Chapitre 6
Encore une petite dizaine de minutes et je serais arrivée à la piscine.
J'ai hâte, hâte de m'immerger jusqu'à ne plus sentir mes poumons. Hâte de nager jusqu'à ne plus sentir mes muscles. Hâte que l'eau vienne tuer mes pensées et enlever un peu de ma pression quant à ce soir.
Je ne pense plus à l'ennuyant incident de tout à l'heure, je ne pense plus à cet étrange sentiment qui m'a étreinte pendant un court instant, ce sentiment qui se préoccupait de Taehyung. Je ne sais pas ce que c'était, mais ce n'était pas moi.
Je suis simplement soulagée, car je sais que maintenant Taehyung ne viendra plus jamais m'ennuyer. Je ne sais pas ce qu'il espérait de moi, mais il aurait dû s'en douter, je lui avais bien dit que jamais rien de bon n'arrivait lorsque l'on était à mes côtés.
Mine de rien, tout le monde a ses problèmes, et j'aimerais bien que les miens soient aussi simples que de me faire péter le nez par une bande de petits voyous. M'enfin bon.
Je tourne à la fin de l'allée, passe le portail laissé ouvert qui mène à la route, sans vraiment faire attention à ce qu'il se passe autour de moi.
Je suis soudain propulsée en avant alors qu'une main s'empare de la mienne et me force à courir.
- C'est quoi ce bordel ?
Mes écouteurs tombent et viennent traîner derrière moi alors que nous courrons toujours plus vite.
- Taehyung ?! je m'écrie avec surprise en avisant le garçon qui me tire à ses côtés en me regardant, un grand sourire plaqué au visage.
- Dépêche, ils arrivent !
Je jette un coup d'œil derrière moi et avise la petite bande de tout à l'heure qui de toute évidence est occupée à le menacer et à l'insulter de tous les noms.
Je laisse Taehyung me traîner jusqu'au tournant de la rue avant de dégager mon bras avec violence.
- Bordel mais t'es un vrai pot de colle ! Pire qu'une sangsue !
- J'allais pas te laisser partir tranquille alors que tu m'as gentiment laissé aux mains d'une bande de gorilles arriérés.
Il doit bien être le seul garçon sur terre à rire du fait qu'on l'a abandonné à se faire tabasser.
Il faudra quand-même m'expliquer ce que j'ai fait pour mériter ce cas social dans mes pattes.
- Même te faire démonter la gueule tu peux pas le faire docilement hein ? je grogne. T'attends vraiment que ce soit moi qui le fasse ou bien ?
Contre toute attente, il explose de rire face à moi, d'un grand rire qui vient illuminer son visage.
- T'es bien unique en ton genre, toi. La seule dans ton espèce, lâche-t-il alors qu'il se calme avec difficulté.
- Je pourrais te retourner le compliment, je marmonne.
- Et sinon, tu vas où ? Me demande-t-il de bonne humeur, son sourire carré de retour sur ses lèvres.
- Je viens de t'abandonner à te faire tabasser par une bande de dégénérés et tu me demandes encore où je vais ? je lâche, ahurie.
- Ben, ouais ? Je sens que tu vas rendre mon week-end beaucoup plus intéressant, alors je pense que je vais rester avec toi.
- Non, merci, c'est pas marqué "attraction touristique" sur mon front.
- Oh, fais gaffe, tes écouteurs pendent, ils risquent de se péter, lâche-t-il en se penchant, attrapant le câble blanc qui s'échappait de ma poche.
Je reste là à le fixer, les bras ballants et la bouche entrouverte. J'hallucine.
Vraiment, je commence à croire que ce gars est retardé, simplement. Il n'y a pas d'autre explication possible. Il est stupide, d'une stupidité incroyable, et puis c'est probablement tout.
Et ça me gave.
Je pense qu'il ne me prend pas suffisamment au sérieux.
Lorsque j'y pense, je ne cesse de lui répéter que s'il m'approche à nouveau, je me montrerais violente, mais je n'ai jamais rien fait.
Des paroles en l'air, du bluff, voilà ce qu'il doit penser que je fais.
Ça suffit.
Je sens mes pupilles s'assombrirent alors que mes poings se serrent. Je vais lui donner une bonne leçon.
Étrangement, de manière synchrone à mes phalanges, c'est mon coeur qui se compresse un petit peu dans ma poitrine.
Peut-être parce que je me retrouve encore à repousser l'une des seules personnes pouvant encore s'intéresser à moi. Taehyung est sans aucun doute la dernière, même.
Je laisse échapper tout l'air qu'il restait dans mes poumons en une respiration brève.
C'est simplement parce que je ne suis pas assez forte.
J'ai beau savoir que mon chemin ne peut être accompagné que par la solitude, parfois mon coeur se montre un petit peu trop fragile.
