*Chapitre 1* -2008

— Vas te faire foutre! Criais-je avant d'entendre les gonds de la porte craquer sous la force abusive avec laquelle je l'ai claqué.

Je sais... La démonstration de ma force physique sur la vieille porte d'une maison presque centenaire est ridicule, mais bouillante de rage, je me contrôle avec difficulté.

Ce que je peux détester ma mère! Elle me dit toujours non, au gré de ses humeurs me semble-t-il, sans n'avoir jamais aucune bonne raison à m'opposer.

Mon père se mure dans un silence quasi-complet quand il sent la tempête se lever, il s'évertue à faire comme s'il était trop occupé pour avoir conscience de ce qui se passe pourtant sous ses yeux.

Ma sœur, cette gamine de 10 ans rit sous cape. Et mon frère, seul allié que j'ai dans cette famille, brille encore par son absence.

— Mais maman! Je lui dis. Je vais être la seule à ne pas y aller! J'ai fait tous mes devoirs et j'ai eu de bonnes notes aux examens... Je t'en supplie! Même Annabelle a eu l'approbation de tante Wendy.

Elle semble avoir un léger instant d'hésitation à la mention d'Annabelle, sa nièce chérie qui s'adonne être aussi ma meilleure amie. Je surenchéris donc, essayant d'ouvrir grande, la porte du doute qui semble s'installer dans ses yeux.

— Oh, allez maman c'est bientôt la fin de l'année et les parents de Derek seront présents. Je pourrais même dormir chez Annabelle. Vous n'auriez même pas à venir me chercher, plaidais-je désespérément pour ma cause.

Elle regarda mon père d'un air sérieux, tout en débarrassant les assiettes du souper.

— Qu'en penses-tu, Gabriel?

Il ne parlera pas bien sûr... Il ne s'en mêle jamais... Et voilà, qu'est-ce que je disais! Le haussement d'épaules habituel suivi des sourcils qui se retroussent.

Je le savais...

Je me demande comment cet homme sans opinions assumées a bien pu charmer ma mère qui a un caractère en acier trempé.

Non pas que je n'aime pas mon père, ne vous méprenez pas, seulement, j'ai l'impression qu'il ne s'assume pas, ou que très rarement en fait.

À bien y penser, il ne donne pas son opinion, seulement quand il s'agit de ses filles. Car, avec mon frère de 6 ans mon ainé, ça n'a pas toujours été rose. Leur relation est encore très tendue d'ailleurs.

Ils ne veulent pas en parler devant nous, mais bon, nous vivions dans la même maison. Il serait donc difficile de ne pas voir ce qui se passe.

J'ai peut-être juste 14 ans comme ma mère me l'a si bien fait remarquer plus tôt quand je lui ai parlé de la fête, mais je ne suis pas complètement naïve.

Au moment où je m'apprêtais à crier victoire (car je voyais la phase de pré-acceptation apparaître dans son langage non-verbal), elle se redresse de toute sa stature et m'assène finalement un "non" des plus catégoriques.

— Mais maman..., je souffle les yeux emplis d'eau. 
Mais elle me prend de vitesse et réplique:

— Non, plus j'y pense et plus je constate que c'est une mauvaise idée. Tu n'as que quatorze ans. Des fêtes, il y en aura d'autres ma chérie, mais pour le moment je crois simplement que tu es trop jeune.

La frustration me gagne d'un seul coup. Des larmes coulent sur mes joues rouges sans que je ne puisse les contrôler. Je me maudis intérieurement de ne pas pouvoir me contrôler. Je ne pleure que très rarement de tristesse, mais mes larmes pointent le bout de leur nez dès que je suis en colère.

Les traîtresses qui me font paraître bien plus faible que je ne le voudrais.

— Je ne comprends pas pourquoi tu dis toujours non! 

J'essuie d'un geste rageur les larmes qui glissent à la commissure de mes lèvres. 

- Tu ne peux donc pas me faire confiance?

