Les choses qu'on ne s'est pas dites

Une nouvelle de emithem

— Emma, veux-tu m'épouser ? Paul demande d'une voix vibrante, un genou à terre et une bague dans ses mains.

Mon cœur bat la chamade, je peux le sentir dans tout mon corps. Son incessant rythme marquant chaque seconde de ce moment. Le temps semble s'arrêter et tout ce que j'entends est l'aiguille de l'horloge du salon de mes parents bougeant incroyablement lentement. Mon esprit dérive dans un océan de pensées, un océan agité dont l'écume porte étrangement ton prénom.

Soudainement, des mèches brunes apparaissent dans mon esprit et des yeux verts, si vibrants, si familiers viennent me transpercer. Comme paralysée, je laisse ce souvenir me prendre vers la main et me ramener à toi une dernière fois.

Il y a sept ans.

— Léo, il pleut des cordes, on devrait rentrer ! Ta mère nous attend pour dîner, ai-je dit assez fort pour que tu puisses m'entendre malgré le torrent qui s'abattait sur nous.

Tu m'as pris par la main et tu m'as guidé vers l'entrée du parc de notre petite ville. Harbor View n'était pas la plus jolie des villes, ni la plus peuplée, mais c'était chez nous. Nous y avions notre place.

— Ils commenceront à manger sans nous. Viens ! Je t'ai laissé me guider vers la fontaine au centre d'une petite place circulaire. Chacun de nos pas nous éclabousse un peu plus et pendant un instant, j'ai regretté d'avoir décidé de porter une robe.

Le parc était complètement vide. Il faut dire que personne irait traîner là-bas alors que le soleil est couché et qu'il pleut des cordes. Personne à part nous.

— Allez viens, tu as enjambé la fontaine, trempant encore plus ton pantalon et tu m'as tendu ta main. Tu avais ce sourire si envoûtant, si rassurant.

Nous étions trempés jusqu'aux os, l'orage grondait au-dessus de nos têtes et pourtant, je n'ai pas hésité une seconde à te rejoindre. Ton visage s'est alors étiré en un sourire malicieux et avant que j'aie eu le temps de me rendre compte de quoi que ce soit, tu m'a poussé assez fort pour que je tombe les fesses dans l'eau. Il ne devait pas y avoir plus de vingt centimètres d'eau, mais ce fut assez pour me tremper de la tête aux pieds.

— Je vais te tuer ! J'ai riposté en me jetant précipitamment sur toi. Surpris, tu as perdu l'équilibre et nous sommes tombés tous les deux sur le sol dur de la fontaine. Heureusement pour moi, ton corps à amorti ma chute. L'orage à grondé et pendant quelques secondes, je me suis inquiété de t'avoir fait mal. Mais très vite, tes rires se sont mélangés au bruit incessant de la pluie, créant la plus belle des mélodies.

Je me rappelle être restée bouche-bée un instant. Tu avais les cheveux dans tous les sens, certaines mèches collées sur ton front. Tes yeux verts étaient fermés, tes longs cils collés sur tes paupières inférieures, et certaines gouttes de pluie s'amusaient à faire la course sur tes joues tandis que tes rires faisaient écho contre ma poitrine. Je pouvais sentir mon cœur battre à l'unisson avec le tien.

— Qu'est-ce qu'il y a ? Tu as demandé lorsque tu as remarqué mon regard insistant.

Tu n'avais aucune idée. Tu n'avais aucune idée à quel point mon monde ne se résumait qu'à toi ce soir-là. À quel point j'aurais tout abandonné pour ne serait-ce qu'une seconde de plus avec toi.

— Rien, ai-je répondu en esquissant un léger sourire. Je suis juste heureuse d'être ici avec toi.

Tu as haussé un sourcil.

— Tu veux dire ici allongé dans une fontaine, sous la pluie pendant que l'orage gronde en sachant que ma mère est sans doute en train de nous maudire pour notre retard ?

