2 - Chapitre 7
Une rangée de prisonniers était alignée devant un bâtiment en ruines, mains sur la tête et tenus en joue par un détachement jaffa. Ba'al passa lentement devant eux, les dévisageant un par un. Il y avait là des rebelles jaffas, quelques membres de la communauté humaine voisine, et même un espion du SG-C – qui niait pour l'instant avoir le moindre lien avec la Terre, et qui ne tarderait pas à le reconnaître une fois que Ba'al se serait occupé de lui.
— Quels sont vos ordres, mon seigneur ? demanda le chef des Jaffas.
— Mettez-les en cellule, répondit le Goa'uld en pensant « exécution sommaire ».
Mais il avait promis, et une fois n'est pas coutume il comptait tenir parole.
— Sauf lui, ajouta-t-il après réflexion en désignant le présumé Terrien.
Évidemment, « ne pas massacrer les prisonniers » ne signifiait pas « interdiction de les torturer ». Il avait bien droit à une compensation, et de toute façon il n'avait pas l'intention de le claironner à tout-va.
Il s'éloigna du groupe de prisonniers pour rejoindre son quartier général – il avait réintégré un ancien palais qui avait dû être occupé par un Goa'uld, à une époque. La planète sur laquelle il s'était installé était isolée, éloignée de la croisade ori, et assez peu concernée par la rébellion jaffa. Il avait pu étendre tranquillement sa sphère d'influence et asseoir son autorité dans le secteur sans être dérangé. Ça ne durerait pas, il le savait ; le Terrien qui s'était fait prendre n'était qu'un avant-goût de ce que le SG-C pouvait envoyer, et les rebelles jaffas ne laisseraient pas indéfiniment les leurs en difficulté – même dans ce coin reculé de la galaxie.
Un peu à l'écart de la flotte disparate qu'il avait rassemblée, un vaisseau était, de façon totalement surréaliste, à l'ancrage entre deux petites collines. Le vent le faisait osciller de part et d'autre de la chaîne métallique qui le retenait au sol.
Ba'al sourit. Elle était rentrée, et elle l'attendait sûrement dans ses quartiers. Il congédia d'un geste agacé les esclaves désireuses de lui proposer leurs services – inutile de froisser les susceptibilités, mmh ? – et entra d'un pas assuré. Elle l'attendait, effectivement.
— Votre excursion s'est bien passée, ma chère ?
La jeune femme lui tournait le dos. Ba'al prit le temps d'admirer la cascade de cheveux roux avant de poursuivre.
— Je préférerais que vous ne quittiez pas ce système solaire. Votre vaisseau est par trop reconnaissable.
— Vous craignez pour ma sécurité ou vous avez peur que je ne vous fausse compagnie ? répliqua-t-elle sèchement.
Le Goa'uld répondit par un geste évasif. Les deux propositions étaient vraies, et l'escouade jaffa qu'il avait laissée sur le vaisseau d'Emeraldas servait autant à assurer sa protection qu'à vérifier qu'elle ne décide pas brusquement de rentrer à son époque. La pirate rousse n'était pas dupe, évidemment, mais pour l'instant elle tolérait la présence des Jaffas sur son vaisseau. Ba'al en profitait pour récupérer un maximum d'images vidéos des systèmes internes du Queen, même s'il s'était rapidement rendu compte que le vaisseau, entièrement automatisé, cachait ses systèmes les plus intéressants dans des armoires hermétiquement fermées.
Emeraldas se retourna enfin et planta ses yeux dans ceux de Ba'al.
— Je n'ai pas l'intention de restreindre mes mouvements, fit-elle.
— Comme vous voudrez.
« Du moment qu'elle revient », pensa-t-il. De toute façon il voyait mal ce qu'elle aurait pu risquer avec un appareil de ce gabarit. Il espérait seulement qu'il n'aurait pas à pâtir de son absence si jamais il venait à être attaqué par les rebelles jaffas, ou pire, par les Oris. Sans oublier, bien sûr, qu'il fallait encore qu'elle accepte de le défendre et cela, ce n'était jamais acquis d'avance.
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Après de rapides négociations, tous les vaisseaux avaient décollé du pôle sud et s'étaient posés discrètement au milieu d'une autre base militaire que les gens du coin appelaient, semblait-il, « zone 51 ». Ils avaient été accueillis par des soldats terriens, très certainement membres de la même armée régulière que ceux qui s'étaient installés au pôle sud. Morgane n'avait pas daigné engager la conversation en anglais – elle avait pour l'instant laissé cette corvée à Shark – mais à présent qu'elle découvrait le climat du « désert du Nevada », elle se disait qu'elle allait peut-être changer d'avis. Cet endroit était beaucoup plus agréable que l'autre malgré une température encore un peu fraîche ; cela donnait envie d'en voir plus.
La néo-humaine escalada souplement un promontoire rocheux et s'arrêta pour admirer le paysage. Elle avait faussé compagnie au comité d'accueil pendant que le général qui les avait réceptionnés au pôle sud exposait les accrochements que les Terriens d'ici avaient eu avec Emeraldas, et que Shark essayait de placer ses enregistrements de la déchirure spatio-temporelle en insistant sur l'urgence de la situation.
Bah, en vérité, tout était lié. Les voyages temporels étaient dangereux, et les paradoxes induits mal connus. Quoi qu'aient pu faire Harlock et Emeraldas dans ce passé, cela avait été assez significatif pour générer un trou, et les sauts temporels avaient été suffisamment fréquents pour le stabiliser. Maintenant, Dame Nature tentait de rassembler l'énergie nécessaire pour résorber cette aberration, et Morgane n'aimait pas du tout les termes que Shark avait employés – en particulier les mots « repli du continuum », « effondrement de l'univers » ou encore « big crunch ».
Un nuage de poussière se dirigeait vers elle. Loren l'avait prévenue que les Terriens de la base avaient envoyé un « engin motorisé à roues » à ses trousses. Ce devait être dessous.
Le véhicule stoppa au pied du promontoire. Un soldat en descendit et cria quelque chose à son intention en faisant de grands signes de la main. Ce devait vouloir dire « revenez immédiatement ». Morgane haussa dédaigneusement les épaules. Pensaient-ils qu'elle allait se perdre ou qu'elle était suffisamment stupide pour partir définitivement en leur abandonnant son vaisseau ?
Mmm. Peut-être craignaient-ils seulement qu'elle ne terrorise les autochtones si jamais elle venait à en croiser...
