Chapitre 11 : Revivre


Média : Jardins du Luxembourg


Toutes mes nuits sont mouvementées, je tremble dans mon lit chaque soir. Les jours passent lentement, entrecoupés de terreurs nocturnes irrationnelles. Mais enfin le lundi se termine, et j'ai bon espoir de retrouver Cyrians demain aux jardins.

Pourtant, il me faut encore affronter une nuit de plus. Et ce soir, alors que je me couche, j'entends des bruits de respiration, je me sens épiée, je deviens folle. Parfois un rire, parfois un craquement de plancher, une ombre qui se déplace lentement. Je ne suis pas seule, j'en suis persuadée sans pouvoir percer à jour l'intrus. J'allume la lumière, rien ne se passe. Je l'éteins, un peu plus rassurée, et tout recommence. On joue avec mes nerfs. 

J'hésite à aller réveiller Isa. Mais avec tous mes cauchemars de ces dernières semaines, elle ne me prendra pas au sérieux. Et même si elle comprenait que je crois vraiment à tous ces monstres, elle mettrait en doute ma santé mentale. Je reste donc blottie sous les draps, à moitié morte de peur. L'un de mes bibelots tombe de ma commode et se brise en plusieurs morceaux sur le sol. Je me lève, excédée. J'allume la lumière de ma table de chevet. Je vais ramasser les morceaux, puis je tenterai de dormir sans éteindre ma lampe. Malheureusement, ma jambe m'handicape plus que je ne croyais, je loupe mon geste et je perds l'équilibre. Je me rattrape comme je peux, me râpant le dos sur le bord du lit. Mon poignet encaisse le choc, c'est lui qui me sert à adoucir ma chute. Je me suis encore bien amochée, pendant un court instant je crois l'avoir cassé. Pourtant, il ne s'agit surement que d'une foulure ou d'un froissement musculaire. Isa accourt, elle a entendu le bruit sourd de mon plâtre sur le parquet.

— Émy ? Qu'est-ce que tu fais par terre ? Ma puce tu es tombée ?

— J'ai voulu me lever pour ramasser ça, dis-je en désignant les morceaux au sol. Mais je devais être à moitié endormie, j'ai raté mon coup. Je me suis tordu le poignet.

Elle m'aide à me redresser et je m'assois sur mon lit. Elle m'apporte un peu de glace dans un gant de toilette pour appliquer sur mon poignet, puis elle récupère le bibelot en miettes et le jette dans la poubelle sous mon bureau. Elle ne se demande pas comment il a pu tomber. Après tout c'est peut-être moi qui suis paranoïaque. Il devait être trop au bord, ce sont des choses qui arrivent.

— Émy, tu es sure que ça va ? Je me fais du souci pour toi ces derniers temps. Tu n'as pas le moral ? Tu es soucieuse ? Ta jambe se remettra vite, tu sais. Il ne faut pas que ça t'inquiète.

— Non, ça va. Je n'ai pas très envie de dormir seule cette nuit, tu sais. Tu te rappelles, quand j'étais gamine et que je ne voulais pas dormir sans toi ? Vieille-maman ne voulait pas qu'on dorme ensemble, "chacune dans sa chambre, vous êtes grandes maintenant" ! Et toi tu attendais qu'elle dorme, et tu venais me raconter de belles histoires pour m'endormir.

— Tu te rappelles de ça ?

Elle est émue, elle m'attire contre elle et me caresse les cheveux doucement. Je suis morte de sommeil, ma tension nerveuse est retombée et mes paupières ne tiennent plus ouvertes. Elle m'aide à me rallonger et reste avec moi un bon moment. Lorsque je me réveille, il fait jour. Je suis soulagée. Mon poignet a légèrement bleuie, il est un peu raide, mais ce n'est pas bien méchant. Tout ce qui compte, c'est la journée qui m'attend. Je suis impatiente, je rêve de ce moment depuis une semaine. Sept jours qui ont duré des années. Je clopine jusqu'à la cuisine, Isa est en train de boire un café. Je regarde l'heure, elle va être en retard au travail. Entre deux gorgées, elle enfile un gilet, prends ses clés de voiture. Elle me colle un bisou sur la joue et me souhaite de passer une bonne journée, et ajoute quelques recommandations bienveillantes que je n'écoute que d'une oreille. D'un clin d'œil, elle me confirme qu'elle se souvient que je vois Cyrians aujourd'hui. Enfin, j'espère le voir. De toute façon je ne tiendrai pas enfermée un jour de plus, je compte bien aller passer la journée dans les jardins du Luxembourg, étendue au soleil avec un bon livre.

