AURORE

Toute sa vie, on avait dit à Aurore, qu'un jour, elle trouverait bien un garçon qui voudrait d'elle. Ça sonnait comme un fardeau. Et c'est ce qu'Aurore ressentait. Aurore elle avait toujours détesté sa peau. Trop sombre ou trop pâle. Elle ne savait pas, ça dépendait des endroits. Parce que les bras, les jambes, le cou et même les fesses d'Aurore étaient bicolores. Et ça, ça plaisait à Andrea. Mais pas autant qu'Andrea plaisait à Aurore.

Toute sa vie, on avait dit à Aurore qu'un jour elle trouverait bien un garçon qui l'aimerait telle qu'elle est. Ça sonnait comme du désespoir. Et c'est ce qu'Aurore ressentait. Elle était faite comme ça, elle ne pouvait rien y faire. Vitiligo. C'est ce que lui avait dit le médecin. Elle n'avait rien compris, mais elle s'était bien doutée que ça s'arrangerait pas.

Toute sa vie, on avait dit à Aurore qu'un jour elle trouverait bien un garçon. Ça sonnait comme un dernier recours. Et c'est ce qu'Aurore ne voulait pas ressentir. Ce qu'Aurore voulait, c'était tomber amoureuse de quelqu'un de vrai. Pas quelqu'un qui la prenait en pitié ou qui était avec elle par dernier choix. Aurore, ce qu'elle voulait, c’était quelqu'un qui l'aime à la folie et qui, dans le creux de l'oreille, lui répète chaque matin que c'est pour la vie. Aurore ce qu'elle voulait, c'était Andrea. Mais Andrea, elle n'avait d'yeux que pour Marcus.

C'était un chouette gars, Marcus. Aurore elle l'avait entendu parler de Van Gogh à Oscar il y a quelques jours, alors qu'ils étaient arrêtés dans une station essence. Elle avait trouvé ça beau, leur conversation, mais sans jamais en prendre part.

Ce soir, la lune était plus discrète, plus timide. Cachée derrière les nuages. Tellement bien cachée qu'on aurait pu croire qu'Aurore avait la peau d'une seule couleur. Malheureusement, ce n'était pas le cas. Et comme Aurore elle savait très bien tout ça, elle avait décidée de s'éloigner du groupe en grimpant sur la branche d'un grand arbre.

- Les rayons de la lune pourraient bien te rendre plus belle que tu l'es déjà et alors même, tu n'y croirais toujours pas.

Aurore pensait être seule, alors en entendant la voix, elle avait sursauté et avait failli tomber de sa branche.

- Oh, voilà une Aurore que je ne connaissais pas. Aurore l'acrobate.

Pendue par les bras, Aurore s'était laissée tomber à côté de Marcus.

- Les rayons de la lune ne font que révéler mes tâches blanches. Je suis délavée.

En vérité, Aurore était lessivée. Mais ça, elle ne l'aurait pas admis, car elle ne voulait pas dormir la nuit.

- La lune révèle tes soleils, c'est évident. Tu n'es pas délavée, il te manque juste tes soleils.

Aurore ne comprenait pas de quoi Marcus parlait. Jusqu'à ce que la lune se faufile entre les nuages.

- Qu'est-ce que... ?

- Les soleils, Aurore, les soleils.

À chaque endroit où sa peau était décolorée, il y avait un soleil. Parfois plein, parfois à moitié, comme s'il était caché derrière les tâches.

- Les nuages sont les plus beaux mystères du ciel. Ce ne sont que des amas de gouttes d'eau et pourtant, ils ont assez de force pour cacher le soleil.

Et Aurore commençait à comprendre. Ce qu'elle voyait comme une maladie de laideur, Marcus le voyait comme une force.

- Tes nuages, ils ont peut-être la force de cacher mes soleils au crayon, mais tu peux être sûre qu'ils ne seront jamais assez forts pour cacher le soleil qui brille dans tes yeux.

Marcus il avait les mots quand Aurore avait les maux. Elle ne savait pas trop s'il fallait qu'elle le croie sur parole, mais pour ce que ce voyage et les mots de Marcus signifiaient, elle voulait bien essayer de remettre en question sa façon de penser. Sa façon de SE penser. Alors, elle avait laissé Marcus continuer.

- Je les ai dessinés cet après-midi, quand tu dormais. Tout le monde était endormi, en fait. Mais moi, le crissement des pneus de la voiture qui est passée m'a réveillé. Je n'ai pas réussi à me rendormir. Ou alors je n'ai pas essayé. Là n'est pas l'importance du propos, de toute manière. J'aurais voulu aller me balader, mais je me suis souvenu des mots d'Andrea.