J'ai beau savoir que ce sont tous des connards, jusqu'au dernier, des connards qui ne méritent que mon châtiment, parfois une petite goutte d'espoir perdu s'échappe encore dans mes veines.
C'est pitoyable.
Plus forte, je dois devenir plus forte.
Et qui de mieux, pour cela, que ce garçon qui m'emmerde depuis trop longtemps déjà ?
Je fais faire d'une pierre deux coups.
Taehyung a du sentir que quelque chose n'allait pas, que quelque chose changeait en moi, puisqu'il a reculé d'un petit pas.
Un petit pas qui traduit sa faiblesse.
Je viens lui attraper le cou en un geste brusque.
- Apparemment, ça va être à moi de te montrer où est ta place.
Je serre mes doigts, pas assez pour lui faire réellement du mal mais suffisamment pour rendre sa respiration difficile.
- Tu aurais du m'écouter lorsque je t'ai dit de me foutre la paix la première fois.
Mon emprise sur sa gorge se resserre, son visage se colore de rouge. Il ouvre la bouche plusieurs fois d'affilée, comme un poisson, mais aucun son n'en sort.
Et puis soudain, je le relâche, et, alors qu'il suffoque et peine à reprendre son souffle, je le propulse au sol d'un petit coup de pied rapide derrière les genoux.
Il s'effondre en me fixant de ses yeux écarquillés, toussant comme un enfant.
Si faible, si fragile.
Il frime, il frime Taehyung, mais il n'au aucune force.
Je viens poser un pied sur sa cage thoracique.
- Je t'avais pourtant prévenu, mais tu ne m'écoutes jamais.
J'appuie un peu de mon talon, il laisse échapper un grognement.
Et puis je me retire brusquement, et, alors, qu'il s'apprête à se relever, je me précipite sur lui, et viens à nouveau enserrer son cou de mes doigts fins.
Son cou qui paraît pourtant si viril et ma main qui paraît si petite, j'en fais ce que je veux.
Il est là, allongé au sol, reposant sur ses coudes, une grimace tordant son visage, et je m'avance à l'aide de mes genoux, conservant mon emprise sur sa gorge.
Je suis le serpent, il est ma proie.
Étonnamment, alors que j'étais décidée à simplement lui donner une leçon et à m'en aller, je trouve la situation amusante.
Je crois que j'aime ce sentiment de pouvoir alors que j'exhibe ma supériorité à autrui.
Je viens encrer mes yeux dans les siens.
De manière surprenant, Taehyung ne laisse paraître ni peur ni colère.
Seul le rictus déformant sa bouche montre sa douleur qu'il n'essaie pas de cacher.
Mais dans son regard, dans ses yeux d'un brun profond, il y a cette étincelle que je ne sais déchiffrer.
De l'amusement, de l'arrogance, ou autre chose encore ?
Je ne sais pas, mais ça m'énerve.
Taehyung, ce garçon qui m'embête depuis maintenant plusieurs jours, qui me suit et ne me lâche pas, qui me pose des questions ennuyantes; ce garçon, le seul qui a réussi à mettre mon contrôle de moi-même, qui a fait vaciller en moi des émotions que je ne saurais nommer mais que je ne devrais plus avoir; ce garçon que j'avais enfin décidé de punir, j'avais décidé de passer mes nerfs sur lui, de me venger et de lui donner la leçon qu'il mérite. J'avais décidé de me défouler vite et bien, et d'accentuer encore cette suprématie qui est la mienne depuis que je me suis lancée à corps perdu dans ce combat.
Pas une défaite. Jusqu'à présent, je n'ai pas eu une seule défaite.
Et Taehyung, qui n'était pas sensé être sur ma liste, le voilà sous moi, soumis face à force, à me narguer de ses yeux que je me crève à essayer de déchiffrer.
J'avais décidé de ne pas me battre avant ce soir.
Je me relève brusquement, le toise de toute ma hauteur alors qu'il est toujours allongé sur le dos.
Un petit sourire vient déformer ses lèvres, il me cherche, il me cherche.
- Eh ben, c'est déjà fini ?
Sa voix est rauque, encore plus rauque que d'habitude, l'air lui a trop manqué.
Il se relève en s'appuyant sur ses coudes, vacille légèrement.
Si faible, mais si arrogant.
- C'était pas si mal que ça finalement.
Je lève les yeux au ciel.
Il n'est pas si différent que ça, finalement. Ce sont tous les mêmes.
- Tu as raison, c'était pas si mal.
Et finalement, je peux voir une lueur de surprise dans ses prunelles chocolat.
J'avais décidé de ne pas pas me battre avant ce soir.
Mon pied vient percuter sa cage thoracique violemment, le propulsant en arrière.