Elle prit tout son temps pour rejoindre le véhicule, ignora les injonctions du soldat et ne fit aucun effort pour les comprendre, ni pour y répondre, d'ailleurs. Qu'ils aillent au diable avec leur « anglais » ! L'homme finit par renoncer et la déposa au pied du Speranz. Elle quitta le véhicule sans un regard pour ses occupants. Royale.
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Cam Mitchell avait pensé que rien ne pourrait l'énerver davantage qu'Harlock, mais il s'était ravisé. Le pirate avait beau être insupportable, il prenait quand même la peine de répondre et ne se contentait pas de le regarder de haut comme venait de le faire Morgane.
Le colonel se retint de lâcher un commentaire acerbe sur la politesse chez les mutants – il n'était pas certain que la fille ne comprendrait pas. Il ne lui restait qu'à faire son rapport à Landry.
— C'est fait, mon général.
— Vous lui avez dit que nous préférons limiter le risque d'interactions avec les civils de notre époque ?
— Affirmatif, monsieur. Mais je pense que j'aurais eu plus de succès en m'adressant à ma jeep.
Landry eut une mimique désolée.
— L'Arcadia seul n'avait pas été facile à gérer. Il y a deux vaisseaux de plus, aujourd'hui.
— Mmm.
— Et il semblerait que nous soyons sur le point de parvenir à un accord.
Mitchell haussa les épaules. À ce qu'il semblait, les deux pirates supplémentaires avaient d'autres préoccupations qu'Emeraldas. Des préoccupations pessimistes.
— Vous croyez aux affirmations de ce Shark au sujet de l'anomalie de P4X-48C, mon général ?
— Carter est en train d'analyser les enregistrements qu'il nous a apportés. Pour l'instant, les résultats sont cohérents.
— Attendez... Mon général, s'il s'avère qu'il a raison, nous pouvons cesser de nous occuper des Oris ! Nous allons droit à la catastrophe, et rapidement, en plus !
Le général Landry fit un geste d'impuissance.
— Tous les scientifiques qui se sont penchés sur la question, y compris Carter, s'accordent pour dire que c'est encore réversible.
— Oui, et bien ça ne me rassure pas, marmonna Mitchell.
Un soldat anonyme apporta un téléphone portable au général et murmura « le Pentagone, monsieur ». Landry remercia le colonel d'un signe de tête avant de se lancer dans une discussion avec une des huiles de Washington dans laquelle les mots « Oris », « pirates » et « destruction de la galaxie » tenaient une place prépondérante. Mitchell chercha du regard quelqu'un de connu, sans succès. Il décida alors qu'il avait faim, et tomba sur le général O'Neill à l'entrée du mess.
Les deux hommes s'attablèrent face à face. Cam Mitchell lorgna sur le plateau du général qui avait déniché une crème au chocolat dieu sait où. Celui-ci fit semblant de l'ignorer.
— Pff, soupira O'Neill. J'ai l'impression de parler à un mur, avec ces pirates...
— Vous avez essayé d'engager la conversation avec Morgane ? rétorqua Cam.
— « Conversation », ça implique d'être deux... Non, je vous la laisse. J'ai déjà suffisamment à faire avec les autres.
Tous deux échangèrent un sourire de connivence. Mitchell se força à ne pas saliver lorsque le général attaqua sa crème au chocolat.
— Le général Landry m'a appris que vous étiez tombés d'accord, reprit-il. Vous avez planifié quelque chose en commun ?
— En commun, c'est beaucoup dire, grogna O'Neill. Ils sont d'accord pour reconnaître que la présence dans cette galaxie d'un vaisseau du futur et de son propriétaire contribue à perturber le trou de P4X-48C, mais ils se repassent la balle dès qu'il s'agit d'aller les récupérer.
O'Neill finit de nettoyer son pot de crème et pointa sa cuillère en direction de Mitchell.
— Harlock n'ira pas, même si je ne désespère pas de le faire changer d'avis. Mais a priori, Morgane serait disposée à vous accompagner.
— Nous accompagner ?
— Yep. Vous allez être briefés sous peu... Une confrontation frontale avec le Queen semble exclue, expliqua le général. Par conséquent, vous irez directement par la porte des étoiles tenter une exfiltration.
— Euh... Vous me demandez d'exfiltrer un vaisseau surarmé avec une équipe SG, mon général ? Comment suis-je censé faire s'il n'est pas consentant ?
O'Neill haussa les épaules et eut une mimique qui devait vouloir dire « vous trouverez bien quelque chose ». Cam réfléchit à la mission. Bah, après tout, SG-1 en avait vu d'autres... Cet objectif-ci ne semblait pas beaucoup plus impossible que la quête du Graal de Daniel, pour ne prendre que cet exemple.
— Si vous m'envoyez prendre le contrôle d'un vaisseau avec un effectif réduit, monsieur, je ne suis pas sûr que la présence d'une mutante arrogante qui ne parle pas un mot d'anglais soit un atout.
— Elle connaît la technologie, répondit O'Neill. Vous en aurez peut-être besoin pour mettre cet engin en marche...
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Base de Cheyenne Mountain.
Sam Carter avait quitté ses algorithmes et l'équipe scientifique pour assister au départ de SG-1 depuis la salle de contrôle. Mitchell l'avait aperçue par les baies vitrées et n'avait pu se retenir de monter la rejoindre.
— Vous êtes sûre de ne pas vouloir nous accompagner, Sam ? demanda-t-il innocemment.
— Certaine, sourit la scientifique.
Le colonel grogna sans insister. Il faut dire qu'il avait déjà essayé de la convaincre au moins une douzaine de fois depuis qu'il avait pris connaissance de sa nouvelle mission. Un froncement de sourcils éloquent du général Landry l'empêcha de se lancer dans une nouvelle tirade.
— Séquence d'activation de la porte des étoiles enclenchée, annonça Walter. Chevron un verrouillé.
Mitchell tourna les talons pour regagner la salle d'embarquement.
— Bonne chance, lui glissa Sam au passage.
— Yep, je crois que je vais en avoir besoin...
Sam se rapprocha des baies d'observation. Le reste de l'équipe SG-1 était rassemblé en bas ; Teal'c attendait impassible que le vortex s'active et Vala chuchotait à l'oreille de Daniel, lequel était – très certainement – en train de répondre « ne dis pas de bêtises ». Le colonel Mitchell avait retrouvé ses troupes et leur donnait ses dernières consignes, tout en jetant des regards réprobateurs vers un point situé immédiatement sous la salle de contrôle. Sam se pencha vers les vitres pour améliorer son champ de vision et réussit à distinguer la chevelure rouge de la pirate : apparemment, Morgane ne s'était pas désistée du voyage, ce qui devait expliquer l'humeur de chien du colonel.
