*Chapitre 1* - coups et blessures

— Qui ? lâché-je à Chris qui semble à bout de nerfs.

Il court déjà dans ma chambre, et ouvre les tiroirs à la volée pour enfouir le peu que j'ai dans le gros sac de sport rouge qu'il tient à la main.

— Chris ? Qui arrive ? demandé-je pour la deuxième fois, en essayant de garder mon calme.

Il se tourne alors vers moi, les yeux exorbités et la bouche grande ouverte, je n'ai pas le temps d'entendre sa réponse qu'un grand fracas retentit dans le minuscule salon. Je n'ai pas besoin d'aller voir, je sais déjà que c'est la porte qui a été arrachée de ses gonds sous la force d'un impact encore non identifié. Chris, ce fidèle chevalier blanc, se poste devant moi et ne laisse que son dos à ma vue, bloquant le reste de sa large stature. Les pas résonnent jusqu'à la petite chambre. Il ne fait aucun doute que, peu importe l'identité de l'assaillant, il n'est pas seul.

— Bordel, mais qu'est-ce que tu fous ici ? lâche Chris dans sa barbe, alors que je tente de me décaler sur le côté pour apercevoir les intrus.

— Beauté, tu joues à cache-cache ?

Beauté ? Il n'y a qu'un seul être humain sur terre avec une voix si chaude qui m'affuble d'un surnom qui sonne aussi sexy... Je repousse Chris sur le côté avec plus de vigueur cette fois. Il finit par me laisser passer, mais son visage affiche à lui seul toute la contrariété du monde. Je détourne le regard de l'homme à mes côtés, bouillonnant de rage et apparemment prêt à exploser. Mes yeux se posent sur le propriétaire de la voix rauque qui me fait frissonner. Il me fixe, mais ne sourit pas, son regard sombre me parcourt toute entière. Dieu qu'il est à tomber. Encore bien plus sexy que dans mes souvenirs. Son jean épouse parfaitement bien ses hanches, de sorte que je ne peux cesser d'imaginer mes jambes les encerclant. Son t-shirt vert foncé, dont les trois boutons à l'encolure sont détachés laissent entrevoir sa peau basanée et moule outrageusement ses abdos ciselés. Les images remontent dans mon subconscient, et je me souviens instantanément de l'effet de chacune des courbes de son torse nu sous mes doigts. Le tout, rehaussé de son éternelle veste noire en cuir affichant le logo des Steel Brothers, le fameux cerbère qui garde la porte de l'enfer. Il ne sourit toujours pas, ses lèvres forment une moue antipathique, mais dans ses yeux noirs, je distingue tout de même une émotion qui ne me laisse pas indifférente.

— Alors Beauté, on ne vient pas embrasser son mari ? demande-t-il sans lâcher Chris des yeux, avec un air de défi.

Si je m'écoutais, je serais déjà en train de pousser Chris hors de la chambre en arrachant de l'autre main ma petite culotte. Malheureusement, la réalité se rappelle à moi, je suis supposée être cachée loin de tous. Sous couverture du programme de protection des témoins... Bon, dans mon cas, ça devrait probablement plus s'appeler : protection de la meurtrière qu'on fait chanter. Bref, je devais être très bien cachée pour que mon frère ne nous trouve pas... Et si Dante est ici, ça signifie que Chris et moi sommes désormais en danger.

Je m'approche doucement de lui, alors que les deux hommes se dévisagent toujours en chien de faïence, étouffant la presque totalité de l'oxygène de la pièce, tellement leur colère est tangible. Je vais me poster devant Dante de sorte à rompre momentanément leur contact visuel. C'est alors que je remarque Luis, planté à l'extérieur du cadre de la porte qu'occupe Dante dans la presque intégralité. Je lève la main pour le saluer, mais mon geste reste en suspens, puisque je me fais attraper avec force. Dante pose sa main sur le bas de mes reins, m'agrippant avec possessivité comme si j'étais sa chose, avant de me ramener vers lui d'une poigne ferme. Je bute contre son torse solide comme le roc. Il a, semble-t-il, tué le temps passé en prison à s'entraîner davantage, je songe alors que je sens, sous chaque parcelle de ma peau, la dureté de son corps ferme et légèrement plus volumineux que lorsque l'on s'est quitté.

Ses yeux fouillent les miens à la recherche de je ne sais quoi, mais ce regard avec lequel il me couvre me fait oublier momentanément tout ce qui nous entoure. Il dépose sa main libre sur ma nuque et m'attire davantage contre lui en ne me lâchant pas de ses yeux noirs. Deux abysses sans fond dans lesquelles je voudrais me perdre éternellement. Il approche sa bouche de la mienne et recouvre mes lèvres en m'enrobant toute entière. Je n'ai presque plus d'oxygène, mais j'ai pourtant l'impression de respirer pour la première fois depuis des lustres. La pression qu'il exerce allume un feu qui court déjà dans mes veines, et l'espace d'un instant, plus rien d'autre n'a d'importance que notre étreinte. Je lui rends son baiser avec la même ardeur, explorant chaque recoin de sa bouche de ma langue exigeante. Un autre monde, une autre vie, un autre moment. Seulement lui et moi, jusqu'à ce qu'un raclement de gorge derrière Dante me ramène brusquement les deux pieds sur terre.

