I

-Magne-toi, la paille va pas se balayer toute seule!

K'Taynan poussa un long soupir. Quoiqu'il fasse, les écuries restaient désespérément sales. Il connaissait chaque recoin, chaque dalle du sol par cœur tellement il les avait frottées. Tellement que désormais, il le faisait en pensant complètement à autre chose. Et c'est pour cette raison que Færenza le houspillait sans cesse.

-J'vais aussi vite que j'peux, Renz, me bouscule pas,s'teu plait.

La rouquine le regarda avec un sourire forcé.

-T'as oublié pourquoi on le fait et pourquoi on doit encore continuer à le faire, hein?
-Non, j'ai pas oublié, c'est juste que... Enfin, je me demandais si...
-Alors là, non.

Elle balança vigoureusement son étrille dans le seau le plus broche. Elle s'approcha de K'Taynan en trois vigoureuses enjambées, pour se planter devant lui, les mains sur les hanches et le foudroyant du regard. Elle était intimidante. Surtout quand on la connaissait bien.

-On a dit on trime dur, on souffre en silence et on économise! C'est pas ce qu'on a dit? Djeb, un peu de soutien!

L'autre garçon était en train de charrier les excréments de vathiers qu'il avaient au préalable entassés dans une brouette. La technologie n'était pas pour eux. Ils devaient tout faire à l'ancienne. Les esclaves coutaient bien moins cher que l'entretien des droïdes. Et les esclaves étaient très facilement remplaçables. Alors que les pièces détachées, elles, se faisaient rares et chères. Pas de petites économies.

-Laisse-le souffler un peu, Renz, je suis sûr qu'il pensait encore à une de ses machines.
Djeb était en quelque sorte le modérateur du groupe. Il ne se mettait pas souvent en colère et préférait toujours l'apaisement à la confrontation. Quand c'était possible.

-Tu vois? Lui, il me comprends! Dans mes bras, mon frère!

Renz laissa tomber son attitude autoritaire avant de secouer la tête, dépitée.

-Ecoutez les gars, je veux vraiment qu'on s'en sorte, mais on doit rester concentrés sur nos objectif, vous comprenez? On a des projets.

Djeb ramassa sa pelle tombée au sol. K'taynan se tourna vers Renz et il leur prit chacun la main. Un vieille chevalière ronde brilla un instant.

-Tu veux qu'on s'affranchisse, Renz et je suis à fond avec toi. C'est pour l'avenir, tu vois, sur le moyen terme qu'il faudrait revoir nos ambitions à la hausse, sans vouloir te vexer.

Il fallait toujours être prudent avec la rouquine. Elle était d'une loyauté sans faille, d'une générosité extrême compte tenu des circonstances et toujours d'un très grand soutien. Mais pour l'heure, elle montrait plutôt sa face la plus commune. Et la moins avenante.

-Bon sang, Kay, tu joues à quoi? On en a déjà parlé mille fois! Y a rien pour nous dans ce monde! RIEN! Tout ce qu'on a, c'est nous! Alors on économise et on se trouve un coin tranquille ou on pourra enfin vivre tranquilles sans avoir de compte à rendre!

Oui, mais ça, c'est ton rêve, Renz...

Djeb regarda la fille –non, se corrigea-t-il intérieurement– la femme qu'elle était devenue. Kay et lui aussi avaient grandi et étaient des hommes. Avec des aspirations et des ambitions pas si différentes, mais peut être un peu plus élevées.

-Kay, quand on sera libres, on pourra faire ce qu'on veut. Tu pourras étudier la mécanique, c'est un beau projet. Je trouve ça cool. Tu vas faire quoi, de l'après, Renz?

La jeune fille, prise au dépourvue, baissa les yeux, en rougissant.

-J'veux qu'on reste ensemble. Une vraie famille. Qu'on soit toujours là à se tenir les coudes.
Ma seule famille.

Kay prit ses deux compagnons de misère par les épaules.

-Ahah, bien sûr qu'on ne se quittera jamais! On en a trop bavé dans cet endroit. Sué sang et eau, sans exagérer.

Djeb promena son regard dans la vaste écurie, l'odeur forte et caractéristique des vathiers après l'effort, leur musc, les bruits familiers et au loin, dans le ciel les étoiles perpétuellement immobiles et les vaisseaux, en mouvement sans relâche.

-Si je vous disais que cet endroit pourrait me manquer, vous allez vous moquer de moi, hein?

-QU'EST CE QUE VOUS FOUTEZ?? AU BOULOT FEIGNASSES SI VOUS VOULEZ BOUFFER CE SOIR!

Tous les trois sursautèrent, exactement comme quand ils étaient encore enfants et qu'ils risquaient le fouet. Désormais, Noos Shailoth ne s'en servait plus. Ils étaient dressés pour obéir, et un esclave adulte guérit moins bien qu'un enfant. Et au bout d'un moment, le cuir se tanne, et on s'habitue. Mais il pouvait les affamer. Et à ça, on ne pouvait pas s'habituer.

Renz se remit à frotter vigoureusement les bêtes. Si elle ne le faisait pas maintenant, ce serait encore bien plus difficile pour la suite. Elle repensa à la question restée en suspens de Djeb.

Si je vous disais que cet endroit pourrait me manquer, vous allez vous moquer de moi, hein?

La réponse est non, Djeb. Cet endroit est moche et il pue. Mais c'est là que j'ai mes meilleurs souvenirs, avec vous, et ceux qui... sont partis.

Kay semblait toujours insouciant, ce qu'il n'était pas vraiment. Il ne pensait qu'à ses bricolages et à ses machines. Dès qu'il pouvait, il tapait la discut' auprès des mécanos qui papillonnaient autours des navettes des clients du casino, quand il en avait l'occasion. C'est à dire pas souvent.

Elle l'enviait un peu, mais elle avait aussi un peu peur, sans trop savoir de quoi, ni même pourquoi ses projets l'effrayait. La bête qu'elle étrillait poussa un râle.

-Oh pardon!

Djeb, en revanche jetait constamment des coup d'œil furtifs vers le ciel. Le nez sans cesse levé vers les Cieux, sans doute à la recherche d'une étoile. Parfois, les yeux dans le vague, un sourire flottait sur son visage. C'était à la fois réconfortant et un peu malaisant. Il pouvait faire les pires corvées, il ne s'en plaignait jamais. Il était avec eux, sans vraiment être là. Comme si il avait appris à vivre dans un rêve qui lui rendrait les choses plus supportables.

Et sans doute qu'elles l'étaient pour lui. C'est pour cette raison qu'elle voulait les garder avec elle. Djeb avait besoin de continuer à rêver et Kay avait besoin d'apprendre. C'est ce qui les rendait heureux.

Moi, j'n'ai besoin que de vous, pour être heureuse. C'est pour ça que j'dois penser à notre avenir. Libres, on ne sera pas mieux nourris, pas mieux traités et on aura pas plus d'espoir. Je le sais. Ce monde véreux continuera de tourner, et la galaxie continuera de vivre, avec ou sans nous.

Les navettes interplanétaires continuaient leurs valses frénétiques, déversant les flots de clients riches et indifférents à la misère ambiante. Ils dépensaient l'argent sans compter, gaspillaient la nourriture, gâchaient l'eau, pourtant si rare, ici. Des nantis.

Non, décidément, ce monde était trop pourri et les autres devaient être taillés sur le même modèle. Alors pourquoi rechercher plus quand on a déjà l'essentiel à portée de main?

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