2 - Chapitre 9
— Cesse donc de t'agiter ! Tu me donnes le tournis !
Avec un soupir excédé, Morgane abandonna sa recherche d'éventuels points faibles de la cellule dans laquelle elle avait été enfermée et se planta devant son interlocutrice.
— Et toi, comment oses-tu rester à ne rien faire ? rétorqua-t-elle d'un ton rageur.
Emeraldas se contenta d'un sourire dédaigneux.
— Je n'ai pas besoin de tourner en rond pour réfléchir, répondit la pirate rousse. Il n'y a qu'une sortie – elle désigna la porte – ici. Gardée par une escouade de Jaffas. Ils nous ouvriront quand ce sera fini.
— Ils nous ouvriront ? Nom de... comment peux-tu croire ça ?
— Pourquoi pas ?
Morgane eut une moue dégoûtée.
— Bon sang, ce Ba'al suinte la fourberie par tous les pores de sa peau. Je ne comprends pas que tu puisses cautionner un type comme lui.
La pirate rousse ne répondit rien mais ne se départit pas de son sourire moqueur.
— Qu'est-ce qu'il t'a fait ? reprit Morgane. Il a essayé le coup du serpent avec toi ?
Toujours pas de réponse. Après quelques instants de réflexion, Morgane reconsidéra sa dernière question et l'éventualité que cette hypothèse se révèle exacte. Elle se remémora la sensation fugace qu'elle avait éprouvée lorsque le symbiote goa'uld s'était introduit dans sa nuque. Le serpent était sentient – un esprit fort, qui avait tenté de prendre le contrôle du sien... du moins jusqu'à ce qu'il se rende compte que son pouvoir régénérant ne valait rien face aux toxines qui parcouraient le sang de la néo-humaine.
Cela n'avait duré que quelques secondes, mais, quelle qu'ait pu être son assurance devant Ba'al par la suite, Morgane devait admettre que le combat mental avait été intense. Aurait-elle résisté longtemps si son organisme ne s'était pas chargé d'éliminer l'intrus ?
Et surtout, Emeraldas aurait-elle été capable de résister à un traitement similaire ?
— Ça t'arrangerait d'être en train de parler à quelqu'un d'autre que moi ? ricana Emeraldas comme si elle suivait en direct le cheminement des pensées de sa compagne de cellule.
Morgane la fixa sans mot dire. Quelle était la probabilité que Ba'al réserve le même sort à toutes ses prisonnières, et qu'elle se trouve face à un Goa'uld en ce moment même ?
Bah, l'un dans l'autre, ça ne changeait rien.
— Je me fiche que tu sois « habitée » ou non, répondit-elle sèchement. Qu'est-ce que tu crois ? Que tout à coup je me préoccupe de ta petite personne ?
— Mmm, non. T'as toujours été versatile, mais jamais à ce point.
Emeraldas s'adossa au mur et croisa nonchalamment les mains derrière la nuque.
— Enfin, je note tout de même que tu n'essaies plus de me tuer, remarqua-t-elle avec un soupir ennuyé.
— Ça te manque ? Ce n'est que partie remise !
Morgane secoua la tête.
— Dès que tout ce bordel est terminé, marmonna-t-elle.
La néo-humaine reprit son examen minutieux de la cellule sans plus se soucier d'Emeraldas.
Pas de fenêtre. Une seule porte. Un champ de force. Mouais. Force était de reconnaître que la pirate rousse avait raison. Elle ne possédait pas le matériel nécessaire pour percer le mur ; il ne restait donc qu'une sortie possible : la porte. Et il faudrait qu'on lui ouvre depuis l'extérieur.
Avec un grognement de frustration, Morgane revint s'asseoir face à Emeraldas.
— Satisfaite ? lui demanda celle-ci.
— Mrf. T'es consciente que plus on perd de temps ici et plus le continuum de notre univers se fragilise ?
— Si tu le dis. Ça ne m'intéresse pas.
— Logique, répliqua froidement Morgane. Vous les pirates ne vous souciez guère du sort des autres.
Emeraldas leva un sourcil étonné.
— Nous les pirates ? Tu as pourtant été fière de clamer ton appartenance à notre petit cercle.
— En effet... Jusqu'à ce que je prenne conscience des conséquences de l'application à la lettre de votre « principe de liberté ».
La pirate rousse lui lança un regard intense. Puis elle inspira profondément, et ferma les yeux. Ses épaules s'affaissèrent légèrement.
« Ouais, tout le monde doit porter son poids de souvenirs douloureux », pensa Morgane, « et parfois ce doit être vraiment lourd ».
— Heavy Melder, lâcha Emeraldas dans un souffle.
— Oui.
— Et par conséquent tu veux me tuer.
— Oui.
Emeraldas se mordit la lèvre pensivement. Un pli amer rida le coin de ses yeux.
— Harlock le sait, continua-t-elle.
— Oui.
Morgane réfléchit au comportement d'Harlock tel qu'il avait évolué depuis cette histoire sur Heavy Melder. Non, cela datait d'avant, à vrai dire. Elle avait senti un changement peu après la mort de Tochiro.
Moins de contacts. Éviter les confrontations.
— Harlock ne fera rien. Pas directement.
Les deux femmes restèrent plongées dans leurs pensées respectives plusieurs minutes.
— Ça n'a pas toujours été ainsi, ajouta finalement Emeraldas.
— Non.
Morgane croisa le regard de son interlocutrice.
— Le sang appelle le sang. Question d'honneur. Je me battrai contre toi, car je ne peux te pardonner d'avoir délibérément détruit mon peuple.
— Je les avais prévenus, commença Emeraldas. Ils étaient...
Elle s'interrompit.
... libres de partir. Morgane sentit monter en elle une vague de tristesse incontrôlable. Ils étaient libres de partir.
Le principe de liberté. Ce pourquoi ils se battaient, appliqué à l'extrême, jusque dans ses situations les plus absurdes. La liberté de vivre, celle de mourir, celle d'agir ou de ne pas intervenir.