— Chevron sept, enclenché !
La salle de contrôle se nimba de l'habituelle lueur bleutée lorsque le vortex se forma. Walter se connecta aussitôt au MALP qui avait franchi la porte lors de la précédente ouverture.
— Aucune activité détectée à proximité de la porte des étoiles, déclara-t-il.
— C'est parfait, répondit le général Landry... SG-1, vous pouvez y aller, ajouta-t-il par le biais de la diffusion générale.
De sa position, Mitchell répondit par un signe de tête crispé, puis le groupe traversa l'anneau et disparut.
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Cinq étages plus haut, O'Neill se débattait entre trois pirates, une meute de scientifiques et Richard Woolsey. Il avait commis l'erreur de demander au Pentagone une ligne de crédit supplémentaire, et surtout de préciser ce à quoi elle allait servir... Les bureaucrates n'avaient pas apprécié.
— Expliquez-moi, martelait Woolsey, pour quelle raison le SG-C souhaite se doter d'un arsenal nucléaire aussi... astronomique ? Pensez-vous que nos bombes seront efficaces contre les... comment les nommez-vous, déjà ?... les Oris ?
— Nous n'avons pas l'intention de les utiliser contre les Oris, répéta O'Neill une nouvelle fois tout en s'efforçant de rester calme.
— Vous avez mentionné le terme « sauver l'univers », mais je pense qu'il s'agit de la même chose, non ?
Un des pirates soupira, suffisamment fort pour que tous les protagonistes l'entendent – y compris Woolsey ; monsieur « j'ai une tête de percepteur des impôts et je ne sais pas encore ce que je vais vous faire payer mais je vais bien trouver » blêmit et se plongea dans ses papiers pour se donner une contenance.
— Nous n'avons pas de temps à perdre pour ces tractations inutiles, fit le pirate. Nous pouvons trouver d'autres sources d'énergie pour refermer la faille du « point zéro ».
Il adressa un sourire dédaigneux à ses congénères.
— De toute façon je vois mal quelle aide attendre d'un peuple aussi arriéré...
— Une petite minute ! intervint O'Neill.
Le général toisa froidement les pirates. Chacun des trois vaisseaux avait consenti à envoyer un représentant à cette réunion ; O'Neill s'était retenu pour ne prononcer aucun commentaire acerbe sur le grade desdits représentants. Harlock considérait peut-être le SG-C comme accessoire, mais il n'avait pas l'intention de se laisser marcher sur les pieds.
— Transmettez à vos états-major respectifs que la Terre refuse d'être écartée de cette opération, siffla-t-il du ton le plus menaçant qu'il put trouver (même si cela ne suffit qu'à arracher un rictus sarcastique aux hors-la-loi). Pour autant que je sache, votre univers est davantage menacé que le nôtre. Nous avons les moyens de vous fournir rapidement l'énergie que vous demandez pour fixer ce problème.
O'Neill foudroya Woolsey du regard, qui se tint coi, heureusement pour lui.
— Je conçois que l'énergie atomique n'est pas très évoluée, mais notre arsenal a au moins le mérite d'exister.
Il haussa un sourcil interrogatif.
— J'ai cru comprendre que le temps vous manquait... termina-t-il avec un demi-sourire victorieux.
Le pirate qui avait parlé renifla de dépit.
— Les minutes que nous perdons dans cette réunion stérile pourraient être utilisées plus efficacement. Ailleurs.
— Tout sera disponible dans quarante-huit heures, trancha O'Neill. Maintenant, si vous pensez faire mieux...
L'homme haussa les épaules.
— Je vais faire mon rapport, lâcha-t-il à contrecœur.
— Je vous en prie.
Le pirate lui lança un regard mauvais avant de tourner les talons avec ses acolytes. Woolsey parut reprendre des couleurs.
— Vous vous engagez bien à la légère, général, dit-il. Je n'ai encore rien signé...
O'Neill saisit le bureaucrate par le col.
— Livraison dans quarante-huit heures, monsieur Woolsey. Je pense que j'ai été clair.
— Mais... Je...
— Ils ont besoin d'une source d'énergie à retardement pour détruire l'anomalie spatio-temporelle que nous avons évoquée, martela le général. Donc, une bombe. Ils ne sont pas capables d'en faire surgir du néant et ils n'ont pas le temps d'en construire une des leurs...
Jack O'Neill découvrit les dents en une belle imitation du requin qui vient de choisir son futur déjeuner.
— Où pensez-vous qu'ils vont se servir si on ne leur donne pas, monsieur Woolsey ?
—————
Quelque part au-dessus du continent américain...
Harlock avait fini par convaincre le SG-C que l'Arcadia serait plus discrète en orbite que posée dans le désert. Ce qui était faux, évidemment, et d'ailleurs O'Neill n'en avait pas cru un mot, mais au moins le général avait-il admis que le vaisseau vert serait en meilleure position pour intercepter les Oris si jamais ils décidaient de revenir dans le coin. Harlock n'avait pas contesté ce point et s'était empressé de décoller. L'Arcadia s'était placée en orbite géostationnaire à la verticale de Cheyenne Mountain, tous dispositifs de brouillage activés. Aucun des nombreux satellites qui avaient croisé leur route n'avait semblé perturbé par la présence du vaisseau pirate.
Le capitaine profitait de la vue sur la Terre depuis ses quartiers. Pour une fois qu'il ne s'agissait pas d'une retransmission vidéo projetée sur un des écrans de contrôle...
Sa porte s'ouvrit et se referma dans un chuintement étouffé. Harlock ne se retourna pas. De tous ses membres d'équipage, seule Mimee osait entrer chez lui sans s'annoncer – enfin... sans s'annoncer verbalement, pour être exact ; la jeune femme savait parfaitement l'avertir de sa présence, généralement avant même qu'elle ne franchisse le seuil. Cette fois-ci, il l'avait sentie arriver alors qu'elle était encore dans la coursive. Avec le temps, il avait l'impression de devenir plus sensible à sa présence.
Elle le sondait.
— Arrête, fit-il. Tu sais que je n'aime pas ça.
Il entendit la question de la jeune femme aussi nettement que si elle l'avait prononcée à haute voix, et pourtant il était certain qu'elle n'avait encore rien dit.
— Je ne suis pas sûr que Morgane ait pardonné à Emeraldas son dernier affront, répondit-il.
Un point d'interrogation muet...
