*Chapitre 3* new life

Je compte sur le bout de mes doigts en réfléchissant. Voyons voir, je suis ici depuis presque quatre mois, j'ai passé six mois dans le minuscule appart avec Chris, pour un grand total de dix mois, depuis que Keith est mort et que Matt est en fuite.

Dix longs mois, quarante semaines, deux cent quatre-vingts jours, je songe en arrêtant là le calcul. Peu importe la façon de le dire, il n'en reste pas moins que je vis toujours dans l'attente de récupérer ma vie. Elle appartenait jusque-là à mon but premier auquel je me dévouais corps et âme, c'est-à-dire me débarrasser du meurtrier des membres de ma famille. J'ai toujours pensé qu'il n'y aurait pas d'après, comme si ma vie s'arrêterait en même temps qu'il pousserait son dernier souffle.

Pourtant, depuis sa mort, depuis que je n'ai plus de pensées lugubres et obsessionnelles de vengeance, je ressens une toute nouvelle urgence de vivre.

Je n'en suis pas encore au stade de la to do liste, mais l'idée d'avoir une vie normale devant moi me séduit sincèrement.

— Hé Sarah, tu m'as laissé du café hum ? demande une voix masculine qui me sort de ma rêverie.

— Oui, sur le plan de travail, je réponds distraitement alors que Mike dépose un doux baiser dans mon cou, m'arrachant un frisson.

Il marche jusqu'à la cafetière, me laissant admirer ses jolies fesses rebondies, parfaitement moulées dans son boxer gris.

Je ne le fréquente pas officiellement, cependant si j'arrivais à m'enlever Dante de la tête, cela pourrait être appelé à changer. Il flirte avec moi depuis notre première rencontre, soit lors de mon premier jour officiel de boulot. J'étais flattée, mais impossible de m'approcher de lui, sans avoir la désagréable impression de trahir Dante dont je n'ai plus aucune nouvelle depuis mon refus de le suivre. Je suis quand même mariée avec Dante, peu importe les raisons véritables, ce mariage est réel, d'un point de vue légal du moins. Pour ce qui est du côté sentimental en revanche, c'est nettement plus complexe. Je le sens toujours palpiter quelque part entre mon cœur et mon âme, mais je sais que Matt se servirait de lui pour m'atteindre et l'inverse est aussi vrai.

Je suis désormais Sarah, une célibataire indépendante venue chercher le succès dans une grande ville avant de se retrouver désillusionnée à travailler dans un bled perdu. Voilà l'identité que les flics m'ont concoctée après avoir déboulé dans l'appartement. Apparemment les voisins ont porté plainte, vu le bruit qui régnait dans le logement. La cavalerie a débarqué et ils ont défoncé la porte, du moins ce qu'il en restait, en seulement une fraction de seconde, nous prenant tous par surprise. Trop obnubilés par nos conflits et nos volontés propres, aucun de nous ne s'est soucié d'avoir alerté la moitié de la rue. Nous avons été pris comme des débutants. Et à cet instant, j'ai une pensée pour la vieille Madame Dubois qui devait être terrorisée par les cris de colère et les bruits de rixe lui parvenant de chez son gentil couple amoureux de voisins. Si ça se trouve, c'est peut-être même elle qui a alerté les flics. Qui pourrait l'en blâmer ? Normalement, un flic est supposé surveiller l'entrée de l'immeuble depuis son véhicule, mais j'imagine que Dante a trouvé un moyen de l'esquiver.

Cela étant dit, les flics sont entrés, et pas qu'un seul. Je parle d'au moins cinq à l'intérieur de l'appartement et tout autant sur le palier, tous vêtus d'uniformes noirs me rappelant l'unicité d'une équipe du SWAT. Dante est resté aussi calme que Chris muet. Ils m'ont tous deux regardée, chacun avec leur réprimande silencieuse au fond de leurs prunelles, tour à tour destructrices et inquisitrices. Dante a finalement ouvert la bouche pour me poser une seule et unique question, alors même que les policiers braquaient leurs armes sur lui en hurlant de se mettre à genoux.

— Ta décision est prise, tu en es bien certaine ? avait-il demandé à peine troublé par les ordres qu'on lui aboyait.