La liberté. La défendre. Préserver celle des autres.
Agir... Laisser choisir.
Se battre... Ne rien faire.
Emeraldas. Harlock.
Tochiro... Maya...
Morgane se recroquevilla et posa son front contre ses genoux. Pourquoi ? Quels qu'aient été les choix, la mort était toujours au bout du chemin.
Emeraldas interrompit le cours des pensées de la néo-humaine en se levant souplement.
— Bon. Tu parlais de continuum, déclara-t-elle d'un ton badin.
— Tiens, tu as changé d'avis ? s'étonna Morgane.
La pirate rousse baissa les yeux.
— Quitte à mourir je préfère que ce soit chez moi, murmura-t-elle.
Elle lança un regard gêné à Morgane.
— Je ne regrette pas ce que j'ai fait sur Heavy Melder, mais si tu estimes que cela mérite d'être lavé par le sang, alors je t'accorderai ton duel.
Elle sourit tristement.
— Là-bas. Il s'y trouve la tombe d'un être qui m'est cher et que je retrouverai avec plaisir.
Morgane acquiesça en silence.
Tochiro...
Emeraldas fit voler ses cheveux comme si par ce simple geste elle pouvait chasser les souvenirs. Cela ne servait à rien, Morgane le savait – c'était impossible d'oublier.
La pirate rousse se rapprocha du champ de force qui barrait l'entrée.
— Jaffas ! Kree ! cria-t-elle.
Aucun Jaffa ne se montra, mais les ombres au sol bougèrent. On les écoutait, de l'autre côté – Emeraldas ne s'y trompa d'ailleurs pas.
— Jaffas, kree ! répéta-t-elle. Barok'na ! Masa'tre'ak kal !
Leurs geôliers restèrent muets.
— Qu'est-ce que tu leur as dit ? demanda Morgane, curieuse.
— Ouvrez et faites-nous sortir.
— Oh. Tu n'as rien de moins... impératif ?
— Mmm.
Emeraldas fit la moue.
— Cette langue ne comporte pas beaucoup de tournures diplomatiques, répondit-elle.
Elle tapota distraitement le mur de la cellule avant de se lancer dans une nouvelle tentative.
— Jaffas ! Tal'mak Ba'al'auc, kree ol'na !
Cette fois, l'injonction fut suivie d'effet : un garde jaffa se découpa dans l'embrasure de la porte. L'air menaçant, il pointa son arme vers les jeunes femmes.
— Ne'nai, lo noc dis'tra ! Kal shaka mel !
Emeraldas grogna un juron et recula.
— Au moins il a répondu, commenta Morgane. Même si je me doute que cela ne voulait pas dire « d'accord ».
— C'était l'équivalent de « va mourir en enfer », fit Emeraldas.
— Sans blagues. Que lui as-tu dit pour qu'il s'énerve ainsi ?
La pirate rousse hésita.
— Je lui ai dit que j'étais la compagne de son seigneur et qu'il devait me laisser partir, répondit-elle finalement.
— La compagne de... Sérieux ?
— Ce n'est pas ce que tu crois ! se défendit Emeraldas.
— Ben voyons.
Mais au moins cela expliquait pourquoi le Queen se retrouvait au côté de la flotte du psychopathe local.
—————
Quelques dizaines de kilomètres plus haut, le Speranz amorçait une descente discrète en basse atmosphère.
— Tous les objectifs sont localisés, annonça l'artilleur.
Loren acquiesça d'un geste. Un pli soucieux barrait son front – tous les objectifs étaient localisés, sauf le principal : malgré les scans répétés, ils n'avaient pas repéré leur commandant.
L'officier scientifique n'avait pour l'instant pas osé émettre à pleine puissance de peur d'être contre-détecté par la flotte importante qui stationnait sur la planète. Par conséquent, le Speranz n'avait identifié que les forces positionnées en extérieur : les soldats du SG-C d'un côté et ceux qu'Harlock avait nommés « Jaffas » de l'autre. Ainsi que le Queen, un peu en retrait de la flotte ennemie qui préoccupait Loren.
Quant à l'Arcadia, le radar l'avait perdu en deçà d'une altitude de cinq cents mètres. Le vaisseau vert devait faire du rase-mottes.
Morgane était introuvable, probablement à l'intérieur d'un bâtiment ou d'un vaisseau.
Loren fit nerveusement le tour de la passerelle.
— J'aurais dû dire à Harlock que nous avions trouvé son vaisseau, marmonna-t-il.
— Vous l'auriez fait s'il vous en avait laissé le temps, monsieur, répondit le navigateur en haussant les épaules.
— Mmm.
Oui. Effectivement, la communication d'Harlock ne lui avait pas permis de placer un seul mot hormis « bien reçu ». Le capitaine de l'Arcadia n'avait même pas attendu que Loren confirme l'exécution de ses ordres avant de couper la transmission.
Apparemment, Harlock considérait l'équipage du Speranz comme le sien, et s'attendait à ce qu'il réagisse de même – au quart de tour. Loren se demanda s'il était préférable d'attaquer sans informer Harlock de la présence de l'Arcadia alors que, de toute évidence, le capitaine pirate n'était ici que pour récupérer son vaisseau, ou s'il devait retarder un bombardement tactique qui semblait, au vu de la situation affichée sur l'écran de contrôle, d'une importance vitale pour les troupes au sol.
Le scientifique soupira bruyamment. Il n'avait pas envie de devoir rendre des comptes à Harlock si jamais celui-ci s'imaginait qu'il lui avait dissimulé des informations.
— Nous sommes en position, monsieur, fit le navigateur.
— Maintenez l'altitude et le camouflage, ordonna Loren. Entrez les paramètres de tir, mais initialisez d'abord un scan des bâtiments et des vaisseaux à puissance maximale. Feu sur mon ordre, et soyez prêt à riposter à une contre-attaque ennemie.
Il se tourna vers le radio.
— Et prévenez Harlock de nos intentions, termina-t-il.
