Battre en retraite
Daniel Saint-Germain était reparti dans les tunnels tout seul. Officiellement, l'équipe se reposait. En réalité, elle ressassait les derniers jours et tentait de déterminer ce qu'ils avaient mal fait. S'étaient-ils trompés de chemin ? Le Stasensë les avait-il rendu confus pour empêcher la chamane, prêtresse des ténèbres, à marcher sur son sol ? Ne méritaient-ils pas leur récompense ? C'était surtout Soo Ah qui se posait cette question. Étaient-ils toujours dans une hallucination ? Derek penchait plutôt pour cette piste, traumatisé par les illusions. Manuela, quant à elle, ne pensait à rien. Elle hésitait entre pleurer ou redoubler d'efforts comme le français qui pourchassait son espoir à travers le labyrinthe souterrain, cherchant d'autres chemins, des alternatives qui leur montreraient leur erreur.
— Nous ne pouvons pas y retourner, susurra calmement Soo Ah, redoutant d'énerver la chamane. Nous manquons d'eau.
— Fermez-la, murmura méchamment Manuela.
— Non ! persista fermement la coréenne. Il faudrait un miracle pour que nous trouvions la véritable entrée du Stasensë. Avant ce miracle, nous mourrons de soif. Et dans le cas où nous ressortions sans résultat, le temps que nous aurons perdu dans ces tunnels nous jouera des tours dans le désert, puisque nous n'aurons plus de ressources.
— N'avez-vous pas entendu ? rétorqua la chamane. Taisez-vous, j'ai besoin de réfléchir.
— Allons, cessez vos enfantillages ! railla Derek et la jeune femme lui lança un regard noir.
— Il vaut mieux profiter de l'eau qu'il nous reste pour dénicher un habitat dans ce maudit désert, conclut l'infirmière. Si vous insistez, nous reviendrons plus tard. Quand nous aurons de l'eau ! Mais, pour l'instant, notre priorité va à notre survie. Vous autres, n'êtes-vous pas d'accord ?
L'équipe opina du chef, sauf la chamane. Cette dernière l'entendait à peine. En fait, les morts n'arrêtaient pas de lui brailler dans les oreilles. Ils se divisaient en deux catégories : ceux qui lui en voulaient d'avoir échoué et ceux qui s'excusaient pour l'avoir entraîné dans cette aventure en vain. Le regard pendu dans le vide, elle ne bougeait plus, se contentant de les ignorer – vivants et défunts. Elle passa pour la femme butée qu'elle était, mais elle s'en moqua. Soo Ah n'était techniquement pas dans un meilleur état, ni les autres d'ailleurs. Cependant, ils songeaient tous à comment ils termineraient s'ils se perdaient dans le désert ou dans les tunnels sans eau.
— On dirait que nous obtiendrons notre réponse plus tard, fit soudainement Derek à l'Agent Spécial. Tu sais... Qui tuera qui... Ce truc-là.
— Oui, effectivement, nous saurons plus tard, répondit faiblement Wilson. Enfin, faudrait-il que le Stasensë existe vraiment et que tu sois sur le point de soumettre ton souhait.
Le Tueur ricana discrètement pour ne pas agacer les autres.
— Si le Stasensë existe vraiment, tu me tueras pour m'empêcher de faire mon vœu ? Et s'il n'existe pas ? Alors, je chercherai à partir. Là aussi, tu essaieras de me tuer. Pour pas que je m'échappe... Avouons-le, Apollon chéri. Cette situation n'a jamais eu rien à voir avec le Stasensë. Dans les deux cas, nous nous abattons. Toi pour l'honneur, moi pour la liberté.
L'agent n'eut pas l'envie de répondre, la gorge nouée. Soupirant durement, il préféra changer de sujet. Mais, pour le moment, leurs esprits étaient obnubilés par leur échec. Sans compter que la plupart d'entre eux s'inquiétait pour Daniel qui pouvait tomber dans un piège et mourir sans qu'ils ne le sachent – et ils l'attendraient pour rien pendant que leur eau diminuerait. Quand il repensa aux derniers jours, Charlie désira subitement éclaircir un point. Une semaine plus tôt, il ne se serait pas permis de lui poser cette question pour plusieurs raisons, notamment il aurait eu peur de le froisser et de le pousser à perdre le contrôle de ses pulsions, ou bien il se serait tu. Aujourd'hui, il croyait profondément que Derek ne le tuerait pas – pas tout de suite.
— Dis-moi ce que tu as vu dans la pièce dorée, exigea-t-il. Et ne me réponds pas que tu t'es retrouvé face à ton reflet, parce que je suis au courant, figure-toi ! Donc, développe.
— Je lui ai palpé l'cul, déclara Moore de mauvaise foi.
— Menteur, bougonna Charlie. Allez, dis-moi. Tu peux parler à voix basse, je serai le seul à entendre.
— Je me suis moi-même poussé à bout.
— Pour que tes pulsions soient déclenchées, présuma Wilson.
