*Chapitre 7* Sombre journée


Comme je le pensais, les fédéraux ont très rapidement répondu par la négative : le danger, la valeur de ma protection, ma couverture et bla-bla-bla. Que de la merde qu'ils se racontent entre eux pour justifier leur lâcheté. Il vaut mieux indiquer cela dans les rapports officiels plutôt que d'avouer faire sciemment chier cette femme de bikers qui trahit ses semblables.

Chaque fois qu'ils ouvrent mon dossier devant moi, leurs visages expriment cette micro expression de dégoût, alors qu'ils tombent sur cette information pour le moins sensible.

Je ne nourrissais pas beaucoup d'espoir quant à leur décision de me laisser y aller. Je savais très bien que ça ne serait pas aussi facile que je le souhaitais, mais j'ai tout de même cru bon d'informer Charles que, peu importe leur décision, l'issue pour moi serait la même, je serai présente à l'enterrement de demain.

Je suis déjà passée au boulot, et j'ai avisé Gerry et Mike de la mort de ma tante. Mike a paru surpris, et j'ai bien vu que ça lui coûtait un effort surhumain de garder son statut professionnel devant Gerry qui a immédiatement consenti à me donner le reste de ma semaine. Je l'ai chaudement remercié et me suis éclipsée aussitôt que possible pour éviter Mike, à qui je n'ai aucune envie de mentir. Mentir à des gens qui vous cachent sans cesse des informations n'est absolument pas un problème pour moi, particulièrement quand ce nombre est légion dans mon entourage. En revanche, il m'est plus difficile de mentir à un homme si franc, qui est le seul à avoir le mérite de me dire en tout temps l'entière vérité.

Je file direct chez moi, et commence à faire mon sac. Juste le strict minimum puisque je ne m'absente que pour deux jours. J'enfouis le tout rapidement dans mon éternel sac de sport rouge, et le referme à la hâte en entendant sonner mon portable au rez-de-chaussée. Je me précipite pour répondre et évite de peu la cata en ne posant pas mon pied sur la bonne marche et en attrapant de justesse la rampe en bois travaillé. Résultat, rien de cassé, mais incapacité totale à attraper le téléphone avant que la boîte vocale ne s'enclenche.

« Essaies-tu de m'éviter par hasard ? Tu as sans doute envie de vivre ça toute seule, et je le comprends, mais sache que je suis là en cas de besoin. »

Du grand Mike, je songe en posant le téléphone sur la table. Assez inquiet pour appeler, mais respectant mon besoin d'être seule. Je ne lui réponds pas de suite, il offrira de m'accompagner, et je sais que l'amener avec moi compliquerait énormément les choses, sans oublier que je devrais inévitablement tout lui balancer... Et je n'ai pas assez confiance en lui, aussi gentil soit-il.

J'attrape mon sac, et sors le mettre dans le coffre de ma voiture, avant de m'installer du côté conducteur. Je prends une grande inspiration, mets la clé dans le contact et puis...

Rien...

Pas de son, pas de lumière, pas de radio, un simple rien, un silence seulement interrompu par tous les mots orduriers qui passent de ma tête à ma bouche en un rien de temps. J'attrape mon portable et compose immédiatement le numéro de Charles. Je suis vraiment en rogne.

— Oui ? demande sa voix grave.

— Je ne trouve absolument pas ça drôle ! Tu sais, j'ai encore de la ressource, je vais aller me louer une voiture si tu ne répares pas ce que tu as bidouillé sur la mienne !

— Quoi ? Tu croyais que j'allais te laisser quitter la ville juste comme ça ? Toute seule ?

— Tu ne peux pas venir ! Ils l'ont interdit. Si tu désobéis, tu perdras ton job et ils me colleront un stagiaire aux basques.

— C'est non négociable miss, soit je viens avec toi sois tu ne bougeras pas de là ! réitère-t-il avec fermeté.

— Tu sais que je peux louer une voiture non ? lancé-je sur un ton de défi.

— Tu peux, c'est vrai, mais je doute que de marcher quelques kilomètres pour te rendre chez le concessionnaire soit envisageable, surtout que jamais tu n'y arriverais avant la fermeture. Oh et avant que tu ajoutes Mike à la liste des plans de secours, j'imagine que si tu avais vraiment voulu de son aide, tu l'aurais sans doute déjà appelé... Et corrige-moi si je ne m'abuse, mais, tu sembles plutôt essayer de faire ça incognito non ?

