Chapitre 24 : Fiasco
... Mon regard se fige sur la silhouette qui attend sur le seuil.
Son visage sort de l'ombre tandis qu'il fait un pas en avant, arborant un sourire machiavélique. Il m'envoie ses sarcasmes à la figure d'une voix teintée d'ironie et d'un ton mielleux :
— Alors, ma petite Émy, tu ne t'attendais pas à me voir ? Tu organises une réception et tu oublies de m'inviter ? Mais enfin, ma belle, tu sais bien qu'une fête réussie ne peut pas se faire sans moi... Pour mettre l'ambiance, je suis sans pareil ! Je suis un peu vexé que tu ne m'aies pas invité. Mais oublions ça, je suis quelqu'un de très sympa, tu vois, je suis quand même venu mettre le feu...
— Tristan... Qu'est-ce que tu fais là ? De quoi te mêles-tu ? Tu n'as pas le droit de venir comme ça.
Mickael tend le cou et aperçoit Tristan sur le seuil. Il pose sa main sur mon épaule.
— Y a un problème Émy ? C'est qui ce type ? Tu l'as invité ?
— Non, elle ne m'a pas invité, mais je sais que c'est un oubli absolument regrettable, et qu'elle s'en veut énormément. Hein, Émy ? On est de bons amis, non ? répond Tristan, sans se départir de son sourire.
Je ne sais pas quoi lui répondre. Tous les regards sont tournés vers moi, je sens les nombreuses paires d'yeux dans mon dos qui guettent une réponse, et Mickael qui me scrute en tentant de comprendre pourquoi je reste muette de la sorte. Tristan se penche vers moi et me fait la bise. Mais au moment où ses lèvres frôlent mon oreille, il murmure :
— Tu ne voudrais pas que ta petite fête se termine mal, n'est-ce pas ? On devrait éviter une nouvelle catastrophe, non ?
Je reste bouche-bée devant son allusion. Il me menace, mais de quoi ? De quoi est-il capable ? Je tente de lutter contre mon angoisse pour paraître détendue. Je m'écarte pour le laisser entrer, résignée à éviter les problèmes. Tandis qu'il passe devant moi, je lâche quelques mots, amèrement :
— On dirait du chantage. Tiens-toi tranquille, et ne gâche rien, s'il te plait.
Il sourit fièrement en entrant, deux grandes blondes le suivent. Pas celles de notre première rencontre, mais du même genre. Je me demande où il les trouve. Elles sont montées sur des talons vertigineux, moulées dans des robes étriquées qui ne parviennent pas à contenir tout le volume de leurs fesses et de leurs poitrines qui débordent. Pathétique. Mais, bien sûr, les deux starlettes font leur effet : à peine sont-elles entrées que tous les regards masculins se scotchent sur elles, Romain les siffle, survolté. Et Tristan ne laisse pas la gente féminine indifférente. Toutes les filles chuchotent entre elles en le surveillant du coin de l'œil.
Hélène est la première à l'accoster, et elle glousse comme une dinde chaque fois qu'il ouvre la bouche. Et ce séducteur dans l'âme joue de son regard sombre et de son air mystérieux. La scène m'exaspère. Je fuis dans la cuisine. Mickael me suit. Je feins de faire la vaisselle, pour me donner une raison d'être dans une pièce à part.
— Alors, c'est qui ? Ton ex ?
— Pas exactement. Un ami... un peu trop collant parfois. Il se croit tout permis.
— Hum... Je vois. Tu veux qu'on le fasse sortir ?
— Non, non, je ne veux pas de problèmes, la soirée se passe bien alors... Eh puis, ses cavalières ont l'air de faire sensation...
— Oh ! Les deux gonzesses en plastique qui le suivent comme ses chiens ? Tsss... Laisse tomber, je suis sûr qu'il les paie et que c'est juste pour soigner son image de beau gosse ! Ce type ne me plaît pas, il te regarde comme un bifteck. Je sais que tu es jolie, mais y a des limites quand même !
Malgré ma mauvaise humeur, je ne peux m'empêcher d'esquisser un rire discret. Clara fait irruption dans la pièce. Elle attrape Mickael par le bras et commence à minauder.
— Eh, Mike, tu viens ? Pourquoi tu restes à l'écart comme ça ?
Elle me foudroie du regard, à tel point que je baisse les yeux et me ratatine sur moi-même. Mickael m'invite à le suivre, nous retournons dans le salon. L'ambiance est différente depuis que Tristan et ses acolytes sont entrés. Les émotions semblent s'être exacerbées, l'alcool aidant.