— Tu vois, tu n'as pas besoin de me questionner là-dessus, puisque tu sais déjà !
Le silence les enveloppa pendant quelques minutes, un temps reposant durant lequel ils étaient simplement assis l'un à côté de l'autre.
— Mais, cette chose..., ce n'était pas moi. C'était une pale copie, nulle si tu veux mon avis !
Cette remarque et la volonté de Moore à préciser cela firent aussitôt sourire Charlie, gonflé d'apaisement. Il acquiesça et lui donna un coup de coude plus ou moins délicat dans le bras pour lui faire comprendre que le message était passé. Ils ne se parlèrent plus. Derek recommença à siffloter des mélodies connues, puis il repartit en karaoké individuel, ce qui n'étonna personne. Au moins, il s'occupait et ne souhaitait pas les massacrer ! Charlie s'efforça de ne pas critiquer sa voix irritante et s'immobilisa pour ne pas bouger en rythme, chose qui plairait trop au psychopathe et il refusait de lui faire cette joie.
A côté d'eux, Soo Ah était allongée de tout son long. Elle avait repris un antibiotique et se sentait progressivement mieux. Elle supposait qu'un petit rhume avait tenté de l'embêter, mais que ce traitement rapide et efficace la protégeait. Magnus se récurait encore les ongles en boudant à cause de la poussière et Yi Jing dormait. A la seconde où Daniel était retourné dans les tunnels, il s'était couché et avait piqué un somme. Tout demeura calme jusqu'à ce que la teigne en décide autrement. Brusquement et bruyamment, il se mit à sangloter. Son grand frère se redressa en sursaut, ne comprenant pas pourquoi autant de bruit. L'As Danois réagit curieusement vite et avec une bienveillance saugrenue qui angoissa le garçon.
— Quoi ? Qu'est-ce qu'il se passe ? Tu as mal quelque part ?
Le magicien l'attrapa doucement dans ses bras, de plus en plus stupéfait par les pleurs du petit qui s'intensifièrent.
— Pourquoi t'es gentil avec moi ? chouina Jiahao. Tu me fais peur !
Le blond expira lourdement, démontrant sa déception instantanée. Si le garçon était encore capable de le rabrouer, alors il allait parfaitement bien.
— Sale teigne ! Débrouilles-toi ! Et mouches-toi, c'est répugnant !
Bien sûr, Jiahao n'avoua pas qu'il pleurait à cause de la froideur du désert qui le gelait sur place, de ses muscles qui le faisaient souffrir, du silence qui le tourmentait et de la non-présence de son grand frère qui ne le rassurait pas. Il pensa aussi aux mots du reflet. Il s'était obligé de ne pas pleurer pour que Yi Jing dorme, mais il avait craqué. Maintenant il craignait qu'il soit en colère pour l'avoir arraché à son sommeil. Evidemment, ce n'était pas le cas ! Perplexe, il prit son garçon dans ses bras et le berça sans savoir pour quelle raison.
Bien sûr, Magnus n'avoua pas qu'il s'était rué sur le garçon à cause de son désir d'altérer son attitude afin de paraître plus humain, moins diva, de ses remords quant à son comportement des années passées, de sa nouvelle résolution de vouloir répandre le bien autour de lui et de ne plus se moquer des autres ou de les rabaisser pour s'élever lui-même. Il se plongea dans ses souvenirs. Ceux qui contenaient les images brouillées de son paternel. Nul n'aperçut la larme qui roula sur sa joue exagérément lisse et creuse, puisqu'il l'effaça.
— Euh..., je ne sais pas qui vous êtes, mais je vous suggère de ne pas dormir ici. Si vous êtes perdus, je peux vous guider jusqu'à un point d'eau ou vous indiquer la direction de la ville la plus proche, mais ce serait trop loin sans véhicule. Que faites-vous là ? Où voulez-vous aller ? Dans le cas où vous manquez de quoi que ce soit, je vous conseille simplement de trouver une personne qui accepterait de remplir vos sacs... Et vous avez de la chance, puisque je suis ce genre de personne !
Ils s'étaient tous assis dos à la planche de bois et au tunnel, sauf Manuela. Mais celle-ci était submergée dans ses pensées chaotiques et elle n'avait pas vu cet inconnu approcher. Dans le sable, ils n'avaient pas entendu ses pas. Cet homme bronzé, recouvert d'un tas de tissus pour se préserver du froid et du soleil, les fixait bizarrement, se demandant sûrement ce qu'ils faisaient dans le désert. Néanmoins, sa requête laissait présager qu'il était aimable et en plus il s'exprimait en un anglais approximatif mais suffisant. Il souriait à en juger par ses yeux plissés.
Ni une, ni deux, Jiahao ne médita pas sur son arrivée inattendue. Il bondit sur ses courtes jambes et trébucha jusqu'à la planche de bois. La tête dans l'ouverture du tunnel, il hurla le nom de Daniel. Les voilà sauvés. Du moins, ils l'espéraient.
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