—————
Aux abords de la porte des étoiles, les tirs s'étaient soudain mis à pleuvoir sur les équipes SG. Les soldats s'abritaient du mieux qu'ils pouvaient derrière chaque aspérité de terrain.
O'Neill risqua un œil par-dessus le rocher qui lui servait de bouclier. Une explosion proche le dissuada de pousser son investigation plus avant.
— Les Jaffas ont pris position tout autour de nous, mon général ! lui rapporta Cam Mitchell après un roulé-boulé visant à rejoindre le même abri que son supérieur. Ils sont trop nombreux, nous ne tiendrons pas longtemps à ce rythme !
O'Neill hocha la tête pour signifier au jeune colonel qu'il avait bien pris en compte l'information, puis il se tourna du côté opposé à Mitchell. Deux mètres plus loin et derrière un rocher similaire, Harlock se tapissait avec un succès mitigé.
— Mon garçon ! cria O'Neill. Tu n'avais pas parlé d'un appui feu aérien ? Je ne veux pas avoir l'air d'insister, mais ça devient urgent !
Harlock répondit par un geste de la main agacé.
— Le Speranz termine son approche, O'Neill. Et discrètement, pour maximiser leur temps d'intervention à notre profit avant de devoir faire face aux vaisseaux de Ba'al.
— Ouais, ben s'ils ne se dépêchent pas, il n'y aura plus personne pour profiter de leur intervention, grommela Mitchell.
Harlock lui lança un regard assassin.
— Je viens d'avoir le contact. C'est l'affaire d'une à deux minutes, au plus.
Le jeune homme dédaigna ostensiblement Mitchell et fixa O'Neill.
— Et ils ont trouvé l'Arcadia. Elle est ici également.
— Excellent ! répondit Jack. Tu n'as pas envie de l'appeler, histoire de disposer de renforts contre Ba'al ?
— J'y travaille, O'Neill...
J'y travaille. Ce qui voulait donc dire que le vaisseau vert n'avait pas répondu. Ce qui signifiait qu'Harlock ignorait toujours quelle était la situation à bord. Ce qui n'était par conséquent pas bon signe.
Une série d'explosions encadrèrent le rocher d'Harlock, lequel se fendit d'un juron imagé dans sa langue.
— Bon sang, 'faut tout faire soi-même ! se plaignit-il en dégainant son arme en en arrosant au jugé les positions ennemies.
« Ah oui, quand même », pensa O'Neill alors que des bouquets d'arbres s'enflammaient sous les tirs successifs du capitaine pirate. À côté de ceci, les lances jaffas ne valaient pas tripette. Ni les canons, d'ailleurs. Et le général ne songeait même pas aux armes terriennes.
— Eh ! Sympa, comme modèle ! lança-t-il au pirate. Vous le fabriquez en série ?
Harlock répondit avec un sourire amusé.
— Malheureusement non, O'Neill.
Il profita d'une accalmie pour rejoindre O'Neill et Mitchell derrière leur propre rocher, moins endommagé.
— Et ces renforts ? demanda Mitchell d'un ton accusateur.
— J'ai dit « ça vient », coupa Harlock sèchement. Ils devaient scanner la surface avant de commencer.
— Scanner ? Et pourquoi pas prendre quelques photos touristiques, tant qu'ils y sont ?
— Du calme, intervint O'Neill alors qu'Harlock amorçait un mouvement de colère envers le colonel.
Décidément ces deux-là ne s'entendaient pas. Mais ce n'était pas tout à fait le bon moment pour en venir aux mains.
L'enfer se déchaîna soudain, ce qui permit à tout le monde de revenir à des préoccupations plus basiques – comme survivre, par exemple. Un déluge de feu s'abattit sur la forêt qui bordait la porte des étoiles. Les arbres et tout ce qui était dessous s'embrasèrent et s'employèrent à projeter des flammèches incandescentes sur les soldats du SG-C.
— Bien. Le voilà, votre bombardement, déclara Harlock d'une voix dans laquelle perçait l'envie de vitrifier toute la planète.
— Euh... Merci, répondit Jack. Mais je me demande si je ne préférais pas les Jaffas, en fin de compte... Tu es sûr qu'ils nous ont bien localisés, là-haut ? Je n'ai pas envie de griller parce qu'un artilleur ne dose pas la puissance de ses tirs !
Harlock poussa un soupir exaspéré.
— Ça, mon général, répliqua-t-il en désignant les tirs lasers qui traversaient le ciel, ça s'appelle une frappe tactique de précision. À faible altitude, et à puissance réduite. Si je n'avais pas été au milieu du champ de tir, j'aurais demandé un bombardement orbital et il n'y aurait déjà plus de forêt.
Le jeune homme empoigna son communicateur avec humeur.
— Harlock pour le Speranz, dit-il. Refaites-moi un passage avec les canons à pulsion pour souffler l'incendie puis dégagez hors de portée des vaisseaux ennemis.
Il n'écouta pas la réponse, ou tout au moins était-ce l'impression qu'en eut O'Neill, et sans se soucier des cendres chaudes qui leur pleuvaient toujours dessus, il se releva pour observer ce qui restait des positions jaffas.
— Je rejoins le Queen, annonça-t-il finalement. Je n'ai pas besoin que vous m'accompagniez.
— Certes, répliqua O'Neill. Mais cela ne nous empêchera pas de venir... N'est-ce pas, colonel ? ajouta-t-il à l'intention de Cam Mitchell.
Celui-ci répondit par une moue sceptique.
— Rassemblez SG-1, et dites à SG-17 de se replier sur Terre, continua Jack.
Mitchell acquiesça tandis qu'Harlock haussait les épaules.
— Je ne vais pas vous attendre, fit le capitaine pirate.
— Je n'en doute pas, mon garçon. Cependant, tu ne te débarrasseras pas de nous comme ça... Et je préfère rester pour te surveiller, si tu comprends de quoi je veux parler...