Clara et Hélène s'engueulent, en prenant Mickael à témoin. Romain danse seul avec sa bière à la main, dans un état second. Thomas et Benjamin ne sont plus du tout mal à l'aise, mais au contraire, dans leur élément : chacun fait la conversation à l'une des créatures blondes de Tristan. Celui-ci semble indisposer Madiha, en se permettant de lui murmurer à l'oreille en lui caressant le bras. Elle baisse les yeux et sourit sottement. En m'apercevant, Tristan vient à ma rencontre. Mais je n'ai aucune envie de lui faire bonne figure. Au contraire, je vais lui dire ma façon de penser :
— Tu exagères, je t'avais dit que je voulais m'isoler un peu. Tu ne respectes rien ni personne !
— Tu t'isoles en organisant une soirée ? Tu t'es entourée, tu veux dire !
— Non, je voulais m'isoler de toi !
— Mais Émy, tu as besoin de moi. Tu le sais, tu t'en rends bien compte. Tu n'es plus rien sans moi, nous ne sommes plus qu'un maintenant.
Il m'attire contre lui, et j'ignore pourquoi mon corps ne résiste pas. Je le déteste, je suis furieuse, mais étrangement je ne parviens pas à fuir.
— Regarde, nous sommes comme deux aimants maintenant... Tu m'appartiens.
— Deux aimants peuvent aussi se repousser. Laisse-moi.
Il me faut faire un effort rare de détermination pour me défaire de son étreinte. Mais contrairement à ce que j'attendais, la situation semble l'amuser. Il s'allume une cigarette et tire une première bouffée en me regardant dans les yeux, dans une attitude de provocation. Je ne l'avais jamais vu fumer.
— Tristan, on ne fume pas à l'intérieur s'il te plait.
— Eh, vous autres ! Vous entendez ça ? Émy ne veut pas qu'on fume à l'intérieur... C'est bon chérie, détends-toi, on n'est pas chez les bonnes sœurs ici ! Quelqu'un me sert un whisky ? Je crois qu'Émy devrait en boire un également, ça lui permettrait peut-être de passer une bonne soirée.
Il a réussi son petit effet, les regards sont braqués sur moi, et on me sollicite de toute part pour boire et fumer toutes sortes de choses. Heureusement, Mickael vole à mon secours.
— Lâchez-là ! Avec sa jambe, elle doit prendre des médicaments. Donc pas d'alcool. Allez, c'est bon.
Il m'adresse un clin d'œil et je loue sa capacité à inventer des excuses à la volée. Mais Tristan n'efface pas son sourire prétentieux. Il ne peut s'empêcher de renchérir.
— Bon, bon, ok... Alors levons nos verres à la douce et sage Émeline, pure colombe que j'ai bien failli salir... Avec mes plus plates excuses, ma toute belle.
Il avale son verre d'une traite, sous les encouragements enjoués des invités. Romain entraîne les gens dans sa danse et, rapidement, c'est tout le groupe qui se trémousse au centre de la pièce. Clara colle Mickael qui semble l'ignorer avec application. Elle rejoint alors Hélène, qui danse collée à Tristan. Il joue de son emprise sur les gens. Elles caressent sa chemise avec envie, tandis qu'il passe sa main dans leurs cheveux ou balade ses lèvres dans leurs cous. Elles gloussent et sautillent comme des pucelles émoustillées.
Le spectacle m'écœure, je clopine jusqu'à la salle de bain pour me passer un peu d'eau sur les joues. Mais mon attention est attirée par les bruits qui s'échappent de ma chambre. Je n'arrive pas à le croire. La porte est entre-ouverte, laissant une vue dégagée sur les ébats musclés de Benjamin et d'une des blondes de Tristan. Le tout en plein milieu de ma chambre. A la rage succède l'embarras. Ils sont dégoûtants. Comment m'y prendre pour les arrêter ? Dois-je faire irruption dans la pièce et les mettre à la porte ? Mieux vaut attendre qu'ils aient fini pour leur demander discrètement de foutre le camp. Je me retourne pour rejoindre le salon, mais je heurte le torse de Tristan. Encore lui.
— Alors Émy, on veut en être ?
— Quoi ?
— Ça te plaît, on se joint à eux ?
— Tu me dégoûtes.
— Oh... Il y a d'autres pièces dans cet appart, si leur présence te gène...
— Tu es taré. Qui es-tu réellement ? Combien de facettes possèdes-tu ?
— Émy... S'il te plaît, ne sois pas si prude... Tu as très bien compris ce qui se dégage de moi... Arrête de résister comme un animal blessé... Laisse-toi aller, on y est presque...
