents. Vous devez faire erreur.
- Elle a été retrouvée pendue aujourd'hui dans les alentours de 16h chez les Scotten
Pendue ?
Un des agents m'approcha de nouveau et tenta de m'offrir le même geste auquel avait bénéficié Ace. Il déposa sa main sur mon épaule. Je me dégageai violemment.
- Nous avons une lettre. Je vous suggère de la lire... Nos sincères condoléances.
- Quelle lettre ?
Je paraissais dément, ou ignorant, ou tout adjectif se terminant par le son « ant ». J'avais oublié tout ce qui était en rapport avec un suicide. Elle ne s'était pas pendue. Ce n'était pas possible. Je l'aimais bon sang ! Il n'y avait pas non plus de lettre. Le second agent, sorti une tablette de, je ne sais où.
- Vous pouvez faire le choix de la lire maintenant, mais je vous suggère de vous rendre directement au domicile... Vous pourrez le faire dans de meilleures conditions
J'étais rentré en furie, après avoir saccagé le mur du vestiaire. J'étais bien heureux, qu'aucun prof n'ait été là ce jour-là avec nous. Je roulais au-delà des limitations de vitesse et il était hors de question que j'aille me changer ou nettoyer mes poings comme Alex l'avait suggéré une multitude de fois.
On arriva dans la villa et je me précipitai vers cette chambre que je connaissais tant, vers cette chambre dans laquelle elle et moi nous étions disputés, avions pleuré, avions rit et avions même joui. Elle n'était plus là. Des médecins accompagnant les pompiers discutaient dans la chambre voisine, la chambre d'amis. Sa mère devait s'y être réfugiée. Je fis le tour de sa chambre en la mettant en bordel. Je voulais savoir d'où venait la rumeur de son décès. Je finis par changer de pièce et retrouvais les blouses blanches, entourant Lindsey Scotten. Elle se leva :
- Michael...
- Vous allez bien ? Où est votre fille ? Il faudrait que je lui parle, c'est urgent
J'allais retrouver ceux qui avaient osé dire de telles absurdités. S'il y avait bien une chose que je détestais, c'était le mensonge, encore plus quand il était à propos d'un décès.
- Je suis désolée
Elle s'effondra et me tendit une feuille blanche, rédigé recto-verso. Je la tournais dans tous les sens, à la recherche d'un indice, d'une signature qui me montrerait que c'était bien de Jane. Quelques prénoms m'apparurent, comme le mien, celui de son frère, d'Alex. Elle parlait de plein de gens. Mais tout le monde aurait pu écrire ce bout de papier.
- Nous estimons sa mort à environ 16h, 16h30.
Les Scotten étaient influents, ça ne m'étonnait pas qu'il y ait déjà un petit rapport d'un légiste, contacté en urgence.
Je baissais les yeux sur ma montre. Il était 17h37. Ce n'était pas possible... Je me précipitai dans le couloir, mais trop tard : je vomis le reste de mon repas de ce midi, avec toute la bière accumulé dans la journée. Je jouais... Je jouais quand elle était en train d'agoniser.... Je marquais des paniers, quand elle était dans un tel désarroi, qu'elle n'avait trouvé pour seule solution que la mort. Je tenais sa lettre en tremblant comme une feuille. Je la pliais, et la glissai dans mon jean. Je n'avais pas été là. Elle n'avait pas eu assez confiance en moi, pour me demander de l'aide. Elle n'avait pas vu en moi, celui qui aurait pu l'aider.
- Pourquoi... disais-je au-dessus de ma gerbe
Je m'appuyais sur mon genou. La voyant dans sa chambre. Je tournai la tête vers cette pièce. La porte entrouverte était parfaite pour laisser imaginer ce qui avait pu se passer de l'autre côté. Je la voyais le cou pendu à la corde. Je la voyais se débattre en voyant la mort arriver, ou être heureuse de la voir arriver. Qu'est-ce qui avait bien pu me faire ne pas le voir ? Ne pas voir son malheur. J'étais dans un putain de gymnase durant l'agonie de ma copine...
Voilà comment était nés les regrets de Michael Hoower.
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- Il n'est pas le baby-sitter d'Hudson, Ace. Ne t'en prends pas à lui, je dis au bout d'une demi-heure dispute entre les deux. J'avais laissé le volant à Matt au bout d'une heure de conduite, et j'étais heureux de nous voir enfin arrivés.
- Fais-chier putain !
Je fermai les yeux et inspirais profondément. Je comprenais ses mots, comme personne. Voilà pourquoi lui et moi avions ce lien.
- Tu es sûr de toi Matt ?
- Oui, dit-il en bipant sa carte sur le boîtier électronique de la barrière qui séparait la route, de l'embarcadère
Il roula au pas, avec à ses côtés, un Ace au bord de la crise de nerfs. Le sentiment d'impuissance... C'était ce qu'il ressentait lui aussi à présent. Et je ne voulais pas le voir vivre la même chose que moi auparavant. Après quelques minutes, Ace finit par sortir à peine étions-nous garés. Il fallait que l'on trouve le gardien et il le savait lui aussi. Donc il ne nous restait plus qu'une chose à faire : partir à la recherche du gardien de l'embarcadère, celui qui était censé s'occuper de nos bateaux. J'avais constamment les clés du mien sur moi, et les autres le savaient. Je décidais alors de partir dans l'autre sens, en quête de mon bijou marin.
- On se rejoint au quarante-et-unième ;
C'était l'emplacement de mon bateau : le quarante-et-unième. Le mieux situé, et qui donnait directement dans une eau assez profonde. Je courus quelques mètres, à la recherche d'un numéro quarante et un, inscrit sur le goudron. Je sortis mes clés, et sautais à pieds joints sur la plage de bain, et le bateau tangua. Il faisait très sombre et une chute était vite arrivée.