En particulier, il s'agissait d'éviter que le jeune homme ne décide de régler ses comptes sur place (et violemment), d'incendier / détruire cette planète ou une autre, voire de partir jouer au pirate dans cet univers plutôt que de retourner faire des dégâts dans le sien. Même si O'Neill tenait pour acquis le fait qu'Harlock considère le SG-C comme des alliés à protéger, il lui semblait plus prudent de rester à proximité du pirate et prêt à désamorcer un caractère visiblement explosif.
—————
Le bracelet-com de Morgane bipa. Emeraldas haussa un sourcil interrogatif.
— Balayage scan, répondit la néo-humaine sans même regarder son poignet. La fréquence du Speranz.
Elle agita son bracelet.
— Et ils m'ont repérée.
— Mmh. Ils ont aussi dû repérer les ha'taks de Ba'al, dans ce cas, répliqua Emeraldas.
— Je ne pense pas que ce soit un problème majeur. Ils avaient l'air moins performants que les Oris que nous avons déjà croisés.
Emeraldas eut un sourire ironique.
— Dis donc, tu n'avais pas parlé de quelque chose ressemblant à « minimiser les contacts pour ne pas aggraver la déchirure spatio-temporelle ? »
Morgane préféra ne pas répondre. D'autant que le bombardement qui débuta au même moment, et dont l'intensité fit trembler les fondations du bâtiment, n'était pas ce qu'on pouvait appeler une mesure visant à « minimiser les contacts ».
Apparemment la stratégie « exfiltration discrète » venait de faire long feu. Le sourire moqueur d'Emeraldas s'élargit.
— Au rythme où vont les interférences, tout notre continuum se sera effondré avant que vous n'ayez réussi à me ramener.
Morgane décida de ne pas relever la provocation et se demanda plutôt pourquoi le Speranz avait désobéi à ses ordres en la rejoignant.
... Inutile de chercher bien loin. Aucun militaire du SG-C n'aurait eu de succès, et ce quel que soit l'argumentaire développé. Restait Harlock, qui pouvait se montrer très convaincant, quand il voulait. La véritable question était donc : pourquoi Harlock avait-il pensé que la présence du Speranz était finalement nécessaire ?
—————
À l'extérieur et soumis à un pilonnement aussi intensif que meurtrier, Ba'al n'avait pas hésité longtemps avant d'ordonner le repli de ses troupes et le décollage de sa flotte. Pour l'instant, ce nouvel ennemi n'avait concentré son feu qu'autour de la porte des étoiles, mais les ha'taks au sol constituaient des cibles trop faciles pour être ignorées. Penché sur un panneau de navigation tactique, le Goa'uld étudiait la meilleure façon de se repositionner pour riposter.
— Nous n'avons aucune identification de l'ennemi, seigneur, lui annonça un Jaffa.
— Je m'en doute, ajak ! coupa Ba'al. Ce qui m'intéresse en priorité, c'est de le localiser !
— Toujours rien, seigneur, fit le Jaffa, une lueur de crainte dans le regard.
Ba'al répondit d'une moue méprisante qui fit blêmir le Jaffa.
— Ha'shak ! Concentre les radars au point d'origine des tirs et trouve-moi toutes les anomalies, un changement de densité, la chaleur de ses moteurs... Rit'sh !
— Tout de suite, mon seigneur !
C'était puissant, ça possédait un dispositif de camouflage et ça protégeait la porte des étoiles – donc les Tauris. Il faudrait être stupide pour ne pas en déduire qu'il y avait un lien avec la « copine » de sa pirate rousse préférée. Un vaisseau du futur, donc.
Ba'al grogna. Si tel était le cas, il n'avait aucune chance d'en venir à bout avec deux misérables ha'taks et une poignée de bombardiers légers. Non, le seul moyen d'équilibrer les forces était de faire entrer le vaisseau d'Emeraldas dans le jeu. Vaisseau qu'il était incapable de démarrer seul. Il lui fallait donc Emeraldas. Et l'autre fille, par la même occasion.
— Jaffa ! appela-t-il. Contacte l'escouade qui garde les prisons et ordonne-leur de venir à bord immédiatement avec les prisonnières. Envoie-leur un al'kesh et des planeurs pour les escorter !
— À vos ordres.
Au pire, elles pourraient servir de monnaie d'échange.
—————
Le moins que l'on puisse dire, c'était que le Speranz savait comment nettoyer une zone rapidement et efficacement. Cam Mitchell ne pouvait qu'admettre que la stratégie des pirates se révélait payante, en fin de compte : les troupes jaffas décimées s'étaient dispersées et les vaisseaux de la flotte de Ba'al décollaient précipitamment les uns après les autres, si bien que rien n'entrava leur progression vers le Queen.
Le vaisseau ovoïde lévitait toujours à une cinquantaine de mètres du sol. Son dispositif d'anti-gravité ne semblait pas avoir souffert de l'incendie.
— Bon, comment comptes-tu t'y prendre pour monter ? demanda le général O'Neill à Harlock.
Le nez en l'air, le pirate jaugeait le vaisseau d'un œil critique.
— Les codes que je possède commencent à dater, mais il y a une chance qu'ils soient encore fonctionnels, répondit-il.
Il sortit son communicateur.
— Nous allons pouvoir en juger de suite, ajouta-t-il en pianotant une série de chiffres sur le clavier.
Il ne se passa rien pendant une poignée de secondes. Mitchell crut que l'opération avait échoué et qu'ils en seraient quittes pour refaire le chemin jusqu'à la porte des étoiles en sens inverse, mais un sas s'ouvrit soudain sur le ventre du vaisseau. Une plate-forme mobile s'en échappa et flotta jusqu'à eux.
— Allez, on embarque, fit Harlock en même temps qu'il sautait souplement sur la plate-forme.
Mitchell hésita. Cela pouvait très bien être un piège, et s'ils devaient s'échapper d'un vaisseau dont les sas extérieurs ne s'ouvraient qu'à l'aide de codes compliqués, cela risquait d'être problématique. D'autant que Carter et sa connaissance en technologies avancées n'était pas là.
