*Chapitre 5* Dilemmes

— C'est écrit ici, voyez, en petits caractères. C'est garanti pendant deux ans ! vocifère la femme incontrôlable devant moi, agitant ses mains dans tous les sens.

Ivy lui aurait déjà collé une droite digne de son sale caractère. Elle l'aurait probablement traité de plusieurs noms d'animaux au passage, mais Sarah reste calme, patiente et répète sans arrêt les mêmes mots quand elle peut réussir à en placer une, évidemment.

— Madame, je comprends, seulement votre garantie est échue depuis deux jours...

— Non ! Puisque je vous dis que je la conduis seulement depuis le vingt-quatre septembre, il me reste donc deux jours de garantie ! insiste-t-elle.

Je respire, une fois, deux, fois, et attends qu'elle fasse de même pour enfin réussir à trouver un moment de silence pour lui répondre.

— Sauf que vous avez signé le contrat le vingt-deux, donc...

Au moment où elle tape du plat de la main sur le bureau, faisant tinter ses bagues en diamants, j'aperçois les 4x4 des mécanos qui arrivent dans le parking. Sauvée par leur entrée bruyante, je me dépêche de la diriger vers Mike qui, avec un grand sourire, réussit comme toujours à calmer la dame en moins de deux. Il la suit à l'extérieur pour inspecter la voiture, et je commence seulement à calmer la fureur qui fait encore battre mon cœur de façon erratique.

La garce, je songe, alors que je remets le formulaire dûment rempli sur le coin de mon bureau. Je vérifie mes mails professionnels, et remarque immédiatement celui de Charles, qui détonne au milieu des « devis » et des « assureurs ». L'objet porte l'inscription « top top secret ».

J'aurais probablement dû t'en toucher un mot plus tôt, mais mieux vaut tard que jamais.

Morel et Dutil cabinet de notaires, cherche à te joindre depuis quelques jours, nous savons tous les deux de quoi il est question non ?

PS. Supprime ce mail immédiatement, je risque gros.

Bon, alors je fais quoi ? Je sais ce que fait une étude de notaires, et je suis certaine que ça a un rapport avec la mort de Madame Dubois.

Je songe à lancer une recherche, mais décide finalement de remettre ça à plus tard, étant donné que l'immense fenêtre derrière moi ne m'offre aucune intimité et que Sarah ne souhaite pas avoir à rendre des comptes.

L'après-midi se passe sans heurts et Mike choisit, en tant que cogérant, de donner gain de cause à la cliente. Comment arriver à la remettre à sa place, si on laisse passer chacun de ses caprices ? je songe alors qu'il m'annonce que je dois ajouter à l'agenda deux autres rendez-vous.

— As-tu décidé si tu venais avec nous ? me demande Mike, prêt à partir pour le club dans lequel ils se rejoignent tous.

— J'en ai encore pour une heure, j'irai peut-être faire un tour après, je réponds vaguement, en fixant les chiffres sur mon écran.

J'ai vainement essayé de rester focus toute la journée, mais ça m'est impossible. J'ai l'impression d'être sur la corde raide, prête à exploser d'un moment à l'autre, n'ayant aucun exutoire pour faire sortir cette vapeur toxique qui émane de mes sentiments.

— Dac, tu as mon numéro de portable au besoin, ajoute-t-il avec un sourire, avant de se pencher vers l'écran et de pointer un truc hypothétique, comme si j'essayais de lui faire voir quelque chose.

Il reste les yeux fixés droit devant lui et chuchote à mon oreille d'une voix suave :

— J'aimerais bien que tu passes faire un tour, tu sais, histoire que je puisse quitter l'endroit au bras de la plus sexy de toutes.

Je pouffe. Il est de notoriété publique qu'il tente sa chance avec moi depuis mon arrivée, il ne s'en est même jamais caché aux yeux de nos collègues. Même si je devrais sans doute y mettre un frein, ces petits jeux de secret m'amusent et m'émoustillent à la fois.

— Je vais y songer, mais qu'est-ce qui te dit que la plus jolie de toutes a envie de rentrer avec toi ?

— Je compte juste lui souffler au creux de l'oreille tout ce que j'ai envie de lui faire cette nuit, et je sais que je tiens là, un argument de poids, ajoute-t-il avec une confiance démesurée.

— Tu ne mourras pas d'une surdose de modestie hum ? laissé-je échapper d'un air entendu.

— Connaître ses forces n'est pas une insulte à la modestie ! rétorque-t-il alors qu'un sourire ravageur illumine son visage.

Il s'écarte en s'exclamant théâtralement : « oh j'ai enfin compris, merci Sarah de m'avoir briefé. » Il ajoute un clin d'œil complice avant de s'engouffrer derrière les immenses portes à double battant menant au cœur du garage.

Les hommes partent tous, comme prévu, à la fin de la journée pour se rendre dans le petit bar du quartier et faire leurs au revoir à un homme qui prend sa retraite après quarante ans de bons et loyaux services. Ils réitèrent l'invitation chacun leur tour, à croire qu'ils se sont donné le mot...

