Chapitre 3 : Présentations
Média : Tristan, au moment de sa rencontre avec Emy (Nicolas Simoes)
« Je suis Tristan », souffle t-il. Je reconnais la voix du téléphone. Cette même intensité, la même profondeur, le tout en plus cristallin. Je commence à bafouiller, puis me ressaisis et lance un « enchantée, moi c'est Émeline. Enfin, Émy de préférence ». Les deux Barbies gloussent immédiatement, sans que j'en comprenne la raison.
— Mesdemoiselles, pourriez-vous nous laisser seuls un moment, Émy et moi. Nous avons à parler. Laissez-moi une petite heure.
Il les congédie d'un geste bref. Elles s'éloignent, mais j'entends leurs glapissements et leurs remarques déplaisantes sur plusieurs mètres.
— Ne fais pas attention à elles, Émy. Je suis tout à toi, tu as une heure.
— Oui, j'ai cru comprendre que mon temps serait limité.
Il ne semble même pas noter la froideur de ma voix dans cette remarque. Nous marchons pendant quelques minutes sans dire un mot, puis il s'assoit sur un banc et me fait signe de prendre place, comme il inviterait un chien à monter sur un canapé.
Je déteste cet individu. Vieille-maman délirait vraiment. Lui et moi n'avons rien en commun, et rien à partager. Il est odieux et prend des airs supérieurs.
— Je ne pensais pas que tu serais si jolie, même si je dois avouer que je n'ai cessé de l'espérer toute la nuit.
Je me sens rougir à cette remarque, et je perds toute la contenance que je tentais de me donner. Je me sens d'autant plus mal à l'aise que je n'ose pas lui dire que ces agitations nocturnes ont été partagées. Il sourit, comme s'il avait deviné les raisons de mon mal-être.
— Ce n'est pas pour te flatter, je suis sincère. Ecoute, je sais que tu te poses des questions vis-à-vis de ta grand-mère. Pour être honnête, je ne l'ai pas beaucoup connue.
— Je voudrais comprendre. Pourquoi m'a-t-elle donné votre numéro ?
— En fait, j'organise régulièrement des conférences, à droite et à gauche. Je suis chercheur en astrophysique. Je donne des cours, participe à de grands rendez-vous... C'est ainsi que j'ai un jour croisé ta grand-mère. C'était une femme très curieuse, elle avait beaucoup de questions à poser, nous avons déjeuné ensemble un midi après une conférence. Elle m'avait parlé de toi, elle n'avait pas assez de superlatifs pour te décrire. Elle avait très envie de me présenter son adorable petite fille, alors je lui ai donné mon numéro, en lui disant qu'elle pouvait le mettre à ta disposition. Je n'ai pas eu de nouvelles par la suite, jusqu'à hier.
— Astrophysique ? Ma grand-mère n'a jamais évoqué quoi que ce soit de ce genre...
— Oui, c'était une femme assez secrète je pense... Si nous allions prendre un verre tous les deux ? Il y a un café à deux pas d'ici que je connais bien.
Sur ces paroles, il se lève et s'éloigne d'un pas élégant. Je le suis, mais ses pas sont si rapides et élancés que je dois trottiner lamentablement pour parvenir à rester à sa hauteur. Je fais trois pas quand il n'en fait qu'un. Il est d'une rare beauté. Ces traits sont fins, ce qui lui donne parfois des airs enfantins ou féminins. Mais son corps est bien celui d'un homme, sa carrure est imposante, il a beaucoup de prestance dans sa veste noire qui laisse deviner des muscles saillants. Me rendant compte que je le dévore des yeux depuis plusieurs minutes, je sursaute et fixe mon regard droit devant moi.
— Vous n'êtes pas très bavarde... Je vous mets mal à l'aise ? Je vous impressionne, peut-être...
— Oh c'est que... Je suis un peu... Déroutée. Ma grand-mère avait tellement l'air de tenir à ce que je vous rencontre... Je me demande pourquoi.
— Nous pourrions nous tutoyer, histoire de briser un peu la glace, non ? Il est vrai que ta grand-mère était très enthousiaste à l'idée de me présenter sa petite-fille. Je crois qu'elle a eu un coup de cœur pour moi !