Il semblait cependant que cette éventualité n'était pas le souci du général O'Neill.
— Excellent ! s'exclama-t-il en suivant Harlock. Plus qu'un vaisseau et deux pirates à récupérer et tu pourras rentrer chez toi l'esprit tranquille !
Harlock ne répondit pas au sarcasme et se contenta de dégager un panneau de commande au pied d'une des rambardes – d'un mouvement peut-être un peu trop brusque, ce qui pouvait trahir son agacement.
— Général O'Neill, intervint Teal'c. Nous devrions d'abord nous assurer qu'aucun Jaffa ne nous attend dans ce vaisseau.
— Je suis d'accord, mon général, renchérit Mitchell, heureux que quelqu'un se range à son avis. Rien ne dit que Ba'al n'a pas laissé des gardes en embuscade !
Harlock haussa les épaules.
— Mes codes ont fonctionné pour ouvrir. À moins qu'Emeraldas n'ait modifié toute son informatique de bord, ce dont je doute, cela signifie que je contrôle également les systèmes de défense. S'il y a quelqu'un à l'intérieur, ce dont je doute également, je pourrai le neutraliser sans problèmes.
Il eut un demi-sourire à l'intention du général O'Neill.
— Néanmoins général, je rejoins l'avis du colonel Mitchell. Ce n'est pas le meilleur endroit pour un officier supérieur. Il serait plus avisé que vous retourniez au SG-C... Et SG-1 peut vous escorter.
— Je t'ai déjà dit que tu ne te débarrasserais pas de nous comme ça, répliqua tranquillement O'Neill.
— Je vois.
Mitchell n'allait pas contredire le général (même si effectivement il aurait préféré que son supérieur ne reste pas en première ligne) : le SG-C voulait rendre le Queen inoffensif, Harlock voulait récupérer son vaisseau et le meilleur moyen d'y arriver était encore d'être aux commandes d'un appareil de puissance équivalente, et il devait certainement se trouver quelque part des gens qui s'inquiétaient du fait qu'un univers parallèle était en train de générer un big crunch en partie à cause de la présence du Queen ici. Dans tous les cas, il fallait s'emparer le vaisseau d'Emeraldas.
Le colonel consulta son équipe du regard. Teal'c hocha imperceptiblement la tête et Daniel Jackson fit un geste qui pouvait signifier « allez-y, je vous suis ». Vala quant à elle rejoignit le général et Harlock, lequel ne semblait pas spécialement ravi de la voir aussi près de lui, d'ailleurs.
— Eh bien, c'est parti ! déclara la jeune femme. Je suis curieuse de comparer ce vaisseau à l'Arcadia. C'est fascinant, toutes ces technologies du futur, vous ne trouvez pas ?
Cam retint un sourire narquois en constatant que la mine du capitaine pirate s'allongeait à ces mots et monta sur la plate-forme à la suite de Jackson et Teal'c. L'engin s'éleva sans bruit, les emmenant dans les entrailles du Queen.
—————
Le Speranz avait repris de l'altitude, et Loren s'employait à exécuter une manœuvre de dérobement compliquée pour semer les conduites de tir ennemies.
— Ce doit être suffisant, à présent, déclara le navigateur. Leurs radars ne sont pas si sophistiqués.
— Je suis d'accord, confirma l'opérateur en place à la console d'interception. Ils ont accroché notre traînée moteur au moment où nous avons décroché de notre position de tir, mais ils nous ont perdu quand nous avons ralenti.
— Très bien.
Loren quitta la barre et revint à proximité du panneau tactique.
— Nous recevons toujours le signal du bracelet-com de Morgane ? demanda-t-il.
— Affirmatif. Sa balise de localisation s'est activée quand nous l'avons scannée. Cependant...
— Cependant quoi ? fit Loren avec une pointe d'inquiétude.
— Eh bien... Elle a bougé, monsieur, répondit l'opérateur. D'après le traçage de la console, elle est montée à bord d'une sorte de navette et a été emmenée... là-dedans.
L'opérateur afficha une représentation tridi d'un des deux vaisseaux-pyramide.
— Et merde, lâcha Loren.
— Yep.
Bon sang, ç'aurait été trop simple. Il ne pouvait plus se contenter de bombarder de haut et sous camouflage. S'il voulait revoir son commandant, il fallait envisager un abordage.
—————
Le Queen était vide. Harlock s'en était tout de même assuré avant de s'enfoncer dans le dédale de coursives, mais le terminal informatique qu'il avait consulté au sortir du sas n'avait rien révélé. Néanmoins, ce n'était pas suffisant pour qu'il relâche sa vigilance : contrairement à ce qu'il avait affirmé à O'Neill, il ignorait si Emeraldas avait modifié ou non son vaisseau. Et il connaissait très mal le Queen – il devait n'être monté à bord que trois ou quatre fois, et cela remontait à loin.
— Tu sais où tu vas, au moins ? persifla O'Neill comme le capitaine pirate hésitait à un embranchement.
— En passerelle. Ça fait longtemps que je ne suis pas venu, répondit Harlock avant de se morigéner intérieurement.
C'est vrai, quoi. Il n'allait pas non plus s'excuser auprès du général. C'était lui qui avait insisté pour l'accompagner, après tout. Harlock n'avoua donc pas qu'ils n'avaient pas dû emprunter le chemin le plus direct pour parvenir en passerelle.
L'endroit était désert. Le capitaine dissimula son soulagement et alluma d'un air assuré les consoles. La sixième fut la bonne, et le système de commandement du Queen se mit en fonction sans protester.
Enfin presque.
« Procédure d'initialisation anormale », fit l'ordinateur. « Veuillez insérer votre code d'identification. »
Harlock adressa une prière silencieuse à Tochiro, où qu'il soit, pour qu'Emeraldas n'ait pas bloqué son accès après sa mort et entra le code de l'ingénieur dans le système.
« Identification positive. Bienvenue, professeur », répondit l'ordinateur.
— Hum. Ce n'est pas ton code, ça, commenta O'Neill.