Sans lui laisser de répit, je vient lui faucher une cheville et il s'effondre au sol une seconde fois. Il tente de se rattraper à l'aide de sa main que je viens écraser de ma semelle, sans pitié.
Il suffit que je n'en porte aucune trace.
Alors que mon pied se lèvre une seconde fois, je peux apercevoir dans ses yeux qu'il ne s'y attendait pas. Non, il ne s'attendait pas à ce que je lui démonte vraiment la gueule.
Il pensait que je bluffais, que je n'irais pas jusqu'au bout.
C'est ça, de me sous-estimer.
Mon pied vient violemment percuter son estomac et il laisse échapper un grognement.
Un haut-le-coeur le prend alors que je lui laisse deux secondes de paix, et il se retourne sur le côté pour vomir.
Je le savais, sans prétention, que face à ma force il était bien trop faible. Il aurait dû le savoir, s'en douter. Un simple coup de pied et le voilà à dégobiller par terre.
Je prends alors la parole d'une voix tranchante.
- Je pourrais continuer, tu sais. Mon pied pourrait si facilement te déchausser les dents. Je n'ai même pas à utiliser mes mains.
Je m'accroupis à sa hauteur et viens lui saisir le menton entre deux doigts. Le vomi collé à sa peau me fait grimacer de dégoût et je retrousse le nez.
- Tu vois, Taehyung, je ne suis pas comme les petits voyous de toute à l'heure. Euh, ils se conteront de te refaire un peu le portrait, tous ensembles, au pire tu auras le nez pété et un bel œil au beurre noir, et puis ils te foutront la paix.
Je fais une petite pause, le regarde respirer par petits à-coups irréguliers.
- Mais moi, Taehyung - je viens positionner mon visage juste en face du sien, si près que mon souffle vient heurter ses lèvres souillées - si je décide te te faire la peau, rien ne m'arrête. Si je décide te faire la peau, tu n'auras aucun moyen de t'échapper. Et crois-moi, je ne m'arrêterais tant qu'il te restera un seul os intact. C'est bien compris ?
Je le relâche avec brusquerie, sa tête part en arrière de quelques centimètres et sa frange tombe sur son front, me masquant en partie ses yeux.
Je me relève et le contemple avec mépris, alors qu'il s'assoit lentement sur le goudron.
- Aujourd'hui Taehyung, je ne faisais que te montrer les risques. Ce n'était rien, rien du tout, à côté de ce que je pourrais te faire. Alors j'espère que tu m'écouteras maintenant si je te dis : reste à l'écart.
J'avais dit ces derniers mots de manière distincte, en levant la voix, histoire de m'assurer que le message était bien passé.
Je m'accroupis à nouveau pour récupérer mes écouteurs qui sont tombés pendant ces quelques secondes d'action, sans regarder Taehyung qui vient de se relever.
Après un dernier regard noir en arrière, je me détourne et reprends mon chemin à grands pas. J'ai envie de partir d'ici le plus vite possible, maintenant que j'ai fait ce que j'avais à faire.
Il y a cette douleur, légère, très légère mais ennuyante dans ma poitrine, ce pincement que je ne comprends pas.
J'aime me battre.
J'aime me venger.
J'aime montrer que je suis la plus forte.
Je n'ai jamais, jamais de regret ou d'arrière-pensée.
Alors, pourquoi ai-je ce sentiment qui pourrait presque s'apparenter à de la culpabilité qui vient se loger en moi ?
Il l'a mérité, il l'a cherché, merde !
Je n'ai fait que ce que j'avais à faire, ce que j'ai déjà fait, et des dizaines de fois !
Non, ce n'est pas possible.
Moi, je suis celle qui fonce droit vers le but, sans jamais me détourner. Je suis prête à tout pour l'atteindre, à touts les sacrifices et à tous les dommages collatéraux. Des sentiments importuns, je n'en ai jamais eu.
Ce n'est pas possible.
Pourtant, je suis trop intelligente pour me voiler la face.
Cette sensation bizarre, je ne l'invente pas.
Je ne sais pas ce que c'est, mais elle là, bien réelle, bien présente.
Et je sais que la source est toujours debout derrière moi, à reprendre son souffle et à essayer de comprendre ce qu'il vient se passer.
Taehyung, je viens de te régler ton compte pour que tu ne viennes plus jamais près de moi, pourtant j'ai le sentiment que toi et moi, on en a pas fini.
Ou peut-être que si, au contraire.
Si tu étais quelqu'un de normal, tu ne m'approcherais plus jamais, et ce serait réglé.
Pourtant, tu n'es pas quelqu'un de normal, et je ne le suis pas non plus.
Mais Taehyung, je ne saurais expliqué pourquoi, je ne saurais pas, mais j'aimerais bien pouvoir éviter d'avoir à te casser chaque membre.
J'aimerais vraiment.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top