Elle dépose avec soin le torchon à vaisselle sur le comptoir, avant de me regarder avec cet air de compassion que je déteste tant. Vous savez celui-là même qui dit, " Je sais ce que c'est d'être jeune, je te comprends, mais je suis une adulte et moi, je sais ce qu'il y a de mieux pour toi."

— Ma chérie, je sais à quel point tu as envie d'y aller... 

Elle prend une pause, une main dans les cheveux pour replacer cette petite frange qui lui tombe toujours dans les yeux. Elle soupire, et poursuit.

— Je crois que tu es trop jeune et que c'est trop dangereux de te laisser aller à une fête d'ado.

— Dangereux? je m'exclame malgré moi.

Elle lève une main en l'air pour me signifier de la laisser continuer.

— Oui, dangereux. D'ailleurs, je ne suis pas dupe jeune fille. Je sais très bien que les parents de Derek ne seront pas présents et que votre génération a largement dépassé le stade du baiser timide sur la joue. 

Oui ok, je sais qu'il y a une part de vérité là-dedans. Mais je sens que ce n'est pas réellement le fond du problème, elle me cache sciemment quelque chose.

Un mensonge par omission donc.

Habituellement, je supplie, et finis par me ranger à son idée sans trop faire de vagues. Je m'enferme dans ma chambre pour bouder le reste de la soirée et, le lendemain, elle me fait des pancakes pour le petit-déjeuner et là, je craque et fais la paix.

Mais ce soir? Non! Je n'ai plus envie de jouer à ce jeu-là. Je veux vraiment y aller oui, mais je veux surtout crever l'abcès purulent de secrets et de non-dits qui ronge notre vie de famille et qui risque d'affecter particulièrement mon futur d'adolescente populaire. Car avouons-le, une fille qui ne peut jamais aller aux fêtes en vue, devient rapidement une inconnue. Les gens se lassent de vous inviter et hop, vous n'êtes plus sur la carte.

Je me lève de table, passe en arrière d'elle et laisse tomber mon assiette dans l'évier sans délicatesse. Histoire de la provoquer un peu. Elle se tourne, s'adosse au comptoir et me regarde surprise. Elle ne réagit pas outre mesure. Elle croise les bras et continue de me fixer avec dans le regard un... quoi... un sourire? Non! Ça me fâche encore plus. Elle le voit et me sourit franchement.

— Ma princesse, la colère ne te va absolument pas, et saches que même si tu ronchonnes, ça ne changera pas ma décision. Cependant, penses-y comme il faut, car cela pourrait avoir une incidence plus grave encore sur ta vie sociale, que de ne pas aller à cette fête.

Son amusement perceptible vient finalement à bout de mon indicateur de colère interne. Je l'entends presque éclater quand la colère bourdonne encore plus forte à mes oreilles.

— Vous avez manqué votre coup avec Matthew et vous décidez de me faire payer pour lui, c'est bien ça?

Elle perd instantanément son sourire. Déjà ça de gagné! Je me dis.

— Je... nous... n'avons rien manqué avec ton frère. 

Elle cherche l'aide de mon père du regard, mais il est déjà au salon devant le journal télévisé. Au son lointain de son jeu vidéo, j'en déduis que ma sœur doit y être aussi.

 -Nous avons fait tout ce que nous avons pu, mais il a décidé de faire les mauvais choix, à commencer par... bref, se reprend-t-elle.  Nous faisons de notre mieux avec toi et ta sœur comme nous l'avons fait avec lui.

Elle est tout à coup plus blême et semble chercher ses mots. J'aurais presque pu être émue ou me sentir coupable de la blesser, mais encore une fois elle me traite comme une gamine en me cachant la vérité.

Toujours ce même vieux réflexe. Je suis trop jeune pour aller à une fête, mais, je devrais accepter et je devrais être assez mature pour comprendre pourquoi on me l'interdit...

— Par quoi maman? À commencer par quoi? Ça fait des semaines qu'il n'est pas venu à la maison, qu'il n'a pas appelé ou même donné signe de vie. Tu crois que je ne le vois pas? On arrête de mettre son couvert sur la table et on fait comme s'il n'existait pas? C'est ça, maman?

