*Chapitre 4* Cage

De toute ma vie, je n'avais jamais expérimenté le concept de faire l'amour. Pas sur une table, un divan miteux ou encore un comptoir de bar... Non, dans un lit, avec le reflet de la lune s'infiltrant par une fenêtre dont nous n'avions pas pensé à tirer les rideaux.

Son corps massif étudiant le mien et mes réactions à chacune de ses caresses langoureuses. Il serait faux de dire que je n'ai pas apprécié l'expérience. Néanmoins, j'aurais préféré que le souvenir des prunelles noires de mon ancien amant ne vienne pas troubler le procédé.

C'était tellement nouveau, un désir bien réel et le temps nécessaire pour l'assouvir pleinement. Des gestes affectueux et un plaisir offert avec une tendresse infinie. Honnêtement, bien que je puisse concevoir la différence entre les deux, il m'est impossible de dire ce que je préfère le plus. Quoique, mon incapacité à chasser Dante de mes songes parle d'elle-même...

Derrière une baise torride et passionnée, il n'y a que le sexe et cette urgence de combler un vide abyssal, tandis que dans les gestes de Mike, j'ai plutôt senti de la douceur et un espoir d'avenir.

L'avenir, voilà exactement ce qui me laisse un goût amer en bouche ce matin. Voilà ce qui fait virevolter les pensées dans ma tête. Le futur, je ne sais pas vraiment ce que cela signifie, ayant hypothéqué le mien depuis tellement longtemps.

Puis-je encore songer y avoir droit ? Bien entendu, n'importe qui de normalement constitué répondrait que oui, que j'ai droit à une seconde chance. À cela, je rétorquerais que, si Mike est l'homme bon qu'il laisse croire, il ne mérite pas d'être uni à une meurtrière déjà mariée, et qui le met en danger, car son frère psychopathe rôde à sa recherche quelque part... Même si je suis encore très en colère contre lui, le fait est que je l'aime toujours. Et le pire dans tout ça, c'est que même si j'étais honnête, jamais je ne pourrais lui avouer.

Donc, que répondriez-vous maintenant, si je vous demandais : ai-je droit à cette chance, au détriment d'un homme dont tout me porte à croire qu'il est foncièrement bon ?

— Sarah ? Ça va ma belle ? Tu as l'air drôlement songeuse ce matin, demande doucement Mike.

— Oui, ça va, je réponds en avançant vers lui, affichant un sourire sincère.

— Tu regrettes ? poursuit-il en me sondant de son regard bleu marin.

— Non... rétorqué-je avant d'enrouler mes bras autour de son cou.

Il enserre ma taille, me ramenant contre sa poitrine, avant de m'étreindre durant de longues minutes.

— Tant mieux, parce que j'ai vachement envie de recommencer, ajoute-t-il en attrapant mes fesses.

Je rigole et noue mes jambes autour de sa taille, me laissant porter comme un poids plume jusqu'à la chambre du deuxième étage.

***

— Les mecs du garage organisent un pot de départ pour Sal, tu y vas ? demande-t-il en enfilant un t-shirt de travail bleu foncé me rappelant les teintes froides illuminant son regard.

— Ensemble ? demandé-je essayant de cacher la peur grandissante de l'engagement au creux de mon ventre.

— Non, pas obligatoirement ensemble comme un couple. Si tu préfères, ça peut être juste entre collègues, même si je souhaiterais qu'ils sachent tous que je suis le chanceux qui partage ton lit, et qu'ils arrêtent de te mater les fesses, ajoute-t-il en levant les yeux au ciel.

Je souris gentiment et fais mine de réfléchir même si j'ai déjà pris ma décision.

— J'ai des commandes en retard à traiter, mais si j'ai le temps, je vous y retrouverai, je réponds distraitement en me levant, encore complètement nue après nos ébats, cherchant désespérément à faire diversion avant de me glisser dans la salle de bain.

Je verrouille derrière moi, presque certaine qu'il ne franchira pas le seuil de la porte, puisqu'il est attendu au boulot et n'est déjà pas en avance. Je laisse l'eau chaude couler sur ma peau, fermant les yeux et laissant défiler derrière mes paupières closes, les images de la nuit dernière. Est-ce que j'y crois vraiment ? Est-ce véritablement le début d'une histoire ou plutôt une passade pour occuper le temps et me donner l'impression que je réussis vraiment à oublier Dante ? Comment pourrais-je envisager une nouvelle histoire, alors que ce dernier occupe encore mes pensées ?

