Chapitre 18 : Enlèvement
C'est Cyrians. Il a l'air essoufflé et tendu. Je refuse d'ouvrir, il insiste calmement et sa voix ferme finit par me convaincre. Il ne semble même pas étonné de ma froideur. Mais une fois entré, il me regarde, visiblement choqué.
— Émy, non... Non, dis-moi que ce n'est pas toi... Pas ça, non...
— Qu'est-ce que tu veux ? Pourquoi es-tu venu ? Tu ne devais pas rentrer avant plusieurs jours encore.
— En fait, je devais partir pour des mois, voire des années. Mais j'ai tout lâché, je savais qu'il fallait que je vienne te chercher, je savais que je ne pouvais pas te laisser. Pas ça, pas toi...
Je tente d'avoir l'air assuré et déterminé, mais je n'y parviens pas, je commence à sangloter lamentablement. Cyrians prend mon menton et relève mon visage.
— Mais c'est pas vrai... Mais qu'est-ce qu'il t'a fait... J'ai attendu plusieurs heures devant chez toi, et dès que je l'ai vu partir, je me suis dépêché de monter... Qu'est-ce qu'il t'a fait....
— Non ! Tais-toi, tu n'as pas le droit. Il prend soin de moi. Il m'aide, lui ! Sans lui je n'arriverai jamais à m'en sortir ! Il me soutient.
— Arrête Émy ! Regarde-toi. Tu ne sais pas de quoi tu parles. Viens. Il faut partir.
— Je n'irai nulle part avec toi. C'est hors de question, tu ne peux pas me forcer. C'est facile pour toi de réapparaître comme ça, et de donner des leçons. Tu étais où, hein ? Et Isa, elle va bien ? Votre petite lune de miel, c'était comment ?
— C'est lui qui t'a lancée sur une piste pareille ? Émy, je t'avais promis de répondre à toutes tes questions, et je vais le faire. Je peux tout te dire maintenant, puisque j'ai déjà violé les règles en revenant ici. Allez, prends quelques affaires dans un sac, et suis-moi. Il faut se tirer d'ici. Vite. Avant qu'il ne revienne. Laisse-lui un mot pour lui dire que tu passes l'aprem et la soirée chez une copine, ça nous donnera de l'avance.
— Non, je reste. Je n'ai pas confiance en toi.
— Émy, ça ne peut pas être pire qu'ici, tu le sais. Regarde-toi : tu as perdu combien de kilos ? Depuis quand n'as-tu pas bien dormi ? Et toutes tes scarifications là, depuis quand tu te mutiles ? Réalise, bon sang !
Cette fois c'est trop, j'éclate en sanglots et je parviens à peine à articuler une réponse.
— Je sais... Mais je n'arrive pas, tu entends ? Je n'arrive pas à me sortir de ça, c'est trop difficile... Tristan m'aide, il s'occupe bien de moi... J'me serais tuée sans lui, mais toi tu ne sais pas, tu n'étais pas là. Tu ne vois pas.
Il baisse alors les yeux, et sa voix s'adoucit enfin.
— Je suis là cette fois. Viens avec moi, on va parler et je te ramène juste après si tu le souhaites. Je te le promets. Mais tu dois savoir. Tu pourras décider en connaissance de cause. Je ne les laisserai pas te faire ça sans réagir, pas à toi. Aller, viens. Tu sais que c'est le mieux que tu as à faire, tu sais que ce que tu vis ici est malsain.
J'hésite quelques secondes, puis je le laisse me prendre par la main et m'emmener dans ma chambre, sans arrêter de verser toutes les larmes de mon corps. Je n'ai pas l'énergie nécessaire pour lutter contre sa détermination, je ne peux que le regarder préparer mes affaires, jetant précipitamment quelques tee-shirts et sous-vêtements dans un sac à dos. Il est très nerveux, il ne perd pas une minute. Je n'ai plus confiance en lui, je ne sais pas quoi penser. J'ignore quelles sont ses motivations. Quelques baisers échangés permettent-ils de dire que nous sommes ensemble, lui et moi ? Il n'est qu'un étranger, et il se donne des droits sur ma vie. Mais puisque j'ai déprimé tout ce temps en grande partie à cause de lui, je veux entendre son explication.
