première rencontre
「
APPREHENSION
」
MIN YOONGI
Dans un appartement minuscule, perdu dans un immeuble d'une rue peu fréquentée de la capitale sud-coréenne, une horloge accrochée au mur brisa le silence de la pièce par son tic-tac régulier. Ce son rebondit contre chaque meuble et objet décoratif de plus ou moins bon goût — on ignorait toujours pourquoi une photo d'un jeune adulte aux cheveux orange avec un pénis dessiné sur la joue trônait fièrement sur la porte du réfrigérateur — pour finir par atteindre les oreilles d'un homme avachi dans une position improbable sur un canapé dont l'apparence laissait planer un doute quant à son confort. Il ressemblait plus à un meuble récupéré dans une décharge dont personne n'avait eu le courage de se débarrasser. Une jambe recouverte d'un pantalon de survêtement cherchait à atteindre un accoudoir dont le tissu usé par les années offrait une vue imprenable sur le rembourrage jaunâtre. Les doigts de sa main gauche dessinèrent distraitement les contours d'un ressort à quelques centimètres à peine de ses côtes et le pouce de sa main droite pressa pour la trente-huitième fois les touches de la télécommande noire. Les yeux rivés sur une télévision muette dont les images ne l'intéressaient que très peu, le propriétaire de l'appartement laissa échapper un long soupir de ses lèvres gercées.
Min Yoongi s'ennuyait comme un rat mort.
Cette constatation le frappa lorsqu'il se rendit compte que même la chaîne parlementaire — celle qui montrait des adultes aux salaires exorbitants se disputer comme des enfants dans la cour de récréation d'une école primaire — ne parvenait même plus à lui arracher un pouffement entre le désespoir et l'amusement. Et la chaîne parlementaire se montrait toujours hilarante lorsque le son de la télévision était coupé. Des histoires absurdes se créaient dans son esprit et il se retrouvait toujours à ricaner face à l'absurdité de son esprit.
Min Yoongi ne s'ennuyait jamais.
L'absence d'occupation relevait plus de l'aubaine dans son quotidien que d'une source d'angoisse à s'empresser de combler. Il bénissait même les courts instants où ses obligations d'adulte disparaissaient ; il les appréciait tant que ses proches s'étaient mis d'accord pour ne pas le déranger pour une vingtaine de minutes. Il ne fallait surtout pas réclamer plus de temps de quiétude. Quelqu'un finissait toujours par s'immiscer dans sa bulle silencieuse. Le couple formé par Hoseok et Taeyeon se transformait en parfaits exemples : ils s'engouffraient dans l'appartement dès que l'occasion se présentait et il lui ramenait l'enfant en bas âge dont le procureur était l'heureux parrain, plus de bruit qu'il ne pouvait le supporter, des rires et des discussions futiles dans le sillage de bonne humeur communicative. Lorsqu'ils finissaient par franchir le seuil de l'appartement pour regagner leur logement, Yoongi se retrouvait sans la moindre énergie restante et il s'allongeait sur la première chose confortable à porter. Un canapé, le matelas douillet du lit ou les cuisses de Jimin dont le rire mélodieux le berçait jusqu'à l'endormissement.
Son absence d'activité ne ressemblait cependant pas à son habituelle absence d'activité. Le silence de l'appartement sonna comme une anormalité dans sa vie quotidienne et il plongea Yoongi dans une étrange bulle de malaise que même les images de la télévision ne parvinrent pas à chasser. Les vieux parlementaires aux gestes obscènes se transformèrent en des dizaines de chatons aux yeux expressifs lorsque son pouce pressa une nouvelle fois un bouton de la télécommande. Yoongi ne les trouva pas mignons alors que les chats décrochaient avec une aisance déconcertante la première place des animaux les plus adorables dans son podium mental où les places s'altéraient en fonction de ses besoins.
Quelque chose clochait.
Quelque chose accentuait sa mauvaise humeur que Seokjin qualifiait souvent de banale et attendrissante. Min Yoongi se creusa la tête à la recherche de la raison expliquant son humeur bougonne et aucune ne lui parut satisfaisante.
Son travail ? Impossible. Ses dossiers ne franchissaient jamais la porte de l'appartement avec lui. C'était un ordre de Jimin qui l'arrangeait, car il lui permettait de se vider l'esprit après des journées trop longues.
Sa fatigue ? Peu probable. Il n'existait pas un seul jour depuis son adolescence où il ne se sentait pas exténué. Les cernes sous ses yeux n'aggravaient jamais son amertume.
L'absence flagrante de programme télévisuel intéressant ? Non plus. Les mêmes émissions se combattaient toujours lorsqu'il se posait sur le canapé pour ne rien faire et cela ne lui avait jamais posé le moindre problème.
L'absence de Jimin ? Peut-être. Son colocataire s'absentait de plus en plus de l'appartement et il commençait de plus en plus à ressentir ce manque. La présence constante de celui qu'il aimait qualifier comme son âme sœur paraissait aussi naturelle que sa propre respiration. Park Jimin, avec son sourire doux et ses yeux expressifs, lui manquait terriblement. Il aurait voulu commenter la chaîne parlementaire et imaginer des scénarios absurdes avec lui. Ils s'attelaient toujours à cette tâche à cette heure-ci normalement. Ils se posaient sur le canapé et articulaient les dialogues de leur télévision muette. Les phrases tournaient souvent autour des mêmes sujets. La beauferie décomplexée de leur imagination lui manquait. Et il devait se faire une raison : la chaîne parlementaire se révélait beaucoup moins amusante sans lui.
Yoongi ne pouvait cependant pas reprocher son absence à son colocataire. Il avait un rencard pour la première fois depuis plusieurs mois, voire année. Depuis qu'ils cohabitaient tous les deux dans le même appartement — sans les cinq autres énergumènes qui lui avaient certainement subtilisé quelques années de vie à force de l'exténuer — la vie sentimentale de son ami se résumait à quelques coups d'un soir. Cela ne satisfaisait pas Jimin. Tous connaissaient son envie de se poser avec une personne aimante.
