53.
S'ensuivi alors une discussion durant laquelle j'avais hurlé et insulté dans toutes les langues que je parlais Allen et Bridget qui m'avait interdit de partir.
Le chauffeur avait jugé cela dangereux d'y retourner dans l'immédiat. Et Bridget eh bien... elle avait suivi les ordres : pas de retour à New-York sans sa permission.
J'avais envie de hurler. J'étais dans mon lit, en train de me tourmenter. Je devais faire semblant de dormir. Ils m'avaient forcée à me coucher, et c'est donc très tôt que j'étais retournée dans cette chambre maudite. Ace était peut-être déjà mort, et moi, j'étais là. Je me redressais et farfouillais dans ma table de chevet. Il fallait que je trouve de quoi noter ainsi que ma tablette à la con.
Il m'avait laissé un accès aux sites d'informations et j'étais certaine qu'il y aurait des infos sur lui. Vu l'accident, j'étais aussi persuadé qu'il allait être transféré dans l'hôpital le plus proche du lieu de la fameuse conférence. Je me mettais alors à genoux, prête à prier pour lui, mais aussi à noter plusieurs noms. J'avais le nom du lieu de la conférence. C'était à New-York et le meilleur hôpital de la ville était celui à Upper East Side, le Lenox Hill.
Elle était là ma destination finale. Pour y aller, il fallait simplement que je quitte cet endroit :
- ... Que je prenne le train à la gare de Long Island City, jusqu'à la gare de Manhattan
Je chuchotais en notant. Je n'allais pas rester ici.
Je me levais en essayant de ne pas faire de bruit. Hors de question que tout tombe à l'eau. Je me servais de la lumière de ma tablette pour m'éclairer. Après avoir enfilé un legging de sport dans lequel je glissais ma feuille de déplacement, j'enfilais une polaire et par-dessus, je rajoutais un gilet gris que je zippai jusqu'au cou. Pas de bonnet, Ace ne m'en avait pas acheté, je me servais alors simplement de la capuche de ce gilet noir et me dépêchai de fourrer quelques affaires dans mon sac. Pas grand-chose. Un livre, une bouteille d'eau, des sous-vêtements et des vêtements légers pour ne pas alourdir mon sac, surtout avec cette tablette que bien évidemment je prenais dans mes bras.
- Je ne savais pas que tu me serais autant utile, pensais-je en quittant ma chambre tout en observant cette tablette que j'avais tant haïe.
Je fonçai dans le bureau de cet homme que j'allais perdre. Il me fallait quelque chose pour me commander un taxi. Je n'avais rien pour appeler sur ce maudit appareil. J'avais le numéro d'un taxi trouvé sur internet, à contacter, mais c'était tout. Heureusement, je me souvenais d'avoir vu un téléphone dans le bureau.
- Les planètes sont alignées bordel, je dis en décrochant le combiné.
Il fallait que je fasse vite, je savais que quelqu'un allait finir par m'entendre et je les savais capables de m'enfermer. Du moins, Bridget.
J'étais presque sûre qu'Allen était déjà à New-York à l'heure qu'il était. Il ne pouvait pas rester alors que son patron était très certainement entre la vie et la mort.
Des bips commencèrent à se faire entendre. Je tirai le téléphone avec moi et m'assurais que personne ne venait.
- Allez !
Au bout de ce qui m'avait semblé être le centième bip, un homme décrocha.
- Vous êtes bien taximan chez Drive and Go ?
Je me jonchais sur mes orteils et regardais ce qui se passait dans le jardin. J'éssayais tant bien que mal de ne pas faire tomber mes affaires.
- Oui, madame, c'est bien, vous savez vous servir d'internet
Son ton m'agaça, mais honnêtement, si je commençais à discuter, j'allais encore plus perdre du temps. Je m'éloignais de la fenêtre craignant que quelqu'un ne me voit.
- J'ai besoin d'une course d'urgence
- Et où êtes-vous ?
Oh non... Quelle conne !
J'avais tellement été obnubilée par mon envie de discrétion que j'avais oublié, ce petit détail, qui finalement n'était pas si petit que ça.
- Vous êtes là ?!
Il cria, me faisant sursauter dans cette pièce noire. J'allumai la tablette en panique et sans vraiment y penser, j'allais sur Map. J'avais ma matière grise en ébullition. Il fallait que j'aille vite et étrangement, mon cerveau coopérait. Je tapais un itinéraire au hasard, juste pour voir s'afficher le point de ma propre localisation.
- 276...
Je fis une pause, apeurée.
- 276, Kingston Street, Long Island, New-York 11101
- Redonnez-moi le code postal !
Qu'avait-il ce soir ? Tous n'étaient pas comme ça pourtant.
- 11101, j'articulais à voix basse
Je n'étais pas sûre que ce soit la bonne adresse, elle devait être approximative, mais ça allait le faire.
- Un taxi est près de chez vous, il arrivera dans cinq minutes
Après m'avoir donné l'information, l'homme raccrocha.
- ¡ Joder ! ( ¡ Fais chier ! )
J'avais cinq minutes pour sortir, cinq ! Je ne savais pas comment j'allais m'y prendre, mais j'allais faire au plus simple et passer par la porte d'entrée. De toute façon, je n'avais pas d'autres issues. Je ne connaissais pas assez cette maison pour avoir la prétention de passer par une autre porte, ça n'allait m'apporter qu'une perte de temps et ce n'était pas ce dont j'avais envie.
Je quittai le bureau en veillant à fermer discrètement derrière moi. Je rebroussais chemin en prenant garde à tout objet, pouvant me faire trébucher au risque de me faire prendre.