— Oui, je la comprends. Enfin ! Je veux dire... Vous semblez être quelqu'un de très cultivé. Vos conférences doivent être passionnantes.
Il esquisse alors un sourire qui m'arrache un mouvement de recul : c'est un sourire carnassier, et je crois voir, l'espace d'un instant, ses yeux s'élargir et rougeoyer. Au même moment, alors que la déformation de son visage me fait sursauter, un enfant trébuche à ma droite et ses cris me sortent de mon hébétude. Le gamin, d'environ cinq ans, pleure au sol. Aucun adulte auprès de lui. Je décide aussitôt de m'approcher, Tristan sur les talons. Le garçon est écarlate et des gouttes de sueur perlent sur son front. Il semble vraiment souffrir, il ne s'agit à l'évidence pas d'un bobo ordinaire. Effectivement, une fois agenouillée je me rends compte que son pantalon est complètement ouvert sur un genou déchiqueté.
Je tente de le rassurer par un sourire forcé et quelques paroles amicales. Il fait des efforts pour retrouver son calme. Je soulève un lambeau de son pantalon de toile pour mieux voir la plaie. Je relâche immédiatement le tissu avec un petit cri d'horreur. La rotule, ou du moins ce que je crois être la rotule, est à découvert au milieu de morceaux de peau à moitié arrachés et incrustés de petits graviers noirs. Je tourne la tête dans l'espoir de trouver de l'aide auprès de Tristan. Il est resté en retrait. Il regarde autour de lui, et intervient enfin.
— Montre-moi ça jeune homme ! Ah, tu t'es pas loupé ! Si j'appuie là, tu as mal ?
C'est alors qu'il appuie ses doigts sales sur la surface blanche et lisse qui apparaît entre les chairs. L'enfant hurle tandis que les doigts de Tristan rougissent. Il les retire lentement, un sourire imperceptible se dessine sur ses lèvres. L'enfant crie à s'arracher les cordes vocales. Je jette un regard assassin à Tristan, qui me répond nonchalamment :
— Ah, je crois que sa mère arrive...
En effet, une femme aux abois s'approche en courant. Arrivée sur place elle me repousse d'un geste d'angoisse.
— Baptiste, mais qu'est-ce que tu as fait ? Pourquoi tu es parti, hein ? Pourquoi tu as lâché ma main ! Maman a eu très peur !
Elle sanglote et hoquette. Je lui tends mon téléphone, lui proposant d'appeler les pompiers ou le Samu. Elle m'assure que ce n'est pas nécessaire : sa voiture est garée tout près. Elle renifle, prend l'enfant dans les bras pour le conduire aux urgences, alors que je reste plantée là, encore toute secouée par la vision de ces chairs sanguinolentes. Je me retourne vers Tristan, qui jette un coup d'œil à sa montre, d'un air distrait. Je reste bouche bée.
— Pourquoi as-tu touché à sa plaie ? Qu'est-ce qui t'a pris ?
— Je voulais m'assurer qu'il ne jouait pas la comédie, voilà tout... Il n'y a rien de grave, reprends-toi ! On s'est tous blessé un jour ou l'autre quand on était gamin, il s'en remettra ! Qu'est-ce que les filles peuvent être émotives... Bon, on va au café, oui ou non ?
Nous reprenons la direction du café puis nous installons en terrasse. L'air est doux, j'arrive finalement à me décrisper un peu et ça me fait un bien fou, moi qui suis tendue depuis ce matin. Tristan est face à moi, je peux enfin détailler son visage. Son regard et ses cheveux sombres aux reflets rougeoyants... Son sourire n'a plus rien à voir avec celui que j'ai cru apercevoir quelques minutes plus tôt : ses dents blanches et fines sont parfaitement alignées et je dois avouer que je suis sous le charme. Une ombre passe dans son regard, mais je n'ai pas le temps de m'y attarder, car mes yeux sont distraits par un serveur qui longe notre table, avec six ou sept verres à pieds en équilibre sur un plateau rond. Alors qu'il passe derrière Tristan, son bras est pris d'un spasme et les verres se brisent au sol, dans un brouhaha quasi théâtral. Après avoir lâché un juron, le jeune homme rassemble les morceaux à mains nues. Mais il prend le parti d'aller chercher un balais, après s'être entaillé un doigt. Tristan, malgré l'agitation, ne m'a pas lâchée du regard. Il me fixe avec un léger sourire. Alors que je baisse les yeux par timidité, il relance la conversation d'une voix basse et profonde.