Leur relation complexe à expliquer à tous ceux étrangers à leur univers finissait toujours par bouleverser les tentations de relations sérieuses entamées par l'artiste. Jimin et lui n'étaient pas vraiment amis. Ils étaient plus que ça. Quatre lettres ne parviendraient jamais à définir leur relation. Yoongi n'était même pas certain que des mots puissent un jour définir leur relation ! Il savait seulement qu'il aimait son cadet comme il n'avait jamais aimé personne dans sa vie. Même ses parents et cette épine dans le pied à l'humour plus que douteux qui lui servait de meilleur ami n'effleuraient pas son attachement pour Park Jimin. Ils ne pourraient cependant jamais être un véritable couple. Ça ne fonctionnerait jamais. Ils s'aimaient, mais ne s'attiraient pas. Ils en avaient toujours eu conscience. Et Jimin recherchait la personne parfaite pour comprendre tout ça.
« Fais chier ! »
Son grondement frustré résonna dans l'espace clos du salon. Yoongi secoua la tête pour chasser la jalousie s'imprégnant de son esprit. Il se sentit morose à imaginer une jolie fille arpenter les recoins de cet appartement. Il fallait absolument qu'il se change les idées et les deux chatons quémandant des caresses à un être humain dans l'écran de la télévision ne parvenaient pas à réaliser cette tâche. Il écrasa un pouce rageur sur le bouton de la télécommande avant de l'abandonner dans les coussins du canapé — il se détesterait plus tard lorsque la frustration de ne pas trouver l'objet se présentera à lui — et observa l'écran s'assombrir. Son cerveau travailla à vive allure pour trouver une occupation où l'absence de son colocataire ne l'attaquerait pas comme une fatalité. Tout dans son appartement le ramenait à Jimin et à son rencard avec cette jolie fille dont il parlait depuis plusieurs semaines. Les yeux noirs du procureur se posèrent sur la porte et une grimace passa en coup de vent sur son visage alors qu'une idée germait dans son esprit.
« Je dois être vraiment désespéré, souffla-t-il en traînant des pieds jusqu'à l'entrée. »
Le procureur traversa le désordre organisé de l'appartement, franchit le seuil de la porte, marcha quelques pas dans le couloir pour atteindre une porte identique à celle de son logement et stoppa son poing à quelques centimètres du battant. Avait-il vraiment envie de passer du temps avec son voisin ? Sa personnalité haute en couleur le rendait aussi exaspérant que tous ses proches et il n'avait pas envie de consumer sa batterie sociale en moins de dix secondes. Mais il s'ennuyait à mourir. Il était même certain que la mort pourrait s'avérer plus amusante que les dernières minutes de son existence. Prenant une inspiration pour se donner le courage nécessaire à l'épreuve qui l'attendait, il abattit le dos de ses phalanges contre le bois et le bruit résonna dans le couloir désert. Il entendit du vacarme de l'autre côté de la porte. Est-ce qu'une personne venait de faire une chute monumentale là-dedans ? Un rictus moqueur étira ses lèvres à l'image de son voisin se prenant les pieds dans son tapis sous le coup de la surprise.
Le battant de la porte s'ouvrit dans un grincement digne des plus mauvais films d'horreur. Son expression goguenarde disparut de ses traits à la vision horrifique de la silhouette de son voisin. Choi Minjae se maintenait contre l'embrasure de la porte, vêtu uniquement de ce peignoir en soie rouge qui devait coûter une fortune. Cette image rejoignit la nourriture de Namjoon et les blagues de Seokjin dans la liste de ses pires cauchemars.
« Par pitié, dis-moi que t'es pas à poil là-dessous, le supplia-t-il. »
Aucune réponse en dehors de son sourire plein de sous-entendus et de ses sourcils s'animant au-dessus de ses yeux. Si la morosité de son appartement ne lui donnait pas envie de s'enfouir six pieds sous terre à cet instant précis, Yoongi n'aurait pas hésité à prendre ses jambes à son cou pour ne plus jamais revenir dans cet immeuble. Un soupir quitta les lèvres de Yoongi alors qu'il pénétrait dans l'appartement. Il se débarrassa de ses chaussures d'un mouvement habile du pied sous les yeux de Minjae dont les traits se transformèrent pour afficher une moue circonspecte.
« Fais comme chez toi, souffla Minjae en refermant la porte.
— C'est ce que je compte faire, commenta-t-il. Je te rends la pareille pour toutes les heures passées chez moi. »
Choi Minjae résidait dans un appartement qui ressemblait à tous ceux de l'immeuble. Il s'ouvrait sur une pièce principale lumineuse desservant une chambre et une salle de bain. La seule différence notable avec les autres appartements de l'immeuble se résumait au mobilier. Jimin et Yoongi avaient opté pour une décoration simple où seul un canapé dénotait — ses anciens colocataires avaient tout mis en œuvre pour se débarrasser du meuble — alors que tout chez Choi Minjae respirait l'ostentatoire. Son canapé en velours rouge trônait au centre de la pièce et offrait une vue resplendissante sur un écran plat gigantesque.
Le procureur se traîna jusqu'au divan et il se laissa tomber aux creux de ses coussins doux alors que le propriétaire des lieux disparaissait derrière la porte de sa chambre. Il en ressortit quelques secondes plus tard, habillé d'un pantalon ample. Il ressemblait moins à une personne dérangée en pleine partie de jambe en l'air. Le procureur grommela lorsque Minjae souleva ses jambes pour s'asseoir sur le canapé. Elles retombèrent aussitôt sur ses cuisses.
« Que me vaut l'honneur de ta présence ? l'interrogea Minjae en posant ses yeux curieux sur lui.
— Je m'ennuyais.
— Tu pourrais mettre du tien pour me faire gober ça, souffla-t-il. Je te connais depuis assez longtemps pour savoir que tu aimes t'ennuyer donc crache le morceau. C'est Jimin ? »
Une grimace déforma les traits du procureur qui enfouit sa tête dans les coussins du canapé. Comment pouvait-il se montrer si perspicace ? Choi Minjae l'agaçait. Son côté papillon social le rendait appréciable par tous et il retenait toutes ces choses sur ceux qu'il rencontrait. C'était peut-être la raison pour laquelle il aimait tant passer ses nuits dans les bras de toutes ses personnes qui ne demandaient que de l'affection.
