2 - Chapitre 6

L'hélicoptère de ravitaillement avait été retardé par la tempête qui faisait rage depuis presque six heures. Les météorologistes de la base s'accordaient pour annoncer que cela ne durerait pas, et la neige n'aurait aucun impact opérationnel, mais cela suffisait à faire râler le général O'Neill.

— Bon sang, je leur avais demandé de me ramener du café ! Hank, comment veux-tu que je sois dans de bonnes conditions pour repousser les Oris si je dois boire ce qui sort de vos distributeurs ?

Le général Landry se contenta d'un grognement inintelligible qui, il l'espérait, devrait suffire. Il savait que Jack ne se plaignait que pour la forme : ce qui importait, c'était le moment où il allait passer à l'action et qui, semblait-il, tardait un peu. En attendant, Jack usait sans vergogne de son grade et de sa notoriété pour terroriser le personnel de la base.

— Eh, jeune homme ! Apporte-moi un café, pas de la lavasse !
— Oui, monsieur !

Landry sourit lorsque le soldat partit au pas de course.

— Tu exagères, Jack...
— Allons donc. Avant ce soir, il aura raconté à tout le monde qu'il a eu la chance de me parler.

Le sourire de Landry s'élargit. Le pire, c'était qu'O'Neill avait raison. Hormis quelques officiers détachés de Cheyenne Mountain, la plupart des soldats qui avaient été affectés à la base SG de l'Antarctique étaient de jeunes recrues ; les autres provenaient de bases « normales » de l'Air Force. Pour tous, le général O'Neill faisait partie de la légende du programme « Stargate ».

— Plus sérieusement, Jack, reprit Landry, d'après nos estimations, la flotte ori devrait entrer dans notre système solaire d'ici les douze prochaines heures.
— On n'a rien de plus précis ?
— Tout dépend du nombre de bonds hyperspatiaux qu'ils ont faits – enfin, c'est ce qu'affirme Lee. Selon lui, si Adria est pressée, elle pourrait arriver dès maintenant.
— Si vite ?
— Yep. Je viens d'appeler le président et nous sommes passés en alerte maximale. Sur toutes les bases. Pour l'instant, seules Cheyenne Mountain et la zone 51 savent qu'il ne s'agit pas d'un exercice, mais...

Landry ne termina pas sa phrase – c'était inutile. Jack et lui avaient épluché toutes les possibilités depuis qu'ils avaient appris la menace, mais les renforts faisaient cruellement défaut. Le général se demanda si les quelques chasseurs modifiés qu'ils possédaient pourraient faire illusion.

Hmm. La véritable question était combien de temps ils pourraient faire illusion, en fait.

Jack était encore en train de se plaindre – sa façon à lui d'évacuer le stress.

— Nom d'un chien, il fait glacial. Ils ne peuvent pas pousser le chauffage ?
— C'est une base polaire, Jack...

Landry entraîna son ami vers la salle de contrôle. Des moniteurs supplémentaires y avaient été installés et relayaient toutes les informations dont disposait le SG-C sur les Oris – autant dire pas grand-chose. Mais l'armée avait lancé récemment de nouveaux satellites d'observation expérimentaux (les prémisses d'un dispositif de surveillance s'étendant jusqu'à Jupiter) dont le système de transmission de données était dérivé d'une technologie goa'uld et permettait un traitement presque en temps réel.

« Au moins, nous serons avertis de leur arrivée », pensa Landry.

Cela leur donnerait un sursis de seulement quelques minutes, mais c'était toujours ça de pris...

                                                  —————

L'espace autour de P4X-48C était vide. Il n'y avait plus aucune trace des Oris lorsque l'Arcadia se matérialisa à proximité de la déchirure spatio-temporelle. Enfin presque.

— Les senseurs détectent de nombreuses traînées ioniques caractéristiques d'un passage en navigation warp, annonça Mimee. Elles sont encore parfaitement distinctes. Ce qui signifie qu'il y avait une flotte ici il y a moins de deux heures.
— Les Oris, fit Mitchell. Ils étaient déjà là quand nous avons ouvert la porte vers cette planète.
— Visiblement, ils n'y sont plus, rétorqua Harlock. Ça m'arrange, on va pouvoir vous déposer directement au SG-C ; je n'ai pas envie de perdre du temps ici.

Le capitaine adressa une question muette à son second, qui avait l'air complètement concentré sur son poste, pour une fois – autant en profiter.

— Il y a un couloir hyperspatial très net vers la Terre, répondit celui-ci. Les vestiges de notre précédent passage. En revanche, je ne comprends pas pourquoi le trou vers notre époque aboutit dans cette zone. Ç'aurait été plus logique que le continuum se déchire près de la Terre, à l'endroit où l'Arcadia a effectué ses sauts temporels de ce côté.