J'ai soufflé en rire et mon cœur s'est réchauffé en voyant ton sourire.

— Exactement. Ai-je répliqué en scellant mes lèvres contre les tiennes.

Et à chaque fois que le ciel pleure, mon cœur repense à toi.

— Emma ?

— Emma !

Je reviens vite à mes esprits en entendant la voix de Paul, toujours agenouillé devant moi. Il semble inquiet et préoccupé. Comment ai-je pu laisser mon esprit divaguer vers toi alors que l'homme avec qui j'ai passé ses six dernières années me propose de passer le reste de notre vie ensemble ?

— Quoi ? Demandais-je, complètement déboussolée par mes propres pensées.

Paul fronce légèrement les sourcils et me tend de nouveau la bague.

— Est-ce que tu veux m'épouser ?

Cette phrase. Cette simple phrase que je rêve d'entendre depuis toute petite. Te rappelles-tu lorsque nous faisions semblant de se marier dans le jardin de tes parents ? j'étais la mariée et toi le marié, mais parfois nous inversions les rôles et je me retrouvais avec une fausse barbe que tu m'avais dessinée tandis que tu portais le voile de mariée de ta grand-mère.

Un léger sourire se dessine sur mon visage à ce souvenir sans que je ne m'en rende compte. Paul esquisse un sourire à son tour, comme rassuré par mon expression.

Paul.

C'est de lui que je dois me préoccuper. Mes pensées ne devraient pas être occupées par toi à un tel moment. Il a été si bon, si gentil avec moi ces dernières années. Il est celui qui a recollé les morceaux de mon cœur après cette tempête qui portait ton nom. Il mérite que chacune de mes pensées lui soit dédiée.

— Je- tu veux te marier avec moi ? La réponse était évidente, mais je ne savais pas quoi dire, quoi penser. Quelle genre de personnes voudrait passer le reste de sa vie avec moi ?

J'ai toujours été quelqu'un d'imprévisible, de compliqué et de soucieux. Je ne suis même pas certaine de me connaître moi-même. Te rappelles-tu ce jour d'octobre où le ciel était gris et mon coeur rempli de colère ?

Il y a huit ans

— Il faut te reprendre en main Emma. As-tu vu tes notes ? Tu ne peux pas passer ta vie à écrire des contes de fées, ce n'est pas ça la vie ! La voix courroucée de ma mère se fait entendre dans toute la maison.

Mes poings se referment le long de mon corps et ma respiration s'accélère. Comment ose-t-elle me reprocher d'écrire alors qu'elle sait pertinemment pourquoi je le fais.

— Ça va faire deux ans que ton père est parti, il serait temps de passer à autre chose et de reprendre ta vie en main. Si tu continues comme ça tu vas mal finir Emma.

— Passer à autre chose ? Tu veux dire comme tu l'as fait avec Laurent ? Je sais que tu couches avec le voisin maman, ma voix était pleine d'indignation et de colère. Comment pouvait-elle aller si bien après avoir perdu l'amour de sa vie ? Je sais que chaque soir où tu prétends travailler tard au bureau, tu es en faite dans son lit à jouer les catins !

Je n'ai jamais pensé ses mots. Ce n'était pas moi. Je n'ai jamais voulu les dire mais je les ai pourtant prononcés.

Ma mère à alors porté sa main vers moi, heurtant précipitamment ma joue. Le silence après ça était assourdissant. Nous nous sommes longuement regardées pleine de haine l'une pour l'autre jusqu'à ce que je tourne les talons et sorte précipitamment de la maison.

Le soleil était en train de se coucher et la brise automnale me faisait frissonner mais j'en avais que faire. Mon esprit était tourmenté par un tourbillon de colère tandis que je courais vers chez toi.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Tu m'as demandé lorsque je me suis précipité dans tes bras, les larmes coulant sur mes joues.