« Donc c'est bien Jimin, en conclut-il de son silence. Qu'est-ce qui se passe ?
— Je... »
Ses mots butèrent contre la barrière de ses lèvres. Il refusait que les mots qui brûlaient sa gorge ne lui échappent. Il refusait d'avouer sa peur de l'abandon. Il refusait d'avouer que l'absence de Park Jimin dans sa vie sonnait comme le plus des affreux des cauchemars. Il mordit ses lèvres avec anxiété et fronça les sourcils en captant les prunelles compatissantes de Minjae. Il avait la désagréable impression que ce dernier lisait en lui comme dans un livre ouvert.
« Il ne va pas disparaître de ta vie, lui assura-t-il. Je ne connais aucune personne sur cette planète qui puisse te supporter aussi bien que Jimin. Même si je dois avouer que je me débrouille plutôt pas mal dans ce domaine. T'en penses quoi ?
— Oh la ferme ! »
Yoongi se surprit à esquisser un sourire sincère lorsque le rire mélodieux de Minjae se propagea dans l'appartement. Il attrapa la télécommande que ce dernier lui tendit alors qu'il se redressait pour préparer des boissons chaudes. Une série quelconque l'accueillit lorsqu'il pressa le bouton allumant l'écran et il n'eut pas la moindre envie de changer de chaîne. Puis ce n'était pas s'il pouvait suivre la moindre émission avec l'abominable bruit de cafetières à quelques pas de lui.
« Tu prends ton café comme déjà ? cria Minjae pour couvrir le boucan de la machine.
— Court, noir, sans sucre.
— Comme un vieux donc, commenta-t-il en attrapant une tasse. Quoi ? s'étonna-t-il en captant son regard mauvais. Ce n'est pas de ma faute si tu bois ton café comme mon grand-père et que tu as encore moins d'énergie que lui. »
Yoongi ignora la réflexion de son voisin et plongea ses prunelles dans les images mouvantes de la télévision. L'immense écran sublimait chaque scène et Yoongi comprenait mieux la raison pour laquelle Jimin cherchait à tout prix à investir dans une télévision comme celle-ci. Il comprenait aussi pourquoi il passait tant de temps de ce côté du couloir. Minjae lui tendit un mug bariolé sans lui adresser le moindre regard et il se laissa tomber entre les coussins de son canapé. Il crut entendre un ricanement moqueur et le clic d'un appareil photo lorsque la boisson chaude brûla sa langue. Cela lui importait peu. Seules cette série étrangement passionnante et l'agréable amertume de la boisson chaude contre son palais importaient.
Des frappements répétés contre la porte tirèrent Yoongi et Minjae de leur contemplation de leur série. Le procureur ignorait combien d'épisodes ils avaient pu regarder, mais cela faisait bien longtemps que son café bouillant s'était transformé en souvenir. Il se remercia l'absence de liquide dans le mug coloré, car les coups contre la porte lui avaient arraché un sursaut tel que la majeure partie de sa boisson se serait retrouvée sur le canapé. Il n'était pas certain que Minjae aurait apprécié l'apparition soudaine d'une tache brunâtre sur le velours de son canapé. Ce dernier se redressa dans un mouvement exténué. Ses yeux ne quittèrent pas une seule seconde l'écran de la télévision alors qu'il se dirigeait vers l'entrée de son logement. Le battant s'ouvrit sur une silhouette surmontée de cheveux prune et Yoongi fronça les sourcils en reconnaissant l'expression incertaine de Namjoon.
« Je peux savoir pourquoi vous venez tous squatter chez moi ? se plaignit Minjae en se décalant pour le laisser pénétrer dans son appartement.
— Y'avait personne en face, remarqua Namjoon en se débarrassant ses chaussures d'un coup de pied. Salut Yoongi !
— 'Lut. »
Les deux silhouettes le rejoignirent au milieu des coussins. Yoongi se retrouva pris en sandwich entre eux et il ne put s'empêcher de se faire la réflexion que le canapé était trop étroit pour leurs trois corps. L'appartement de Choi Minjae nécessitait un sofa plus large. Il se sentait presque étouffer entre eux. Yoongi secoua les épaules pour se faire une place plus agréable et esquissa une moue boudeuse en remarquant que ses mouvements empiraient sa situation.
« Pourquoi tu voulais nous voir ? interrogea-t-il son ancien colocataire.
— Je crois que je suis amoureux. »
Un nouveau soupir abandonna les lèvres de Yoongi. Il ne se considérait pas comme une personne particulièrement apte à donner des conseils sur ce sujet à Namjoon. Ses relations se comptaient sur les doigts de la main et ses conseils se résumaient toujours à une seule phrase : fonce et avise après. Seokjin lui avait plusieurs fois reproché de donner de très mauvais conseils en amour et il ne pouvait pas vraiment s'offusquer de cette remarque. Seokjin avait raison ; il avait trop souvent raison à son goût. Depuis, Yoongi se taisait et il laissait les autres faire. Il n'était pas certain que l'autre — Minjae et son sourire malicieux — soit une meilleure option.
« Pourquoi t'es pas chez Hoseok ou Seokjin ? risqua-t-il.
— Seokjin a un rendez-vous avec un vendeur de café ou un truc du genre et j'ai interdiction de mettre les pieds là-bas aujourd'hui, bouda-t-il. Et Hoseok a d'autres choses à faire, comme récupérer les nuits que le petit ange lui vole.
— Pas faux, admit-il.
— Je peux donner des conseils, commenta Minjae. C'est déjà ce que je faisais de toute façon. »
Le regard menaçant de Yoongi ne sembla pas l'atteindre. Il osa même afficher un sourire si large qu'il aurait pu se décrocher la mâchoire. Le procureur lui asséna un léger coup de coude dans les côtes pour affirmer son mécontentement. Pourquoi fallait-il toujours que Minjae se moque de lui ? L'incompréhension dans les prunelles de Namjoon s'étendit au reste de son visage ; ses sourcils se froncèrent légèrement et sa bouche s'entrouvrit comme s'il s'apprêtait à poser une question. Il se résigna et haussa les épaules. Minjae analysa son mouvement comme une autorisation et lui asséna toutes ces questions qui transformèrent le visage expressif du scientifique en une tomate mûre.