— C'est celui de Tochiro, répliqua Harlock.
Et il fallait absolument qu'il cesse se justifier auprès du général O'Neill.
Harlock grogna et se concentra plutôt sur le fonctionnement de l'IA du Queen. 's'agissait pas qu'il fasse une fausse manœuvre, avec cinq paires d'yeux inquisiteurs posés sur lui. Heureusement, les points communs avec l'Arcadia étaient nombreux – on reconnaissait sans peine l'empreinte de Tochiro qui, s'il n'avait pas construit ce vaisseau, avait quand même contribué à son amélioration.
« Séquence de décollage initiée », annonça l'ordinateur au bout d'une bonne minute de pianotage sur la console.
Harlock retint un « ouf » tandis qu'il cherchait discrètement la barre.
Rien.
Bon sang, il détestait les systèmes de navigation « tout automatique ».
Le Queen vibra lorsque ses moteurs démarrèrent, puis un panneau tactique secondaire informa que l'ancre était en cours de remontée. Simultanément, les réacteurs d'appoint fournirent une poussée positive. Le vaisseau ovoïde s'éleva lentement au-dessus de la forêt.
Le déroulé de la procédure était parfait, mais Harlock aurait aimé reprendre la main sur la manœuvre.
— Et maintenant ? demanda Mitchell, vaguement accusateur.
Harlock pinça les lèvres, cependant l'expression actuelle du général O'Neill signifiait peu ou prou la même chose, aussi se contenta-t-il de hausser les épaules et continua à martyriser la console de navigation plutôt que de répondre vertement. Mitchell quant à lui se contenta d'un reniflement méprisant, aussitôt ponctué d'un froncement de sourcil réprobateur de la part d'O'Neill.
« Confirmez le passage en commandes manuelles », finit par lâcher l'ordinateur après une série de lignes de code infructueuses et alors qu'Harlock envisageait sérieusement un reset complet du système. Le capitaine valida l'ordre et s'assit devant la console de navigation, qui affichait désormais un paramétrage plus familier... même si le pilotage en mode « clavier-console » ne remplaçait décidément pas une barre.
— On va commencer par prendre un peu de hauteur, dit-il en joignant le geste à la parole.
Docile, le Queen prit une assiette ascendante et fit gronder son réacteur principal. Harlock dirigea le vaisseau vers une orbite basse : de là, il optimiserait ses portées de détection et espérait bien localiser l'Arcadia le plus vite possible.
« Communication entrante sur canal numéro trois », dit l'ordinateur. Harlock consulta la console radio : le canal trois était privé. Et crypté. Ça, ce n'était pas le Speranz – il y avait peu de chances qu'Emeraldas et Morgane aient gardé la moindre fréquence codée commune.
Le panneau tactique central afficha la vidéo de la transmission.
Ce n'était pas l'Arcadia non plus.
— Général O'Neill ! s'exclama Ba'al. Je suis honoré de votre visite sur ma planète !
Le Goa'uld les gratifia d'une pseudo-révérence et de son sourire ironique.
— Je constate que SG-1 vous accompagne, continua-t-il. Ainsi que... – Ba'al fit mine de fouiller ses souvenirs – Harlock ! Il y avait longtemps ! Je suppose que vous êtes à l'origine des petits désagréments subis par mes Jaffas autour de la porte des étoiles ?
— Je possède ici de quoi vous causer des... désagréments plus significatifs si vous ne partez pas dans la minute, répliqua le capitaine froidement.
Ba'al prit l'air peiné.
— Allons, que d'agressivité alors que je n'ai fait qu'exprimer ma joie de vous revoir !
— Oui, nous avons trouvé vos Jaffas très accueillants, en effet... intervint Mitchell.
— Simple malentendu, j'en suis sûr. Par ailleurs, reprit Ba'al avant que les Terriens ne puissent protester, il me semble que le vaisseau que vous utilisez ne vous appartient pas...
Le Goa'uld disparut hors-champ quelques secondes et revint en tenant fermement Emeraldas par le bras.
— Voyez, son propriétaire est avec moi.
Harlock ne cilla pas. Il avait craint une complication de ce genre dès lors qu'il avait appris qu'Emeraldas n'était pas sur le Queen. De l'autre côté de l'écran, la pirate rousse resta de marbre mais son regard signifiait « que fais-tu dans mon vaisseau ? »
— J'admets ignorer comment faire fonctionner cette merveille de technologie, poursuivait Ba'al, mais je crois avoir compris que la totalité des systèmes se commandaient à la voix... Cette voix-ci, ajouta-t-il en poussant Emeraldas vers la caméra.
— J'ai shunté l'IA, répondit Harlock.
Emeraldas haussa les épaules.
— Mais seulement pour la navigation.
— La navigation et les armes, précisa le capitaine.
— Oh. Pas avec ton code.
— Non.
Harlock eut un sourire amer.
— Je ne suis pas idiot.
Les deux pirates s'observèrent en silence sans se soucier des humains, Jaffa et Goa'uld à proximité qui arboraient des expressions perplexes. « Deux ans... » songea Harlock. « Et l'ombre de Tochiro est toujours entre nous. »
Emeraldas tenait au petit ingénieur. Maintes fois, elle avait tenté de le raisonner. À deux reprises, elle avait demandé à Harlock de tenter, lui, de convaincre son ami de prendre du repos. Tochiro n'en avait fait qu'à sa tête. La rancune qui en résultait ne s'était jamais exprimée franchement, mais elle était tenace.
— Je peux gérer mes ennuis seule, reprit finalement Emeraldas. J'apprécierais que tu quittes mon vaisseau.
— Je préfère rester pour contrôler ton timing, répondit Harlock. Si tu n'es pas déjà au courant, il y a un effondrement de continuum en cours et c'est plutôt rapide.
— J'ai pris en compte la problématique. Descends.
Harlock soupira.
— Je regrette, fit-il avant de couper la communication.
