*Chapitre 9* déjà-vue
Je bouscule, sans aucun scrupule, une horde de gens endeuillés, venus pleurer un proche, me foutant de les entendre geindre après mon passage.
Je déboule bruyamment à la réception, et la secrétaire qui affiche déjà une mine supérieure ouvre ses lèvres carmin pour me réprimander sévèrement.
— Madame ! Je vous demande de vous calmer dès maintenant et de bien vouloir attendre votre tour ! Non, mais, plus personne ne respecte rien ! ajoute-t-elle en s'adressant à une vieille dame à tête blanche qui me regarde, apparemment outrée.
— Je dois téléphoner de toute urgence ! m'exclamé-je, sentant la fureur me monter aux joues.
Elle soupire, visiblement encore plus excédée.
— Si vous continuez, je vais vraiment appeler la sécurité ! menace-t-elle en affichant clairement son incertitude quant à mon état mental.
Un homme d'un certain âge sort de la file et essaie de me raisonner. Il tente de me tirer le bras doucement, mais je retire mon poignet d'un geste rageur.
— Votre téléphone, merde, c'est tout ce que je veux, il y a un homme... je hurle alors qu'elle me coupe la parole.
— Bon, OK Madame, vous l'avez cherché, je vais être dans l'obligation de vous ordonner de quitter les...
Elle n'a pas le temps de finir sa phrase. Je suis déjà de l'autre côté de son comptoir et balance tout ce que je trouve au sol d'un geste rageur.
— Tu vas l'appeler ta sécurité oui ou merde ! beuglé-je, ivre de colère en songeant que s'il meurt par sa faute, je viendrai personnellement lui faire la peau.
Elle semble néanmoins comprendre les dangers de s'obstiner avec une folle furieuse, et empoigne le téléphone en tremblant. Elle est debout, et ne me lâche pas des yeux alors qu'elle est avec une standardiste qui gère probablement les appels d'urgences. Elle me décrit, et répond à quelques questions, que je présume être : est-elle armée ? Vous a-t-elle blessée ? Est-elle folle à lier ?
Bah, sûrement pas dans ses mots exacts, mais je suis assurément une fille en pleine psychose. C'est du moins ce que me dit le regard des gens présents longeant les murs et qui me dévisagent comme si j'étais une personne instable et dangereuse.
Les sirènes des voitures de police se font entendre au loin, il ne m'en faut pas plus pour piquer un sprint vers l'extérieur, me lançant directement sur leur chemin. Les gens, toujours tétanisés, s'écartent de mon chemin, aussi rapidement que si j'avais eu une maladie contagieuse...
Les deux voitures de police sont suivies d'une ambulance. Exactement ce que j'espérais. Après tout, ce sont généralement les ambulances qui escortent les gens timbrés à l'asile non?
Les officiers qui sortent tout juste de leur voiture me voient courir vers eux, pieds nus, ayant abandonné mes talons hauts quelque part entre eux et la réception, les cheveux en bataille et fort probablement parsemés de morceaux d'herbes. Ils sortent aussitôt leurs armes et les pointent dans ma direction en me sommant de rester exactement là où je suis et de mettre doucement, sans gestes brusques, les mains sur la tête.
J'obéis docilement, en leur criant qu'un homme est en train de mourir dans ma voiture. Ça porte à confusion, je le sais, et c'est exactement ce que je veux, car à voir mon allure générale, tous les autres, sauf un qui reste pour me garder en ligne de mire, s'élancent vers le parking.
— Une Honda bleue, leur crié-je alors qu'ils sont encore à portée de voix.
J'aperçois les ambulanciers se mouvoir au pas de course en direction de ma voiture avec une civière. Ils ont trouvé Charles, je songe en recommençant à respirer normalement. Je ne les lâche pas des yeux, et je suis encore plus soulagée de constater qu'ils l'embarquent sur la civière sans faire appel à un sac mortuaire.
Il est en vie !
J'entends le cliquetis des menottes, juste après avoir ressenti le froid du métal que l'on serre autour de mes poignets. Le flic derrière moi me relève brusquement, probablement encore persuadé que j'ai pu, à moi seule, foutre une dérouillée à un homme de la stature de Charles.
Il me plaque sans douceur sur la voiture, écrasant mon visage sur le capot pour une fouille sommaire tout en me lisant mes droits. Je le laisse faire et n'offre aucune résistance alors qu'il m'embarque dans sa prison mobile.
Il va rejoindre ses collègues, et probablement essayer de comprendre ce qui s'est produit exactement. D'ailleurs s'ils avaient été intelligents, ils m'auraient posé des questions pour essayer de comprendre avant de m'arrêter officiellement. Je prends donc mes aises, je sais que ça peut être très long, et je connais précisément la marche à suivre dans un cas comme celui-ci.
