*Chapitre 8* Message

Un couinement sort de ma bouche alors que je porte la main à mes lèvres avec horreur.

— Charles ? Charles ? répété-je d'une voix plus affolée.

Putain de merde !

D'instinct, je vérifie la banquette arrière, m'attendant presque à y découvrir Keith. Mais évidemment, je la trouve vide. J'essaie de le bouger doucement, mais sa respiration devient encore plus sifflante, comme si l'air n'avait plus qu'un minuscule interstice pour se frayer un chemin jusqu'à ses poumons. Je cherche mon portable dans la voiture, fouillant avec acharnement tous les recoins possibles. Il n'est plus là, pas plus que celui du blessé.

Je sais quel genre de personnes est capable d'une telle chose. Je prends affreusement conscience que la disparition des téléphones n'est pas une simple coïncidence. Je couvre du regard la distance entre la voiture garée au fond du parking, bien installée à l'ombre sous une rangée de grands chênes, jusqu'à la porte du complexe funéraire. Le seul lieu duquel je pourrais appeler une ambulance.

Les hommes qui ont fait ça ont clairement envoyé leur message, le pot de monnaie entre les deux sièges est encore plein, ce n'est donc absolument pas un vol. Je risque gros à sortir, c'est une évidence, mais il mourra si je ne le fais pas, sans compter que les clés ne sont plus sur le contact, alors j'oublie l'alternative de le conduire moi-même à l'hôpital. Je dépose mes doigts, glacés par la panique, dans son cou. Son cœur bat encore, quoique très faiblement. Voilà le seul espoir dont j'ai besoin pour trouver le courage nécessaire.

Je dépose la main sur la poignée intérieure, et sors d'un coup, ne refermant même pas la portière derrière moi. Je sais qu'ils ont déjà les clés, à quoi bon refermer, ça ne le sécurisera pas plus et ne fera que me retarder. Je m'élance avec tant de force, que je sens déjà les coutures de ma robe noire qui tentent de s'opposer vertement à mes longues foulées. Je n'ai plus qu'une quinzaine de mètres à parcourir avant de franchir la porte vitrée et d'aller mettre le bazar dans ce lieu en mal d'action. Je redouble d'ardeur ne fixant que l'entrée, en essayant de rester concentrée même si mes poumons commencent à brûler. Alors que j'atteins enfin la porte arrière, je tire aussi fort que je le peux, mais je comprends rapidement que même avec une force surhumaine, je ne réussirai pas à l'ouvrir parce qu'apparemment elle est fermée à clé.

Merde... Je dois contourner ce putain de bâtiment... Comme si j'avais le temps, je songe avec désespoir. Je jette un rapide coup d'œil derrière moi, je sais que dès que je passerai le mur de briques beiges, je n'aurais plus aucun visuel sur ce qui pourrait lui arriver. Je réfléchis une fraction de seconde supplémentaire.

Si tu le surveilles, il meurt, si tu vas chercher de l'aide, il aura une infime chance de survie...

Tentant le tout pour le tout, je tourne au coin et m'élance à nouveau, mais ne fais que quelques pas, jusqu'à ce que je sois brutalement stoppée dans mon élan.

Je ne l'ai pas vu sortir, tapi dans l'ombre du second mur, mais visiblement, l'armoire à glace qui me sourit avec satisfaction m'attendait.

Je perds momentanément pied, et sous la force de l'impact, je tombe au sol. Une douleur sourde se répercute vivement dans tout mon corps, et alors que je lève le regard pour voir sur quoi j'ai buté, je tombe sur, non pas une paire d'yeux, mais bien sur trois, qui me dévisagent.

Je tente de me relever rapidement, mais le mastodonte me prend de vitesse et dépose son pied sur mon estomac, me clouant d'une simple pression du talon au sol gazonné.

— Plus tu bouges, plus j'appuie, m'avertit-il d'une voix menaçante et sans appel.

Je tente tout de même ma chance et constate qu'il dit vrai, au moment même où son poids se déploie sur mes côtes, m'arrachant un cri de douleur. Son visage rougeaud se tord de satisfaction.

Sale enfoiré !

Mon souffle se coupe presque automatiquement, mais je m'exhorte à me calmer pour ne pas lui donner le plaisir de me voir me soumettre. Je le défie ouvertement du regard, ce qui semble l'amuser. Comme si l'insecte que vous êtes sur le point d'écraser vous tirait la langue... Il sait au même titre que moi que je ne fais absolument pas le poids, mais je ne me laisse pas abattre.

