Plus de conséquences que de vérités
— Je me noie ! hurla la voix irritante au possible de Derek Moore, brisant ainsi le plus absolu des silences. Putain, Apollon, je me noie ! Non, je ne me noie pas ! Qu'est-ce que je fiche ici ? Et il est où mon Apollon ? Suis-je au royaume divin ? J'espère pas ! De toute façon, j'ai déjà mon lit en Enfer avec le pack promo séries, jeux vidéo et belles nanas, et snacks inclus dans le forfait... Merde, merde, merde, qui est ce crétin qui essaie de m'imiter ?! Il est super moche, en plus ! Attends..., il me ressemble beaucoup quand même... Oh bon sang, dites-moi que je n'ai pas cette tête-là ! Ah, ah, ah, aidez-moi, des araignées me bouffent, non..., pas d'araignées, non... Pause, j'ai besoin d'une mise à jour.
Aussi vite s'était-il redressé, aussi vite s'écroula-t-il. Le Tueur des Anges retourna à l'état somnolent dans lequel il baignait depuis de nombreuses heures déjà, entouré par ses compagnons comateux. Ses cris avaient réveillé Manuela qui l'avait insulté mille fois dans son esprit sans parvenir à sortir les jurons de sa gorge, Jiahao qui aurait voulu rire et se moquer de lui sans qu'un son ne transperce, et Soo Ah qui aurait bien roulé des yeux. Sauf que leurs paupières ne se soulevèrent pas. Piégés dans une instance de sommeil profond, ils étaient semblables à des drogués, incapables de se ranimer. Ils ne luttèrent pas longtemps et dormirent.
— Je crois... Eh bien, je crois que ce Sukh était en réalité le chaman. Vous savez, celui qui a promis de protéger le Stasensë. Ou alors il était un des nombreux gardiens.
— Est-ce que vos morts peuvent nous en apprendre davantage ?
Le psychopathe identifia vaguement deux voix qu'il connaissait très bien. La vieille sorcière et Napoléon.
— Bordel, mais fermez-la ! grogna-t-il.
Son intervention passa totalement inaperçue, à tel point qu'il supposa ne pas l'avoir prononcé.
— L'homme qui avait laissé les directives pour localiser la pièce dorée, expliqua Manuela, il affirme que Sukh lui a volé quelque chose. Mais il est trop en colère pour tout me raconter.
— Vos morts sont trop capricieux, ronchonna Yi Jing.
— Tout d'abord, ce ne sont pas mes morts. Ils ne m'appartiennent pas ! Deuxièmement, oui, ils sont extrêmement capricieux. En particulier, ceux qui ont perdus la vie en quête du Stasensë, car ils sont toujours gorgés de haine et de regret, hantés par un voyage à jamais inachevé. La moindre remarque déplacée et ils ne répondent plus du tout. Parfois, la simple évocation du Stasensë les enrage tellement qu'il disparaisse et je ne les revoie plus.
— Vous allez la fermer !
Cette fois, le Tueur était convaincu de son cri, puisque la conversation se tut. Il ne réussit pas à soulever ses paupières, ce qui ne le rassura pas, et il sentit une ombre passer à côté de lui et s'asseoir. Un détail commença à ne vraiment pas lui plaire : la personne ne marchait pas dans le sable. Il avait voyagé une semaine et quelques jours – il ne saurait le déterminer avec précision – et les pas produits par des bottes sur des dunes comptait parmi les sons qu'il n'oublierait jamais. Au contraire, les chaussures de l'individu croassaient sur ce qu'il déduisit être des graviers. Autrement dit, il ne se trouvait plus au même endroit. Bien qu'il ne parvenait pas à ouvrir les yeux, il bougea discrètement ses mains pour attraper le revolver qui lui aurait échappé. Du moins, il présuma être discret.
— Si tu cherches mon revolver, je l'ai repris. Et ne tente plus de me le voler, tu m'agaces !
Cette voix, oh cette voix ! Il pourrait embrasser le possesseur de cette voix tant son cœur déborda soudainement de soulagement. Il désira pousser une exclamation d'exultation mal-venue ou un je-ne-sais-quoi qui aurait amusé l'Agent Spécial, mais sa bouche se mouvait dans le vide.