Il aurait préféré qu'Emeraldas ne rejette pas son aide de façon aussi catégorique, mais à quoi d'autre aurait-il pu s'attendre ? La jeune femme rousse avait rejeté toute forme de dialogue qui aurait pu apaiser son deuil. Elle avait même rejeté sa propre fille, la fille de Tochiro, laissant une orpheline de quelques mois à Harlock – la mort dans l'âme, celui-ci s'était résolu à la confier à un orphelinat, sur Terre, afin que, conformément au vœu de Tochiro, elle soit élevée sur la planète-mère des humains.
O'Neill posa une main compatissante sur son épaule.
— Vos relations se sont nettement dégradées depuis la dernière fois, dit-il doucement. À cause de votre ami l'ingénieur, n'est-ce pas ?
Harlock acquiesça en silence.
Ressasser le passé était toujours aussi douloureux. Revoir Emeraldas avait ravivé des sentiments qu'il pensait avoir profondément enfouis. La tristesse. Les remords... qui semblaient vouloir lui compresser la poitrine comme un étau.
— C'est quoi, cette lumière ? intervint soudain Vala.
Le capitaine se força à revenir dans le présent. La « lumière » qui intriguait Vala était une alarme activée dans le panneau des transmissions. Harlock fronça les sourcils.
— Nous avons été interceptés, annonça-t-il.
Pas par le Speranz, qui n'avait aucune raison d'intercepter une fréquence qu'il ne pouvait pas décoder. Les autres vaisseaux de Ba'al n'étaient pas plus plausibles.
Restait l'Arcadia.
Tochiro.
—————
Loren avait fait un large tour avec le Speranz, puis était venu se replacer à moins de huit cents mètres du vaisseau dans lequel était embarquée Morgane. Nul ennemi n'avait réagi. Le contraire eût été étonnant : le Speranz était conçu pour le pistage discret et son équipage bien entraîné.
La manœuvre suivante allait se révéler plus délicate, en revanche.
— La navette d'abordage est parée, monsieur, déclara le pilote de ladite navette.
Il s'agissait d'entrer à bord du vaisseau ennemi sans se faire remarquer. Une infiltration réussie leur octroierait davantage de temps et de tranquillité pour investiguer les lieux et rejoindre Morgane.
— Paramètres de tir entrés et validés, renchérit l'artilleur.
Le meilleur moyen de permettre à la navette de s'amarrer sans qu'elle ne soit détectée restait encore de détourner l'attention de l'ennemi. Quoi de mieux qu'une attaque frontale avec le Speranz ?
Loren estimait ne pas prendre de gros risques en agissant de la sorte. Les deux vaisseaux pyramidaux étaient lourdement armés, mais si la puissance de leur armement correspondait aux standards du vingt-et-unième siècle, cela ne devrait pas perturber le blindage du Speranz. Ni même son bouclier énergétique, d'ailleurs. Non, le seul problème était qu'il faudrait doser précisément la puissance de leurs tirs s'il ne voulait pas faire exploser son ennemi par inadvertance... Du moins, pas tant que Morgane se trouvait à l'intérieur.
La console com signala un appel.
— Harlock, annonça le radio. Qu'est-ce que j'en fais ?
— Passez-le-moi, répondit Loren.
L'officier scientifique inspira profondément. Harlock devait avoir d'autres missions à lui confier, mais à présent il fallait qu'il tienne compte de priorités autres que les siennes – en l'occurrence, le Speranz allait d'abord secourir son commandant, puis Loren laisserait à Morgane le soin de décider s'ils aideraient le capitaine pirate à récupérer son propre vaisseau.
— Emeraldas est à bord du ha'tak de Ba'al, commença Harlock sans préavis et sans s'attarder sur la signification des mots « ha'tak » et « Ba'al » (Loren supposa qu'il s'agissait d'un vaisseau ennemi). Il est possible que Morgane s'y trouve également.
— Nous avons repéré Morgane dans un de ces vaisseaux pyramidaux, en effet, répondit Loren. Je vais ouvrir le feu pour faire diversion pendant que je l'aborde en navette.
Harlock répondit avec un temps de retard. Loren fit la grimace : voilà qui annonçait encore des complications.
— Écartez-vous. L'Arcadia a intercepté ma dernière communication. Il sait qu'Emeraldas est dans ce ha'tak. J'ai peur qu'il n'attaque sans se soucier de votre présence.
Loren haussa un sourcil perplexe. Pour autant qu'il se souvienne, Harlock avait toujours qualifié l'Arcadia de « elle » alors... « il sait » ?
— Vous avez peur qu'il attaque ? répéta-t-il.
— C'est la continuation logique de son comportement actuel. Et je ne crois pas pouvoir l'arrêter.
... Et c'était incohérent. Comment Harlock pouvait-il prédire les actions à venir de l'Arcadia ? Avait-il eu le contact ? Mais dans ce cas, pourquoi ne reprenait-il pas le contrôle de son vaisseau ? Une mutinerie ?
Et puis... « Il » ? C'était curieux, mais Loren n'approfondit pas... du moins pour le moment. L'Arcadia avec son capitaine constituait déjà une menace à éviter, alors une Arcadia sur laquelle Harlock en personne avouait n'avoir aucun contrôle...
— Très bien, concéda Loren. Je me replace à distance de sécurité mais je n'abandonne pas pour autant mon idée de manœuvre.
— Je suis d'accord. L'abordage est la meilleure solution, admit Harlock. Cependant l'Arcadia... ne peut pas envisager ce mode d'action.
Et c'était incohérent, encore. Il y avait bien un équipage à bord, non ?
Loren se promit d'y réfléchir plus avant (et d'en informer Morgane). En attendant, il ordonna au navigateur de s'éloigner et à l'équipe d'abordage de rester parée. Et au radar de se focaliser sur les traînées ioniques typiques de l'Arcadia...
—————
La rage au cœur, Ba'al observait le Queen s'éloigner hors de portée. Grâce à Harlock, les Tauris l'avaient pris de vitesse et disposaient maintenant d'un argument de poids contre lui. De deux, s'il comptait le vaisseau camouflé qui avait bombardé la surface. Autant dire qu'il ne lui restait qu'à s'enfuir s'il voulait sauver sa vie.