— Elle l'aurait tuée sur Heavy Melder si je lui en avais laissé l'occasion, continua Harlock. Je ne peux pas lui en vouloir, il y avait là-bas la plus importante colonie néo-humaine du secteur et j'ignore toujours comment j'aurais réagi si j'avais été à la place d'Emeraldas.
Une troisième question informulée, mais Harlock en avait assez.
— ... et tu sais que je déteste parler tout seul, ajouta-t-il.
Il réussit à ne presque pas tressaillir lorsque Mimee posa la main sur son épaule – il s'était trop préoccupé de sa télépathie et n'avait du coup pas entendu la jeune femme approcher.
— Qu'est-ce que tu comptes faire ? lui souffla-t-elle à l'oreille.
Il croisa son regard, se demanda s'il devait lui mentir et déduisit du plissement de ses yeux que de toute façon elle connaissait déjà la réponse. Il détestait les télépathes. Et il lui semblait que Mimee avait de plus en plus de facilités à lire ses pensées. C'était de sa faute aussi, il n'aurait jamais dû laisser leurs esprits se rapprocher ainsi quand...
— Harlock ?
— Tu me fais perdre le fil, protesta-t-il.
Elle sourit. Elle était parfaitement consciente de l'effet qu'elle produisait sur lui. Il se détourna de la baie d'observation et repoussa la jeune femme d'un haussement d'épaules agacé.
— J'ai envoyé un message à Emeraldas, finit-il par lui répondre. Il est parti au moment où l'équipe de Mitchell a franchi le vortex... et il a suivi le même chemin, d'ailleurs.
— Et tu te demandes si tu as eu raison ?
— Non. Je me demande si Emeraldas le recevra à temps. Morgane ne fera pas de sommations ; elle tirera parti du plus gros avantage qu'elle possède – à savoir qu'Emeraldas ne s'imaginera jamais qu'elle ait pu, elle aussi, faire le voyage dans le temps.
Mimee croisa les mains nerveusement – un tic récurrent lorsqu'elle était soucieuse.
— Est-ce que c'était la meilleure solution ? Shark et le général O'Neill affirment qu'il y a des Jaffas sur le Queen. Peut-être y a-t-il aussi un Goa'uld. Peut-être SG-1 est-il en train de se jeter dans un piège. Peut-être Emeraldas est-elle en danger...
— Oui, peut-être, coupa-t-il sèchement. Que voulais-tu que je fasse ? Que j'y aille, moi aussi ?
— Il fut un temps où tu ne te serais même pas posé la question.
— Tout change...
Harlock soupira. Mimee avait raison ; à une époque, l'Arcadia aurait déjà été en route pour rejoindre le Queen. À présent, il pouvait bien arguer du principe de précaution, il savait très bien que ce n'était pas la perspective de recroiser un Goa'uld qui le retenait. Et d'ailleurs la jeune femme aux cheveux bleus connaissait le nœud du problème.
— Pourquoi est-ce que tu refuses de la voir ?
Elle haussa les épaules devant l'absence de réponse du capitaine.
— C'est à cause de Tochiro, je sais... Cela va faire deux ans, tu ne crois pas que tu peux tourner la page ?
Harlock lui lança un regard froid. Tourner la page ! Et elle s'imaginait sans doute que c'était facile, en plus. Il ne s'était plus trouvé face à face avec Emeraldas depuis la mort de Tochiro ; les seuls contacts qu'il avait eus avec elle depuis s'étaient résumés à de brefs échanges radio entre l'Arcadia et le Queen – des messages enregistrés, le plus souvent sans vidéo. La pirate rousse avait coupé les ponts avec tout ce qui lui rappelait le petit ingénieur, et elle s'était arrangé pour bien lui faire comprendre contre qui elle dirigeait son ressentiment.
Harlock secoua la tête. Il n'avait pas envie de rouvrir d'anciennes plaies. Il n'avait pas envie de justifier sa part de responsabilité, ni d'évoquer la pensionnaire d'un certain orphelinat, sur Terre. Et surtout, il n'avait pas envie de s'étendre sur les nouvelles caractéristiques de l'ordinateur principal de l'Arcadia.
Tochiro...
Il fixa Mimee sans ciller, lui opposa une barrière mentale rudimentaire lorsqu'elle tenta une nouvelle fois de le sonder – il était hermétique à la télépathie mais elle avait au moins réussi à lui apprendre ça – et l'écarta fermement.
— Je suis dans la salle de l'ordinateur, déclara-t-il. Je ne veux pas être dérangé.
— Tu vas parler au vaisseau ?
— Mmm.
Il s'engouffra dans la coursive sans qu'elle ne réponde. Elle désapprouvait sa manie d'aller chercher des réponses dans la salle de l'ordinateur principal – après tout on pouvait consulter l'IA de n'importe quel terminal informatique – mais elle n'avait pas encore osé entamer de débat sur ce qu'il trouvait réellement là-bas.
Bien sûr, l'ordinateur ne parlait pas. Enfin, pas vraiment. Il se contentait de... clignoter, de façon très expressive, d'ailleurs. Mais les diodes, ronronnements, cliquetis et trilles de bips n'avaient jamais gêné Harlock, ni ne l'avaient empêché de poursuivre sa discussion aussi normalement que si Tochiro s'était trouvé en chair et en os devant lui.
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Allongé dans des fougères qui le dissimulaient aux regards, Cam Mitchell balayait aux jumelles le chemin en contrebas.
— Ils n'ont pas l'air d'avoir trouvé le MALP, annonça-t-il en revenant sous l'abri des arbres où l'attendait le reste de l'équipe. Ils se sont postés à une centaine de mètres de la porte, de part et d'autre du chemin.
— Combien de soldats ? demanda Vala.
— J'ai compté huit Jaffas. Et d'après leur tatouage frontal, ils font partie de l'armée de Ba'al.
— Ça ne veut plus dire grand-chose, de nos jours. Avec la rébellion et le reste, les différentes factions se sont complètement mélangées.
— N'empêche... intervint Daniel. Ba'al, c'est pas bon signe...
Teal'c acquiesça silencieusement.
— De toute façon, nous ne sommes pas là pour nous occuper de Goa'uld, répondit Cam. Nous sommes venus chercher un vaisseau pirate et sa propriétaire... Des idées ? demanda-t-il à la dernière membre du groupe.
L'alien aux cheveux rouges se tenait un peu en retrait, adossée à un arbre. Elle faisait tourner une sorte de stylet distraitement entre ses doigts. Mitchell ne s'attendait pas à ce qu'elle réponde, mais il s'avéra que Morgane parlait beaucoup mieux l'anglais que ce qu'il avait imaginé. Et sans accent, en plus.