Excédée et terrifiée par sa voix devenue rauque, je le pousse brutalement contre le mur et m'échappe maladroitement dans le couloir. Alors que je fais irruption dans le salon, tout n'est plus que chaos. Hélène vomit sur le tapis en gémissant, Thomas gifle Clara sans que je sache pourquoi, et sans qu'elle réplique. Madiha est visiblement partie, Maxime saigne de l'arcade sourcilière, comme s'il avait reçu un coup. En m'apercevant, Mickael change de tête.
— Tu n'es qu'une salope ! Tu m'allumes depuis que je suis arrivé, et tu t'éclipses avec ton pote pour aller te faire sauter. Ce connard se pointe comme un roi...
Il enchaîne les insultes pendant de longues secondes sous le regard satisfait de Tristan et finit par se jeter sur lui. Il l'attrape par la chemise, visiblement prêt à lui refaire le portrait. Mais d'un geste souple d'une facilité et d'une puissance déconcertantes, Tristan le repousse et l'envoie valser comme s'il ne s'agissait que d'un vulgaire pantin. Il heurte le mur, son dos fait exploser le cadre en bois accroché au dessus du canapé en six ou sept morceaux.
Mais je n'ai pas le temps de vérifier qu'il est en vie : Maxime a laissé tomber sa cigarette sur le rideau fin qui entoure la fenêtre, et le tissu s'est embrasé rapidement. Je me précipite vers la flamme et l'étouffe avec mon gilet. Je ne parviens pas à l'éteindre, la chaleur me dévore les mains. Heureusement, Maxime me tend une bouteille d'eau et je viens enfin à bout du départ de feu.
Les autres ne semblent même pas s'être rendu compte de l'incident. Tandis que le ton monte de tous les côtés, seul Romain reste insouciant. Il a déboutonné sa chemise à fleurs mais porte toujours ses lunettes de soleil. Il chante et danse sur le rebord de la fenêtre, dans un état second. Je tente de parler plus fort que les autres pour me faire entendre :
— Il va finir par tomber, que quelqu'un le fasse descendre de là !
Seul Tristan me répond, les autres ne bougent pas d'un pouce, trop occupés à régler leurs propres histoires.
— Ah... Oui. C'est bien vrai ça. Il pourrait tomber. C'est la seule chose qui manque à cette soirée. Regarde-le, il est stone, il est bien, il s'éclate. Mais le vent souffle, et souffle, souffle...
En terminant sa phrase, il se met à souffler dans la direction de Romain, qui perd l'équilibre et se penche en arrière, vers le vide. Il retrouve une stabilité in extremis, au moment ou Tristan s'arrête pour rire.
— Tristan !? C'est toi qui fais ça ? A quoi tu joues ? Arrête tout de suite ! Romain ! Descends ! On est au sixième étage ! Non, non, ne bouge plus.
Il ne tient pas compte de mes cris. Il ne m'entend pas. Il n'est que le jouet de Tristan, une marionnette faite de chiffons. Je m'élance pour le rejoindre, mais Tristan m'attrape par le bras et je manque de tomber tant il me ramène vers lui avec force. Il me broie le bras tandis que je le regarde, impuissante.
— Non Émy, ne fais pas de bêtise. Attention, un geste de travers et tu peux tout gâcher. Son sort ne dépend plus que de toi. Tu entends ? Dis-moi. Qu'est-ce que tu veux ? Qu'il tombe? Il va tomber... C'est si simple... La tentation est si forte. Comment pourrais-je résister ? Il appelle la mort, et je suis là. Regarde, je trépigne d'impatience... Son crâne se fracassant sur le trottoir, je savoure cette pensée... Ça dépend de toi... Un peu à gauche, un peu à droite...
Il fait danser sa main d'un côté à l'autre, et le corps flasque de Romain imite son mouvement.
— Non, arrête ! Mais qu'est-ce que tu veux ?
— Tu le sais... Dis-moi que tu es à moi... Promets-moi de me laisser achever mon travail sur toi... Il va mourir, Émy.
— Non, ne fais pas ça. C'est bon, j'ai compris le message. Fais-le descendre.
Ses lèvres esquissent un sourire satisfait et provocateur tandis qu'il se dirige vers Romain, qui ne remarque rien. Tristan l'attrape par le col de sa chemise hawaïenne et le pousse nonchalamment dans le canapé. L'autre s'y écroule, ronflant presque aussitôt. Il est ivre-mort. Hélène continue de vomir tous ses boyaux, je crois même qu'elle crache du sang. Il faut que tout s'arrête. J'ai envie de crier, je ne sais pas comment m'y prendre. Je jette un regard désespéré vers Tristan, qui le capte immédiatement. Il m'attrape par le bras.
— Alors, tu t'amuses bien ?
Au même moment, on frappe à la porte avec brutalité.
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