Une entente fragile
Jiahao était sûrement le plus à l'aise avec ce psychopathe ; il ne cherchait pas à déterminer si cet homme méritait ou non sa gentillesse et il refusait de se méfier de lui, car il voulait simplement que les adultes cessent de crier et d'avoir peur. Alors qu'ils se jugeaient tous d'yeux sombres, il bougea le premier. Au lieu de s'écarter de son grand frère pour observer le Tueur des Anges aux bouclettes rigolotes, il se précipita dans le couloir jouxtant le restaurant et ils entendirent le son distinct de ses petits pieds qui grimpaient les escaliers menant aux chambres. Le gamin bénéficiait d'une intelligence qui attirait Moore – ils partageaient la même sorte de discernement et d'esprit critique. Le chinois jouait aux dés avec la vie de l'équipe en faisant un pari simple : Derek ne les tuerait pas grâce à lui. Peu importe sa cruauté d'avant. En ce moment, il désirait aller au Stasensë et il ne paraissait pas avoir envie de faire couler du sang. Il espérait seulement que ce répit durerait le plus longtemps possible.
— Prenons exemple sur l'enfant, décréta Manuela. Descendons nos affaires et partons sur-le-champ. Monsieur l'agent, vous dénoncerez cet homme plus tard. Appelez la police locale pour qu'ils découvrent les corps plus tôt, si cela peut soulager votre conscience professionnelle.
La chamane pivota et partit, rapidement imitée par une Soo Ah tremblotante, un Magnus répugné et un Yi Jing apathique. Daniel Saint-Germain resta davantage et fixa le psychopathe. Quand ce dernier ne tuait pas ou qu'il n'était pas excité, il avait l'air normal. Un visage typiquement américain et une peau bronzée, un gars du Texas, à la chevelure épaisse et ténébreuse, un regard vide et nonchalant qui ne laissait rien transparaitre. Le français soupira et monta à son tour. Le traqueur et le traqué furent enfin seuls et Moore fit volte-face vivement, tapant joyeusement dans ses mains.
— Alors ? Content ?
— Pourquoi éprouverais-je un quelconque contentement à te laisser libre et en vie ? rétorqua lourdement Charlie. D'ailleurs, même si tu participes à cette aventure stupide, je ne vois pas ce qui m'empêcherait de te menotter.
— Oh oui, menotte-moi ! s'écria aussitôt Derek et l'autre leva les yeux au ciel. Plus sérieusement, je n'aurais pas cru que tu accepterais. Quel con !
— Je fais une erreur, n'est-ce pas ? souffla l'agent, la mine penaude.
— Disons que oui, mais non ! Essaie de m'arrêter et je tue tout le monde, tu sais très bien que j'en suis capable. J'ai réussi à éliminer d'un coup toute une équipe armée d'Interpol et d'éviter toutes les polices d'Amérique du Nord et d'Asie de l'est, alors je pourrais te massacrer en moins d'une minute sans effort ! Ne parlons pas de cette équipe de bras cassés ! Tu conviendras qu'il suffit d'un regard pour noter leur talent à ne pas avoir de talent ! Du coup, ils ont un talent, en fait, mais...
Avant que Charlie ne lui bondisse dessus pour le faire taire, ne supportant pas qu'il s'adresse à lui comme à un vieux pote, la chamane revint avec des vêtements. Elle les avait pris de leur voiture et les jeta à leurs pieds.
— Les frottements de vos tissus combinés à la couleur noire des costumes ne vous épargneront pas dans le désert.
Ils opinèrent du chef dans des mouvements similaires et ramassèrent sans broncher les habits. Deux pantalons de randonnée, deux t-shirts et deux pulls, ainsi que deux paires de bottes. A priori, elle ne comptait pas leur donner de manteaux ou d'accessoires pour se protéger du soleil. Charlie fronça les sourcils en remarquant les yeux fermés de cette femme qui ne lui accorda aucune attention. L'associait-elle à ce psychopathe ? Ne devraient-ils pas discuter et mettre en place un protocole d'urgence au cas où Moore aurait le désir soudain de découper quelques corps ?
— Elle ne t'aime pas ! résuma Derek en ricanant.
Pendant qu'ils se déshabillaient chacun d'un côté de la pièce et que Charlie le surveillait discrètement, à l'étage, les conversations tournaient en rond. Magnus et Jiahao se chamaillaient encore et Daniel ne comprenait plus comment ils en arrivaient toujours à se disputer en criant.
— Sale gosse ! Si tu veux faire ami-ami avec ce fou furieux, ne te gêne pas et vas-y ! Pars avec lui et amène ton silencieux grand-frère ! Mais fiche-nous la paix et ne nous entraîne pas dans ta bêtise !
— Cet homme nous aidera ! beugla fermement Jiahao, debout sur le lit pour rivaliser avec la grandeur irritante de l'As Danois. Grand-mère l'a dit !
— Grand-mère est aussi folle que cet homme ! Est-il idiot, simplet ou simplement mal éduqué ?
— Chut ! Méchant Monsieur !
— Mais quelle teigne !
— Taisez-vous ! hurla Soo Ah à la surprise générale.