« Laisse-le respirer, l'arrêta Yoongi. Il va nous faire une syncope si tu fais pas de pause.
— Mais il a encore rien dit, se plaignit-il.
— Je suis toujours là, remarqua Namjoon alors qu'ils se jetaient des œillades compétitives sans aucune raison. Elle s'appelle Sowon et c'est une amie d'enfance. »
Les sourcils de Yoongi se froncèrent. Ses vagues connaissances de l'enfance de son colocataire se résumaient aux clichés sur les enfants nobles. Des péripéties dignes des meilleurs épisodes de Gossip Girl apparaissaient dans son esprit à chaque fois qu'il imaginait la vie des enfants les plus influents de la capitale. Dans son imaginaire, Namjoon revêtait le rôle du garçon sympathique. Yoongi croisa les doigts pour que la sœur jumelle de son ami ne puisse pas lire dans ses pensées. Elle lui faisait parfois plus peur que Taeyeon et ses jurons imagés dès qu'elle butait sur un dossier.
« Elle est pétée de thune ? l'interrogea Minjae sans la moindre once de tact.
— On peut dire ça, éluda Namjoon. Mais elle est surtout brillante et elle a toujours des trucs intéressants à dire. Je pourrais l'écouter parler et rire pendant des heures.
— Pourquoi tu lui as pas demandé un date ? se questionna Yoongi.
— Ça me fait peur, avoua-t-il. Et si elle me trouvait chiant ?
— Tu ne te rapproches pas du tout de ma conception du mot chiant, commenta Minjae en lui adressant un sourire communicatif dont lui seul possédait le secret. Puis je ne vois pas pourquoi elle te dirait non. T'es ultra canon, intelligent et t'as le cœur sur la main. Je crois que ton seul défaut se résume à ton incapacité de préparer quelque chose de mangeable. »
Un coussin en velours camoufla le visage brûlant de Namjoon. Le procureur retint un ricanement attendri avant de se reconcentrer sur la télévision. Ils avaient manqué un épisode entier à écouter les inquiétudes de Namjoon. Les chamailleries et railleries de ses voisins de canapé accompagnèrent son visionnage. Il abandonna une dernière pensée à Jimin avant de se plonger dans ce nouvel épisode comme si sa vie en dépendait. Il n'avait pas besoin de plus que ses amis et une série médiocre pour tuer le temps.
BAN SUYEON
Les battements sonores et réguliers de son cœur assourdirent une jeune femme debout aux pieds d'une enseigne à la devanture décorée de centaines de fleurs colorées. Leurs doux parfums inondèrent ses sens sans pour autant chasser cette pointe d'anxiété qui lui collait à la peau depuis qu'elle avait quitté le confort de son appartement. Elle ne s'était pas sentie aussi nerveuse depuis qu'elle avait pris pour la première fois l'avion toute seule. Cette panique familière ne lui avait pas manqué. Elle se serait bien passée de ses mains moites, de sa bouche pâteuse et de son envie de fuir pour se rouler en boule sous sa couette. Elle savait pourtant qu'elle n'avait aucune raison de paniquer. Elle avait un rendez-vous avec un garçon qui lui plaisait et avec lequel elle avait déjà eu l'occasion de discuter. Cette journée revêtait une allure totalement différente de leurs précédentes rencontres. Elle ne serait plus la jeune femme qui passait du temps dans le cours de danse de Jung Hoseok et il ne serait pas le meilleur ami du professeur au sourire contagieux. Elle serait Ban Suyeon et il serait Park Jimin.
Elle n'avait aucune raison de paniquer.
Park Jimin ne lui donnait aucune raison de penser une mauvaise après-midi. Il n'apparaissait pas comme une personne particulièrement désagréable. Aucune preuve n'appuyait cette peur irrationnelle qui l'habitait depuis qu'elle avait quitté le confort de son minuscule appartement. Alors pourquoi ses mains ne cessaient-elles de trembler ? Pourquoi ressentait-elle le besoin de se ronger les ongles alors que cela faisait plusieurs années qu'elle avait arrêté ?
« Reprends-toi Suyeon, se murmura-t-elle. Tout se passera bien. Respire. »
Elle répéta ce mantra plusieurs fois. Les battements de son cœur ralentirent à mesure que ces quelques mots franchirent la barrière de ses lèvres. Ses craintes disparurent à chaque inspiration régulière. La panique revint à la charge lorsque la silhouette familière de Park Jimin se dessina au coin de la rue. Ses cheveux roux retombaient sur son front et ses petits yeux en amande, protégés par d'épaisses montures, analysaient avec minutie les endroits où il déposait ses béquilles. Suyeon le trouva adorable et elle se demanda si elle était à la hauteur. Son côté fleur bleue lui déplairait-il ? Détesterait-il son envie de romantisme ou les différentes nuances de pastel qui décoraient toujours ses ongles ?
Elle ne pouvait pas s'empêcher de se poser toutes ces questions idiotes. Puis il la remarqua et son sourire imparfait chassa toutes ses craintes. Ses lèvres s'étirèrent alors qu'il claudiqua dans sa direction et elle sentit son visage chauffer lorsqu'il l'entraîna dans une étreinte chaleureuse. Elle ne s'était pas attendue à ce qu'il se montre aussi tactile et elle bafouilla maladroitement quelques mots pour le saluer.
« Tu es arrivé depuis longtemps ? s'inquiéta-t-il.
— Pas du tout. »
Un mensonge.
Elle haïssait la simple idée d'arriver en retard et elle avait tendance à toujours manquer les transports en commun. Cette crainte lui avait fait quitter son appartement avec presque deux heures d'avance. Quelques stations la séparaient de l'établissement, mais cela ne lui avait pas empêché de quitter le logement avec beaucoup plus d'avance que nécessaire. Elle ignorait si c'était l'impatience de revoir cet homme ou si l'angoisse de paraître impolie en arrivant en retard qui l'avaient poussée à se précipiter hors de chez elle. Elle ne lui avouerait pas tout de suite.