— Qui ? demandé-je malgré la douleur. Lequel d'entre vous a osé lui faire du mal ? craché-je entre mes dents serrées, sans abandonner cette guerre de pouvoir visuel que nous avons entamée de part et d'autre.

— La question importante que tu devrais te poser à cet instant n'est pas qui, mais plutôt pourquoi, me répond celui qui a des tatouages qui couvrent presque la totalité de son visage.

— Alors pourquoi ? rétorqué-je avec un calme qui me surprend moi-même.

— Parce qu'à ce jour, c'est la meilleure méthode pour faire passer un message, répond le gros balourd dont les muscles semblent avoir pompé tout le sang de son cerveau.

— Honnêtement, je pense que le message est limpide. Reste juste à me dire qui l'a signé et ce qu'il me veut !

Le gros remet à nouveau du poids sur son talon et mon corps se tord instantanément sous son pied.

— Assez Rock ! Le patron ne veut pas qu'elle soit abîmée, ajoute le plus maigrichon des trois qui se positionne dans mon champ de vision.

Le gars enlève finalement son pied en ne cachant même pas sa déception. Dès que je ne suis plus entravée, je me lève presque comme un ressort, trop pressée d'être enfin en mesure de me mouvoir en cas de besoin.

— Où est Matt ? questionné-je celui à qui je dois ma position debout.

— Où est Dante ? rétorque-t-il en tournant légèrement autour de moi à la façon d'un fauve.

J'essaie de ne pas lui faire dos, mais je ne peux ignorer les deux autres hommes se tenant près de moi. Ils pourraient vite me saisir et me faire perdre le léger avantage que j'ai maintenant, c'est-à-dire être en mesure de courir et accessoirement, de frapper.

— Dante qui ? demandé-je en sachant que faire l'intelligente ne m'apportera rien, sinon une souffrance physique.

N'empêche, j'ai besoin de gagner du temps, et pour le coup, c'est tout ce que j'ai trouvé. La réponse ne se fait pas attendre, un se déplace de côté et l'autre à l'opposé, les trois m'encerclent, alors que je recule de quelques pas.

Ils sourient et cela ne me dit absolument rien qui vaille. Je recule encore d'un pas, et encore d'un autre, alors que je ne m'explique pas pourquoi ils ne tentent rien. J'envisage de poursuivre ma course quand d'un seul coup, je sens mon dos buter contre quelque chose de dur. Ils rient doucement, et je n'ai pas le temps de me retourner qu'un bras se place sur ma gorge.

Je sens une barbe rêche frotter sur ma joue. Une voix me parvient. Une tonalité rauque, profonde et surtout menaçante qui se fraie sournoisement un chemin jusqu'à mes tympans.

— C'est toi la pute de Dante ? m'interroge-t-il en donnant l'impression de déjà connaître la réponse.

Je ne bouge pas, j'attends la suite, songeant à Charles qui n'a aucune chance d'être soigné à temps si je meurs. C'est d'ailleurs la seule raison qui me pousse à ne rien tenter alors que mon instinct de survie me hurle de faire quelque chose.

— Il t'a posé une question salope, alors réponds ! ordonne l'homme de Cro-Magnon aux tatouages multiples.

— On est tous la pute de quelqu'un non ? Alors toi ? C'est qui ton Mac ? rétorqué-je avec une assurance que je n'ai pas.

Contre toute attente, l'homme derrière moi s'esclaffe.

— OK, alors c'est la bonne fille, ajoute-t-il pour les autres. Sinon, qui serait assez stupide pour insulter un Bloods sur son territoire ? croit-il bon d'ajouter à mon intention, laissant planer dans sa voix, une menace amère.

Au moins, je sais maintenant qui les a engagés. Mes assaillants sont des Bloods en civil, mais que veulent-ils donc à Matt ? Dante, je peux comprendre, mais Matt ? Il faisait ami- ami avec eux aux dernières nouvelles.

— Alors « Sarah », dit-il en insistant sur mon faux nom. Ils sont où ? réitère-t-il dans mon oreille.

L'entendre prononcer mon nom d'emprunt me fout un coup en pleine gueule. Est-il possible qu'ils me traquent depuis bien plus longtemps que je ne le pense ? Comment connaissent-ils cette identité ? Et si c'était encore plus grave que ce que je pensais ? Je continue le jeu pour ne pas démontrer qu'ils ont réussi à m'alarmer.