— Très chère, je suppose que vous ne ferez rien pour me sortir de ce mauvais pas ? demanda-t-il à Emeraldas, laquelle se tenait en retrait, encadrée par deux Jaffas.
— Comme vous l'avez très certainement constaté, Harlock dirige le Queen en commandes manuelles, répondit-elle, impassible. Je ne peux pas reprendre le contrôle d'ici. Il faut que je retourne à bord.
Évidemment.
— Par ailleurs, continua-t-elle, vous avez dû noter qu'Harlock a mentionné un « effondrement de continuum ». Ma présence ici contribue à la destruction de l'univers d'où je viens. Je me dois de repartir...
Elle lui sourit – un sourire glacial.
— Je crains donc de devoir mettre fin à notre « arrangement ».
Les yeux de Ba'al brillèrent.
— Vous oubliez ce que vous me devez, gronda-t-il.
— Vous savez depuis le début que je suis à vos côtés parce que je le veux et non pas à cause de votre... cadeau.
Il le savait, oui. Il avait juste espéré le contraire.
La jeune femme rousse s'approcha de lui.
— Vous avez ma parole que je couvrirai votre repli, lui souffla-t-elle à l'oreille. Ne leur laissez pas le temps d'organiser une attaque qui vous sera défavorable...
—————
L'ordinateur avait démarré un balayage de toutes les fréquences radio du Queen qu'il avait en mémoire dès l'arrivée en orbite de l'Arcadia, puis il était descendu évaluer la situation au plus près.
Deux ha'taks. Le Queen. Et le Speranz, invisible pour le moment mais qu'il avait failli percuter à sa sortie de warp. Le reste était négligeable.
Le scan de la planète n'avait pas donné de résultats probants. L'ordinateur était donc en train de programmer un balayage plus précis qui différencierait les humains des Jaffas et autres, lorsqu'il capta la communication entre le Queen et un des ha'taks. Avec un code de base – qu'il avait conçu lui-même, d'ailleurs.
La conversation lui apprit qu'Harlock était sur le Queen et Emeraldas sur le ha'tak. Emeraldas affirmait ne pas avoir besoin d'aide, mais c'était ce qu'elle disait toujours. Et puis, elle avait bien confirmé avoir des problèmes, non ?
L'ordinateur entra une nouvelle trajectoire. Emeraldas ne refuserait pas un petit coup de main.
Il s'expliquerait avec Harlock plus tard.
—————
Les Jaffas avaient emmené Emeraldas ailleurs dans le ha'tak et laissé Morgane dans une cellule – encore. La néo-humaine en avait fait le tour méthodiquement et la bonne nouvelle, c'était que le champ de force qui barrait l'entrée paraissait plus faible que le précédent : une impulsion électromagnétique devrait réussir à le court-circuiter.
Morgane se préparait donc à démonter son bracelet-com afin d'en extraire la pile selon le principe « comment transformer un communicateur en grenade », lorsque le champ de force se désactiva pour laisser passer Emeraldas.
— On s'en va, déclara-t-elle.
Morgane lui lança un regard sceptique.
— On... s'en va ? répéta-t-elle.
— Oui. Tout de suite. Et vite. À moins que tu ne veuilles attendre que ton vaisseau ne commence à attaquer celui-ci.
Emeraldas poussa Morgane dans la coursive. Des Jaffas leur ouvrirent le chemin, mais Morgane estima qu'ils ne reprenaient pas la direction du hangar à navettes par lequel elle était arrivée.
— Il y a un autre hangar ? demanda-t-elle innocemment.
— Non. On va prendre les anneaux de transport.
Les anneaux... ?
— Téléportation, expliqua laconiquement Emeraldas. Enfin, plus ou moins. Ça dérive de la même technologie que les portes des étoiles... en moins dangereux, à mon avis.
La pirate rousse marqua un temps d'arrêt.
— Une fois en bas, ajouta-t-elle, appelle le Speranz et dis-leur de ne pas toucher à ce ha'tak.
— Des conditions ? renifla Morgane.
Emeraldas la considéra froidement.
— C'est moi qui vous intéresse, il me semble. Vous n'avez aucun intérêt à vous acharner sur des ha'taks qui ne présentent de toute façon pas une menace sérieuse.
— Mmh.
Morgane haussa les épaules. Tout dépendait du comportement futur de Ba'al, à vrai dire...
Ils parvinrent dans une salle vide à l'exception d'un appareil électronique ou assimilé nimbé d'une lueur bleutée... Et d'une trappe circulaire au plafond, située à peu près au centre de la pièce et au-dessus d'un genre d'estrade, circulaire également. Les anneaux.
L'installation semblait sous tension.
À ce moment, un choc violent secoua le vaisseau, lequel prit aussitôt une gîte prononcée.
—————
L'ordinateur avait détecté la traînée de chaleur des moteurs du Speranz que son bouclier de camouflage ne réussissait pas à compenser. Le vaisseau de Morgane accélérait brusquement. Un pistage de quelques secondes suffit à l'ordinateur pour en déduire une trajectoire : le Speranz s'écartait du ha'tak qui l'intéressait.
Excellent.
Sa propre trajectoire était quant à elle tout à fait satisfaisante. L'angle d'approche était idéal, et la distance suffisamment faible pour ne plus avoir à se préoccuper d'une réaction adverse. Ce n'étaient pas des machines, en face – ils n'avaient plus le temps de riposter.
L'ordinateur aurait dû poursuivre sa route en sécurité sous camouflage (c'étaient ce que ses processeurs logiques lui recommandaient), mais des réminiscences organiques le poussaient à se faire connaître avant d'attaquer. L'ordinateur était très fier de son vaisseau et de sa puissance.
Il désactiva le mode furtif à deux cent quatre-vingt-dix-neuf mètres de son but.
L'Arcadia éperonna le flanc bâbord du ha'tak.
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