Même sur la route
A l'extérieur de l'auberge, Charlie n'eut pas besoin de signifier l'arrivée imminente des autorités. L'As Danois était déjà installé à l'arrière d'une des voitures, avachi avec peu de grâce, et il semblait profondément ennuyé. Manuela et Daniel Saint-Germain prirent le second véhicule, le psychopathe et l'agent les suivirent. Voilà pourquoi les deux chinois et la coréenne choisirent de tenir compagnie au magicien. Ils démarrèrent rapidement et le silence tomba entre eux. Personne n'osa briser le calme tendu. Quelques heures auparavant, ils ne s'attendaient ni à voyager avec un tueur en série, ni à voyager tout court. Maintenant qu'ils se retrouvaient dans une telle situation, le moment avait l'air de plus en plus réel.
— Vous savez, ricana Magnus, si le Stasensë n'existe pas et qu'il n'est rien de plus qu'une fantaisie de l'humain, cette aventure perdra tout son sens !
— J'imagine que vous vous moquez de l'avis des autres, rétorqua Yi Jing, mais cette aventure n'a déjà aucun sens. Que le Stasensë existe ou non, nous délaissons tous nos vies pour un vœu. Un unique vœu qui pourrait tout changer. Cela ressemble étrangement à un conte cauchemardesque duquel les héros ne finissent pas heureux, et encore moins vivants.
— Eh, la teigne ! s'exclama le danois en se redressant sur son siège. Dis-moi, quel serait ton vœu ? Réfléchis bien avant de souhaiter quelque chose de stupide ! Ce serait dommage de gaspiller ta seule chance. Même si je suppose que ton vœu ne volera pas haut. Laisse-moi deviner : des bonbons pour le restant de tes jours ou des jeux sur console. Ou un poney !
— Idiot, soupira le garçon en chinois, avant de lui répondre avec un anglais compliqué. Je souhaite que chaque personne autour de moi ne pleure plus jamais. Surtout grand-frère.
Soo Ah regarda la réaction de Magnus dans le rétroviseur et se concentra de nouveau sur la route afin que la voiture devant eux ne les distance pas. Le danois demeura bouche bée un instant, puis ferma brusquement la bouche dans un claquement de dents et se tut. Il osa une brève œillade pour Yi Jing qui baissa la tête. Soudainement, Jiahao leur cloua définitivement le bec : il gigota pour se mettre droit et se pencha sur son grand frère, lui déposant un doux baiser sur la joue. Il fit de même pour le magicien, mais le mouvement se révéla moins affectueux, assez brutal. Il baisota sa main et la posa sur l'épaule de la coréenne qui lui sourit en guise de remerciement. Et il se rassit correctement. Peut-être qu'ils devaient effectivement prendre exemple sur lui des fois.
Parmi les autres membres de l'équipe, le bruit les envahissait entièrement et Charlie Wilson manqua par deux fois de jeter le psychopathe hors de la voiture. Le Tueur des Anges avait d'abord voulu discuter avec ses nouveaux camarades, mais ces derniers ne montraient pas d'engouement à entretenir une conversation intéressante avec lui. Par conséquent, il avait dû improviser une occupation – le chant. Toutes les chansons américains et populaires y passèrent. La plupart du temps, il ne connaissait pas les paroles et fredonnait une mélodie affreuse et irritante.
— Mais ferme-la ! s'écria Charlie, à bout et prêt à dégainer son arme.
— Je préfère qu'il chante à tue-tête, plutôt qu'il tue nos têtes ! rétorqua Manuela.
— Très drôle ! s'esclaffa bruyamment Moore. Je m'ennuie ! Vous m'ennuyez, bande d'indifférents petits humains ! Mon Apollon, divertis-moi. Ou je continue de chanter ! Croyez-moi, mon répertoire est aussi grand que le trou béant à la place de mon cœur !
— Je vous crois sur ce point, souffla l'agent.
— Allez, amuse-moi, Apollon !
— Arrête de m'appeler ainsi ! J'ai accepté de t'accompagner au Stasensë, ou qu'importe, mais je n'ai jamais promis de ne pas te couper la langue sur le chemin !
— Je vais finir menotté et muet, chouette programme ! Attention, Apollon s'apprête à sortir les fouets ! brailla Derek en bougeant ses bras dans tous les sens. Ouch, ça va claquer par ici !
— Tuez-le tout de suite et balancez son cadavre par-dessus bord, murmura subitement Manuela.
— Ce ne serait pas très gentil, Madame Grognon ! répliqua le Tueur, en défaisant sa ceinture et se collant au siège conducteur.
Daniel Saint-Germain en eut certainement assez. Il freina violemment ; la chamane se rattrapa de justesse à la poignée surplombant sa portière. Derek fut propulsé et son front heurta douloureusement le siège avant, tandis que Charlie poussa dessus afin de ne pas rentrer dedans. Le Tueur s'apprêtait probablement à s'outrer, mais le français quitta la voiture. Il aperçut que les autres s'étaient également arrêtés et le regardaient avec perplexité. Il adressa un signe à Soo Ah, l'informant que tout allait bien et qu'il s'agissait simplement d'un contretemps. Il ouvrit le coffre et saisit son sac, tirant un téléphone portable et des écouteurs. Il retourna ensuite dans le véhicule et redémarra. Il tendit l'appareil au psychopathe et expliqua :
— Jouez à des jeux ou écoutez la musique, mais faites-le en silence. Sinon je vous étripe sans que vous n'ayez pu esquisser le moindre geste contre nous. Compris ?
— Napoléon sort les griffes ! railla-t-il, hilare. Bien, bien, je ne produis plus un son.
Et en effet, il ne chanta plus et ne s'égaya plus à les importuner. Il enfonça les écouteurs dans ses oreilles et lança la musique du français. La majorité des chansons était anglophone, particulièrement des années disco et rock. Comme promis, il ne fredonna aucune parole incohérente. Cependant, il dansa. Derek Moore se mouvait et se déhanchait au rythme infernal des mélodies. Manuela et Daniel se contentèrent d'ignorer la créature qui bougeait sans cesse dans le coin de leurs yeux et Charlie ferma les siens afin de ne pas supporter cette vision agaçante. Néanmoins, la voiture rebondissait à chaque mouvement. Derrière eux, Soo Ah fronça les sourcils et se rapprocha du volant.
— Est-ce qu'il essaie de les tuer ? s'enquit-elle, dubitative.
— Les autres ne réagissent pas, donc ils doivent être vivants, déduisit Yi Jing.
— Quel type bizarre ! conclut Magnus. A-t-il au moins conscience d'être un assassin sanglant et impitoyable semant le trouble et la mort sur son passage ?
— Sa mentalité ne dépasse pas la mienne, acquiesça Jiahao.
— Je commence à croire que tu es davantage mature et intelligent que cet homme, contra le danois.
— Je note ce compliment ! Vous ne pouvez plus le reprendre !
Le magicien ignora le garçon, mais roula des yeux. Pour une fois qu'il ne le critiquait pas, il fallait que ce gosse obtienne quand même le dernier mot. Fichue teigne !
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