Daniel Saint-Germain se retourna le premier et serra les lèvres pour ne pas rire. La coréenne, suivie par la chamane, était entrée dans la chambre des hommes après avoir récupéré ses affaires et elle se tenait derrière eux, les poings sur ses hanches et les traits vibrant d'une colère spécifiquement maternelle. Elle s'avança farouchement et se planta face à l'As Danois dont l'instinct lui ordonna de ramener ses bras devant son visage précieux.
— Crétin sans cervelle ! brailla-t-elle. Bien sûr que non, il n'a pas reçu une éducation traditionnelle. Je vais vous apprendre quelque chose : tous les êtres humains n'obtiennent pas la même chance ! Cependant, je trouve que ce garçon fait preuve d'un plus grand intellect que vous !
L'As Danois se tut. Ce qui ébahit tout le monde. Sa bouche se plissa en une moue légère. Ses mains se contractèrent et ses muscles étaient visiblement parcourus d'une tension subite. Toute trace de colère disparut instantanément et Soo Ah demeura interdite devant lui. Magnus leva son poing et l'abattit sans aucune force sur son épaule, comme pour lui signifier que les mots ne lui avaient pas plu. Apparemment, ce sujet était sensible pour le magicien ! La coréenne tâcherait de s'en souvenir.
— Moi, au moins, je ne tolère pas un psychopathe dans notre équipe, continua-t-il en perdant sa conviction. N'ai-je pas raison ? Hormis la vieille sorcière, personne ne souhaite subir les conséquences de cette décision. Et s'il nous tue ? Qui en prendra la responsabilité ? N'oublions pas l'agent qui tremble de peur.
— Il agit pour notre bien, contra ladite sorcière. Les morts m'ont parlé de Derek Moore. Mieux vaut ne pas le contrarier. Je vous conseille d'être le plus amical possible avec lui. Peut-être qu'il songera à ne pas vous assassiner durant le voyage.
— Il est méchant, fit Jiahao dans un anglais approximatif. Mais, il ne me regarde pas avec méchanceté.
Cette phrase se destinait clairement au danois ; Magnus l'essuya difficilement et il médita. A vrai dire, il ne s'en voulait pas du tout d'être dédaigneux avec le garçon. Celui-ci lui répondait toujours avec autant de mépris, donc ils étaient quittes. Soupirant, le magicien ne répliqua pas, saisit ses affaires et se dirigea vers les voitures. La chamane lui emboîta le pas, curieuse de voir si le Tueur des Anges les attendait vraiment. Daniel Saint-Germain décida de s'éclipser aussi, tandis que Soo Ah rejoignit Jiahao. Elle jeta son sac à dos par terre et déposa ses fines mains sur les épaules voûtées du garçon.
— Je crois que tu es notre porte-bonheur, petit maître. Mais ne t'approche pas trop de cet homme.
— Je suis un enfant, pas stupide ! bouda-t-il.
Elle lui tapota gentiment la tête, recoiffant sa chevelure hirsute, et fit signe à Yi Jing qu'elle descendait. L'ancien clown inspira profondément et il attrapa le garçon pour l'aider à ne pas tomber du lit. Pour la première fois, Jiahao ne parvenait pas à identifier l'émotion sur le visage indifférent de son grand frère. Il pensa qu'il était déçu de lui, mais il esquissa un faux sourire pour le rassurer.
— Je n'ai confiance qu'en la moitié de cette équipe, expliqua-t-il en chinois. La chamane se montre louche depuis qu'elle nous a tous contactés et le français lui voue une foi aveugle ; reste éloigné des deux américains. Au final, écoute-moi avant d'être impulsif ! Seuls la coréenne et le magicien ne me dérangent pas. Tu peux te rapprocher autant que tu le voudras de la dame. En ce qui concerne Magnus,..eh bien, il...
— Il est trop bête pour nous mentir ! supposa Jiahao.
— Sois gentil avec lui ! pouffa Yi Jing.
Le garçon rigola avec innocence, puis ils décidèrent de rejoindre les autres. En bas de l'escalier, Jiahao aperçut une tache étrange au sol qui s'étendait depuis l'intérieur d'une pièce à moitié fermée. Il s'éloigna de son grand frère pour aller voir, curieux. Quand tout à coup, une main dure se posa sur lui et le fit sursauter. Il se confronta au regard d'acier de Derek Moore. Le psychopathe se tenait immobile à côté de lui, l'empêchant de marcher derrière cette porte mystérieuse. En assistant à cela, Yi Jing comprit immédiatement d'où provenait la substance liquide et rougeâtre. Il se dépêcha d'enlacer le petit dans ses bras et de sortir d'ici.
— Bravo. Tu as pratiquement gâché la pureté de ce petit ! railla méchamment Charlie.
— Il n'est pas entré.
Le ton du psychopathe était sans appel : il ne voulait pas parler maintenant. Moore se rua dehors, laissant l'agent appeler la police. Charlie prit son téléphone dans la poche arrière de son pantalon et il expira brusquement. Interpol le suivrait à la trace. S'il se débarrassait de son portable, il ne valait rien ! Il laissait un assassin récidiviste échapper à la loi et il n'avouerait pas, qu'en réalité, il désirait vraiment entreprendre ce voyage jusqu'au Stasensë. L'agent Wilson est un homme et les hommes sont faibles. Si cet endroit pouvait exaucer un vœu, il jura de se racheter. Sur cette promesse, l'appareil s'éclata contre le mur.
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