Je recule à contrecœur après avoir surpris le regard amusé de Luis, toujours planqué derrière Dante. Ce dernier se tourne et le fusille du regard, visiblement lui aussi mécontent qu'on l'ait forcé à descendre de son nuage. Dante penche la tête sur le côté et regarde Chris avec un sourire suffisant. Pas le type de sourire bien gentil qui évoque un minimum de respect ou encore de politesse, non, plutôt celui qu'on fait avant d'éclater la gueule d'un mec. Je me tends à l'extrême et cette fois, ce n'est absolument pas sexuel.

— Comme t'es gentil, t'as préparé le sac de ma meuf ? l'apostrophe Dante, d'entrée de jeu.

Chris serre si fort les brides en cuir du sac que j'aperçois ses jointures qui blanchissent sous la pression. Il décontracte temporairement sa mâchoire pour s'adresser à son détracteur.

— Ta meuf ? répète-t-il d'un ton acerbe, ne va nulle part. Elle est ici de son plein gré, et tu viens de bousiller sa couverture, la mettant en danger.

Je discerne les poings de Dante qui se referment et s'ouvrent spasmodiquement.

— La faute à qui si elle a besoin de se cacher ? persifle Dante d'une voix menaçante. Tu as joué les traîtres et donné toutes les infos à son frère en passant outre notre arrangement, l'accuse-t-il.

— Je ne faisais que mon boulot, pour débarrasser les rues des rapaces dans ton genre ! se défend Chris avec vigueur.

J'ai peut-être été le sujet de départ de leur querelle, mais à présent, il est clair que ça dérape, et qu'il ne s'agit plus de moi.

— Hé oh les mecs, protesté-je en me plaçant entre eux. La meuf est là, ici avec vous et a aussi voix au chapitre, puisque je vous rappelle qu'elle est un être à part entière !

— Tu nous as trahis, tu as fait un serment et trahi des frères qui sont morts par ta faute ! continue Dante comme si je n'étais pas intervenue.

— Si tu n'avais pas été un chef aussi merdique, rien de tout cela ne serait arrivé, riposte le suicidaire d'un ton acide.

Et là, les limites de l'acceptable ont été franchies. Je le sais, et à la vitesse où Luis se déplace, je comprends que lui aussi anticipe la suite.

— Beauté, dégage que je donne à ce salaud de première ce qu'il mérite ! m'ordonne Dante d'une voix basse alors que j'essaie de faire barrage entre eux deux.

— Dégage ? Oh que non ! m'exclamé-je en lui faisant face, la contrariété enflant dans ma voix. Vous ne réglerez pas ça à coups de poings et encore moins ici ! m'opposé-je d'une voix autoritaire, alors que les deux hommes ont changé de posture, passant de la défensive à l'attaque.

— Ivy, pousse-toi ma belle, m'intime Luis toujours derrière Dante.

Ce dernier lui fait une place pour le laisser passer et Luis s'approche de moi. Je suis prête à le repousser, je sais ce qu'ils veulent faire, et se défoncer la gueule ne me semble pas être ce qui convient en ce moment. Pourtant, malgré mes convictions, je ne suis pas assez rapide, ni assez forte pour esquiver Luis qui me balance en mode baluchon sur son épaule. Je me débats autant que je peux, mais rien à faire.

Il me sort de la chambre, remonte le corridor et m'éjecte sur le sofa, sous les rires de Nick et de deux autres Steel qui trouvent, apparemment, la scène très drôle. Ils sont tous installés confortablement sur les deux sofas qui meublent le petit salon épuré.

— Eh bien, on ne se gêne pas ! laissé-je tomber en tentant de me relever avec dignité.

— T'as même pas de bière ! s'exclame Nick en secouant la tête comme si c'était un sacrilège.

— Toi, dis-je en le pointant d'un index rageur, va te faire foutre !

Il pouffe de rire, alors que je profite de la diversion lamentable pour essayer de me faufiler derrière Luis et atteindre le couloir qui mène à ma chambre.

— Oh non Ivy ! intervient Luis en me bloquant l'accès aussitôt, se fendant d'un sourire victorieux.

J'ouvre la bouche pour dire quelque chose de grossier, mais le fracas qui provient de la pièce adjacente me rend soudainement muette. Avec les cloisons en cartons, nous entendons chaque coup porté, chaque claquement de chair et chaque os sous pression.

Ça me tue de ne pas savoir qui a le dessus. Chris mérite bien quelques claques pour son comportement d'homme de Cro-Magnon. Quoique, à bien y penser, Dante en mérite autant avec son attitude de : moi homme, vient chercher femme arrgg. Un baiser à peine et je suis déjà reléguée au second rang par leur besoin de se bastonner. Sauf, que c'est moi qui devrais être en colère et ce devrait être mes poings qui leur filent cette correction !