Gerry, l'autre propriétaire, me demande même si c'est parce que je suis intimidée d'être la seule représentante du genre féminin dans une soirée entre mecs, avant de m'assurer que je n'ai pas à être embarrassée.

Pauvre de lui, s'il savait...

Je m'efforce d'être gentille, ouverte et courtoise, mais j'essaie néanmoins de garder mes distances. Un jour ou l'autre, je quitterai cet endroit, et fort probablement de façon aussi spontanée que j'y suis arrivée. C'est-à-dire sans pouvoir aviser qui que ce soit. Mon seul souhait est d'avoir laissé le moins de traces possible de ma venue avant de m'éclipser.

Mike est, pour sa part, une exception à ma règle, je n'ai pas su résister...

Il me faisait continuellement des avances, en plus des œillades discrètes que je sentais sur certaines parties de mon anatomie, réchauffant doucement mes sens. Puis, son corps frôlant le mien au détour d'un couloir, sans oublier ce sourire à se damner, franc et communicatif...

J'ai vraiment essayé, mais quand j'ai aperçu Dante et sa pute, quelque chose s'est brisé en moi. J'ai eu la visite d'une vieille amie qui m'a rappelé mes démons du passé, m'agitant sous le nez le meilleur remède à la douleur : l'envie de vengeance... Quelques jours plus tard, un soir où je travaillais tard, j'ai traversé la partie garage faisant claquer mes talons sur le sol, jusqu'à la voiture sous laquelle Mike était étendu.

Évidemment, ce fut ma première erreur...

J'ai vainement tenté de lui parler, mais me suis souvenu que les écouteurs crachant de la musique dans ses oreilles ne lui permettaient pas de m'entendre. J'ai donc posé ma main sur sa cheville et j'ai tiré vers moi le banc à roulettes sur lequel il était couché.

Il m'avait gratifié de son sourire tentateur, que j'avais feint d'ignorer. Je m'étais accroupie à sa hauteur, feuilles en main pour lui montrer le chiffre que je n'arrivais pas à deviner, et c'est précisément là que j'aurais dû m'enfuir. Il avait saisi mon poignet pour mieux regarder la feuille tremblante entre mes doigts. Je m'étais raidie avec une rapidité hors du commun quand l'électricité avait quitté son corps pour venir courir dans chacune de mes terminaisons nerveuses. Il avait levé les yeux vers moi, et surpris mon regard figé sur sa paume. J'avais aussi levé la tête dans sa direction, et bien contre mon gré, j'avais littéralement plongé dans ses prunelles marines. Le désir fauve qu'il peinait visiblement à réprimer m'avait aussitôt subjuguée.

Et allez savoir comment, mais l'instant d'après, sa main remontait le long de ma nuque approchant mon visage du sien, jusqu'à ce que nos lèvres entrent en contact et que cette explosion de sensations m'étreigne tout entière. L'image de Dante avait alors surgi dans mes pensées, et au moment où ma raison commençait à reprendre le dessus, l'image des mains de mon époux sur le cul de cette catin m'a frappée avec la force d'une tonne de brique.

L'idée que je me languisse de lui alors qu'il n'en avait rien à faire de moi me torturait depuis des jours. Plus tôt je me remettrai en selle, plus tôt cessera l'emprise de Dante sur moi, avais-je alors songé en souhaitant mettre fin le plus rapidement possible à cette farce que j'appelais mariage.

La minute suivante, j'étais assise à cheval sur le corps particulièrement ferme de Mike, la jupe relevée sur les hanches, et je sentais pousser sur ma culotte de coton la proéminence de son entrejambe.

Nous avions exploré mutuellement nos bouches de coups de langue effrénés, laissant échapper l'un et l'autre des gémissements exaltants de plaisirs.

Des échanges à en perdre haleine, dignes d'adolescents essayant d'étancher maladroitement leur appétence. L'arrivée impromptue de Gerry, l'autre proprio, venu travailler au bureau pour échapper à sa femme et à ses quatre gosses survoltés, nous avait fait revenir les deux pieds sur terre à une vitesse fulgurante.

Nous avions eu le temps de nous séparer, et j'avais tenté de paraître aussi détachée que possible, parlant de chiffres mensuels alors même que je sentais encore le mordillement sensuel de Mike sur mes lèvres gonflées de ses baisers ardents.

J'étais rentrée tout de suite après ça, me flagellant presque de m'être conduite comme une nymphomane. Puis, le soir même, il m'avait envoyé quelques textos, jusqu'à ce que ces échanges de messages deviennent une routine, soir après soir.

Des rendez-vous éclair dans la salle de bain du boulot pour un échange de baisers bouillonnants...

Des jeux innocents, du moins jusqu'à ce que la veille je nous fasse passer à un tout autre niveau.