Je ne voulais pas que ça dégénère. En fait si, mais pas comme ça. Pas à propos de l'absence de Matt. Je voulais me rebeller un peu d'accord, je l'admets, mais la peine que je ressens face à son absence depuis plus de cinq semaines me broie littéralement le cœur.

J'étais très proche de lui... enfin jusqu'à ce qu'il ait de nouveaux amis. Du type de ceux qu'on ne peut amener à la maison et chez qui on ne veut pas amener sa petite sœur le temps d'une partie de football à la Xbox.

Oui, il s'est couvert de tatouages et conduit plus souvent une moto retapée que sa petite Yaris mais, bon, ça ne change pas ce qu'il est vraiment au fond de lui. Si seulement mes parents l'avaient compris...

Je sais qu'il y a cinq semaines, le téléphone a sonné très tard, et que mes parents sont partis et revenus sans lui au beau milieu de la nuit.

Quelques jours plus tard, ses tiroirs étaient vides. Je lui ai écris des textos, mais ses réponses restent évasives et impersonnelles. Ce qui me brise le cœur encore plus.

Car en fin de compte, j'ai perdu mon meilleur ami et confident dans leurs disputes. Je suis la plus grande perdante de cette histoire.

Le regard de ma mère se voile de tristesse.

— Oui, il est parti Évelyne. 

Elle avale difficilement sa salive avant de continuer: 
- Il ne reviendra sans doute pas bientôt. Mais comme nous lui avons expliqué, dès qu'il changera de régime de vie et d'entourage, il pourra revenir à la maison. Notre porte lui sera toujours ouverte...

Elle murmure presque la dernière phrase en triturant le pauvre linge à vaisselle, qu'elle avait repris dans ses mains pour s'occuper. Quand elle lève les yeux vers moi, son expression a changé. Elle pouvait sans doute lire en moi le dégout que je ne cherchais même pas à cacher.

— Vous l'avez mis dehors? Je vocifère hors de moi. C'est donc de votre faute s'il est parti? Vous êtes responsables de son départ?

Que des questions qui se ressemblent au final, mais je ne peux pas croire qu'ils en soient arrivés là. Je croyais savoir ce qu'était la colère ou la tristesse, mais je me sentais plutôt trahie. Trahie qu'ils ne m'aient pas donné la chance de lui dire au revoir ou même de lui parler. Trahie que l'on n'ait même pas daigné me dire ce qui se passait avec mon frère. Trahie qu'il ne m'ait rien dit et qu'ils aient attendu presque 1 mois et demi plus tard pour me mettre au parfum.

Elle dépose le torchon maintenant parfaitement plié sur le comptoir de marbre, s'approche de moi et tente une main sur mon épaule en guise de consolation. Tout son corps exprime de l'abattement. Ses épaules habituellement fières sont voutées vers l'avant.

Quand sa main touche ma peau, ce fût comme si elle m'avait brulé. Comment pouvait-elle espérer que je me jetterais dans ses bras comme une enfant, alors qu'elle était la principale cause de mon malheur?

— Ne me touches pas! Ne me touches plus jamais! Je hurle en m'enfuyant vers l'escalier.

 Je n'avais qu'une seule idée en tête. Me réfugier sous la couette de plume de mon lit. Ma chambre, mon havre de paix.

Je l'entends me suivre jusqu'au bas des marches. Ses talons martèlent le sol doucement. Elle sait qu'il ne vaut mieux pas monter me voir. Elle tente tout de même une dernière phrase. Pour elle ou pour moi, je n'en suis pas sûre, car si j'avais fermé ma porte, je ne l'aurais sans doute même pas entendu.

— Je t'aime princesse. Je sais que tu m'en veux, mais nous avons fait ça pour vous protéger toi et Clara et ça, même si ça nous a déchiré.

Après ce cri du cœur de ma mère, je claque la porte en prononçant le plus gros juron que j'aie jamais osé dire à mes parents.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top