— C'est ma mère, on s'est disputés. Elle a osé me reprocher le fait d'écrire alors qu'elle sait pertinemment pourquoi je le fais ! C'est mon père qui m'a encouragé à écrire, c'est lui qui voulait que je poursuive mes rêves, ai-je dit indignée.

Tu as soupiré, tu t'es assis sur ton lit et tu as tapoté l'espace à côté de toi. Je t'ai écouté et ai pris place sur le lit.

— Qu'est-ce que tu lui a dit ? Tu as alors demandé et j'ai froncé les sourcils. Comment savais-tu ? Comment pouvais-tu mieux me connaitre que moi ?

— Je lui ai dit que je savais qu'elle jouait les catins avec Laurent, notre voisin, ai-je avoué en jouant nerveusement avec mes mains.

Tu as soupiré et tu as pris ma main dans la tienne. Ta main était chaude contre la mienne, suffisamment pour me réchauffer et calmer mes démons. Tu avais ce don de m'apaiser. Tu étais l'ancre qui me tenait en place lorsqu'un océan bien trop agité essayait de me faire couler.

— Tu sais pourquoi elle fait ça, tu as dit et je m'apprêtais à riposter mais tu as continué. Au fond de toi, tu sais pourquoi Emma. Tu as perdu ton père, elle a perdu l'amour de sa vie. Il est normal qu'elle essaye de retrouver ne serait-ce qu'une once de l'amour qu'elle a connu. Le jour où elle ne se battra plus pour retrouver cet amour, le jour où elle refusera de ressentir quoi que ce soit, c'est à ce moment-là que tu devrais t'inquiéter.

Tu savais mettre les mots sur les sentiments, c'est l'une des choses que j'aimais tant chez toi. Je savais que tu avais raison, au fond de moi, je le savais. Mais j'étais bien trop têtue pour l'admettre à ce moment-là.

Désormais, je comprends ma mère. Elle n'a jamais oublié mon père, elle n'a jamais essayé de le remplacer. Elle essayait tout simplement de combler le vide que mon père à laissé dans son cœur. J'ai été égoïste. J'ai été égoïste car je t'avais toi et elle n'avait plus personne.

Je la comprends désormais car moi aussi j'ai ce vide dans mon cœur. Après t'avoir perdu, je me sentais épuisée, comme si je ne pouvais plus jamais reprendre mon souffle. Ton absence était suffocante et le vide que tu as laissé derrière toi ne faisait que grandir.

Puis Paul est arrivé et m'a pris par la main. Il m'a fait la promesse de ne jamais me laisser et soudainement le vide dans mon cœur ne me faisait plus peur. Soudainement, j'étais prête à oublier qu'une partie de moi n'était plus là.

Je la comprends, tu sais. Je comprends ma mère car je me demande, ai-je fait la même chose avec Paul ? Était-il l'objet de mon insatiable quête de l'amour que j'avais connu avec toi ?

Mon regard se pose sur l'homme encore agenouillé devant moi, les traits crispés par l'inquiétude que mon silence procure. Paul a été celui qui a comblé le vide que tu as laissé derrière toi, et s'il est effectivement l'objet de mon insatiable quête alors je ne peux pas faire de lui ma victime. Je ne peux pas lui briser le cœur pour la simple raison que le mien n'est pas entier.

— Oui, je veux t'épouser, dis-je en plongeant mon regard dans celui de Paul.

Ses yeux s'illuminent et ses mains tremblent tandis qu'il me passe la bague au doigt. Il m'enveloppe dans ses bras et ses lèvres viennent se poser sur les miennes dans un doux baiser.

— Je t'aime tellement, dit-il en soufflant un rire de soulagement.

J'esquisse un sourire et pose de nouveau mes lèvres sur les siennes lui promettant de l'aimer, me promettant de n'aimer que lui.

— Moi aussi.

