Sur une brillante route

L'As Danois et Apollon avaient littéralement traîné le Tueur dans un endroit qu'il reconnut bien plus tard en sentant les sièges en cuir, les emplacements pour attacher les ceintures de sécurité, ainsi que les portières. Une voiture. Sa vision revint peu à peu ; et pendant ce temps, il retourna la situation dans tous les sens pour comprendre comment il était arrivé dans un véhicule qui sentait le neuf. Au bout d'un moment, il envisagea avoir rêvé les derniers jours. Peut-être qu'à partir de la tempête, rien n'était vrai. Mais petit à petit, il identifia les voix de toute l'équipe. Sauf celle de Soo Ah. Il fronça les sourcils et patienta en silence. 

Progressivement, les silhouettes se dessinèrent, la lumière vint et le flou s'évapora. Il distingua chaque membre de l'équipe, y compris la muette Soo Ah qui dormait encore. Charlie lui glissa à l'oreille qu'elle ne s'était pas encore réveillée. Ou plutôt – il précisa – elle avait émergé une seconde, juste après Daniel, mais elle s'était évanouie. Ils en avaient conclu qu'elle avait trop forcé d'un coup et que son corps n'avait pas tenu. Derek se rendit compte qu'il ne siégeait pas dans une des voitures avec lesquelles ils étaient partis de Chine. Leur véhicule prenait les formes d'un vanne suffisamment spacieux pour les accueillir tous. Deux fauteuils à l'avant et une dizaine en U à l'arrière. Il ne se surprit pas de voir le français au volant et la vieille sorcière à ses côtés. 

— Bon... Si l'un d'entre vous aurait l'amabilité de m'expliquer..., ce serait cool. 

Le garçon pivota vers lui, délaissant la boisson à la myrtille qu'il tenait entre ses mains – à savoir comment il avait obtenu cette bouteille. Il s'apprêta à lui parler, quand une masse lourde tomba sur Jiahao, ce qui le fit sursauter et pousser un bref cri d'étonnement. Soo Ah avait basculé, rien de bien grave. Daniel descendit du vanne, le contourna, ouvrit une portière coulissante et aida la coréenne à se replacer correctement. Sa mini-chute l'avait sûrement réveillé, puisqu'elle émergeait déjà. Battant des paupières, le français n'attendit pas pour lui balancer le même baratin auquel il avait eu droit : vision trouble pour quelques minutes, pas bouger, pas parler, se reposer et dodo si besoin. Grosso modo. 

— Ce qui ne répond toujours pas à ma question ! s'exclama-t-il et la coréenne tressaillit, ne pensant pas que le Tueur se trouvait si près d'elle.

L'agent ferma brusquement le coffre du vanne et monta à l'intérieur, faisant coulisser la portière à son passage.

— Premièrement, dis-toi que nous ne comprenons pas tout. Nous avons...déduit ! 

— Mais déduit quoi ? cingla Moore, impatient.

— Après que tu aies appuyé sur la détente...

— N'ose pas me mettre cette histoire sur le dos ! grogna-t-il. Nous avions tous envie de tirer sur ce con !

— Pas tous, rétorqua Charlie, calmement, mais bref passons... Après que tu lui aies tiré dessus, nous nous sommes tous évanouis. N'est-ce pas ? Eh bien, en nous réveillant, nous étions tous dans les steppes avec ce vanne garé à côté de nos corps endormis, deux papiers et quelques outils. J'ai regardé dans le coffre et nous bénéficions de ressources précieuses. Imagine ce que contient ce coffre, ce sera toujours plus ! On dirait une caverne aux trésors ! Boissons, nourritures en tout genre, des snacks à ne plus les compter et, tu ne le croiras jamais, des jouets pour le petit ! 

Instinctivement, Moore se tourna vers le garçon qui sirotait son jus à la myrtille et qui entrechoquait deux pantins en bois – jouets rustiques, mais qui n'avaient rien d'essentiels et qui n'avaient donc rien à faire dans des ressources vitales lors d'un voyage mortel. Derek papillonna des paupières en même temps que la coréenne. Cette dernière semblait enfin distinguer certaines formes, tandis que lui n'en revenait pas. Qui leur avait fourni le véhicule et toutes ces provisions ? Son esprit se braqua sur Sukh. Ce ne pouvait être que ce type ! Charlie suivit son cheminement et lui confirma :

— Nous présumons que Sukh est à l'origine de ce désordre. Mais aucune trace de lui. Je suppose que nous n'aurons jamais de précision sur ce qu'il s'est passé.

— Tu as mentionné des papiers, souffla Soo Ah dont la voix rauque lui écorcha la gorge.

— En effet, répondit Daniel et elle essaya d'orienter ses yeux vers lui, n'y voyant pas encore tout à fait clair. L'un ressemble énormément au document rédigé par le mort américain de Madame Correia. Avec les chiffres et les directions. Celui-ci se base sur un système similaire, mais à la place d'un nombre de pas, c'est un nombre de kilomètres. D'ailleurs, le vanne est équipé d'un compteur, sûrement pour nous aider à déterminer le nombre de kilomètres que nous aurons parcouru. 

— Nos sacs à dos ont disparu, poursuivit Charlie, mais les provisions dans le coffre représentent bien plus que ce que nous possédions. Aussi, il y avait une boussole près de sa tête.