— Aucune idée, vous voyez quelqu'un me venir en aide ? Nan, parce que je suis toute seule... Vous savez bien que si j'étais avec Dante, il m'aurait accompagnée et serait dans les parages et si c'était bien le cas, à l'heure qu'il est, il vous aurait déjà tous éclatés !

Je m'attends à ce qu'il me frappe pour cette injure, mais étonnamment, celui dont je n'ai toujours pas vu le visage semble plus intelligent que ses comparses et bien plus déterminé à me faire parler en croyant me faire sortir de mes gonds.

— Donc tu sais que Dante a une nouvelle pute ? me nargue-t-il sans doute pour me tester.

— Oui, c'est bien la preuve que je n'en ai plus rien à battre de lui non ?

— Qui est Mike ? demande-t-il comme s'il me questionnait simplement sur l'heure.

J'ai alors la confirmation que ce n'est pas qu'une rencontre fortuite. Mes muscles se bandent malgré moi et je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour que mon corps ne réagisse pas au nom de Mike, qui ne doit absolument pas être mêlé à tout ce foutoir par ma faute.

Bordel !

Mike... Voilà exactement pourquoi je ne devais pas prétendre à un avenir. La raison pour laquelle j'ai tenté de repousser ses avances de toute mes forces et précisément ce qui me poussera à rompre une fois rentrée, enfin, si je rentre bien sûr.

— Mike est le boss de l'endroit où je travaille, m'entends-je répondre d'une voix qui, je m'en félicite, ne laisse passer aucune émotion.

— Tu me prends pour un imbécile c'est ça ? Elle me prend vraiment pour le dernier des cons ? demande-t-il à ses amis en resserrant sa prise sur ma gorge. Pour ce que j'en ai lu, c'est bien loin d'être une relation boss et employée. Il te tutoie et t'appelle même par ton nouveau nom... Sarah, imite-t-il d'une voix languissante.

— Comment penses-tu que j'ai eu le job ? Tu crois que j'ai eu le temps de passer un diplôme ? Eh bien non, j'ai choisi le chemin court tu vois. Je laisse cet abruti se faufiler dans mon lit, et j'ai un taff en contrepartie, c'est gagnant-gagnant, rétorqué-je en plongeant mes yeux dans ceux du maigrichon devant moi.

— T'as une semaine exactement pour trouver Matt ou Dante et me les envoyer, après ça, nous commencerons à faire de ta vie un enfer et ça, jusqu'à ce que tu nous donnes l'information qu'on cherche.

Il me tourne brutalement vers lui en saisissant entre son pouce et son index, mon visage qu'il écrase sous la force de ses doigts. Ses yeux d'un bleu glacial me fixent avec intensité alors qu'il baisse le ton.

— Tu m'as bien compris la garce ?

Je ne flanche pas, même si j'ai envie de le repousser, de me défendre et de leur dire d'aller se faire voir, je n'en fais rien. La vie de Charles dépend de la soumission que je leur témoigne en ce moment.

S'il n'est pas déjà mort...

Je ne vais pas chercher Matt, je ne vais pas non plus leur livrer. Je vais me contenter de me tirer, de partir le plus loin possible où je ne connais personne, et me terrer dans un chalet quelconque, seule comme un ermite pour ne pas mettre une autre personne en danger... Voilà mon plan.

Il me relâche aussi vite qu'il m'a empoignée, puis prend la direction opposée de l'entrée du bâtiment en passant devant moi, les uns après les autres. Tous affichent ce sourire suffisant aux lèvres qui me donnerait envie de leur créer chacun un troisième œil en plein front.

J'attends quelques secondes, puis disparais à mon tour vers mon seul objectif du moment, c'est-à-dire trouver un téléphone pour appeler les secours. J'entends au loin le bruit des moteurs de leurs engins à deux roues qui ronronnent de puissance, et le son coupe net alors que la porte d'entrée se referme derrière moi.

Je dois faire peur à voir, les cheveux en bataille parsemés de brindilles, les souliers tenant à moitié à mes chevilles et le cou assurément rouge. Ils me dévisagent tous comme si j'étais un vampire fraîchement sorti de sa tombe qui débarque au funérarium en quête de sang frais.

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