— D'après mon scanner, il y a une masse métallique importante dans cette direction, fit-elle en désignant grosso modo le prolongement du chemin qui partait de la porte des étoiles. Beaucoup d'alliages basiques sans intérêt, mais également une quantité significative de métal très dense utilisé pour les blindages.
— Un vaisseau, donc.
Morgane plaça son stylet à l'horizontale, lequel déroula un écran holographique qu'elle consulta attentivement.
— Plusieurs, je dirais. Cependant, celui qui nous intéresse est le seul à être réellement dangereux, à mon avis.
— Pour vous, peut-être, rétorqua Mitchell.
Il ignora le rictus sarcastique de Morgane et commença à progresser entre les arbres, parallèlement au chemin.
— Bon, on ne va pas y passer la nuit, grogna-t-il. Allons-y !
—————
Sur un plan astral différent, Adria étudiait le vaisseau en orbite autour de la Terre avec intérêt. Pas trop près, cependant, car elle avait senti à l'intérieur un psychisme qu'elle n'était pas parvenue à identifier, et elle ne voulait pas se faire repérer – du moins, pas tout de suite. Le vaisseau vert était isolé, mais Adria ne tenait pas à risquer d'autres de ses appareils. Elle avait donné les instructions nécessaires pour la poursuite de la croisade, et ce, dans un secteur suffisamment éloigné de la Terre pour qu'ils ne se retrouvent pas engagés dans un combat contre les nouveaux alliés du SG-C.
Elle fit glisser son enveloppe astrale et effectua un large tour : le vaisseau était bardé de canons qui lui semblaient archaïques, tandis que la poupe s'ornait de décorations superflues. Un symbole à tête de mort était représenté partout sur la coque – probablement l'emblème du vaisseau. Adria fouilla sa mémoire ; les Oris n'utilisaient pas cette symbolique, mais la signification était évidente : une représentation de la mort, tant pour impressionner l'adversaire que pour signifier qu'on ne la craignait pas. Elle se rapprocha prudemment. Elle se sentait curieusement attirée par le vaisseau. Elle sentait une présence indistincte, d'une nature qu'elle ne comprenait pas. Quelque chose de puissant...
« Qui êtes-vous ? »
Adria tressaillit. Une deuxième présence était désormais perceptible, plus conventionnelle, celle-là. Elle n'était pas seule à maîtriser la navigation astrale dans le coin. Et il ne pouvait s'agir des humains, leur cerveau n'était pas conçu pour changer de plan.
« Qui êtes-vous ? »
Adria tenta d'isoler l'esprit qui l'interrogeait, mais celui-ci restait hors de sa portée... à l'intérieur du périmètre dans lequel se trouvait le corps psychique qu'elle n'avait pas identifié – sur le vaisseau.
Le vaisseau...
Elle battit en retraite. L'autre ne la suivit pas ; sa portée semblait bien moindre que la sienne. Adria réintégra son corps dans les quartiers qui lui avaient été réservés sur le navire amiral de sa flotte et quitta sa méditation en souriant. Ce vaisseau était décidément très intéressant.
—————
— Il y a eu deux ouvertures de vortex, mon seigneur, mais la patrouille n'a trouvé personne.
— S'il s'agit des Tauris, le Chaapa'aï va se réactiver à vide. C'est de cette manière qu'ils gardent contact avec leur base.
Ba'al congédia son primat, lui laissant le soin d'organiser les patrouilles. Il n'avait eu aucune confirmation de l'identité de ceux qui avaient franchi la porte des étoiles ; seule son intuition lui soufflait avec insistance que les Tauris venaient de débarquer. Deux ouvertures successives, ce ne pouvait être qu'eux ! Ils envoyaient toujours un engin automatique avant de faire partir une de leurs équipes...
Il fit les cent pas, agacé. Pourquoi maintenant ? Ne pouvaient-ils pas le laisser tranquille ? D'après ses sources, cette planète avait déjà été visitée par une équipe SG – SG-9, s'il se souvenait bien. Ce n'était donc pas une mission d'exploration de routine. Restaient une tentative d'espionnage de ses activités, ou un sauvetage.
Mmh. Il avait été discret, mais il avait également détruit un certain nombre de foyers de rébellion dans le secteur ; les rebelles jaffas savaient donc où le trouver, et le SG-C pouvait très bien avoir envoyé une équipe malgré ses problèmes actuels avec les Oris. Quant au sauvetage... Il s'était avéré, après deux séances de torture particulièrement profitables, que le prétendu « espion tauri » n'en était pas un, en fin de compte – c'était seulement un mercenaire d'une planète d'ancienne dominance tollan, qui vendait parfois ses informations à la Terre (et ce, bien que le SG-C ait rapidement gagné une réputation de très mauvais payeur à travers toute la galaxie). Il ne savait rien d'intéressant sur les Oris. Par conséquent, il semblait peu probable qu'une équipe SG soit venu le récupérer. Et, évidemment, il restait une troisième option. Désagréable.
Ba'al regarda pensivement le lent balancement du vaisseau d'Emeraldas. Les Tauris ne connaissaient pas le Queen, mais Emeraldas avait déjà traité avec le SG-C... Ils pouvaient avoir fait le rapprochement.
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Mitchell avait compté trois ha'taks, quatre vaisseaux cargos et une dizaine d'appareils plus petits de provenances diverses.
— Il y a toute une flotte rassemblée là ! fit-il en revenant au point de rendez-vous qu'il avait fixé avec les autres. Et la plupart des Jaffas portent les signes de Ba'al... Je crois bien qu'on est tombés sur son QG.
— Le vaisseau d'Emeraldas est derrière ces collines, renchérit Daniel. Je n'ai vu aucun Jaffa alentours.
Il était parti reconnaître le terrain un peu plus loin accompagné de Vala. Teal'c, lui, avait poursuivi le long du chemin.
— La route mène jusqu'à un village, déclara celui-ci. Le palais qui était mentionné dans le rapport de SG-9 est en cours de rénovation.
— Mouais... Ba'al essaie de se réimplanter à l'écart de l'ancien domaine d'influence goa'uld... et à l'écart des Oris et nous par la même occasion.
Cam croisa les bras et jeta un coup d'œil à la ronde, pris d'un pressentiment soudain.
— Au fait, quelqu'un a vu Morgane ? reprit-il.
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Dans les tréfonds de l'ordinateur principal de l'Arcadia, des relais se connectèrent et envoyèrent des impulsions électriques à travers tout le réseau informatique du vaisseau. Dociles, les moteurs obéirent aux ordres reçus et augmentèrent progressivement leur puissance. Le pilote automatique programma la destination et entra les paramètres du saut warp dans le calculateur.