Il y a bien des choses que j'aurais dû te dire. Bien des choses que j'aurais dû dire encore et encore. Il est sans doute trop tard pour te les dire maintenant, mais tandis que je regarde ces quelques mots que je t'ai écrits sur mon ordinateur, je contemple à appuyer sur Envoyer. Serait-il incongru de t'écrire maintenant, des années après que nos coeurs se soient déchirés ? Voudrais-tu lire ces quelques mots ? Serais-tu curieux de savoir ce que je deviens sans toi ?

La vérité, la voici. Je t'ai aimé d'un amour si sincère qu'une part de moi s'est déchirée lorsque nous nous sommes séparés. Ce vide que tu as laissé, je le ressens chaque jour. Il n'a jamais été comblé et ne le sera sans doute jamais. Tu danses secrètement dans mon cœur depuis des années, là où personne ne peut te voir. Tu as été mon premier amour, mon amour de jeunesse, mon amour le plus pur. C'est toi. Dans des milliers de vies, dans une centaine de façons différentes, c'est toi. Ça sera toujours toi.

Alors voilà toutes les choses que je ne t'ai pas dites et plus encore.

Message envoyé.

................................

— Oh, que dis-tu des Seychelles ?

— On ira là où tu veux aller, dis-je en passant mon bras sur les épaules de Laura assise à côté de moi.

— Ou alors les Bahamas ! Dit-elle les yeux rivés sur l'ordinateur sur ses genoux.

— Ça me va aussi, dis-je en soupirant légèrement.

— Tu pourrais t'impliquer un peu plus, c'est quand même nos quatre ans, dit-elle dans un soupir.

Je soupire une nouvelle fois et croise le regard de ma mère assise en face de nous, un verre de vin à la main. Elle hausse un sourcil interrogateur que j'ignore.

— Je me fiche de la destination tant qu'on est ensemble, dis-je en prenant sa main dans la mienne.

Laura sourit et pose un rapide baiser sur mes lèvres.

— Qu'est-ce que ça va être lorsqu'on va devoir choisir notre voyage de noces ! Laura soupire en continuant ses recherches.

— Léo, tu peux venir m'aider s'il te plaît. J'ai quelque chose à te montrer dans la cuisine, demande ma mère. Je la suis et ferme la porte derrière moi.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Ce n'était pas aujourd'hui que tu étais censé la demander en mariage ?

Je soupire et pose mon regard sur ma mère.

— Je n'ai pas encore eu le temps, d'accord.

Ma mère hausse un sourcil et soupire.

— La soirée n'est pas encore terminée. Tu as la bague ?

Je soupire et hoche légèrement la tête.

— Très bien, alors fais-le maintenant. Dit-elle avant de poser un baiser sur ma joue et de repartir dans le salon, me laissant seul dans la cuisine.

Je sors l'écrin de la poche de ma veste et l'ouvre afin d'observer le bijou. Cette bague a tant de choses à raconter sur toi et moi. Sans même que je ne m'en rende compte, mon esprit divague vers toi.

Il y a sept ans

— Léo vient par ici s'il te plaît, grand-mère m'a demandé lorsque je suis passé devant la porte de sa chambre.

Grand-mère n'était plus aussi active qu'avant, elle se faisait vieille et passait presque tout son temps dans sa chambre à dormir lorsqu'elle n'était pas assise devant sa fenêtre à regarder dehors.

Il pleuvait ce jour-là. Il est difficile de se rappeler d'un jour où il ne pleuvait pas à Harbor view. Grand-mère était assise dans sa chaise en bois à regarder la pluie tomber à travers sa fenêtre.

— Qu'y a- t'il grand-mère ? Ai-je demandé, curieux de savoir ce qu'elle avait à me dire.

— Prends la chaise et assieds-toi près de moi, a-t-elle dit en mentionnant la chaise dans un coin de la chambre.