Il est à peine onze heures quand je m'installe sur la pelouse, tout près du banc où nous avions mangé nos glaces la dernière fois. S'il passe par là, il ne devrait pas me rater. Je lis quelques pages, distraitement. Mon téléphone sonne, c'est Tristan. Je décroche, un peu contrariée.

— Émy ? Comment vas-tu ma belle ? Et ta jambe ?

— Ça va de mieux en mieux, merci.

— J'espérai que tu me donnerais des nouvelles... Mais tu es restée silencieuse ces derniers jours. On pourrait peut-être se voir, non ?

— Euh... C'est compliqué pour le moment, je suis pas mal occupée. Je te tiendrais au courant quand j'aurais un peu de temps.

— Oui... Tu ne veux toujours pas me voir, c'est ça ?

— Pas pour le moment. Je te rappellerai, promis ! A bientôt, salut !

Je raccroche avant qu'il n'enchaîne. Je n'ai pas envie de passer du temps avec lui, le voir surgir tous les soirs dans mes cauchemars me suffit. Je préfère me tenir à l'écart.

J'observe les gens autour de moi, mais Cyrians n'est pas là. Tant pis, il est encore tôt. J'avance dans ma lecture.

Alors que je suis plongée dans mon livre, quelqu'un s'allonge auprès de moi sur ma couverture. C'est lui. Enfin. Je lui saute au cou, il me serre. Il respire mon odeur, le visage enfoui dans mes cheveux. Je suis si bien... Nous restons ainsi un bon moment. Puis il s'écarte. A aucun moment il n'essaie de m'embrasser, peut-être est-il trop timide.

— Cyrians... Je suis contente de te voir ! Je me demandais si tu viendrais !

— Tu as eu mon mot, non ?

Nous échangeons un sourire complice. Mais je suis bien décidée à en apprendre plus et à obtenir quelques réponses.

— Dis-moi... Pourquoi disais-tu dans ton mot que les choses se compliquent ? Par rapport à l'intervention de Tristan la dernière fois ? Pourquoi ne pourrions-nous pas nous voir aussi souvent que nous le voulons ?

— Eh ! Toutes ces questions à la fois ? Tu ne veux pas plutôt qu'on profite du moment ? Regarde, le temps est magnifique, et on est ensemble. Alors je ne veux plus voir cet air perplexe sur ton beau visage. Ok ?

— Mais... Je voudrais quand même comprendre... Tu parles souvent à demi-mots, et j'espérais que tu m'expliquerais un peu ce qui te tracasse...

— Plus tard. Tout va bien pour le moment, c'est tout ce qui compte.

Je m'apprête à insister encore, mais il m'attire contre lui, et nous nous allongeons sur le côté. Je reprends ma lecture, avec sa présence rassurante dans mon dos et son souffle chaud sur mon cou. Il caresse mes cheveux, et tout mon corps est envahi d'une exquise sensation d'apaisement. Je tourne la page. Mais je n'ai vraiment pas envie de lire, je ne pense qu'à ses lèvres. Je me retourne et observe son visage, à quelques centimètres du mien, nos lèvres toutes proches. Malgré un premier mouvement de recul probablement dû à la surprise, il se laisse enfin aller et savoure le moment. Nous échangeons quelques frôlements de lèvres, doux et légers. Nous n'osons pas, nous nous cherchons. Tous mes muscles tressaillent de plaisir. Je me sens légère comme jamais, et ma vie me semble parfaite. Je ne vois aucune ombre au tableau. Il est souriant, radieux. Il joue avec mes lèvres et ma patience, les yeux brillants de bonheur. 

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