L'Arcadia se prépara à quitter l'orbite terrestre.
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Harlock avait posé son spacewolf devant Cheyenne Mountain, à un endroit où les arbres étaient un peu plus clairsemés. Il avait laissé le bouclier de camouflage en fonction – il ignorait si les randonneurs fréquentaient ce coin, et il se doutait que le SG-C dépensait probablement déjà assez d'énergie pour expliquer tous les phénomènes bizarres qui devaient arriver dans les parages.
Les soldats de quart à l'entrée n'avaient pas fait de difficultés pour le laisser passer, néanmoins il avait été escorté de près jusqu'au général O'Neill.
— Tiens, vous nous faites l'honneur de votre présence, capitaine ? remarqua le général à son arrivée.
— J'ai appris que vous aviez donné votre feu vert, pour l'armement nucléaire, rétorqua Harlock. Je suis venu estimer la quantité à transporter... pour savoir si une navette suffit ou s'il faut que je fasse redescendre l'Arcadia.
— Pour la quantité, j'attends que les scientifiques aient fini leurs calculs. Pour le transport... a priori c'est votre ami Shark qui va s'en occuper. Il affirme que son vaisseau ne fait pas le poids en cas d'attaque ori, et il préfère être défendu par des appareils dont les soutes ne sont pas surchargées de bombes atomiques.
— Mmm. C'est logique.
— Nous sommes déjà en train de charger le Phénix avec les têtes nucléaires stockées en zone 51, ajouta O'Neill.
— Phényx, corrigea Harlock machinalement. Avec un « y ».
Le général haussa un sourcil d'incompréhension.
— Ça se prononce pareil, non ?
— En effet. Mais ça s'écrit avec une faute d'orthographe. Ne me demandez pas pourquoi, O'Neill, je n'en ai pas la moindre idée ; le propriétaire original n'a jamais voulu me le dire. Apparemment, il s'agirait de la commémoration d'un de ses faits d'armes, aussi bizarre que cela puisse paraître.
— Une faute d'orthographe pour un acte héroïque ?
— Bah, oui, pourquoi pas ?
O'Neill fit une moue sceptique. Harlock ne pouvait pas le contredire, il avait lui-même toujours trouvé cette particularité orthographique plus qu'étrange – sans compter que son premier capitaine avait plusieurs fois laissé entendre que le « y » résumait bien le destin du vaisseau.
Enfin... Tout ça, c'était du passé.
— Quoi qu'il en soit, reprit Harlock, je vous apporte de quoi compenser l'utilisation de votre arsenal.
Le capitaine tendit un disque de données.
— Il y a là tout ce qu'il faut pour vous constituer un système de défense planétaire – bien sûr je ne garantis pas son efficacité contre une flotte entière, mais il pourra arrêter un vaisseau isolé.
— Hmm. Vous vous êtes décidé à coopérer avec les pauvres sous-développés que nous sommes, en fin de compte ?
— C'est ce que j'avais promis, marmonna Harlock.
O'Neill remercia d'un signe de tête.
— Oublions ça, fit-il. Tu es une fichue tête de mule, mon garçon, mais je suis certain que tu as bien différencié les gentils des méchants... Même si tu aimes jouer au pirate sans attaches, hein ?
— Mrf.
Un téléphone sonna.
— O'Neill.
Le général écarquilla les yeux et fixa Harlock.
— Vous êtes sûr ? J'ai son capitaine en face de moi !
— Que se passe-t-il ? demanda l'intéressé, alerté.
— Un saut hyperspatial à mi-chemin entre la Terre et la Lune, répondit O'Neill.
— Un visiteur ?
— Non, c'est plutôt ton vaisseau qui vient de se faire la malle, gamin...
— Quoi ? s'exclama Harlock, trop abasourdi pour relever le « gamin ». C'est impossible !
— Le Speranz a confirmé. Ils ne détectent plus rien en orbite.
— L'Arcadia était en mode furtif. Nous ne sommes pas censés être détectés.
— Yep, je sais.
O'Neill s'interrompit le temps que son interlocuteur téléphonique termine, le remercia et raccrocha.
— Ils ont dit qu'ils pistaient votre « signature ionique », expliqua le général.
— Oh.
Harlock sortit son communicateur de sa poche.
— Vous permettez ?...
— Faites.
L'Arcadia ne répondit pas à ses appels sur la fréquence principale, ni sur celle de secours. Harlock pinça les lèvres : le communicateur qu'il avait emporté était tout juste suffisant pour joindre un vaisseau en orbite ; l'Arcadia n'avait qu'à s'éloigner de quelques centaines de kilomètres pour être hors d'atteinte. Sans compter que la base souterraine de Cheyenne Mountain n'améliorait pas la portée de sa radio.
— Je vais les contacter avec la radio de mon jet, annonça-t-il à O'Neill.
— Pas de problème.
Le général congédia d'un geste le soldat qui attendait Harlock à la porte.
— Je vous accompagne, fit-il. Je suis curieux d'entendre l'explication de ce départ précipité.
— Oui, moi aussi, murmura Harlock.
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Des soldats en armure passèrent au pas cadencé sans remarquer la silhouette dissimulée parmi les taillis. Mitchell les avait appelés « Jaffas » ; Morgane avait trouvé leur équipement bien peu fonctionnel, mais à présent qu'elle les voyait se déplacer, elle se fit la réflexion que tout leur attirail devait être fait d'un alliage plus léger que ce qu'elle avait imaginé.
Elle attendit que la patrouille soit hors de vue pour reprendre sa progression. Son objectif était bien visible : le Queen était à l'ancrage, à l'écart comme elle s'y était attendu de la part d'Emeraldas. Elle s'approcha aussi près qu'elle put tout en restant sous le couvert des arbres et s'arrêta enfin à une dizaine de mètres de la chaîne qui remontait jusqu'au vaisseau en lévitation et le maintenait au sol.
Les abords étaient déserts. Évidemment. Le Queen possédait de meilleurs dispositifs de surveillance qu'une patrouille de Jaffas ; tout ce qui entrait dans son périmètre de sécurité devait être scanné et analysé. Morgane vérifia le bon fonctionnement du brouilleur qu'elle portait à la ceinture : avec ce gadget, elle ne laissait sur des écrans de contrôle qu'une légère signature thermique, trop insignifiante pour être traitée par un système de défense. Elle n'échapperait pas à l'œil des caméras si elle s'avançait à découvert, mais pour le moment elle était invisible.