— Calme-toi, conseilla Charlie sur un ton doux. Je n'arrivais pas à parler moi non plus. Tes fonctions vont se stabiliser et se réinitialiser, tu pourras bientôt te lever. Pour le moment, ne te force pas.
— Etes-vous certain de ne pas vouloir le tuer maintenant ? grogna Manuela. Après tout, il ne peut pas se défendre.
Voilà ce qui l'énervait le plus. Cette vieille sorcière se situait à quelques mètres de son corps immobile ; il ne pourrait ni crier, ni se débattre si elle souhaitait lui nuire. Seule la présence de Charlie Wilson le réconforta et il se détendit. Toutefois, des insultes tournaient dans son esprit et il se retenait difficilement de les hurler. Comme lorsqu'une personne vous contrariait, mais que vous ne pouviez pas la rembarrer par souci de bienséance.
— Espèce de garce, je te tue dès que je bouge !
Bon... Apparemment, il était de nouveau en mesure de s'exprimer. Le fait d'insulter la vieille sorcière lui procura un bien-être fulgurant et sur son visage statique se dessina un sourire béat. Charlie le remarqua et il pouffa en secouant la tête. La chamane rouspéta, mais elle ne rétorqua rien. Ils patientèrent encore de nombreuses minutes et rien ne se produisit. Derek ne bougeait toujours pas, ce qui le rendait nerveux. L'agent décida de lui résumer la situation afin d'éviter que le Tueur ne déraille.
— Il faut que je t'informe de certains...certaines choses délicates, ou tu pourrais nous faire une crise en ouvrant les yeux.
— A ce point-là ? souffla-t-il, sa gorge douloureuse.
— Je t'avoue que j'ai frôlé la syncope ! railla Charlie, mais il était tout à fait sérieux. Nous ne sommes plus dans le désert. Plus de sable, plus de cité, et surtout plus de tunnels.
L'agent sembla se pencher sur lui, puisque Derek ressentit son souffle s'abattre sur son visage et il l'entendit chuchoter.
— Napoléon a complètement débloqué. En plus, Yi Jing ne se réveillait pas. Donc il ne pouvait pas lui expliquer ce que contenaient les fameux papiers de Sukh.
— Il voulait retourner aux tunnels, devina Moore.
— Oui. Sauf que le Silencieux s'est réveillé et qu'il a raconté que Sukh avait écrit la vérité sur le Stasensë. Et cette vérité, c'est que le monastère et les tunnels constituaient un leurre pour égarer les voyageurs à la recherche du Stasensë. Là où nous étions, tout était faux. Que des pièges. La mort assurée, hormis pour les quelques chanceux.
— Tu avais raison, soupira le Tueur. Le Stasensë n'est qu'un rêve.
— Pas du tout ! Je n'ai pas dit que le Stasensë n'existait pas, j'ai dit que nous ne cherchions pas au bon endroit. Le Stasensë se situe à priori dans les montagnes.
En fait, Moore n'écouta plus à partir de là. Tant mieux parce que Charlie parut se déconcentrer et s'éloigner de lui. Derek n'arrivait pas à comprendre, l'esprit embrumé. Il maîtrisait tant bien que mal la haine qui grandissait en lui. S'il ouvrait les yeux maintenant, dans son état actuel, il tuerait quelqu'un. Juste pour se relaxer. Il inspira et expira calmement, puis il perçut des bottes approcher derechef. Sauf que le son n'était pas pareil que celui de Wilson. Il était plus faible. Il se douta aisément de qui venait l'embêter, lorsqu'une forme baveuse se déposa brusquement sur sa joue en un bruit de bisou mouillé.
— Moi je suis content. Et je suis fier de toi. Tu n'as tué personne. Continue.
— On dirait une note sur un bulletin scolaire ! grinça Derek à l'égard du petit Hao.
— Ne mens pas ! s'exclama la criarde voix de l'As Danois. Tes bulletins ne devaient pas être aussi encourageants.
— Les profs me détestaient, pouffa Moore. J'en ai tué un. Ou deux. Je ne sais plus. Je vous dis ça dès que mon esprit fonctionnera correctement ! C'était peut-être trois.
— Pas devant la teigne, gronda Magnus.
— On s'en fout ! rabroua le Tueur.
Et les voilà reparti comme avant.
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