J'avais bien vu, car, une trentaine de minutes plus tard, je suis installée dans une de ces cellules dépourvues de toute vie. On me fait languir et connaissant leur façon de procéder, un flic ne tardera pas à passer la porte pour me questionner.
Parlant du loup...
Je lève des yeux ennuyés vers celui qui fait le job le plus merdique du poste, et au lieu du trouver un homme chauve et bedonnant près de la retraite, je tombe plutôt sur un mec étonnamment super sexy. Le type d'homme à faire les pubs pour des caleçons. Bien qu'il me soit malheureusement impossible de passer les rayons X pour voir sous cette chemise bleue hideuse, je peux tout de même imaginer de quoi il a l'air torse nu, avec seulement son pantalon et son flingue.
Focus Ivy, focus !
Il prend place et me dévisage longuement en silence. Tactique d'intimidation qui ferait potentiellement parler n'importe quelle personne ne s'étant jamais trouvée dans cette situation. J'attends patiemment en silence, sans doute trop, parce que déjà, mes yeux recommencent à s'attarder sur ses lèvres bien charnues. Lèvres qui d'ailleurs se mettent à remuer, les rendant encore plus attirantes
— Vous souhaitez me raconter ce qui s'est passé ?
— J'étais à l'enterrement d'une amie, et quand je suis revenue, il était dans la voiture comme ça, je réponds en déposant les coudes sur la table pour arriver à croiser les bras sur ma poitrine.
— Il y a autre chose ? demande-t-il en calant confortablement son dos dans son fauteuil de maître inquisiteur.
— Nan.
— Pourtant, votre position m'indique le contraire, ajoute-t-il en me pointant du menton.
Alors voilà, je songe. Nous sommes déjà rendus à ce moment précis où le mec, totalement canon, vous démontre simplement en ouvrant la bouche à quel point il est barbant. Je souris, lève les deux mains toujours menottées, à hauteur de mon visage et déplie les majeurs dans sa direction.
— Et là ? Elle te dit quoi ma position ? demandé-je en veillant à garder un air sérieux. Écoute mec, t'as étudié pour devenir flic, pas psy, voilà d'ailleurs ce qui explique ton salaire de merde... lâché-je démontrant clairement que je ne suis pas impressionnée.
Je me redresse légèrement, comme si je souhaitais lui faire une confidence.
— Oh, et pour ta gouverne, si j'ai replié les bras comme ceci, je précise en exécutant le geste, c'est simplement parce qu'il fait sacrément froid dans ces bureaux. Mais bon, nous ne sommes pas sans savoir que ça vise aussi à déstabiliser le témoin non ?
Il ne me sourit pas, mais ne me fait pas la gueule non plus. Je crois qu'il est sur le qui-vive et lutte intérieurement, pour ne laisser transparaître aucune émotion.
Ça nous fait un point en commun.
Il se lève, ouvre la porte et appelle son collègue posté près de celle-ci.
— Une nuit en cellule devrait sans doute la rendre plus bavarde au petit matin, ajoute-t-il à l'attention de son équipier, avant de quitter définitivement la pièce.
L'autre vient repasser les menottes dans mon dos, et me fait passer devant la fenêtre sans tain devant laquelle je fais une révérence, avant d'envoyer un clin d'œil tout sauf subtile, à l'agent beau mec qui s'y est sans doute réfugié pour pouvoir médire de ma gentille personne.
On me dépose finalement dans une cellule de dégrisement et referme la lourde porte derrière moi. Un lit, un lavabo et une toilette, voilà la définition par excellence de la simplicité involontaire.
Je fais un point rapide de ma situation, évidemment, je ne serais pas arrêtée officiellement.
Petit a, parce que je n'ai rien fait qui concrètement pourrait me faire emprisonner, bon peut-être du vandalisme, mais j'ai bien veillé à ne toucher à personne, et me suis rendue bien gentiment. Ça, ça compte.
Petit b, les fédéraux sont très près de nous trouver Charles et moi, donc ils devront me faire sortir pour ne pas attirer davantage l'attention.
Je sais que j'ai été imbuvable avec les agents, mais avec le temps, j'en suis venue à détester ces hommes qui ont paradoxalement fait le serment de protéger et de servir les citoyens. Ils ne m'ont jamais aidée, ce serait même plutôt le contraire, et aussi parce que, quand il s'agit de sexe et d'argent, ils sont tous aussi faibles que n'importe quel autre homme. Exception faite des petits nouveaux dans leurs deux premières années de services. Mais ceux-là aussi déchantent et finissent par ressentir l'appel de la corruption. Bref, ils sont, à mes yeux, du même acabit que ceux qu'ils arrêtent, seulement, ils sont plus hypocrites en criant haut et fort le faire au nom de la justice qu'ils revendiquent.
Je finis par m'assoupir, réveillée quelques fois par une prostituée qui hurle dans sa cellule qu'elle n'avait absolument pas l'intention d'être payée, que le mec allait juste la reconduire chez elle...