« Je suis arrivée il y a cinq minutes, compléta-t-elle.
— J'avais peur d'être en retard, ria-t-il en passant une main dans ses cheveux, manquant de faire tomber sa béquille. Merci, ajouta-t-il lorsqu'elle la rattrapa. Yoongi m'aurait tué si je me ramenais encore avec une béquille cassée. »
Ce n'était pas la première fois que Suyeon entendait ce prénom. Il paraissait si naturel dans les lèvres de Jimin. Elle ne posa pas la question qui lui brûlait les lèvres. Elle avait plusieurs heures pour lui poser des questions autour d'une boisson chaude. Le rouquin se pencha vers la poignée et il poussa la porte avant de s'engouffrer à l'intérieur du café. Une bonne odeur de gâteau, de sucre et de boissons chaudes planait dans l'air. Elle en eut l'eau à la bouche. Elle mourrait d'envie de siroter un chocolat chaud avec plus de crème fouettée que de boisson. Jimin l'entraîna vers une table reculée et il l'invita à s'asseoir d'un mouvement de la main.
« J'espère que tu aimes les fraisiers, commença-t-il. Ils font les meilleurs de toute la capitale.
— J'adore ça, le rassura-t-elle. Je pense que je vais adorer tout ce qu'ils font. »
Un sourire victorieux naquit sur les lèvres de Jimin et elle ne parvint pas à retenir le rire discret qui abandonna ses lippes. Le garçon avec lequel elle partagerait ses prochaines heures se montrait attendrissant et plein de vie. Son énergie offrait les bienfaits d'une bouffée d'air frais en pleine canicule. Puis elle aimait son sourire ; il dévoilait des dents qui se chevauchaient parfois et restait communicatif. Elle voulait lui donner l'occasion de l'afficher le plus souvent possible.
L'arrivée du serveur calma ses pensées et elle s'empressa de commander un chocolat liégeois — avec un supplément chantilly parce qu'il n'y avait jamais assez de chantilly — et un fraisier. Satisfait par sa commande, Jimin lui adressa un clin d'œil complice. Elle lui répondit par un nouveau lire lorsqu'il désigna le plat trônant au milieu de la table voisine du bout de son index.
« J'avais peur de venir, avoua-t-elle d'une petite voix lorsque le serveur s'éclipsa.
— Ah ? s'inquiéta-t-il. C'est parce que Hoseok t'a parlé de mes goûts musicaux douteux et qu'on est pas du tout compatible ? la théâtralité de sa voix et de ses expressions lui arracha un rire franc. Tu as un très beau sourire. »
Ses joues s'empourprèrent une nouvelle fois et elle se sentit idiote de réagir comme une adolescente incapable de recevoir un compliment sans se métamorphoser en tomate. Mais ses réactions, moins viscérales et teintées de panique, la confortaient dans son envie de découvrir ce garçon aux cheveux orange.
« Ça fait très longtemps que je n'ai pas eu de date, avoua-t-elle, et je ne sais plus comment faire. Enfin si c'est bien un date, s'empressa-t-elle d'ajouter.
— C'en est un, confirma-t-il. Et on est deux à ne pas avoir eu de rencard depuis longtemps. On peut être maladroit et gênant ensemble si tu veux. »
Ses épaules se relâchèrent de cette pression étouffante. Il ne pouvait pas imaginer comme cette simple réflexion la rassurant. Suyeon retint un ricanement derrière sa main lorsque son date bondit sur sa chaise après l'apparition soudaine du serveur dans son dos. Puis ses yeux s'illuminèrent à la vision de la pâtisserie sucrée et ses mains se rejoignirent dans un clappement joyeux. Il ressemblait à un enfant impatient de recevoir son goûter et elle trouva cette facette de sa personnalité terriblement attachante. Elle comprit sa hâte dès que les gâteaux se trouvèrent sous ses yeux. Une crème onctueuse enveloppait les fruits frais et un coulis coulait sur les bords, débordant sur une assiette à dessert où quelques fraises avaient été abandonnées. Puis son chocolat chaud ! Il paraissait succulent. Sa couleur lui rappela les souvenirs de son enfance et les boissons hivernales que lui préparait sa grand-mère. Ses yeux pétillants se portèrent sur la silhouette de Jimin. Il lui offrit ce sourire chaleureux qui provoquait la fonte de son cœur et il l'invita à se servir d'un mouvement de la tête.
Sa fourchette s'enfonça dans la crème à dessert et se planta dans une fraise rouge. Elle la porta à ses lèvres et sa bouche se referma autour du collet. Un gémissement heureux lui échappa lorsque le goût somptueux explosa sur ses papilles comme un feu d'artifice. Sa réaction sembla plaire à Jimin, car ses prunelles étincelèrent de satisfaction.
« C'est délicieux ! s'exclama-t-elle.
— Je savais que ça allait te plaire, sourit-il. »
Son chocolat chaud rivalisait avec toutes les autres boissons chaudes qu'elle avait eu l'occasion de boire au cours de sa vie. Seule sa grand-mère confectionnait des boissons comme celle-ci et cela lui rappela les weekends passés dans sa maison de campagne. Un esclaffement amusé s'échappa des lèvres de Jimin alors qu'elle lui partageait cette anecdote de son enfance. Ils enchaînèrent sur certains souvenirs improbables et s'embarquèrent dans des descriptions de détails inexplicables de leur vie respective. Elle comprit qu'il avait dansé de nombreuses années avant de s'arrêter à cause de ses jambes et elle lui avoua qu'elle n'appréciait pas particulièrement le sport même si elle en avait pratiqué plusieurs au cours de son adolescence.
« Comment as-tu rencontré Hoseok si tu n'as jamais fait de danse ? lui demanda-t-il lorsqu'elle eut terminé d'énumérer tous les sports qu'elle avait pratiqués.