Lorsque j'ai pris place à côté d'elle, elle n'a rien dit pendant un instant. Nous sommes restés quelques minutes à écouter la pluie tomber.

— Je trouve que les jours de pluie sont les plus agréables, tu ne trouves pas ? Beaucoup n'aiment pas la pluie, car ça mouille et empêche de faire certaines choses. Le monde est comme paralysé lorsqu'il pleut. Mais il y a certaines personnes que la pluie ne paralyse pas. Il y a certaines personnes qu'elle éveille. Tu sais, je vois beaucoup de choses depuis ma fenêtre, mais ce que je préfère, c'est regarder les enfants jouer dans les flaques. Ça me rappelle mon enfance, les jours passés à jouer sous la pluie avec ton grand-père.

À la mention de grand-père, je ne peux m'empêcher de ressentir un pincement au cœur. J'aurais aimé avoir plus de temps avec lui.

— Tu sais ce qui me rappelle aussi ton grand-père et la belle histoire qu'on a eu ensemble ? J'allais répondre un tas de choses, comme la vieille Ford du voisin ou encore les photos sur les murs de la maison, mais je ne m'attendais pas à ce qu'elle allât dire.

— Emma et toi.

Toi et moi ? Deux gamins amoureux qui ne savaient pas où la vie allaient les mener ? Comment aurions-nous pu être comparables à grand-père et grand-mère dont la vie était si bien tracée dès le début ?

— Vous avez cette innocence en vous, cet amour unique qui n'a pas de début et pas de fin.

Je ne comprenais rien de ce que grand-mère disait. Ses paroles ne faisaient aucun sens.

— Qu'est-ce que tu veux dire par là ? Ai-je demandé dans l'espoir d'avoir une réponse un peu plus claire.

— Je veux dire que vous vous aimez depuis bien longtemps mon chéri. Depuis bien avant votre naissance. Vous vous êtes sans doute aimé dans une autre vie et vous vous aimerez dans la suivante.

J'étais persuadé que grand-mère avait perdu la tête. S'aimer dans une autre vie ? Comment cela pouvait-il être possible ? Nous avons grandi ensemble, nous sommes devenus meilleurs amis puis nous sommes tombés amoureux. Ce n'était pas plus compliqué que ça. Ça ne pouvait pas être autrement.

— Je veux que tu prennes ça et que l'offre à Emma lorsque le temps sera voulu.

Grand-mère m'a alors tendu cet écrin contenant cette bague ornée d'une magnifique émeraude. J'en étais certain, grand-mère n'avait plus sa tête.

— Grand-mère, nous n'avons que dix-sept ans, on ne va pas se marier, ai-je rétorqué en observant la boîte ouverte devant moi.

Grand-mère a légèrement souri.

— Ton grand-père et moi, nous nous sommes mariés à dix-huit ans et nous avons eu ta maman à dix-neuf ans. Il n'y a pas d'âge pour le véritable amour. On ne laisse pas filer son âme-sœur.

Elle voulait qu'on se marie, toi et moi ? Croyez t'elle si fort en cette histoire d'âmes-soeurs qu'elle ne pouvait pas voir l'absurdité de cette idée ?

— Prends la bague Léo, a-t-elle dit, prends là et offre là à l'amour le plus sincère que tu connaîtras. Promets-le-moi.

J'ai alors pris la bague et j'ai imaginé le moment où je te la donnerai. Nous serions un peu plus âgés. Tu serais sans doute dans l'une de tes robes d'été, les cheveux plus dorés que d'habitude par le soleil. Nous serions sur la plage, cette même plage où nous passons nos journées. Je serais sans doute nerveux, mais c'est avec certitude que je te tendrais cet écrin en espérant de tout mon cœur que tu dises oui.

— Je te le promets grand-mère.

Elle a souri puis à tourné son attention sur la pluie qui tombait dehors. Grand-mère est décédée quelques jours plus tard, ne laissant que cette bague à laquelle me rattacher.