— Vraiment ? Tu es sérieux là ? Tu as conscience que tu choisis mal ton moment pour cette guéguerre non ? soupiré-je d'agacement, consciente d'être déjà vaincue.

— Je suis au coin de la rue, j'arrive, ajoute-t-il avant de raccrocher.

Je balance mon sac dans sa voiture après avoir renoncé à m'obstiner face à son tempérament particulièrement opiniâtre. Je m'assieds à ses côtés et nous partons pour la petite ville se situant à plus de deux heures de route.

Nous ne parlons pas vraiment, préférant nous laisser bercer par les notes que crachent les enceintes de sa radio, nous entraînant avec cette vieille musique, vers un voyage dans le temps. Des chansons passées de mode que pourtant je connais bien pour les avoir maintes et maintes fois entendues au travers des murs de la chambre de mon frère. Je chasse rapidement son image de ma tête, essayant de l'oublier quelques instants, alors que ma vie entière de fugitive se rappelle à mon bon souvenir. Alors que je sais que je lui dois toute cette merde dans laquelle je me trouve et cette putain d'obligation de me cacher.

Nous arrivons finalement à destination, tard dans la soirée, ayant été retardés par nos estomacs respectifs. J'ai toutefois bien profité de cet intermède alimentaire, puisque j'ai mis mon temps à profit pour trouver un réseau Wi-Fi et nous dégoter deux chambres à louer dans un hôtel de la région. Dès notre départ de la maison, nous avions pris grand soin de couper nos portables pour ne pas être retracés. La paranoïa ne me quittant pas, j'ai eu trop peur d'utiliser mon forfait pour faire mes recherches. J'ai évalué toutes les possibilités et acheté dans une autre ville une carte SIM et un téléphone jetable. Ils sont du FBI, il ne faut donc pas les sous-estimer. Mais à présent, même s'ils s'en rendent compte, il leur faudrait un minimum de deux heures pour venir, et ils devraient éplucher les quelque vingt-cinq motels sélectionnés dans mon historique. De quoi les occuper assez longtemps pour que je puisse aller à l'enterrement en toute quiétude. Et n'oublions pas qu'ils visent la discrétion... Je doute que des hommes en complet cravate toquant à toutes les portes des hôtels environnants, avec la description d'une jeune femme, soient discrets.

J'ai pris grand soin de choisir un motel pas trop près ni trop loin, juste pour être certaine qu'ils ne me retraceront pas de sitôt. Quand j'ai expliqué toutes les précautions prises à Charles, son sourire s'est illuminé d'une fierté à peine voilée. Il n'a rien ajouté de plus, et a conduit jusqu'à l'endroit dont je lui ai donné l'adresse.

La vie de Sarah est tranquille, et l'illusion tellement parfaite, que pendant quelque temps, j'ai vraiment réussi à y croire. Maintenant que je désobéis aux fédéraux pour mettre le pied dans une zone appartenant anciennement aux Steel et plus récemment aux Bloods, je sens à nouveau le poids exaltant du qui-vive.

***

Je suis à peine levée que Charles toque déjà à ma porte avec un entrain matinal qui me dégoûte presque. Enfin, jusqu'à ce que j'ouvre la porte et que je flaire cette bonne odeur de croissant et de café dont le fumet se fraie un chemin jusqu'à mes narines.

— Ils ont tenté de me joindre trois fois déjà, annonce-t-il en tenant le croissant devant mes yeux endormis.

Il m'explique avoir pris ses messages vocaux à partir d'un téléphone public. Je hausse les épaules, et roule des yeux. Je savais tout autant que lui que notre absence, même très courte, serait assurément portée à leur connaissance. Ça renforce tout de même mon idée première sur le fait que la maison est truffée de caméras, sinon, comment auraient-ils su si rapidement que je n'ai pas passé la nuit à la maison ?

Nous commençons par le notaire, qui me fait signer tous ses papiers avec, comme je me l'imaginais, son air glacial, me toisant de haut, comme si j'étais la dernière des imbéciles.