À l'entente de ce prénom, Aurore avait frissonné. C'était plus fort qu'elle. Et elle avait eu peur que Marcus le voie. Mais Marcus ne s'était pas arrêté de parler, trop absorbé par ses propres pensées.

- Voyager seulement la nuit. Alors je n'ai pas bougé. Et puis, quand je vous ai observé dormir tous les quatre, j'ai vu tes nuages de plus près. Et j'y ai dessiné tes soleils. Avec le crayon de Sheryl, celui qui révèle les constellations d'Oscar. C'est marrant, quand on y pense. Une même chose a révélé des soleils et des constellations. Alors que ce n'est que sans soleil que l'on voie les étoiles reliées. C'est beau.

Aurore pensait la même chose. C'est beau. Mais à présent, elle ne savait plus ce qui était beau. La voix de Marcus, ses mots, sa manière de penser ou le regard qu'il portait sur Aurore. Et puis Aurore avait pensé. Si quelqu'un la voyait et la croyait jolie, alors peut-être qu'elle pouvait être ce quelqu'un aussi.

Mais avant qu'elle ne dise quelque chose, que ce soit un remerciement, une excuse ou une jolie phrase, Marcus était parti. Elle se demandait bien pourquoi il s'était envolé comme ça. Et puis Andrea était arrivée et Aurore avait arrêté de se poser des questions.

- Tu pense que la peinture d'Oscar peut servir de maquillage ?

- Non, je ne pense pas, ça risque d'irriter les yeux et d'être toxique pour les lèvres. Ou du moins, pas très positif.

- Tu me fascines Aurore. Un jour, je crois te cerner, toi et tes nuages et le jour d'après, je découvre des choses nouvelles sur toi. C'est quoi ton secret ?

- Ne jamais dire plus que ce qu'il faut.

- Je suis nulle pour ça.

Aurore le savait déjà. Parce qu'à chaque fois qu'Andrea prenait la parole, Aurore était assez prête pour saisir tous les mots, toutes les syllabes de chaque parole.

- En général, je n'aime pas trop me maquiller, j'ai peur que ça ne fasse trop ressortir mes yeux. Mais toi, Aurore, j'ai l'impression que tu pourrais faire de grandes et belles choses sur mes paupières. J'ai le sentiment que tu pourrais transformer mes yeux en quelque chose de beau. De vrais yeux de biche.

- Un paon serait plus adéquat.

Andrea semblait ne pas comprendre. Et comme elle parlait trop, elle l'avait fait ressentir à Aurore.

- Un paon ? Pourquoi ça ?

- Pour ce que ça vaut. Dans la mythologie grecque, Argos était un personnage pour le moins fascinant. Il était en effet la seule créature possédant cent yeux, dispersés sur tout son corps. Il en avait continuellement cinquante fermés et cinquante en alerte. Ainsi, il ne se faisait jamais surprendre. Tu vois, Andrea, je pense que les yeux, ce sont des choses précieuses qu'il ne faut pas négliger. Si Argos a vécu avec cent yeux, alors je pense que tu es capable de vivre avec deux, même s'ils ne sont pas tous les deux bleus.

- Mais pourquoi le paon ?

Aurore avait poussé un soupir. Pas d'exaspération, non. Mais de joie, comme si elle était contente que quelqu'un s'intéresse soudainement à sa passion pour la mythologie. Quelqu'un comme Andrea.

- Quand il est mort, Héra lui a rendu hommage en mettant ses cent yeux sur les plumes des paons. Je m'arrêterai là pour la référence à Argos, le reste de son histoire ne nous dit rien de plus intéressant.

Suite au regard interrogateur d'Andrea, Aurore avait précisé :

- Il se nourrissait de chair humaine.

- Tout compte fait, je préfère lorsque l'on me compare à David Bowie. C'est une icône. Et, d'après mes sources, il n'était pas cannibale.

- Seulement les gens font erreur. David Bowie n'avait pas les yeux vairons.

Alors Aurore avait passé le reste de la nuit à expliquer à Andrea comment, suite à une bagarre, la pupille de Bowie restait dilatée en permanence. Puis, avant que le soleil ne se lève, à l'heure où la peau d'Aurore semblait encore n'être que d'une seule couleur, cette dernière avait commencé à maquiller Andrea. Et il est facile d'affirmer que, même dans le noir, Aurore en pinçait pour Andrea.

Seulement, la nuit d'après, alors qu'Aurore commençait à accepter d'avoir des soleils permanent sur les bras et qu'Andrea avait ses yeux de paons, Marcus était arrivé et avait tout chamboulé.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top