— J'accompagne ma colocataire, expliqua-t-elle. C'est la fille blonde qui vient deux fois par semaine.
— La Canadienne ? »
Suyeon acquiesça d'un mouvement de la tête et un rire franc quitta aussitôt les lèvres de l'ancien danseur. Ses sourcils se froncèrent instinctivement à cette réaction soudaine. Il s'empressa de taire ses inquiétudes d'un mouvement de la main.
« Hoseok a paniqué lorsqu'il l'a vu au studio pour la première fois, expliqua-t-il sans se défaire de son sourire. Il ne parle pas du tout anglais. J'aurais tout donné pour voir son soulagement lorsqu'il a compris qu'elle parlait coréen.
— Deborah a vécu presque toute sa vie ici, expliqua-t-elle sans parvenir à camoufler son amusement. Et toi ? D'où connais-tu Hoseok ?
— C'était un de mes six colocataires, commença-t-il. On vivait tous dans cet immense appartement et il m'a souvent empêché d'arriver en retard en cours. »
Ses traits respiraient la nostalgie. La jeune femme ne put s'empêcher de sourire. Elle ressentit tout son attachement pour chaque personne de son ancienne colocation dans chacune de ses syllabes. Elle reconnut sa propre relation avec Deborah dans ses mots. Elles vivaient ensemble depuis si longtemps que son amie s'était transformée en une extension de son âme. Elles avaient vécu tellement d'aventure ensemble qu'elle ne s'imaginait plus son existence sans elles.
Les conversations s'enchaînèrent avec un naturel déconcertant. Chaque mot amenait une nouvelle réflexion et lançait une nouvelle discussion. Elle aima tant sa personnalité solaire qu'elle en oublia presque son chocolat chaud sur le rebord de la table. La bonne odeur de cacao sucré se mêla à celle de la crème fouettée. Son estomac émit un gargouillement sonore. Elle porta la lourde tasse à ses lèvres pour camoufler son embarras derrière la céramique. L'onctuosité de la boisson roula sur son palais et réchauffa son œsophage. Elle capta le sourire malicieux de Jimin lorsque sa tasse retrouva sa place sur le bois de la table. Il tendit le bras dans sa direction, s'arrêta à quelques centimètres de ses lèvres, ne chercha pas à camoufler la moue incertaine qui anima ses traits, et plongea ses yeux dans les siens.
« Je peux ? »
Suyeon acquiesça d'un mouvement timide de la tête. Le bras du garçon parcourut la courte distance qui le séparait de son visage. La pulpe de son pouce glissa sur la moustache de mousse de cacao au-dessus de ses lippes. Suyeon sentit son visage se réchauffer lorsqu'il ramena son doigt à ses propres lèvres pour faire disparaître les dernières traces de cacao. Le dernier neurone de son cerveau venait de disjoncter et elle était persuadée qu'il entendait les battements frénétiques de son cœur. Il imita ses mouvements en camouflant sa gêne derrière sa tasse pleine. Cherchait-il aussi à faire taire les boums-boums assourdissants de son palpitant ?
« Ton chocolat liégeois est très bon, commenta-t-il.
— Mer... merci, bafouilla-t-elle.
— Oh mon dieu ! s'exclama-t-il en plongeant ses yeux expressifs dans les siens. Je recommence, c'est ça ? Mes colocataires me disaient toujours que je n'arrivais jamais à réfléchir normalement lorsque je suis en date. Je fais toujours des trucs qui mettent mal à l'aise apparemment. Ça en fait partie ? »
Note mentale : Park Jimin s'exprime à toute vitesse lorsqu'il panique.
Un rire amusé s'échappa des lèvres de la jeune femme lorsqu'elle se fit cette réflexion. Il ne souhaitait pas la mettre mal à l'aise et elle trouva cette facette de sa personnalité attachante. Ses derniers rencards se souciaient à peine de sa présence et préféraient se focaliser sur cette envie commune de la ramener dans un motel bon marché. Elle avait toujours coupé court aux conversations. Elle ne souhaitait pas se mettre en couple avec une personne dont le but se résumait à se réconforter sur un atout de séduction. Jimin ne rentrait pas dans cette case-là. Elle le lisait dans chacune de ses réactions.
« Un peu, rigola-t-elle, mais ne t'inquiète pas. Je ne suis pas traumatisée.
— Ouf ! »
Suyeon se surprit à vouloir découvrir toutes ces petites choses inutiles au sujet de Park Jimin. Comment prenait-il son petit-déjeuner ? A quelle température prenait-il sa douche ? Avait-il tendance à s'emmitoufler dans la couette ? Ses questions anodines traversèrent son esprit et elle eut l'impression de devenir ce cliché féminin de comédie romantique. Ils ne sortaient même pas ensemble ! Et elle voulait déjà savoir s'il volait la couette dans son sommeil. Elle savait pourtant qu'elle ne répondrait pas négativement s'il le lui proposait.
Ils discutèrent de tout et de rien durant plusieurs heures. Deux boissons chaudes suivirent leur première commande et ils partagèrent un fraisier par pure gourmandise. Lorsque leur troisième tasse disparut de la table, la soirée s'entamait. Ils devaient retourner à leurs obligations respectives. Ils quittèrent l'établissement et se saluèrent poliment. Suyeon crut imploser lorsque les lèvres de Jimin se posèrent à la commissure des siennes et elle bredouilla une réponse positive lorsqu'il lui demanda s'il pouvait la rappeler. Puis il disparut avant même qu'elle ne puisse retrouver le plein contrôle de ses membres. Elle s'empressa de prendre son téléphone portable et chercha à toute vitesse un numéro dans ses contacts favoris. Chaque tonalité accentua son impatience et elle pria pour ne pas tomber sur une messagerie.
« Allô ? fit une voix féminine de l'autre côté du combiné.
— Tu ne devineras jamais comment ça s'est passé, Debo ! s'exclama-t-elle joyeusement en prenant la direction de la station de métro la plus proche.
— Si j'en crois ta voix, commença sa colocataire dont le sourire se percevait dans ses intonations, je dirais super bien. Il est aussi adorable que je le pense ?
