Chapitre 5

Allongée sur le sol de ma chambre, je tourne une à une les pages de l'album photo, les souvenirs m'envahissant par vagues.

Des clichés de ma vie, quelques années plus tôt. A travers les sourires figés et les poses heureuses, l'on peut voir les fragments de celle que j'étais.

Je m'arrête à une photo de mes vacances à la mer, il y a six ans de cela. J'étais à peine entrée à l'école secondaire, à cette époque. Cette époque si lointaine qu'elle me semble appartenir à une autre vie. Elle me semble n'avoir été qu'un rêve, n'avoir jamais existé. 

Mais les plaies à mon coeur, bien réelles, sont toujours là pour me rappeler que tout était réel. 

Mes yeux se posent sur le garçon qui m'enlaçait par derrière, un grand sourire plaqué sur son visage pâle, ses cheveux noirs ébouriffés. 

Pas de regret.

Ne jamais faire confiance à personne.



Mes yeux s'ouvrent avant que le réveil ne sonne. Il est samedi aujourd'hui, et je n'ai pas à aller au lycée. Je reste quelques instants ainsi, allongée sur le dos, le regard posé sur le plafond blanc.

Une nouvelle journée qui commence, qui ne sera ni plus belle ni plus laide que les précédentes.

Je prends une grande inspiration, et m'assois sur mon matelas avant de me lever.

Je suis en vie, et c'est déjà une victoire en soi, n'est-ce-pas ?


Une tasse de café à la main, mon classeur ouvert face à moi, je me répète une nouvelle fois les informations que je connais déjà par coeur. 

Je suis seule attablée dans la cuisine, mes parents étant au travail et mon frère probablement encore couché. 

Je dois aller quelque part, ce soir. Sans surprise. 

Les deux dernières missions que je me suis fixées ont été accomplies avec succès, mais pour celle de ce soir, je n'ai aucune certitude.

Cela fait plusieurs semaines que je travaille dessus, à récolter des informations, à faire des recherches, et j'ai hâte que tout cela soit terminé.

J'ai hâte qu'une nouvelle réussite soit ajoutée à ma longue liste.

Oui, une nouvelle réussite.

Je suis prête, je suis capable de le faire.

Je le suis.

C'est probablement la mission la plus dangereuse sur laquelle j'ai jamais travaillé, celle qui, d'une seconde à l'autre, peut très mal tourner; mais aussi celle qui me dégoûte.

Ce soir, je dois devenir quelqu'un d'autre, une nouvelle fois.

J'ai déjà fait tout ce que je pouvais faire, cela ne sert à rien, il faut que j'arrête.

Je me lève lentement, il faut que je cesse d'y penser.

Je m'étire longuement, mon corps est fatigué, je lui fais cependant confiance pour ce soir. 

Il doit tenir.

Je vais m'habiller, vieux débardeur et short; j'ai prévu de prendre un bain avant de me mettre en route en fin de journée.

Le meilleur moyen de canaliser mon énergie et mes pensées, ne change jamais.

Je lace mes baskets, enfonce mes écouteurs dans mes oreilles, et, sac sur le dos, je suis partie.

Plutôt que de courir, j'ai une meilleure idée pour aujourd'hui.

Je voudrais aller à la salle boxer, je ne peux toutefois pas prendre le risque de laisser un quelconque hématome supplémentaire prendre place sur ma peau.

Un bleu trop visible et tout est ruiné.

Aussi,  j'ai décidé ce matin de me rendre à la piscine.

Je trottine le long de quelques rues, le moyen le plus court est de traverser le parc municipal qui s'étend sur plusieurs kilomètres. 

J'y croise toujours de nombreux lycéens et jeunes du coin, que j'ignore, comme toujours, royalement. 

Alors que je traverse de bon pas l'allée de goudron encadrée de grands champs, je tombe sur un petit groupe de gars de mon bahut, assis comme des singes sur un banc. Sans les connaître, je sais tout de même qu'il s'agit de ce genre de petit cons qui se prennent pour des racailles, essayant de caché leur ridicule par des écrans de fumée et des sourires hautains.