Elle n'avait plus qu'à trouver un moyen de monter à bord.
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Jack O'Neill avait reconduit Harlock à la surface, et l'avait suivi à travers les bois qui jouxtaient Cheyenne Mountain. Les deux hommes avaient marché quelques minutes et se trouvaient à présent dans une clairière, vide au premier abord... du moins jusqu'à ce qu'Harlock désactive le camouflage de son appareil.
O'Neill admira l'engin en connaisseur tandis que le jeune homme s'installait souplement aux commandes : biplace, réacteurs spatiaux, un canon en chaque bout d'aile et des emplacements qui devaient être réservés pour accrocher des charges sous le jet. Il avait l'air rapide et maniable ; pas étonnant que Mitchell s'enthousiasmait lorsqu'il en parlait.
— Bon sang ! pesta Harlock depuis le cockpit. Je ne suis pas non plus en portée avec cette radio-ci !
O'Neill se hissa sur une aile pour se placer à hauteur du pirate.
— Ce qui veut dire que ton vaisseau est passé en navigation hyperspatiale, mon garçon... comme je te l'ai annoncé.
Harlock lui lança un regard noir.
— J'ai l'impression qu'ils t'ont abandonné, continua Jack. Ça t'arrive souvent ?
— Non, rétorqua le jeune homme sèchement. C'est pas normal.
— Hmm. Peut-être qu'ils en ont eu assez de supporter ton caractère, alors...
L'expression d'Harlock donnait à penser qu'il avait envie de mordre. O'Neill ricana. Le pirate appréciait peu les critiques et avait une nette tendance à perdre son self-control lorsque l'on pointait du doigt ses défauts. Cependant, Jack n'avait pas l'intention de le mettre réellement en colère.
— Tu as un autre moyen pour les contacter ? reprit-il.
— J'ai envoyé un message enregistré, répondit Harlock. Il faut attendre qu'il faut fasse l'aller-retour.
— Combien de temps ?
— Ben, ça dépend à quelle vitesse ils sont partis... Une dizaine de minutes, au minimum, je dirais...
— Mmm... Et tu es obligé de rester ici, je suppose ?
Harlock eut un demi sourire.
— Personnellement, je n'ai rien d'autre à faire, général. Je ne vous force pas à me tenir compagnie.
— Mouais. Je vais attendre. Je n'ai pas envie que tu disparaisses comme ton vaisseau.
— Pour les suivre il faudrait déjà que je sache vers où ils se dirigent, grommela le jeune homme.
O'Neill croisa les bras d'un air suffisant.
— C'est évident, gamin. Je m'étonne même que tu n'en aies aucune idée.
— M'appelez pas « gamin », protesta Harlock, plus pour la forme que pour autre chose, d'ailleurs.
O'Neill n'avait pas manqué de noter l'étincelle de curiosité que ses paroles avaient allumée dans le regard du pirate, mais il se contenta de tourner les talons et de revenir vers Cheyenne Mountain. Pour une fois qu'il avait un coup d'avance sur ce blanc-bec, il n'allait pas se priver de le faire mariner !
Il n'avait pas encore quitté la clairière dans laquelle Harlock avait posé son appareil que celui-ci l'avait rejoint, l'air furibond.
— S'il s'agit d'un bluff quelconque pour m'extorquer des informations, c'est inutile, siffla-t-il. Je ne sais pas où l'Arcadia est partie, ni pourquoi. Je n'avais pas laissé d'ordres en ce sens, ils peuvent très bien être n'importe où.
Jack sourit. Il n'était pas sûr à cent pour cent de ce qu'il allait avancer, mais cela lui paraissait logique.
— C'est évident, répéta-t-il. Après tout, vous n'êtes pas d'ici ; il n'y a aucune raison pour que ton équipage décide subitement de partir faire du tourisme au hasard dans la galaxie.
Le pirate ouvrit la bouche pour répondre, mais O'Neill l'interrompit d'un geste.
— Je ne vois que trois endroits que l'Arcadia est susceptible de fréquenter, poursuivit-il en pointant les options sur ses doigts. La Terre, mais nous savons tous les deux que ce n'est plus le cas à l'heure actuelle. P4X-48C, pour retrouver l'anomalie spatio-temporelle et rentrer dans votre univers. Ou alors... – O'Neill haussa les épaules comme si cette solution n'avait que peu d'importance, ce qui était loin d'être le cas, à son avis – il reste cette planète sur laquelle nous avons repéré le vaisseau d'Emeraldas...
Harlock le fixa quelques secondes avant de réagir. Puis il jura.
— Tochiro, merde ! Pourquoi je n'y ai pas pensé avant ?
— Oui, c'est ce que je me demande, répondit Jack.
Il hésita.
— Euh... Tochiro, c'est bien votre ami à lunettes ? Le rapport du colonel Mitchell mentionne qu'il est mort, non ?
— En quelque sorte.
— Qu'est-ce qu'il vient faire dans cette histoire ? interrogea O'Neill, qui tiqua tout de même sur le « en quelque sorte » (ce type était mort, oui ou non ?).
— Je vous expliquerai, éluda Harlock.
Soudain pressé, le jeune homme entraîna Jack vers la base.
— 'faut que je contacte ceux du Speranz, ajouta-t-il. Si l'Arcadia tombe sur le Queen, on court vers les ennuis...
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L'Arcadia était passée en dimension warp sans qu'aucun des membres d'équipage présents en passerelle ne comprenne comment une telle manœuvre avait pu se produire. Le vaisseau vert filait vers sa destination, mais le pilote automatique n'avait pas jugé bon de préciser quelle était cette destination...
Kei était penchée au-dessus de l'épaule du second ; Yattaran tentait de reprendre la main sur le pilote automatique depuis la console de navigation.
— L'ordinateur principal est totalement hors de contrôle ! s'exclama-t-il. Nous naviguons en automatique, et toutes les commandes sont verrouillées !
— Tu ne peux rien faire ? demanda Kei. Si on shunte le pilote automatique, l'Arcadia devrait au moins repasser en espace normal !
— Sauf que ce n'est pas le pilote automatique qui est bloqué, rétorqua Yattaran. Les ordres viennent directement de l'ordinateur central... Si je veux shunter quelque chose qui soit suivi d'effet, il faut le faire à partir de la salle de l'ordinateur.
— Eh bien ? Qu'est-ce que tu attends ?
Yattaran fronça les sourcils d'un air incrédule.
— Tu me demandes de me rendre dans la salle de l'ordinateur principal pour le couper ? Tu te souviens de ce qui s'est passé quand j'ai essayé de changer une carte mémoire, là-bas ?