J'ai trahi Dante, j'ai fait souffrir Chris, et ne souhaite surtout pas ajouter Mike à la longue liste des gens que j'ai récemment déçus... Je rince mon shampoing qui dégage une douce odeur d'été, en essayant de trouver des réponses aux mêmes éternelles questions qui occupent mon esprit. Quand je sors finalement de la salle de bain embuée, je constate avec un léger soulagement coupable que Mike est bel et bien parti au boulot. J'enfile une robe soleil rouge, légèrement échancrée, et chausse rapidement les talons aiguilles assortis en me dévisageant dans le miroir antique qui trône au coin de la pièce. Un seul rendez-vous chez la coiffeuse a suffi pour me débarrasser du noir avec lequel j'avais pris l'habitude de teindre mes cheveux, laissant mon châtain clair naturel reprendre ses droits.

Je n'ai plus rien d'Ivy, si ce n'est ce lourd passé parsemé de secrets sombres que nous partageons. Je soupire en me dévisageant. Sarah est aussi douce et souriante qu'Ivy est sarcastique et égoïste. Préférer largement être Ivy fait-il de moi une mauvaise personne ? À force de jouer des rôles, je m'y suis véritablement perdue, cherchant toujours à trouver ma place et à définir ma véritable identité.

Je prends ma voiture, celle que j'ai dû acheter avec mon mince salaire, puisqu'on m'interdit de toucher à mes avoirs le temps de trouver Matt. Je devrais sans doute être pressée d'en finir avec cette histoire, mais étonnamment, c'est tout le contraire, car quand ils attraperont Matt, je récupérerai les droits sur mon existence, et à ce moment, je redoute les choix que je devrai faire, et ce qu'il restera de mon moi véritable...

Je gare la voiture sur le parking à côté de celle de Mike. Les gars savent que je finis de travailler bien souvent plus tard qu'eux et que du coup, je suis la dernière à partir. C'est pour cette raison qu'ils ont peint mes initiales sur l'asphalte du stationnement numéro trois qui m'est maintenant officiellement attribué. Je salue les mécanos déjà installés dans le garage séparé de mon bureau par une gigantesque baie vitrée. J'ouvre l'ordinateur et commence à vérifier les requêtes d'inspections demandées au cours de la fin de semaine. Le temps passe à une vitesse fulgurante et déjà, les hommes sortent déjeuner. Je suis donc seule et savoure le calme ambiant. En farfouillant dans un tiroir pour trouver un formulaire, la porte émet un tintement de cloche qui m'avise qu'un client vient perturber ma solitude.

Je lève les yeux vers le client mystère, et tombe nez à nez avec l'agent responsable de mon dossier. La seule personne au monde à savoir qui je suis réellement et qui connaît mon lieu de résidence, sans parler de certaines confidences que je me suis laissé aller à lui faire.

— Bonjour Charles, dis-je en lui signifiant du plat de la main, les bureaux vides aux alentours.

Je sais que s'il vient me voir, ici, à cette heure précise, c'est qu'il doit vouloir me parler seul à seule et sans laisser de traces, comme le protocole l'ordonne lors des rencontres non officielles.

— Ça va toujours bien petite ? me demande l'homme d'une cinquantaine d'années, de son ton paternel habituel.

— Oui, ça va... Quoique, ça dépend toujours de la raison de ta présence ici, ajouté-je en étudiant son visage impassible.

Il rit de bon cœur, même s'il semble quelque peu mal à l'aise.

— Perspicace, je vais penser à ajouter ça à ton dossier, répond-il tout sourire, avant de reprendre ses esprits et son air professionnel, comme si nos patrons respectifs pouvaient nous espionner jusqu'ici.

Il s'approche du bureau, se positionnant face à moi et baisse légèrement la tête avant de parler tout doucement, pour n'être entendu de personne.

— Écoute-moi bien, je n'ai pas le droit d'être ici, et c'est bien pire qu'une mauvaise initiative, puisque j'ai fait la demande et qu'elle a été refusée, donc je désobéis sciemment à un ordre direct.

Il prend une pause légèrement exagérée, alors que je cesse de respirer imaginant déjà le pire...

— Est-il arrivé quelque chose à Dante ? Ou à un autre des Steel ? À Chris ? Ils ont trouvé Matt !? m'emporté-je ne lui laissant plus la chance d'en placer une.

Il perçoit sans doute le mélange d'espoir puis d'inquiétude dans mes prunelles puisqu'il dépose une main bienveillante sur mon épaule, avant de poursuivre.