— Encore plus ! »
Alors qu'elle parcourait le chemin qui la séparait de son logement, slalomant entre les passants et pénétrant dans une bouche de métro bondée, elle narra son rendez-vous avec Park Jimin. Elle aborda toutes ces petites choses qui lui avaient plu chez lui. Elle se sentit redevenir cette adolescente amoureuse qu'elle avait été. Sa colocataire s'enthousiasma des détails et elle creusa dans les généralités.
« Tu penses que vous allez vous revoir ? demanda Deborah lorsqu'elle eut terminé de raconter les dernières heures de sa vie.
— J'espère, souffla-t-elle. Ça serait bizarre de dire que j'ai hâte ?
— Pas vraiment, rit sa colocataire.
— Alors j'ai hâte de le revoir. »
PARK JIMIN
Incapable de se défaire du large sourire étirant ses lèvres, Park Jimin déverrouilla la porte de son immeuble et s'engouffra dans le hall d'entrée. Les portes se refermèrent derrière son dos alors qu'il claudiquait dans le couloir menant à son appartement. Lorsque le battant s'ouvrit sur cette odeur rassurante et cet environnement familier, il se surprit à ne pas entendre le son de la télévision ou les ronflements étouffés de son colocataire. Yoongi s'éclipsait rarement de l'appartement. Il ne le quittait pas s'il n'avait pas d'obligation ou si une personne — souvent Seokjin ou Taeyeon — l'entraînait dans les rues de la capitale pour une journée qui le fatiguerait.
Ses sourcils se rejoignant au milieu de son front, Jimin jeta une œillade circulaire à la pièce principale et l'absence du procureur le frappa de plein fouet. Même l'immonde canapé lui parut froid. Et le canapé ne paraissait jamais froid dans cet appartement. Il se traîna jusqu'à la chambre et il y découvrit un lit parfaitement bordé. Son sourire se fana. Yoongi ne se trouvait pas dans l'appartement. Il ne le quittait jamais sans lui adresser un petit message. Une inquiétude illogique s'empara de chaque cellule de son corps. Il extirpa son téléphone et parcourut la liste de ses contacts à la recherche d'une personne qui pourrait lui donner des nouvelles du cachet d'aspirine qui lui servait de colocataire.
A : Jinnie
« Tu ne saurais pas où se trouve Yoongi ? »
Son téléphone vibra dans ses mains à peine le message envoyé et le nom de son ancien colocataire s'afficha en haut de l'écran. Il s'empressa de cliquer sur la notification et il articula à voix basse chaque mot écrit par Seokjin.
De : Jinnie
« Je n'ai pas eu de nouvelles de lui aujourd'hui, mais tu sais comment il est.
Il s'est peut-être fait kidnapper par quelqu'un qui a décidé d'aspirer le reste de son énergie. »
Un son entre le ricanement et le soupir franchit la barrière de ses lèvres. Il n'aurait pas pu rêver mieux pour une réponse de Seokjin. Ce dernier ajouta dans un autre message de le prévenir lorsqu'il mettrait la main sur lui. Il n'avait aucune raison de s'inquiéter. Min Yoongi était un homme adulte et il ne disparaissait jamais bien longtemps.
Jimin se précipita hors de l'appartement et il asséna de multiples coups sur la porte de son ancien camarade de promotion dans une ultime tentative de remettre la main sur Yoongi. Il entendit une plainte et des pas traînants derrière le battant. Il s'ouvrit sur le visage décomposé de Minjae. Ses lèvres figées dans un sourire crispé se détendirent lorsqu'il reconnut sa silhouette et ses yeux étincelèrent d'espoir.
« Sauve-moi ! le supplia-t-il. Ils sont insupportables et ils n'arrêtent pas de commenter ma série ! »
L'ancien danseur amorça un premier pas dans l'appartement de Minjae sans se défaire de ses sourcils froncés par l'incompréhension. Puis il découvrit les deux silhouettes avachies sur le canapé en velours rouge et il n'eut aucune difficulté à reconnaître leurs traits. Ils ne quittèrent pas une seule seconde le grand écran de la télévision où une série qu'il ne connaissait pas s'animait. Yoongi et Namjoon commentaient parfois les actions des personnages comme s'ils se trouvaient dans la même pièce qu'eux. Jimin adressa un sourire compatissant à Minjae avant que ce dernier ne se jette dans ses bras.
« Ils sont ici depuis longtemps ? demanda-t-il.
— Trop longtemps, se plaignit Minjae en enfouissant sa tête contre son torse sans pour autant répondre à sa question. Pourquoi ils viennent me voir quand ils s'ennuient ? »
Minjae desserra son étreinte pour essuyer une larme factice sous son œil et il se traîna jusqu'au canapé sans cesser de se plaindre. Jimin le suivit sans retenir un sourire amusé. Il se comportait toujours autant comme une drama queen. Tout se transformait en fin du monde pour Choi Minjae. Le garçon aux cheveux roux se glissa derrière Yoongi et il lui camoufla les yeux de ses mains.
« Devine qui c'est ! »
Un grognement ressemblant vaguement à son prénom lui répondit et Jimin ne put retenir le large sourire qui se dessina sur son visage. Son colocataire paraissait tellement subjugué par la série que tout stimulus extérieur lui parvenait comme une agression. Les mains de l'artiste abandonnèrent les yeux de son colocataire pour se poser sur ses épaules et il trouva une place confortable pour son menton au sommet de son crâne. Yoongi ne chercha pas à le chasser. Cette position leur était habituelle. Adossé contre son plan de travail, Minjae émit une plainte audible et un rictus étira ses lèvres lorsque six yeux se portèrent sur sa silhouette.
« Vous voulez boire un dernier truc avant que je ne vous chasse de chez moi ? leur demanda-t-il.
— La saison n'est pas finie, se plaignit Namjoon.
— Elle le sera dans deux épisodes, précisa le propriétaire des lieux. Donc ?
— Café, répondit Yoongi avant de reporter son regard sur la télévision.
— Un thé à la réglisse, prononça Namjoon, dévoilant ses fossettes dans son sourire.