Sa voix m'avait alors paru froide, à la limite du glacial, alors qu'il détachait ses mots les uns des autres avec un contrôle le représentant bien. Je venais de lui dire que je ne le suivrais pas, que je resterais au service des flics pour attraper Matt et témoigner contre ce dernier. Je n'avais donc pas eu besoin de précision quant à la nature de sa question. Si j'avais répondu que je restais avec lui, je ne sais pas exactement ce qu'il aurait fait, ni même comment il s'y serait pris, mais je ne doute nullement qu'il m'aurait retrouvée encore, et serait revenu me chercher. Ses iris noirs ont brillé d'une rage pure l'espace d'un instant, me faisant hésiter alors que je regrettais déjà ma décision.

Il s'était docilement laissé tomber au sol juste devant moi, alors qu'un flic lui avait asséné un coup derrière les genoux. Ils l'ont menotté et tout du long, son regard sombre n'avait cessé de me fixer. Il n'avait pas non plus bronché quand ce fut le tour de ses hommes et qu'on leur avait lu les chefs d'accusation justifiant leur arrestation. Notamment entrée par effraction.

Une affaire qui sera vite oubliée vu que les flics souhaitent que notre couverture ne s'ébruite pas, mais le meilleur moyen pour les empêcher de nous suivre alors qu'ils nous cacheront à nouveau. Ils les ont alors embarqués sans qu'aucun d'eux ne proteste. Un silence de mort régnait déjà dans la pièce, et quand Dante a passé la porte, son regard de marbre a quitté le mien. Sans que je le comprenne immédiatement, avec son départ, il emportait alors avec lui, une partie de moi.

Ce fut la toute dernière fois où je le vis.

Le soir même, on nous a envoyé dans un motel miteux, et j'ai eu, pour la première fois depuis des mois, un moment salvateur de solitude. Seule avec moi-même, avec pour unique compagne, ma conscience honteuse. Je savourais cet isolement qui m'avait cruellement manqué tout en luttant avec ma culpabilité. Un officier était venu me chercher très tôt le lendemain, et m'avait conduite dans une voiture banalisée jusqu'à un nouvel endroit, bien plus loin cette fois, à environ deux heures d'où je me planquais avec Chris.

Il avait parlé durant tout le trajet, m'expliquant ma nouvelle identité, me questionnant pour être certain que j'avais tout mémorisé, avant de finalement m'abandonner devant une maison qui manquait cruellement d'amour et qui était décorée à la mode des années 80.

Je me rappelle m'être retournée pour le questionner, une lueur d'incompréhension dans le regard.

— Où est Chris ? avais-je demandé.

— Chris n'existe plus, au même titre qu'Ivy Blanchard ou Evelynn Belleau. Il a lui aussi une toute nouvelle identité, et sera, pour ta protection et la sienne, caché ailleurs.

— Vous décidez ça juste comme ça ? Sans même nous avoir consultés ? lui avais-je alors demandé.

Le malaise avait envahi son visage quand il s'était finalement décidé à me répondre.

— C'est Chris qui en a fait la demande, ce fut long vu les délais des bureaucrates, mais vous êtes exaucés maintenant.

Trahison, colère, et acceptation. Trois phases avec lesquelles j'avais lutté au cours de la semaine suivante, alors que je tentais de m'approprier les lieux. Il m'avait demandé de mettre ma vie sur pause pour sauver sa carrière, et j'avais accepté, me protégeant de Matt et de la prison. Mais là, j'étais seule, loin de tout et toujours en danger. Quoique je doute que Matt aille jusqu'à me faire du mal lui-même, préférant sans doute m'envoyer un de ses larbins... J'ai partagé mes premières semaines avec une peine de cœur et une dépression sans fin. Je me suis rejoué un nombre incalculable de fois la scène, mais, dans cette version, je fuyais avec Dante. L'issue était la même en revanche. Dante, Chris et moi emprisonnés et accusés de meurtre.

Puis au fil des jours j'ai dû être résiliente. Je ne savais pas combien de temps durerait cette mascarade et bien que je n'en souhaitais rien, j'ai réalisé à quel point j'avais entre les mains, une seconde chance de me rebâtir. Une nouvelle identité, une nouvelle ville, et plus rien de mon passé pour entraver l'avenir. Du moins, pas tant qu'ils ne mettraient pas la main sur Matt...