Les rires de ma mère et Laura me ramènent à la réalité. La bague encore dans ma main, je l'observe et dans un dernier soupir, je pense à toi. L'écrin de nouveau dans ma poche, je retourne dans le salon où les deux femmes sont désormais assises à côté, leur attention sur l'ordinateur.

— Oh Léo, que dis-tu des Maldives ? Demande Laura d'une voix enjouée.

— J'adorerais les Maldives, dis-je simplement en prenant place sur le canapé d'en face.

— On devrait peut-être garder les Maldives pour notre voyage de noces, Laura commente. Enfin, si tu te décides un jour à me demander en mariage, ajoute-t-elle.

J'esquisse un léger sourire tandis que les deux femmes repartent dans les recherches. Mon esprit, lui, ne cesse de repartir vers toi. Il m'arrive de me demander ce que nous serions devenus si les choses avaient été différentes.

Il y a sept ans

— Elle t'a dit qu'on devait se marier ? Tu m'as demandé, les sourcils légèrement froncés. Nos parents étaient au rez-de-chaussée en train de dîner tous ensemble tandis que nous étions dans le couloir de ma chambre.

— Elle m'a donné ça, j'ai alors sorti la bague et tes yeux se sont écarquillés. Elle m'a dit que nous étions des âmes-soeurs toi et moi.

Tu semblais aussi perdue que moi lorsque j'ai entendu ces mêmes mots de la part de grand-mère. Tu as alors pris la bague et tu l'as observé longuement, détaillant chaque angle du bijou. Et pendant que tu regardais la bague, moi, je te regardais.

— Elle m'a dit que nous nous aimions depuis bien avant notre naissance dans une autre vie, et que nous nous aimerions dans la suivante, ai-je dit en prenant ta main dans la mienne.

Tu as alors soufflé un rire incrédule et tu as levé les yeux vers moi.

— Et tu y crois ?

J'ai haussé les épaules.

— Pas toi ?

Tu es restée silencieuse un instant, la bague dans ta main gauche et nos doigts liés de l'autre. Je pouvais entendre nos parents rire en bas, ignorant complètement ce qu'il se passait, ignorant que notre monde était en train de changer. J'ai cru que ton silence ne cesserait jamais, mais bien assez vite un sourire s'est dessiné sur ton visage.

À cet instant, j'ai su que tu y croyais aussi.

— Est-ce que ça va ? La voix cajoleuse de Laura me ramène au moment présent.

Je soupire et hoche légèrement la tête.

— Ta mère fait la vaisselle, tu es certain que tout va bien ? Tu ne sembles pas toi-même ce soir.

Si tu veux tout savoir, je n'ai pas été moi-même depuis bien longtemps.

Mais Laura n'a pas besoin de savoir ça. Elle n'a pas besoin de connaître cette part de moi. Laura est une fille bien. C'est une femme pleine d'assurance qui sait ce qu'elle veut. C'est aussi quelqu'un d'affectueux, qui sait prendre soin des autres. Elle a su prendre soin de moi lorsque je t'ai perdu. Elle a su faire de moi un homme après que le jeune homme se soit tué en ton absence. C'est quelqu'un sur qui je peux compter, c'est mon phare dans la brume et rien que pour cela, elle mérite tout le bonheur du monde.

Alors d'un geste simple, presque répété, je mets mon genou à terre et tends cet écrin renfermant une promesse qui est la nôtre. Seulement, tu n'es plus là pour en attester.

— Laura Vanderbilt, veux-tu m'épouser ?

Elle est restée bouche-bée un instant, les yeux rivés sur la bague.

— Oh mon Dieu, oui ! Oui, je veux t'épouser, Laura a répondu. J'ai alors glissé l'anneau autour de son doigt, me souvenant de la dernière fois que cette bague a été portée.

Il y a sept ans.