— Je ne sais même pas pourquoi j'ai ça chez moi, se plaignit Minjae. Jimin ?
— Un verre d'eau suffira. Je vais t'aider. »
L'ancien danseur parcourut la distance qui le séparait du plan de travail et il s'affaira à préparer les boissons avec son ami. Il sentit ses regards insistants et il perçut sa moue quémandeuse de détails lorsque ses yeux avaient le malheur de passer plus d'une seconde sur sa silhouette. Sa présence réveillait la curiosité naturelle de Choi Minjae et Jimin ignorait s'il pourrait rester énigmatique plus longtemps.
« Alors ? commença son ami sans se défaire de son sourire. Elle est comment ?
— Adorable, admit-il. Ça s'est super bien passé.
— Vous allez vous revoir ?
— J'espère. »
Jimin sentit ses lèvres s'étirer dans un de ces sourires mielleux qui l'auraient rendu malade quelques mois plus tôt et il chercha à éviter le rougissement de ses joues en posant ses mains sur celles-ci. C'était peine perdue. La chaleur se propageait déjà de ses oreilles à sa nuque. Minjae allait forcément remarquer son état. Il en eut la confirmation lorsque la main amicale de son ami ébouriffa ses cheveux.
« Je suis content pour toi, lui assura-t-il d'un ton étrangement sérieux. Tu mérites de passer le reste de ta vie avec une personne merveilleuse et Suyeon a l'air de cocher pas mal de cases. Mais ça va bien se passer avec lui ? »
Son ancien camarade de promotion désigna d'un geste du menton la silhouette avachie sur le canapé de Yoongi et le cœur de Jimin se serra aussitôt dans sa poitrine. Il n'en avait pas la moindre idée. Il savait sa relation avec son colocataire — ils le savaient tous — mais il ignorait encore ce que la nouveauté apporterait à leur bulle. Cohabiteraient-ils ? Se sépareraient-ils ? Jimin se sentait bien incapable de répondre à ces questions ou de prédire l'avenir. Il se savait incapable d'abandonner Yoongi. La présence de cet homme dans sa vie lui paraissait aussi vitale que chaque inspiration. Mais Suyeon lui plaisait plus que n'importe quelle fille qu'il avait pu rencontrer au cours des dernières années et il souhaitait la revoir le plus rapidement possible. Minjae perçut les rouages de son esprit s'activer, car il laissa échapper un soupir si long que ses poumons durent se vider. Son bras entoura les épaules de Jimin.
« Oublie ma question, le rassura-t-il. Vous aviserez au dernier moment comme à chaque fois et vous trouverez un compromis qui fonctionne parfaitement pour tout le monde. C'est comme ça que vous fonctionnez tous les sept de toute façon.
— Vraiment ? s'étonna Jimin. Je n'avais jamais remarqué.
— Tu fais partie des sept, commenta Minjae. Vous ne pouvez pas percevoir vos relations d'un point de vue extérieur. Puis ça serait moins drôle si vous en aviez réellement conscience.
— T'es vraiment pas... commença-t-il.
— Vous avez trouvé le sens de la vie au fond de la bouilloire ? les interrogea la voix plate de Yoongi depuis le canapé. On sait déjà que c'est quarante-deux.
— On arrive ! s'exclama Minjae. Qu'ils sont impatients. »
Un rire s'échappa des lèvres de l'ancien danseur alors qu'il serrait son verre d'eau dans sa main droite et la tasse pleine de café bouillant de son colocataire dans l'autre. Il la lui tendit sans que ce dernier ne quitte une seule seconde la télévision du regard. Les images de la série dansaient dans ses prunelles attentives et cela arracha un sourire à Jimin. Il avisa la place restante sur le divan et préféra s'asseoir à même le parquet. Les jambes de Yoongi restaient un bien meilleur dossier que n'importe lequel des coussins. Les doigts fins du procureur se perdirent aussitôt dans ses mèches rousses, provoquant ce discret soupir de bonheur. Puis la voix de Namjoon, remerciant le propriétaire des lieux pour son thé à la réglisse, le tira de la somnolence qui le guettait.
« Je me pose une question depuis tout à l'heure, commença-t-il en se tournant vers son ancien colocataire. Qu'est-ce que tu fais ici ?
— Il est amoureux et il cherchait des conseils chez vous, répondit Minjae dont le rictus malicieux s'élargissait à chaque seconde. Il est venu se perdre ici parce qu'il n'y avait personne dans votre appartement. Et sûrement parce que je suis un bien meilleur conseiller que vous.
— C'est une façon de le dire, souffla Namjoon avant de prendre une gorgée de thé.
— Vraiment ? s'enthousiasma Jimin, ignorant la pique de son ami. Raconte ! Je veux tout savoir. C'est une fille ? Un garçon ? C'est quoi son nom ? Iel est...
— On en parle après la fin de la saison, l'interrompit Namjoon. Promis. »
Un sourire satisfait naquit sur les lèvres de Jimin et il reprit sa place contre les jambes de son colocataire. Il crut percevoir son ricanement discret et il lui jeta un regard par-dessus son épaule. Leurs regards se rencontrèrent et Jimin lut une forme de tristesse dans les prunelles du procureur. Yoongi partageait sa crainte. Il se sentait tout autant terrifié par l'arrivée d'une nouvelle personne dans leur vie. Sa peur de l'abandon interceptait souvent ses rêves, les transformant en des cauchemars dont seul Jimin avait connaissance. Et il ne voulait pas rendre réelles ses angoisses. Sa main vint trouver celle de son colocataire dans ses cheveux et il la serra entre ses doigts. Il espérait qu'il comprenne les non-dits de son geste.
« Je ne partirai pas. Je te le promets. »
ça faisait longtemps que je n'avais pas repris mon clavier pour vous écrire la vie de ces personnages là. je n'arrivais pas beaucoup à écrire sur bts (et c'est toujours un peu le cas) mais cette série est un peu ma comfort fic. donc me revoilà pour les quatre chapitres de threesome.
j'espère que vous avez apprécié votre lecture :)
on se retrouve pour la publication du chapitre deux le premier weekend de octobre !
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