Tous ces pots de fleurs me faisaient chier, et me dire que tout ceci n'était que du temps en moins passé avec Ace me fendait le cœur. Je dépassai la porte de ma chambre sentant les larmes monter.
Dans tous les rêves que j'avais faits dans lesquelles je m'échappais de cet endroit merdique, dans aucun d'eux ne figurait le détail que ce serait pour aller rejoindre celui que j'aimais et qui était au bord de l'agonie.
Je n'arrêtais pas de dire qu'il était au bord de l'agonie, certainement parce que je ne voulais pas me dire qu'Ace était mort. Je ne pouvais pas le concevoir. Ça ne pouvait pas se terminer comme ça.
Toujours mes chaussures à la main, je descendis la dizaine d'escaliers, s'étendant devant moi.
J'espérais sincèrement que le taxi arrive un peu en retard. Vu le temps que je prenais, ça devait déjà bien faire quatre minutes que je me démenais à être discrète, tout en sortant. Une fois, arrivée devant la porte, j'enfilais les seules chaussures adéquates que j'avais trouvé. J'abaissai la poignée et par chance, elle céda. Mon cœur fit un bond de soulagement, je m'en allais définitivement.
Ça faisait déjà une bonne demi-heure que j'étais dans ce taxi sans lui avoir dit que je n'avais pas de quoi payer. J'étais en train de réfléchir à tous les mensonges que j'allais lui servir sur un plateau en or.
Je me sentais très mal pour ce chauffeur qui comparé à celui que j'avais eu au téléphone, était très gentil, mais honnêtement, je me sentais légitime. Personne ne ressentait ma douleur.
Personne n'avait rien à dire. Les rues de cette ville étaient encore éclairées. Je ne savais pas si c'était parce que je n'étais pas d'humeur ou si c'était simplement une perte de goût, mais je détestais voir toutes ces lumières. Elles étaient beaucoup trop fortes, beaucoup trop brillantes, elles m'aveuglaient.
Au bout d'un certain temps, on finit par arriver. Il s'arrêta sur un parking en face de la gare quand je sortis.
Il fit de même.
Durant tout le trajet, malgré le fait que ç'ait été un supplice pour moi, j'avais fait la conversation tout du long. Je voulais qu'il me fasse confiance. En sortant, je fis alors semblant d'avoir une crampe, et je serrai mon ventre de façon à ce qu'il le voit.
- Vous allez bien mademoiselle ?
Je secouai la tête, m'armant d'une grimace douloureuse. Une larme quitta mes yeux. Puis une autre et je me mis à pleurer. Je vidai enfin mon sac. Toutes ces larmes étaient pour Ace. Mais ça, l'homme ne le savait pas. Il avait à peu près la soixantaine et de son sourire tendre, il me rouvrit la portière.
- Asseyez-vous, prenez votre temps
Je pleurais de plus belle. Comment lui dire que je comptais le voler. Ce n'était pas mon genre. Mais il fallait que je quitte Long Island. Si quelqu'un se rendait compte de ma disparition, j'étais fichue.
- Mon copain, a été victime d'une fusillade
Il se figea, et moi aussi. Je ne pensais pas que j'allais lui dire la vérité et je pensais encore moins employer le terme « copain ».
Il baissa la tête visiblement navré.
- Et vous n'avez pas d'argent, c'est ça ?
Je fronçais les sourcils, toujours en pleure. Qu'est-ce qu'il me disait ?
- Je sais que vous ne me mentez pas. La maison de laquelle je suis venue vous chercher, est celle des Scotten ?
Je m'arrêtai et le regardai. Qui était-il ?
- Il m'est arrivé d'aller chercher des employés là-bas. Vous savez, un taxi man comme moi entend tout et ça parle beaucoup dans un taxi. Le commérage ça me connaît et j'ai entendu parler d'une New-yorkaise au 276
Il me serra dans ses bras.
- Allez-y
- Pardon ? Je reniflais en essuyant un grand filet de morve sur mon bras
Il me tendit son mouchoir de poche et se répéta :
- Allez-y. Je ne vais pas faire d'histoire alors que vous vivez une réelle tragédie. Allez-y petite
Je le regardai avant de pleurer de plus belle. Moi qui avais prévu au départ de lui faire croire que j'avais mes règles et que j'allais aux toilettes pour ne jamais revenir.
Le vieillard me sourit.
- Courage, me dit-il
Je me relevais, pleine de honte et de culpabilité.
- Je suis sincèrement désolée, j'aurais voulu avoir quelque chose pour vous
- Ne vous en faites pas. Je paierai...
- Mons-
- Vous devriez vous en allez... Le train part dans quelques minutes et le prochain ne sera pas là dans l'immédiat
- Merci, dis-je
Je le serrais encore dans mes bras. Je ne faisais pas ça pour le remercier, ou plutôt, pas totalement. Je voulais aussi laisser partir ma tristesse. Je ne savais pas comment je faisais pour ne pas déjà être en train de m'enterrer moi-même. J'étais déchirée, alors il fallait que cet homme me soulage même un peu.
Je finis par me retirer.
- Merci encore
- Je vous en prie
Je partais en courant. J'avais peu de temps, et si je m'arrêtais, j'allais m'effondrer sans possibilité de me relever. Je slalomais entre les gens, ma capuche sur la tête. Je n'avais ni billet de train ni ticket de métro pour me déplacer à Manhattan, mais au stade où l'on en était, nous étions bien partis pour être dans l'illégalité la plus totale.
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