— Non, mais bordel ! Faites quelque chose ! vociféré-je avec force.

Nick se lève. Enfin, il semble décidé à bouger. Je recommence à respirer normalement et à me calmer, jusqu'à ce qu'il s'arrête au beau milieu du salon, un sourire qui m'est destiné aux lèvres. Il fouille dans la poche arrière de son jean, sort son porte-monnaie. Il en extirpe un billet de cent dollars qu'il dépose sur la table basse devant nous.

— Cent dollars sur Dante ! ajoute-t-il espiègle.

— Cent sur Chris, le relance Luis.

— Non, mais je rêve ! C'est tout ? Vous comptez vraiment les laisser faire ? demandé-je abasourdie.

— Écoute Ivy, ils doivent régler ça. Si c'est pas maintenant, ce sera plus tard, essaie de me faire comprendre Luis comme si c'était tout à fait normal.

— Pourquoi remettre à plus tard ce qu'on peut faire maintenant ? ajoute Nick.

— J'abandonne, vous êtes vraiment trop cons, dis-je en soupirant de frustration.

Je vais vers la cuisine, ouvre un placard et en sors un pack de bières. Elles sont chaudes, mais rien à battre, j'ai besoin de me calmer les nerfs et je n'ai plus aucun alcool fort. J'en prends une et la décapsule avant de passer près des hommes pour aller me poster à la fenêtre devant leur air envieux.

— Elle sort d'où cette bière ? demande Nick avec la politesse d'une poignée de porte.

Je me contente de lever les épaules et de secouer la tête avant de prendre une gorgée à sa santé. Qu'il se débrouille l'imbécile ! je songe avec rancœur. Je sais bien qu'ils ont raison, que ce conflit doit être réglé, que la gangrène est prise dans ce qu'ils appelaient jadis une famille, mais pas ici, et surtout pas maintenant ! Ça aurait pu attendre. Sans oublier que je sais exactement ce qu'est venu faire Dante ici...

J'appréhende d'ailleurs considérablement le moment où je compte lui annoncer que je ne le suivrai pas. Que je ne peux pas, et que je ne le veux pas non plus. Il sera enragé, c'est le moins qu'on puisse dire. J'ai bousillé la carrière de Chris au profit de mes intérêts. J'ai cédé aux divers chantages des hautes instances policières, et décidé de rester ici, le temps qu'ils mettent la main sur Matt. Je me suis assurée que, si je témoigne contre lui, je ne serai pas tenue pour responsable du meurtre du lieutenant des Bloods et du même coup, le dossier de policier de Chris restera blanc comme neige... C'est le marché que j'ai passé il y a plusieurs mois déjà et je dois m'y tenir... Être ici avec Chris, loin de Dante qui plus est, me pèse déjà assez, sans parler de l'humeur de chien de mon colocataire, mais je dois assumer mes choix.

J'entends la porte de la chambre s'ouvrir, et me rends compte que depuis quelques minutes, plus un son ne provient de la pièce. Dante avance vers nous, ses hommes se lèvent aussitôt tandis que je scrute sa lèvre inférieure littéralement en bouillie, et je passe sous silence son arcade sourcilière qui nécessitera assurément des points de suture. Je présume que Chris ne doit pas être dans un meilleur état... Apparemment, j'ai un don de clairvoyance puisque je le vois sortir au bout du même corridor, le visage tuméfié. Il se glisse dans la cuisine et j'entends très distinctement le son de la bouteille qu'il vient de décapsuler.

— C'est bon Princesse, tu peux te tirer, je te décharge de tes obligations envers moi, dit Chris en entrant dans le petit salon déjà surpeuplé.

Il prend une longue gorgée sans me lâcher de son regard mauvais.

— Hors de question ! répliqué-je avec aplomb. Vous êtes aussi bornés l'un que l'autre ! C'est moi qui décide ! pas toi ou encore toi, énoncé-je en les pointant tour à tour. Je reste, et toi, tu pars, ajouté-je en regardant Dante. Quant à toi, lâché-je à Chris, nous devons causer !

— Je suis venu exprès pour toi ! Tu me demandes de repartir seul c'est bien ça ? Je t'ai cherchée partout pour enfin te trouver, et là, tu m'ordonnes de partir ? crache Dante alors que la colère miroite dans ses iris noirs.

— Exact, j'ai eu ta lettre, je t'ai répondu que tu me manquais, mais pas que je me défilerais...

J'ai envie de plonger vers lui, de me caler au creux de ses bras et de le suivre jusqu'au bout du monde, mais j'essaie de rester de marbre, refoule mes envies au profit de ce que je sais que je dois faire. La lutte contre moi-même m'est pénible, mais Matt ne lâchera pas le morceau, et je dois m'assurer de sa chute. Dante me dévisage en silence, comme tous ceux dans cette pièce. Nous savons que sa rage est sur le point de déferler, mais au moment où il ouvre la bouche, la porte qui tient déjà à peine, est littéralement défoncée.

En une seconde, des armes rutilantes sont pointées sur nous par des hommes en uniformes de flic.

Merde...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top