Ta gueule ! j'ai envie de lui crier, en venant même à souhaiter qu'un flic ripou passe par là pour négocier, en échange de faveurs, qu'elle se la ferme.
Le temps passe, lentement... très, très lentement...
Au moment où je suis tentée de douter de mon plan de libération que je croyais infaillible, un déclic se fait entendre et un homme en uniforme ouvre ma cellule devant une des dernières personnes que je m'attendais à voir ici.
— Mademoiselle Blanchard, dit l'homme au pantalon sans plis, à la cravate parfaitement nouée et symétrique. Comme je ne suis pas surpris de vous revoir en si mauvaise posture, ajoute-t-il d'un ton ne laissant aucun doute sur son degré élevé de sarcasme.
— Monsieur l'avocat, comme je suis heureuse de vous voir, rétorqué-je ironique à l'extrême. Que me vaut l'honneur de votre visite dans mon nouveau chez-moi ? demandé-je en fixant l'homme de loi qui m'avait procuré les papiers nécessaires pour mon mariage avec Dante.
— J'ai appris pour votre arrestation, répond-il simplement. On m'a donc payé pour vous faire sortir d'ici.
Il regarde le policier affecté au prestigieux poste d'ouverture des cellules de ceux qui sont relâchés. D'un simple geste de la main, probablement effectué des milliers de fois avant, il l'enjoint à me rendre les trucs confisqués lors de mon arrestation.
Ce que le flic fait, en ronchonnant dans sa barbe poivre et sel. Je récupère mon sac et mes effets personnels avec un sentiment de déjà vu qui me fait sourire.
Je suis l'avocat sur le parking. Nous y croisons deux policiers que j'entends murmurer sur notre passage, alors qu'ils nous lancent un regard de dégoût.
— Steel Brothers...
Soit c'est parce qu'ils reconnaissent l'avocat officiel des Steel, ou encore, c'est qu'ils savent que je suis la femme de Dante...
Dans tous les cas, ma couverture est foutue, je songe. Je dois vraiment quitter cette ville, sinon bientôt toutes les raclures seront à ma recherche, et du coup, je réalise que je ne sais même pas si ma tête et celle de Dante sont encore mises à prix.
Il m'ouvre la portière de sa luxueuse voiture rouge dans laquelle je m'engouffre sans demander mon reste, presque certaine d'avoir une cible dans le dos. Je m'installe sur le siège passager et laisse courir quelques instants mes doigts sur le cuir naturel, tout en appréciant l'odeur et l'opulence d'un nouveau véhicule donc le prix pourrait nourrir un village du tiers monde pendant deux ans au minimum. Il prend place du côté conducteur, mais ne met pas la clé dans le démarreur. Il se tourne vers moi en abaissant le pare-soleil d'où il sort une grosse enveloppe brune qu'il me tend.
— Comment avez-vous su que j'étais en taule ? demandé-je en le jaugeant.
Il réitère le geste de me tendre l'enveloppe que je finis par saisir, sans toutefois le lâcher des yeux, dans l'attente d'une réponse.
— Je suis l'avocat mentionné sur votre dossier, enfin, celui d'Ivy, qui a étrangement, les mêmes empreintes que les vôtres, sans pour autant avoir les mêmes cartes d'identité.
Je hausse un sourcil, et ignore délibérément ce à quoi il fait allusion. Je m'intéresse bien plus à savoir comment il a eu l'information concernant mon arrestation. Je connais déjà la réponse, je veux seulement qu'il confirme le tout, histoire de savoir si mes soupçons sont fondés.
— Et vous avez accouru vers moi, dès que vous avez été avisé ? demandé-je l'air de rien.
— C'est dans ma description de tâches en effet, confirme-t-il avec son ton professionnel.
— Et alors, qui vous payera ?
Il reste stoïque, et ne bronche pas en fixant droit devant, comme si je ne méritais même pas qu'il pose ses yeux à trois cents dollars de l'heure sur ma petite personne.
— C'est cadeau de la maison, ajoute-t-il en sortant son portable que j'ai entendu vibrer.
— Alors, vous êtes assurément le premier avocat que je rencontre à être aussi généreux ! Ce qui fait de vous un étrange paradoxe sur pieds.
Il pianote quelque chose sur son téléphone, ne se donnant pas non plus la peine de me répondre.
— C'est tout ? Je peux partir alors ? questionné-je, déjà convaincue qu'il ne répondra pas à ma question par une affirmation.
— Vous avez l'enveloppe, vous pouvez donc disposer, ajoute-t-il de son éternel ton froid et distant.
Surprise, je me contente de lui baragouiner un merci et de sortir de sa voiture, l'enveloppe bien en main.
Je sais qui me l'a envoyée, et cette même personne sera aussi celle qui va se voir refiler la note... En revanche ce que je ne comprends pas, c'est comment lui a appris ma détention avant les fédéraux.
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