Kei fit la moue. Et comment, qu'elle se souvenait. Les murs portaient encore des traces d'incendie. Le capitaine avait conclu à un court-circuit accidentel, mais Kei n'avait pu s'ôter l'idée que l'IA de l'ordinateur avait voulu se débarrasser de l'intrus qui bidouillait ses processeurs. Et d'ailleurs, elle était persuadée qu'Harlock n'avait pas cru un seul instant à la thèse de l'accident.
— Hors de question que je mette ne serait-ce qu'un orteil dans cette pièce, grogna Yattaran.
— Qu'est-ce que tu proposes, alors ? soupira Kei.
— Attendre qu'on stoppe. Envoyer la position au capitaine. Son spacewolf a suffisamment d'endurance, ou sinon il pourra se servir du Speranz.
— Mmm. Ce qui est bizarre, c'est que le vaisseau soit parti sans le capitaine. Ce n'est pas la première fois que l'ordinateur principal reprend la main tout seul, mais jusqu'à présent c'était toujours afin de rejoindre le capitaine, pas pour le larguer sur une planète.
Yattaran se renversa sur son fauteuil et croisa nonchalamment les mains derrière la tête.
— J'ai bien une hypothèse... fit-il.
— On t'écoute.
L'informaticien sourit malicieusement.
— Je crains que nous ne nous trouvions dans une situation sur laquelle Harlock et Tochiro étaient en désaccord, déclara-t-il. L'ordinateur n'a pas eu le dernier mot, et il a coupé court à la confrontation en laissant le capitaine sur place.
— C'est pas du tout son genre !
— Ouaip. À quelques rares exceptions près. Tu te rappelles en quelles occasions Tochiro agissait de la sorte ?
Yattaran lui lança un regard entendu. Kei n'avait plus besoin d'éclaircissements supplémentaires.
— Emeraldas...
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Cam Mitchell râlait. Ces derniers temps, non, seulement il était obligé de faire équipe avec des pirates plus ou moins coopérants, mais en plus il n'était même pas certain du but de sa mission actuelle. Devait-il sauver Emeraldas des griffes de Ba'al ou au contraire s'assurer que le Goa'uld ne puisse former d'alliance ? Daniel s'était montré plus qu'évasif lorsqu'il lui avait posé la question. Quant à Teal'c...
— Emeraldas a fait preuve d'imprudence en négociant avec Ba'al sur P4X-48C, répondit celui-ci à Mitchell. Néanmoins, ses actions ne sont jamais allées à l'encontre des intérêts du SG-C.
Mouais... En clair, il n'en savait rien.
Cam écarta avec humeur une branche de résineux qui avait eu la malheureuse idée de se trouver sur son passage.
— Et toujours aucune trace de Morgane, grogna-t-il. Elle a intérêt à ne pas s'être fait prendre par une patrouille !
Les bois avaient l'air calmes, mais vu la concentration de vaisseaux de l'autre côté de la colline, mieux valait être prudent.
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Le prieur s'était incliné avec déférence avant d'annoncer l'objet de sa visite.
— Le vaisseau que vous nous aviez demandé de surveiller vient de quitter la Terre, Orici. Dois-je envoyer notre flotte là-bas pour mater définitivement les humains ?
— Non.
Le prieur ne broncha pas, mais un léger crispement de ses doigts sur son bâton trahit sa désapprobation. Adria le considéra avec dédain.
— D'autres vaisseaux sont passés par l'anomalie énergétique et sont aussi dangereux que celui qui m'intéresse, rappela-t-elle froidement. Moi seule décide du moment opportun pour frapper la Terre.
Elle congédia le prieur avant qu'il n'ait le temps de développer un contre-argumentaire et se plongea dans la contemplation de la flamme rituelle qui brûlait en continu dans ses quartiers. Ainsi donc, ce vaisseau si fascinant était parti... Il était effectivement dangereux, mais s'il s'isolait de ses alliés, alors il pourrait être plus vulnérable...
Adria s'agenouilla face à la flamme et se prépara à une navigation astrale. Son esprit flotta bientôt librement et elle s'éloigna sans tarder des appareils de sa flotte et des prieurs, dont le psychisme était trop agressif pour qu'elle puisse effectuer une recherche en toute quiétude.
Tous les sens en éveil, elle se focalisa sur la présence qu'elle avait détectée auparavant. Elle repéra un lien ténu à proximité de la Terre et se concentra pour remonter sa trace. Elle progressa d'abord avec prudence afin de ne pas perdre le fil psychique, puis accéléra au fur et à mesure qu'elle sentait le vaisseau se rapprocher. Elle stabilisa enfin son esprit à bonne distance de manière à ce que l'autre, à bord, ne la repère pas et prit le temps d'étudier en détail la configuration du vaisseau vert. Elle devait identifier et localiser ceux qui avaient surmonté l'aveuglement des humains et étaient capables de projeter leur esprit. Elle devait les neutraliser rapidement ; les membres d'équipage restants ne lui poseraient aucun problème.
Le vaisseau naviguait en hyperespace. Elle le suivit à la même vitesse tout en analysant les formes de vie à son bord. Elle retrouva bientôt les deux présences qui l'avaient perturbée : la plus faible était liée à une forme de vie – Adria ne douta pas un seul instant sortir victorieuse d'un duel contre cet esprit ; elle-même, grâce à la force que lui insufflait les Oris, était bien plus puissante... La deuxième présence était plus confuse, comme floue et s'étalait tel un nuage de brume tout autour du vaisseau. Adria dut faire appel à toute sa concentration pour en déterminer la source : celle-ci se situait un peu en arrière de ce qui devait être le bloc de commandement, dans une grande pièce blindée. L'Orici rassembla son énergie : c'était à cet endroit qu'elle devait frapper.
Elle se matérialisa brusquement dans une salle contenant un immense ordinateur – la salle était vide, mais Adria ne s'attarda pas sur cette bizarrerie : la présence était bien réelle, elle, et n'appréciait pas sa visite. La jeune femme brune ne perdit pas une seconde : elle étendit son esprit et tissa un piège tout autour des murs de la pièce. Elle sentit l'autre se battre contre cette prison psychique, mais il ne put la briser. Adria sourit. À présent, elle avait le champ libre.
Curieusement, l'ordinateur s'éteignit.
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L'Arcadia stoppa. Le vaisseau pirate revint en espace normal et continua sur sa lancée par inertie, puis il finit par s'arrêter tout à fait.
Au beau milieu de nulle part.
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