Poussée par la colère ressentie après avoir trouvé sur le net des photos extraites de cette rencontre des Steel, obnubilée par les images d'un ténébreux président susurrant dans la nuque d'une autre, j'ai franchi le pas de trop. Me défaire de son emprise une fois pour toutes, voilà ce qu'il fallait que je fasse. J'avais saisi mon portable, m'étais déshabillée, ne gardant que mes sous-vêtements noirs, et j'avais photographié le moment sur le vif avant d'envoyer le tout à Mike avec pour seul objet mon adresse. Il avait déboulé chez moi en une quinzaine de minutes, et dès que j'avais ouvert la porte, il m'avait ramenée à lui. Avant de la refermer d'un coup de pied, il n'avait décollé ses lèvres des miennes que pour cette seule question :

— Où est ta chambre ?

Je n'avais fait qu'un signe du menton vers l'escalier ma bouche prise à nouveau de l'assaut d'une vague de baisers plus exigeants les uns que les autres, m'appelant vers un plaisir charnel passionné et vorace. Il avait pourtant été doux et généreux, insufflant derrière chacune de ses caresses son désir ardent.

Quand je lui avais dit « baise-moi » et qu'il m'avait répondu qu'il me ferait l'amour, ça m'avait mise très mal à l'aise. Entre nous, il n'y avait pas d'amour, avais-je failli lui rétorquer avant d'être convaincue par sa main glissant langoureusement dans ma culotte. J'avais tout de même compris une chose...

C'était, ma toute première vraie fois... c'était sexy, satisfaisant et très sensuel... ce n'était pas la passion torride comme avec mon sulfureux biker, et c'est précisément ce que je souhaitais éviter. En résumé, je sens que j'ai lancé une machine que j'aurai de la difficulté à arrêter. Pour l'heure, j'en suis encore à essayer de statuer si Mike est une passade m'empêchant de m'enliser dans les sombres abymes de mon passé, ou si au contraire je me laissais perdre dans cette histoire.

J'attends que les retardataires soient tous partis et dès que je me suis assurée que c'est bien le cas, je recherche sur Google le nom du notaire que je note sur une feuille avant de fermer la fenêtre de recherches et de l'effacer de mon l'historique. Une vieille habitude que j'apprécie d'avoir encore.

Je glisse le papier dans mon sac et éteins toutes les lumières avant de verrouiller les portes et de m'asseoir à nouveau, combiné en main. J'aurais pu passer cet appel de mon domicile, mais pour une raison douteuse, je préfère l'intimité de mon bureau. La maison m'a gracieusement été fournie par les fédéraux chargés de ma protection, qui ont eu maintes et maintes fois accès à chacune des pièces de ma demeure. Ils m'ont aussi fourni mon portable et ma ligne téléphonique. Tout ce que je possède, exception faite de ma voiture, est d'abord passé par leurs mains.

Je suis probablement devenue paranoïaque avec le temps, mais comme ils souhaitent coincer les gangs de motards et que je suis la femme de l'un d'entre eux, il me paraîtrait particulièrement stupide de leur part de ne pas m'avoir mise sur écoute et de ne pas avoir truffé la maison de micros pour trouver ne serait-ce qu'une minuscule information pouvant faire tomber les Steel.

— Morel et Dutil notaires bonjour, comment puis-je vous aider ? demande la voix féminine au bout du fil.

— Bonjour, je suis Laura Bédard, je réponds en baissant légèrement la voix et en scrutant la pièce vide dans laquelle je me trouve. Vous cherchiez à me joindre ? ajouté-je avec plus d'assurance.

— Ne quittez pas madame Bédard, je vais voir si Monsieur Morel est disponible.

Elle me met en attente avec cette musique d'ascenseur qui vous donne envie de faire une dépression spontanée. Quelques instants plus tard, une voix d'homme se fait entendre.

— Bonjour, Madame Bédard. Jean Morel, je suis le notaire de Madame Dubois et je cherchais à vous joindre depuis quelques jours. J'imagine que la personne qui vous a transmis mon message s'est aussi chargée de vous annoncer la mauvaise nouvelle ?

« Mauvaise nouvelle » résonne dans ma tête, prononcé par une voix qui exprime quant à elle autant d'émotions qu'un bloc de glace.

Il doit être habitué à force, j'essaie de me convaincre. Mais non, je ne pense pas qu'il soit possible de s'habituer à annoncer la mort, cet homme est probablement froid de nature.

— Oui, j'ai appris, mais je ne suis pas certaine de bien comprendre pourquoi vous cherchiez à me joindre.

— Vous êtes apparemment la seule héritière de Madame Dubois, ajoute-t-il placidement comme s'il me prenait déjà pour un escroc de la pire espèce.

— Et si je refuse ? demandé-je pour le défier et lui montrer à quel point je suis loin d'être la croqueuse de diamants qu'il semble penser.

— Alors son corps sera incinéré sans cérémonie, et son argent donné à l'État.

Un silence pesant au bout du fil, et mes pensées qui roulent à fond dans ma tête.

— Alors, vous comptez venir me rencontrer pour donner à cette charmante vieille femme les funérailles qu'elle mérite ? demande-t-il d'une voix bien plus douce, comme s'il était à présent rassuré sur mes intentions.

Je sais que les fédéraux ont déjà refusé et que Charles risque gros juste pour me l'avoir dit.

Mais...

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