Nous sortons dans le couloir, il me tient par la main et me tire pour que j'avance. Mais je n'arrive pas à le suivre, je ne suis pas sortie depuis un bon bout de temps en réalité, et mes jambes ont du mal à me porter. Je trébuche sur la moquette avant même d'arriver dans l'ascenseur. Je me cogne contre son dos, et il prend alors conscience de ma maigreur. Je suis comme une brindille qui peut se rompre au moindre mouvement trop brusque. Je regarde mes jambes frêles, et je me fais peur. Comment ai-je pu fondre ainsi en quelques jours ? Ma mère n'est partie que depuis huit jours. C'est incompréhensible. De nouvelles larmes emplissent mes yeux. Je ne suis plus bonne qu'à pleurnicher. Cyrians ne se laisse pas démonter, il me soulève sans me laisser le temps de réagir et, en quelques secondes à peine, je me retrouve dans ses bras.
Il reprend immédiatement sa course, comme si mon poids ne gênait en rien ses mouvements. Le contact avec sa peau me fait l'effet d'une décharge électrique qui parcourt tous mes muscles et les tire d'une trop longue torpeur. Je frissonne. Il me colle un baiser sur le front, et je suis envahie d'une sensation de plénitude. Nous sortons de la résidence. Je cligne des yeux, aveuglée par la lumière du soleil. Il fait bon, une légère brise caresse mes bras et je souris à ce contact vivifiant. J'ai l'impression de renaître. L'agitation de la rue réveille mes sens, je m'émerveille comme un nouveau-né.
Cyrians m'installe dans sa voiture, attache ma ceinture, et monte à son tour. Sa conduite est énergique, je doute qu'il respecte les limitations de vitesse. Il grille même un feu rouge, sans sourcilier. Et malgré de nombreuses prises de risque, nous arrivons sans encombre. Je ne sais pas où nous sommes, je ne connais pas ce quartier et je n'ai pas fait attention à notre itinéraire, tant j'étais préoccupée par les piétons et autres obstacles que Cyrians méprisait.
Il ouvre ma portière, me détache toujours dans la hâte et me prend dans ses bras sans un mot. Nous montons les escaliers d'un immeuble ancien de type haussmannien, jusqu'au deuxième étage. Il ouvre alors la porte et nous entrons dans ce que je suppose être son appartement. Il m'installe sur le canapé dans le salon, puis il disparaît dans la pièce d'à côté. Je regarde autour de moi. L'espace est assez restreint, mais joliment aménagé. Un petit canapé en cuir et un fauteuil assorti, une grande bibliothèque pleine de livres en tous genres, dont plusieurs encyclopédies de médecine.
Je ne sais pas combien de temps il me laisse là toute seule, à attendre. Des bruits de cuisine me parviennent, des casseroles qui s'entrechoquent. Il revient avec deux assiettes contenant chacune un steak et du riz au curry. Je n'ai pas faim, je repousse l'assiette qu'il pose devant moi.
— Non, Émy, tu dois manger. S'il te plait. Force-toi.
— Je n'ai pas faim. Et je ne me forcerai pas. D'ailleurs Tristan dit que...
— Tristan te détruit. Tais-toi et mange, maintenant.
— Je ne suis pas venue pour ça.
— On aura tout le temps de parler. J'ai laissé un mot en ton nom dans la cuisine, il ne t'attendra pas avant demain soir. Je répondrai à toutes tes questions, mais seulement si tu acceptes de t'alimenter.
Je pique rageusement un morceau de viande dans mon assiette et l'enfourne dans ma bouche. La sensation de mâcher me paraît étrange, le goût de la viande rouge est une explosion de saveurs. Je dévore mon steak en quelques coups de fourchette. Cyrians paraît satisfait. Je me sens nettement mieux, à nouveau maîtresse de moi-même. Ce ne sont plus des pulsions qui m'agitent, je parviens à décider réellement de mes mouvements. Et la tristesse ne dévore plus mes entrailles. Je suis sereine. Je ne m'explique pas ce retournement soudain. Il est forcément lié à la présence de Cyrians. Mais je conserve ma rancœur à sont égard.
— Je t'écoute. Raconte-moi. Qui es-tu ?
— Je ne t'ai pas menti, Émy. Je m'appelle Cyrians.
— Oui, oui. Peut-être. La suite maintenant.
— Quelle suite ?
Agacée par son jeu puéril, je me lève et tourne les talons. Il rattrape ma main et son regard se fait suppliant.
— Excuse-moi, tu as raison, on ne joue plus. Reste. On va parler, vraiment.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top