Je baisse le volume de ma musique, je sens qu'ils vont me parler. Je ne devrais même pas les écouter.

Et sans surprise, l'un d'entre eux se tourne vers ses amis avec un visage grivois.

 - Si c'est pas l'asociale.

Des rires gras lui répondent.

 - Qu'est ce que tu fais là, la tarée ? T'es de sortie avec tes amis invisibles ? 

Je soupire, sérieusement, ils doivent bien être les seuls à ne pas savoir à quel point ils sont pitoyables.

Je continue mon chemin sans m'arrêter, je n'ai pas de temps à consacrer à des êtres aussi insignifiants. 

 - Ben quoi, tu réponds pas ? 

Ce crétin prend une petite voix moqueuse.

 - On t'aurait pas fait peur, l'asociale, quand même ?

J'ai hâte d'arriver à la piscine, il ne fait certes pas si chaud mais la sensation de l'eau fraîche sur ma peau me fait toujours un bien fou.

Je vais encore traumatiser des enfants avec mes cicatrices. Si j'en avais quelque chose à faire.

 - Oh, tu réponds quand on te parle ?!

Oh tiens, le gamin s'énerve. 

Alors que je m'apprête à augmenter le volume de ma musique afin de ne plus les entendre  - je n'aurais jamais dû le baisser -, une voix différente des autres me fait me retourner.

 - Vous devez sacrément vous faire chier pour aborder les gens comme ça.

Taehyung. Evidemment.

Les mains dans les poches, sa capuche rabattue sur sa tête laissant sa frange ébouriffée dépasser et une sucette en bouche, fidèle à lui-même.

Il marche tranquillement, sans se presser, lâchant juste une petite pique sur son passage.

Qui a sans surprise fait l'effet d'une bouteille d'huile jetée sur un feu.

Les imbéciles se lèvent un à un, dans une posture menaçante absolument grotesque.

 - T'es qui toi ? 

Taehyung se retourne, avec un air que je sais moqueur. Il se fend en une petite révérence.

 - Kim Taehyung, pour vous servir. 

Je pousse un soupir. Ce gars a un don pour plonger dans les emmerdes.

 - Tu cherches à crever toi c'est ça ?

Il hausse les épaules.

 - Pas plus que toi, je suppose.

 - Je vais le démonter, celui-là. 

Bien joué, Taehyung, vraiment. A te mêler de ce qui ne te regarde pas, tu vas te faire casser la gueule.

Bah. Ça ne me concerne pas, je ne lui ai jamais demandé de pointer son nez. Il finira peut-être un peu amoché, rien de dramatique, ce genre de gars n'a vraiment rien de dangereux.

Je tourne les talons et reprends mon chemin, ne prêtant plus aucune attention au groupe de personnes derrière moi. 

 - T'es pas gonflée toi ! 

Je sais que c'est à moi que Taehyung parle, bien évidemment, il prend ma défense et moi, je m'en vais. Il peut toujours causer, sa curiosité l'a déjà perdu, je n'en ai rien à faire. Et puis, le laisser là à sa faire refaire le portrait est peut-être bien l'occasion que je cherchais pour qu'il me fiche la paix à tout jamais. 

Alors que je m'apprête à remonter le son de ma musique pour me couper à nouveau du monde, je peux entendre ces petites ordures invectiver Taehyung.

 - Alors, tu regrettes, petite merde ? Tu vas voir ce que ça fait de se prendre un bon poing dans la gueule.

Putain. C'est quoi ce sentiment qui monte en moi ? Je n'en ai rien à foutre. Rien à foutre. Il peut bien se faire démonter, ce n'est pas mon problème. Et puis, c'est pas cette parodie de racaille qui peut lui faire bien mal. Certes il est seul et ils sont bien cinq ou six, m'enfin bon.. Oh puis merde, ils pourraient bien le buter que cela ne me concerne pas. 

J'accélère le pas, monte le son de ma chanson. Les basses envahissent mes oreilles, la batterie résonne dans mes tympans, je ne les entends plus. 

Sans rancune, Taehyung. 

Je t'avais prévenu qu'à trop t'approcher de moi, tu te brûlerais les ailes. 





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