— Comment ça, tu t'en vas ? Pour combien de temps ? Ai-je demandé sur le seuil de ta maison désormais vide.

Tu étais vêtue d'une robe jaune, tout aussi rayonnante que cette soirée de juin. Tu portais une vieille valise de tes deux mains tandis que les larmes coulaient sur tes joues. À en juger par leur couleur rouge, tu avais pleuré toute la journée.

— Je m'en vais pour toujours. Ma mère pense que s'éloigner de cette ville sera un nouveau départ. Ta voix était chevrotante et tu refusais de croiser mon regard.

— Quoi ? Mais... Pour aller où ?

Je me souviens être anéanti par cette nouvelle. Tu ne m'avais pas prévenu, je n'avais aucune idée de ce qui allait se passer. Comment étais-je censée vivre sans toi ?

— Laurent à une maison de vacances à Atlanta, il nous a proposé d'y rester avec lui.

Mon monde venait de s'écrouler. Tu ne pouvais pas partir comme ça. Comment osent-ils t'arracher à moi ? La simple idée de me réveiller le lendemain en sachant que tu ne serais pas là était douloureuse. Je pouvais entendre ta mère discuter dans la maison et j'étais si furieux que je me rappelle avoir fait un pas en avant dans l'espoir d'aller lui faire changer d'avis. Mais tu ne m'as pas laissé faire. Tu m'as bloqué le passage et tu as pris ma main dans la tienne.

— Ça ne sert à rien d'essayer de changer les choses. Si ta grand-mère avait raison, si nous sommes vraiment des âmes-soeurs, alors nos chemins se recroiseront, tu as dit d'une voix fragile. Saches que je t'aimerais toujours, tu as alors dit, une larme coulant sur ta joue.

J'étais comme paralysé. Paralysé par la peur de te perdre, par cette douleur qui se diffusait dans mon cœur, par cet amour qui était en train de me tuer.

— Emma, on y va ! La voix de ta mère s'est fait entendre et nous n'avions plus beaucoup de temps.

J'ai alors plongé ma main dans la poche de mon pantalon et j'ai sorti la bague.

— Je veux que tu aies ça, prends-là. C'est à toi qu'elle revient.

Tu as souri une dernière fois puis tu as pris la bague. Tu l'as mise à ton doigt et tu l'as admiré un instant. Une larme à coulé lentement sur ta joue et est venu s'écraser dans ton cou. Puis dans un dernier soupir, tu as retiré la bague et tu me l'as tendue.

— Garde là, tu me la donneras la prochaine fois qu'on se verra.

Tu m'as embrassé une dernière fois puis tu es parti, pour toujours.

Alors tandis que je t'écris ces quelques mots dans ce mail, j'espère que tu repenses à la manière dont mon cœur battait la chamade pour toi. À la manière dont chacune de mes pensées t'était dédiée. J'espère que tu repenses à toutes ces choses qu'on s'est dites et à celles qu'on aurait pu se dire, car ces quelques mots sont toutes les choses que je ne t'ai pas dites et plus encore.

Message envoyé.

..............

Deux ans plus tard.

En ce jour de janvier à Atlanta, il pleut des cordes ce qui est peu étonnant. Je retire mon manteau et m'en sers comme parapluie tandis que je cours à travers les rues en slalomant entre les autres piétons. Le tonnerre gronde et les sirènes des pompiers se font entendre à travers les longues rues de la ville. Ce n'est que lorsque je manque de glisser sur le trottoir que je décide de me réfugier dans une vieille supérette. J'ouvre la porte du commerce en faisant chanter les clochettes au-dessus de celle-ci. Mes cheveux ainsi que mes vêtements s'égouttent sur le sol et je lance un regard désolé vers le caissier qui esquisse un sourire.

— Sale temps, n'est-ce pas ? dit-il.

Je souffle un rire.