— Ce ne sont pas eux Sarah. Tu te souviens d'une certaine Madame Dubois ? questionne-t-il l'air grave.

— Oui, c'était notre voisine, à Chris et moi quand nous vivions... Bref oui, pourquoi tu me demandes ça ?

— Vous étiez proches ?

— Forcément, elle était la seule personne à qui j'ai pu parler pendant six mois, alors que Chris me faisait la tête chaque minute de chaque jour... Et, bon, pour être honnête, j'ai peut-être continué à lui envoyer des lettres sans adresse de retour depuis mon arrivée, avoué-je, certaine maintenant d'avoir été prise en flagrant délit et que c'est précisément la raison de sa présence en ces lieux.

— Sarah ! Merde ! lâche-t-il tandis que ses grands yeux expriment un réel mécontentement.

— Elle est seule depuis trente-six ans ! Son mari est mort et elle n'a pas d'enfant ! me défends-je aussitôt avec véhémence.

Je n'aurais pas dû, c'est vrai, mais je veillais à ne lui donner aucun détail. Je lui écrivais des lettres que j'envoyais du bureau de poste de la ville en périphérie de la nôtre. Elle n'était plus très jeune, et je voulais qu'elle sache qu'une personne pensait toujours à elle, qu'elle n'était pas si seule au monde... Et peut-être qu'au passage, j'y trouvais aussi mon compte en ayant l'impression d'avoir pu créer un lien bien réel.

J'ai disparu de la vie des autres, des Steel, de mes collègues du café, de ma tante et ma cousine, ça fait huit ans que je disparais sporadiquement de la surface de la Terre. Avec elle, je n'ai simplement pas eu le courage.

— C'est complètement stupide et dangereux pour elle comme pour toi ! me sermonne-t-il de sa voix grave.

— Je sais, mais tu ne m'entendras pas te dire que je regrette, rétorqué-je sûre de moi. J'ai pris un risque calculé. Et je ne mets que moi en danger !

Il me fixe toujours de ses gros yeux partiellement ombragés par ses sourcils broussailleux.

— Bon, alors, sauf venir me faire la morale, tu as une autre raison d'être là ? le questionné-je pressée de retourner au boulot pour mettre un terme à notre désaccord. Quoique ça me fournirait l'excuse parfaite pour esquiver la fête de départ de Sal...

Non pas que je n'apprécie pas ce dernier, mais je tente d'éviter de créer trop de liens avec les personnes m'entourant. Il semble hésiter, et comme chaque fois que c'est le cas, il passe la main dans sa barbe poivre et sel. J'attends patiemment, histoire de ne pas le brusquer et qu'il décide de ne rien me dire maintenant que ma curiosité est piquée.

— D'abord, tu vas promettre de nous donner le temps d'en parler et que tu ne prendras pas une décision précipitée et impulsive, précise-t-il d'un regard entendu, comme si j'étais exactement le genre de fille à tout faire sur un coup de tête.

Bon, peut-être que c'est le cas pour Ivy, mais absolument pas pour Sarah...

— La dame en question est décédée dans son sommeil, il y a quelques jours. J'ai eu ordre de ne pas t'en parler, mais je trouve ça injuste. Après tout, tu es ici sur une base volontaire, alors je pense que tu es en droit de savoir.

— Quelques jours ? répété-je abasourdie.

Je ne peux lui tenir rigueur de son silence, mais je suis quand même dégoûtée de ne l'apprendre que maintenant, alors que sa mort ne date pas d'hier. Je veux bien jouer le jeu, apprendre à changer pour endosser le rôle qu'on m'a collé, mais je n'ai certainement pas signé pour être la fragile marionnette de ces flics en cravate.

— L'ont-ils déjà enterrée ? demandé-je en mordant ma lèvre comme si cela faisait une réelle différence.

— Jeudi qui vient.

Je me lève, incapable de rester assise plus longtemps, arpentant le bureau comme un fauve, bouillonnant de l'intérieur.

— Merde ! sifflé-je entre mes dents. Ai-je la permission de ces seigneurs et maîtres d'y aller ? interrogé-je hautement sarcastique.

Il ouvre la bouche, et au même moment, le tintement de la porte principale se fait à nouveau entendre.

Il secoue doucement la tête de gauche à droite, répondant silencieusement à ma question, alors que la femme maniaque qui traque Mike arrive au comptoir, les joues rosies par la fureur.

J'ouvre la bouche pour essayer de demander à Charles de rester, mais il recule déjà, esquissant un léger sourire triste avant de partir, me laissant seule avec la folle furieuse.

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