Un policier du nom de Charles venait me voir une fois par semaine, en civil, pour me donner des infos et veiller au grain. J'ai donc, après quatre semaines ennuyeuses à mourir, demandé à avoir le droit de me trouver un boulot pour tuer le temps. Il a accepté et débattu ce point devant ses patrons qui avaient refusé d'emblée. Puis, quand ils ont finalement donné leur accord lors d'un énième plaidoyer, il m'a aidée à trouver un poste de secrétaire dans un garage.

C'est là que j'ai rencontré Mike, chef mécanicien et copropriétaire aux mains tachées d'huile, au regard franc et au corps à faire damner toutes les clientes et ce, peu importe la tranche d'âge. Je l'ai d'abord repoussé en m'amusant néanmoins de son intérêt soutenu. C'est un homme drôle, honnête, avec un métier tout ce qu'il y a de plus réglo.

Bref un type adorable et prévenant, ce qui me change diamétralement des Steel. J'ai pourtant tenu bon, et l'ai repoussé avec fermeté, puisque le souvenir de Dante hantait encore mon esprit.

Mike ne s'est pas laissé démonter, prenant mes non pour des défis, alors que déjà le manque de contacts humains se faisait sentir. Puis un soir tout a basculé. Lors de la diffusion du journal télé, le présentateur parlait du retour en force des Steel, du tout premier chapitre. Le seul autre chapitre de plus haute importance que celui de Dante, jadis. Apparemment, plusieurs réunions au sommet avaient été organisées dans les dernières semaines, et les plus hauts gradés, à savoir tous les présidents et vice-présidents de l'organisation s'y étaient présentés. Les journalistes prenaient des images et semblaient subjugués par le défilé des hommes en cuir, passant les portes d'un incroyable bunker en adressant des doigts d'honneur et des sourires condescendants aux flics venus surveiller ce rassemblement d'envergure.

J'ai lâché tout ce que je tenais en main et j'ai couru dans le salon pour me planter devant le téléviseur. Mon cœur a cessé de battre, à la recherche d'un regard ténébreux et d'une mâchoire carrée, suppliant presque devant mon poste de télévision pour ne l'apercevoir qu'une minuscule fraction de seconde.

Et je fus exaucée, il fit enfin son apparition, tout de noir vêtu, souriant d'un air narquois aux caméras, faisant ressortir ses minuscules fossettes qui creusaient ses joues et qui avaient l'habitude de me faire fondre.

J'ai fait pause sur l'image, quelques minutes, me délectant de cette scène et doutant une fois de plus de ma décision, me demandant si ma place n'était pas plutôt auprès de lui. Son sourire transperçait l'écran me donnant presque l'impression qu'il m'était adressé, et déclenchant le souvenir coquin de son contact sur ma peau.

Puis, tout a soudainement basculé, une pute en minishort, bas résille et haut de maillot, est apparue à son tour à l'écran. Elle a couru et a sauté dans les bras de Dante, entortillant ses jambes bien trop maigres autour des hanches de ce dernier. Il l'a accueillie d'une main qu'il a posée sur ses fesses sous l'œil des caméras et surtout, avec une convoitise évidente.

La nausée m'avait instantanément envahie. J'étais en colère, une frustration qui n'avait pas lieu d'être réellement, puisque je n'ai jamais reconnu mon mariage comme étant un mariage d'amour, mais plutôt d'intérêt...

Je n'aurais pas dû être bouleversée par cette vision, je n'aurais pas dû en souffrir. J'ai repoussé Dante. J'ai fait le choix de ne pas le suivre, et pourtant, ces sentiments étaient tous là, bien réels et m'assaillant de toutes parts.

J'avais alors lancé la télécommande avec force dans le téléviseur et directement sur la salope !

L'appareil avait émis une protestation sonore avant de s'éteindre et de me laisser admirer mon horrible reflet dans son écran désormais noir.

Il ne me doit rien, j'avais essayé de m'en convaincre cette nuit-là et les suivantes, alors que la douleur m'était insoutenable. Puis, tranquillement sans m'en rendre compte, à la recherche de quelque chose pour emplir cette plaie béante, j'avais laissé Mike s'infiltrer dans ma vie.

C'est ainsi que la veille, anéantie par ma sombre découverte, j'ai finalement exaucé Mike, en acceptant qu'il passe la nuit à la maison...

J'ai couché avec lui, et pour la toute première fois de mon existence, quand j'ai dit à un homme de me baiser, il m'a répondu non.

— Les femmes comme toi, on ne les baise pas, on leur fait l'amour...

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