Je me courbais pour pouvoir mieux me faufiler et passais sous le fly-bridge en direction du cockpit.
Cela faisait des mois que je n'étais plus venu ici, et même si je veillais à l'entretien de celui-ci, c'était important pour moi, de laisser à quelqu'un l'opportunité d'en profiter. C'est pour ça que ma sœur avait un double des clés. C'était elle qui s'en servait le plus.
Je m'installais alors devant le tableau de bord toujours aussi rutilant. Le Danielle. Voilà le nom que j'avais choisi pour ce merveilleux cadeau que je m'étais fait. Il était rapide et léger. Je n'avais jamais eu de problème avec lui, et ma sœur non plus. Quoi de mieux qu'un bateau parfait comme ça. Je glissais la clé dans la fente préparée à recevoir la clé dorée. Quand le bateau tangua de nouveau. Je mis le contact et il se mit à rugir. J'adorais cette sensation. Pour certains, c'était l'avion, leur thérapie. Pour moi, c'était Le Danielle.
- Nous devons trois millions au gardien, me dit Ace courbé, trop grand pour se tenir droit.
- Pardon ?
- Il nous a dit avoir reçu pour ordre de la part d'Hudson de ne rien dire de sa destination
Matt se jeta sur l'un des sièges prévus à cet effet, en grognant. Il ébouriffa ses cheveux tandis que je nous faisais quitter le port.
- Et donc ?
- Et donc pour avoir l'info, je lui ai promis un chèque de trois
C'était du Ace tout cracher ça.
- Super...
Ma réponse était ironique. Je détestais que l'on s'engage pour des informations qu'il suffisait de demander. Mais j'imaginais que comme il était notre seul espoir, ce gardien avait tous les droits.
Il bénéficiait de cette nouvelle politique Fiability, et au moins aujourd'hui avait été son jour de chance. Cette politique datait d'il y a peu longtemps. Il y avait eu un accident en mer, et personne n'avait su dire où les passagers du bateau à voile allaient exactement. Il y eut beaucoup de temps avant de retrouver les informations nécessaires à la recherche de leur bateau. C'était donc pour ça que depuis, il fallait signer une attestation de départ, pour décharger l'embarcadère et indiquer notre destination dessus. C'était obligatoire, sinon, en cas de départ sans signature, les autorités pouvaient se pointer et c'était terminé la licence de navigation pour un minimum de trois à cinq ans.
- Où est-ce que nous allons ?
- L'île de Bia
- On ne va plus en mer ?
- Il n'a jamais voulu aller en mer. Il devait se dire que nous n'allions jamais penser à aller là-bas.
Ace se pencha contre le balcon tandis que je passais la vitesse suivante. Il fallait qu'on le rattrape. C'était dans notre intérêt à tous. Soit, elle était morte, et il fallait le coincer avant qu'il ne prenne la fuite, soit il la mijotait comme il aimait tant le dire et nous avions une petite fenêtre pour la sauver.
- Je n'en reviens pas
Ace s'installa à mes côtés et pianota sur son portable. Il avait essayé de joindre Hudson et une fois de plus, pour la trentième fois, il se retrouvait sur son répondeur.
- Il va falloir trois millions à offrir à ce crétin ou nous étions en train de bluffer ?
Ace mit un peu de temps à répondre, mais finit par se tourner sur Matt, qui avait l'air épuisé.
- Nous verrons bien
Les lumières de Long Island se rétrécissaient derrière nous, et même si nous n'allions pas très loin, elles semblaient nous chasser, nous pousser en avant en nous demandant de ne revenir qu'avec une Lucia vivante. Le bateau quitta l'eau et la coque frappa de nouveau la surface.
- Mon dos....
- Excuse-moi
Matthew était comme ça... il avait peur de perdre des gens. Même s'il n'avait pas montré un quelconque signe d'attachement envers eux, il avait peur de les perdre. Je souris alors, car quand il était dans un tel état, il se plaignait de choses moins grave, comme de son dos, afin d'oublier qu'il y avait plus grave.
- Encore une demi-heure, dit Ace en suivant le GPS de son portable
- Encore une demi-heure jusqu'à l'île, je répétais
Je le regardai discrètement. Il avait l'air mal en point et pâle, comme ce jour-là. L'île Bia, était l'île privée de Hud'. Il y allait pour se retrouver seul, ou pour s'adonner aux choses les plus immorales qu'il soit. Il avait obtenu cette île après un rachat, et l'avait appelé « Bia » pour la simple et bonne raison que « Bia » était la déesse grecque qui représentait la force et la vaillance, mais aussi plus sincèrement, la violence. Il adorait la mythologie et rêvait de tomber sur une femme aussi tordue que cette déesse.
- Je me permet de dormir
Je sentis Ace tenter de répondre un truc comme à son habitude, mais il était bien trop abattu pour sermonner Matthew. Je continuais de conduire, en sentant s'échouer sur moi, le vent humide et frais de l'eau. Nous nous rendions non pas en mer, mais sur une île, île dans cette mer ou plutôt dans cet océan qui avait souvent été pris par nous pour un lac. C'est ce qui s'appelait un golfe, mais à l'époque personne ne se préoccupait des appellations. À mon souvenir, c'était surprenant de voir cette île, en plein milieu d'un golf, entourée d'eau, un peu comme une île flottante, avec quelques mètres plus loin, une plage déserte.
Voilà où nous allions à peu près, dans l'espoir de réussir à la sauver, sur l'île Bia, et sa plage parfaite, avec ses gigantesques eaux profondes et sa falaise aussi pittoresque, qu'effrayante. J'espérais de tout cœur à la fois à cette fille, mais aussi à Ace, qu'elle soit encore vivante.
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