— Tu sais, je suis content que tu te sois décidée à m'appeler. J'ai très envie d'en apprendre plus sur toi.
Ses longs doigts fins glissent sur la table et son index frôle le mien dans une caresse discrète. Mon premier réflexe est de retirer ma main, mais il la rattrape d'un geste vif, comme s'il avait anticipé ma réaction. Dans un souffle, il murmure :
— J'aimerais qu'on se revoie.
— Pourquoi pas. C'est vrai que je suis également curieuse de te connaître davantage. J'ai du mal à savoir à qui j'ai à faire avec toi, tu me désarmes un peu.
Le serveur maladroit nous a rejoints, je me surprends à commander une vodka-orange, moi qui ne bois pourtant jamais d'alcool. Mes lèvres ont prononcé ces mots d'elles-mêmes, comme commandées par quelqu'un d'autre. Tristan renchérit avec un double whisky sans glace. Sans se départir de son sourire, il m'interroge :
— Tu me trouves bizarre, c'est ça ? J'ai probablement une personnalité un peu complexe, mais je suis sûr qu'il en est de même pour toi... Tu restes opaque pour moi aussi tu sais !
— Oui, oui... C'est vrai que je ne me fais pas facilement d'amis depuis que je suis ici. Ça fait presque un an maintenant que je suis arrivée sur Paris, et je ne m'y plais pas franchement. Et toi, tu vis ici depuis longtemps ?
— Je bouge beaucoup pour mon travail. Je suis à Paris depuis moins longtemps que toi !
— Pourtant tu ne sembles pas être très seul... Regarde, voilà ton escorte qui revient...
En effet, les deux beautés blondes qui lui tenaient compagnie lors de mon arrivée se dirigent vers nous. Il pouffe de rire. Un rire d'abord timide puis de plus en plus fort et rocailleux, faisant ressortir les veines de sa gorge. Je le dévisage avec stupeur. Se moque-t-il d'elles ou de moi ?
— Jessica et Laetitia... Elles sont divinement belles, hein ? J'aime être bien entouré, mais je ne les connais pas plus que ça. Nous sortons régulièrement à droite et à gauche ensemble, en soirée... Mais ce n'est pas la conversation qui les fait briller. Rien à voir avec toi. Toi, tu es jolie et tu as de l'esprit.
Nous nous levons et repoussons les chaises sous la table. Il s'approche de moi pour me dire au revoir.
— Aller, on se revoit bientôt, ok ? Moi je dois filer. Je te laisse de quoi payer les verres, je t'invite. A bientôt ma belle, passe une bonne semaine.
Alors que je tends la joue pour lui faire la bise, je sens son souffle dans mon cou et il dépose un léger baiser dans ma nuque. Je reste muette, submergée par la surprise et par les sensations étranges que laissent ses lèvres sur ma peau. Je frissonne de plaisir tandis qu'il s'éloigne et rejoint les deux bimbos. J'en suis toute retournée. Beaucoup de questions et de sensations se mélangent, je ne parviens pas à réagir. Ce contact a éveillé tous mes sens, ma respiration s'est accélérée et mon cœur s'est emballé. Mais j'ai également l'estomac noué. Que dois-je penser de lui ? Il est à la fois glaçant et brûlant. J'ai très envie de le revoir, et en même temps cette idée m'angoisse. Il est la caricature de l'homme méprisable et en même temps je le trouve fascinant. Il a tellement de charme, tellement d'ambiguïtés... Comment ne pas désirer en apprendre plus sur lui ? Je voudrais réussir à le cerner.
Moi qui trouvais cette ville si ennuyeuse, voilà qu'enfin on pique mon intérêt. Il y a là de quoi me redonner un peu d'entrain. Partagée entre le désir irrésistible de le revoir et la crainte farouche qu'il ne soit qu'une mauvaise rencontre, je décide de le laisser revenir vers moi. À son tour de m'appeler, je compte bien faire la morte jusqu'à ce qu'il me recontacte. On verra bien.
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