Madame Dubois m'a effectivement légué ses maigres économies et ses biens ont tous été vendus, conformément à sa demande, afin que seul l'argent me soit versé. La somme totale avoisine les neuf mille dollars. Je prends donc le chèque que me remet le notaire, le remercie poliment comme le ferait Sarah, même si en ce moment je suis Laura. Je m'y perds presque, à force de jouer tous ces rôles, me demandant trop souvent où se situe la vraie moi, au travers de toutes ces personnalités opposées. Nous sortons dîner sur le pouce et revenons au motel pour me donner le temps de me changer et d'enfiler une robe qui convient parfaitement à ce genre d'événement.

La cérémonie est sobre, et j'éprouve une immense peine pour son décès, mais encore plus en réalisant que je suis la seule invitée. Son George est décédé il y a longtemps, et apparemment, elle n'avait ni famille ni amis. Peut-être les a-t-elle tous perdus au fil du temps ? Peut-être qu'elle n'avait que lui au monde ? je songe alors que le prêtre fait l'éloge d'une femme qu'il n'a jamais vue vivante... C'est l'histoire de ma vie ce putain de serpent qui se mord la queue !

Ça me semble tellement triste qu'un inconnu soit celui qui dise du bien de vous, alors que cette charmante dame aurait mérité une assemblée complète, juste venue pleurer sa mort et lui rendre un dernier hommage. Je ne peux m'empêcher de faire le parallèle avec ce qui m'attend. Comment, alors que je ne laisse à personne la chance de me connaître véritablement, serait-il possible que je ne meure pas toute seule ? Je n'ai ni famille ni amis qui connaissent véritablement mon identité... Enfin, excepté Dante et Chris, bien entendu.

Lorsque je m'agenouille devant le cercueil ouvert de Madame Dubois, je songe à ce que sera ma vie dans quelques années. Mon visage se superpose au sien, pendant que je couvre du regard la salle vide.

Fuir... c'est ce que je fais toujours... Je n'aurais certes pas choisi cet endroit ni même ces fringues d'intello, mais je serais partie à nouveau ça ne fait aucun doute. D'ailleurs, dès que Matt sera sous les verrous, c'est ce que je compte faire... Une éternelle roue qui tourne sur elle-même répétant, en boucle, les mêmes erreurs et apportant tout naturellement les mêmes conséquences.

Que fuyait-elle ? je me demande alors que les employés du complexe funéraire emportent le cercueil fermé, jusqu'au trou de terre où il finira par pourrir.

L'air est sec, le soleil brille haut dans le ciel, alors que le temps, cet irrespectueux, devrait être sombre et triste. Je dépose une rose sur le cercueil qui descend doucement dans le trou. Rapidement, chacun des pétales vermillon disparaît sous une couche de terre noire.

Charles est dans la voiture, il m'attend, et bien que je sache qu'il est généralement très impatient, je prends tout de même quelques minutes pour m'asseoir devant le petit monticule de terre fraîchement retourné.

Je n'ai jamais été le genre de personne à s'épancher en public ni celle qui ressent le besoin de crier sa douleur au monde entier. Voilà pourquoi les derniers mots que je lui adresse ne sont qu'une prière mentale silencieuse qui ne franchit pas la barrière étroite que forment mes lèvres. Je regarde les feuilles qui bougent au gré du vent et me repais de la caresse de celui-ci sur mon visage. Ce lieu de prière, ce cimetière, est l'endroit même où l'on a l'impression que le temps se fige et que la plénitude vous envahit l'espace d'un instant.

Je me relève, prête à rejoindre Charles qui m'attend toujours dans la voiture, préférant nettement une sieste d'après-midi à une cérémonie officielle. Mes pas résonnent contre l'asphalte, alors que je franchis le portail de métal qui me sépare de la vraie vie. Dès que la lourde porte se referme en grinçant derrière moi, j'ai l'impression que mes épaules recommencent à peser une tonne.

Je marche vers la voiture bleue qui nous a conduits jusqu'ici. J'ouvre la portière et m'assois en soupirant. Je m'apprête à réveiller mon compagnon de route dont la tête est tournée vers la fenêtre et dont le ronflement est presque sifflant.

Je le touche du bout des doigts en murmurant doucement son nom. Il n'en faut pas plus pour que sa tête retombe mollement vers l'avant.

C'est alors que je constate, horrifiée, que son visage est maculé de sang et presque méconnaissable.

— Charles !? hurlé-je d'une voix étranglée par la panique.

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