— Pas qu'un peu, dis-je avant de m'aventurer vers le rayon des chocolats. Quitte à rester coincée ici, autant se faire plaisir.

La journée a été rude au travail, une tablette de chocolat pourrait la rendre meilleure. Je me mets à chantonner un air que j'ai entendu à la radio tandis que je prends en main plusieurs paquets de gâteaux et deux tablettes de chocolat. La tentation était trop forte.

Je continue de chanter cette chanson dont j'ai oublié le nom tandis que je me dirige vers le rayon des glaces. Je jette mon dévolu sur une Ben&Jerry's et tente de l'attraper mais c'est chose difficile lorsqu'on a déjà les mains pleines.

— Besoin d'aide ? La voix du caissier se fait entendre derrière moi. Il n'attend pas ma réponse et attrape la glace sans difficulté.

Ce n'est que lorsque je me retourne que mon monde se met à tourner. Il ne s'agit pas du caissier.

Tu es là devant moi, après tant d'années. Tu as bien changé, tu es désormais un homme et pourtant, je pourrais te reconnaître entre mille. Tu as gardé ce sourire enfantin, ces yeux envoûtants et cette attitude si calme, posée. J'ai dû rester un moment à t'observer puisque je ne t'ai pas entendu m'appeler.

— Emma ?

— Léo.

Un visage des plus doux se dessine sur ton visage et mon cœur se réchauffe. Tu es bien là, devant moi. Ce n'est pas un mirage ou un rêve, tu es là.

— Wow ça fait longtemps ! Qu'est-ce que tu deviens ?

Qu'est-ce que je deviens ? Je ne trouve pas les mots. J'ai tant de choses à te dire, tant de regrets à t'avouer mais je ne trouve pas les mots.

— Je, hum...

— J'ai vu, enfin j'ai lu dans ton mail...tu commences d'une voix un peu plus nerveuse, que tu t'étais mariée.

Le mail. Comment ai-je pu penser que t'écrire était une bonne idée ? Comment ai-je pu penser que ça allait changer les choses ? Lorsque j'ai reçu ta réponse, mon cœur s'est serré une nouvelle fois à l'idée de te savoir fiancé à quelqu'un d'autre. C'est tout mon monde qui s'est écroulé une nouvelle fois.

— Hum, oui...Enfin non ! Dis-je précipitamment, ne voulant pas passer pour une idiote. Je prends une grande inspiration et pose mon regard sur toi. Reprends-toi Emma ! Ce que je veux dire, c'est que je ne me suis finalement pas mariée, dis-je.

Tu sembles étonné, presque soulagé. Ton léger sourire s'agrandit et tu ne dis rien pendant un instant, te perdant dans tes pensées.

— Et toi alors ? Comment était le mariage avec Laura ? Elle semble être quelqu'un de très bien.

Tu esquisses un sourire une nouvelle fois et pose le pot de glace dans ton autre main avant de lever la main gauche vers moi. Pas de bague.

— Il n'y a pas eu de mariage non plus, tu dis simplement.

Je repense alors à ton mail, à cet éloge que tu as fait à Laura en disant qu'elle était la femme parfaite. Qu'en est-il de tout ça ? Était-ce à cause de mon mail ? A-t-elle découvert le mail et a-t-elle décidé de mettre fin à votre histoire ? Mes interrogations sont interrompues par ta voix. Cette même voix que je rêvais d'entendre à nouveau.

— Dis, que dirais-tu d'aller boire un café ? Tu me demandes en me tendant le pot de glace.

Le tonnerre gronde une nouvelle fois, comme pour me signaler de saisir ma chance, de ne pas fuir. Comme pour me dire qu'on ne laisse pas passer son âme-sœur et encore moins un amour sincère.

— Ça serait avec plaisir, dis-je dans un sourire.

Tu as souri à ton tour et je me suis souvenu du titre de cette chanson que je fredonne depuis ce matin : The One de Kodaline. 

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