Il désigna Magnus.

— Sukh ou peu importe la personne qui nous a déplacé, conclut l'agent, sait ce qu'il fait.  

Derek hocha machinalement la tête, n'ayant rien à ajouter. Ces instructions les mèneraient-ils vers le véritable Stasensë ? Était-ce un piège ? Pendant qu'il était comateux, il avait entendu quelqu'un suggérer que Sukh était en fait le chaman. L'homme qui avait juré de protéger cet endroit maudit d'intrusions non-voulues. Peut-être les guidait-il à leur mort ? Pourtant, les provisions et les jouets leur permettaient d'avoir espoir. Pourquoi leur offrir de quoi  survivre et se distraire s'il souhaitait les tuer ? Et puis, il aurait pu profiter de leur sommeil pour leur trancher la gorge un par un. C'est ce qu'il aurait fait à sa place.

— Peut-être que vous survivrez..., murmura Soo Ah, bouche bée. Sukh... Il ne voulait probablement pas nous éliminer ! 

— Il nous a mis sur la piste du Stasensë, trancha Manuela.

— Vous avez confiance en un menteur, trompeur et vicieux magicien ? grimaça Yi Jing, stupéfait.

— Laisse la magie en dehors de ça, ronchonna Magnus.

— Il nous a tous endormis en moins d'une seconde et il n'est pas mort quand Jaguar a tiré ! s'écria Charlie, lui aussi mécontent. Hormis un magicien, j'ignore ce qu'il peut être !

— Un chaman, grogna la vieille sorcière, épuisée de les entendre piailler. A qui le Stasensë a donné les capacités nécessaires pour le protéger. Il pourrait totalement voler dans les airs, cela ne serait pas surprenant ! 

Le psychopathe arbora une mine dégoûtée et Charlie devina ses pensées : entre la vieille sorcière et leur hôte fourbe, il avait une exécrable opinion des chamans. Il lui tendit une bouteille de soda et Derek la saisit, en but son contenu d'une traite pour roter élégamment. Magnus lui lança un regard outré, Jiahao ricana et Yi Jing se retrouva au bord du sourire grâce aux éclats de rire de son garçon. En somme, il s'agissait ni plus, ni moins d'un retour brutal à l'ambiance habituelle entre eux ! Sauf que cette fois, ils refusaient d'être bernés à nouveau. Ils espéraient vraiment que cette mystérieuse destination soit le Stasensë. Dans le cas contraire, ils seraient possiblement obligés de déclarer forfait et de regagner leurs vies chaotiques, et il en était hors de question.

— Deux papiers, souffla Derek, perplexe. Tu as dit deux papiers.

— Sur le deuxième, il y a seulement un mot écrit à l'encre noir, répliqua Charlie. Altaï. 

— Altaï ? répéta Soo Ah d'une voix plus aiguë qu'elle s'y attendait. C'est quoi ça ?

— Les Monts Altaï, éclaircit Daniel. Tu ne connais pas ? Chaîne de montagnes à la frontière de nombreux pays, hiver long, ce qui signifie avoir froid longtemps. Si je me souviens bien, cette zone est sujette à des secousses sismiques. Le paradis en soi ! 

— Je connais, je connais, chuchota-t-elle comme si elle entrait dans ses réflexions.  

La coréenne n'appréciait pas trop cette description. En réalité, elle préférait s'enterrer sur-le-champ plutôt que se rendre dans cette région glaciale avec un faible chance de survie, puisque – rappelons-le – ils ne détenaient que quelques directives. Que feront-ils une fois sur place ? Où aller ? Quoi chercher ? Elle doutait que des panneaux leur indiqueraient le chemin vers le Stasensë. Quelle fichue aventure ! se plaignit-elle, intérieurement. 

Faisant aussitôt la moue, elle commença à déprimer et à regretter sa maison chaude. Soo Ah se replia dans son manteau, alors qu'un bisou baveux se colla à sa joue. La salive ayant une odeur de myrtille, elle sentait désormais le fruit. Jiahao lui glissa un paquet de gâteaux dans les mains en pensant la réconforter, et cela fonctionna à merveille. Le garçon s'assit à côté d'elle et de son grand frère, tout en s'amusant à embêter l'As Danois qui tentait de s'endormir. 

— Cette sale teigne n'arrêtera jamais ! tonna-t-il.

— Mais il faut pas que tu t'endormes. Après nous sommes tout mous et nous ne voyons plus.

Sa voix fluette et chétive fit culpabiliser Magnus qui amorça une excuse.

— Non, je rigole ! T'es trop moche dans ton sommeil et tu ronfles super fort !

Tandis que Yi Jing se préparait à les séparer avec lassitude, Daniel enclencha le moteur et le compteur de kilomètres, le réglant sur zéro. Manuela plaça les directives devant elle sur le tableau de bord, elle se chargerait de les dicter au français. Le vanne produisit un vacarme assourdissant, surtout lorsque le chauffage se mit en marche. Ils ne dormiraient pas beaucoup sur le trajet ! Dans le bruit et les chamailleries, ils roulèrent sur un chemin caillouteux, traversant les steppes de plus en plus verdoyantes de la Mongolie. Jusqu'où iront-ils ? 

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