Yattaran jeta un coup d'œil à la ronde, mais personne ne semblait décidé à poursuivre sur le terrain de la théorie temporelle, aussi, sans se troubler, se contenta-t-il de répondre lui-même à sa propre interrogation.

— Le réseau des portes de étoiles doit interférer.
— Possible, lâcha Harlock pour couper court. Et ce « couloir » est utilisable ?
— Affirmatif, mon capitaine ! répondit Yattaran avec enthousiasme. Il est tellement bien structuré qu'on a même failli être happés dedans en arrivant !

Le petit bonhomme à lunettes pianota sur son clavier en marmonnant tout seul. Harlock attendit patiemment derrière sa barre qu'il ait terminé... Enfin, pour dire la vérité, il se mit à compter et se promit d'attendre d'arriver à cent avant d'interrompre son second et de passer en hyperespace en manuel.

Il était à soixante-dix-huit lorsque Yattaran releva la tête.

— L'Arcadia est parée pour un saut warp, captain.
— Parfait. Lancez la séquence !

                                                  —————

Une alarme se déclencha soudain, entraînant une réaction en chaîne sur tous les écrans de la salle de contrôle.

« Ça commence », se dit O'Neill. Il n'aurait pas à résoudre son dilemme actuel, à savoir réclamer un autre café et espérer que celui-là soit buvable, ou se voir contraint de commander autre chose comme du thé, ou une limonade.

— Le satellite S-3 reporte une activité spatiale dans sa zone ! annonça le... tiens, Walter avait fait le voyage depuis Cheyenne Mountain, lui aussi ?

O'Neill essaya de se rappeler le positionnement des différents satellites... C'était lui qui avait signé l'ordre de lancement, pourtant ! S-3, S-3... Ah, oui. Mars. La flotte ori venait de sortir d'hyperespace entre Mars et la Terre. Autant dire qu'elle était sur eux.

— Enclenchez le dispositif de défense des Anciens ! ordonna-t-il.

Il se dirigea vers le fauteuil de commande. Apparemment, tous ceux qui étaient capables de faire fonctionner ce fauteuil avaient été affectés au programme « Atlantis ». Il ne restait que lui ; il n'allait pas protester, il adorait ce rôle de « sauveur de la galaxie ». D'ailleurs, il n'avait même pas vérifié si quelqu'un d'autre pouvait se servir de l'artefact ancien – et en plus, ça justifiait sa présence ici.

Il allait s'asseoir lorsque Walter l'interrompit.

— Attendez, monsieur ! Le... le satellite lunaire ne détecte rien !
— Comment ça, « il ne détecte rien » ?
— Eh bien... Pas de vaisseaux, pas d'activité, rien, répondit le sergent. Et il n'y plus rien du côté de Mars non plus.
— Eh ! Les Oris n'ont pas pu se volatiliser comme ça ! Vous avez une image ?
— Le dispositif vidéo doit être installé la semaine prochaine, monsieur...

Merde.

O'Neill envisagea l'hypothèse du bouclier de camouflage mais la rejeta presque aussitôt. C'était idiot. Les Oris connaissaient leurs capacités technologiques. Ils savaient qu'ils n'avaient pas à prendre de précautions – la plus grosse flotte que la Terre et ses alliés avaient réussi à rassembler avait été massacrée en quelques minutes.

Alors quoi ?

— Les satellites signalent des passages en hyperespace, reprit Walter. On dirait qu'ils sont partis.

Le sergent avait l'air incrédule. Il n'était pas le seul. Tout en remerciant sa bonne étoile, O'Neill ne pouvait s'empêcher de penser qu'Adria venait de faire une sacrée boulette. Elle risquait de ne jamais retrouver un avantage stratégique aussi flagrant.

Qu'est-ce qui l'avait retenue ?

— Adria s'est souvenue d'un rendez-vous plus important, Hank ? plaisanta-t-il.
— Tant mieux, qu'elle nous oublie un moment ! Nous serons mieux équipés pour la recevoir la prochaine fois !

N'empêche que Jack O'Neill aurait donné cher pour savoir ce qui s'était passé sur les vaisseaux oris.

                                                  —————

Adria n'avait pas tergiversé longtemps : elle avait reçu et analysé les rapports des rescapés revenus par le « trou », elle avait identifié la menace dès qu'elle était sortie de l'hyperespace et, même si elle ne comprenait pas comment sa flotte avait pu se faire prendre de vitesse, elle avait décidé de se pencher sur la question plus loin – à un ou deux quadrants de la Terre, ce serait bien.

Elle était consciente qu'elle était en train de manquer une occasion en or – personne ne croisait aux abords de la Terre : ni vaisseaux, ni même un petit dispositif de défense automatique. Cependant, elle savait également que le nombre de ses vaisseaux n'était pas infini, et que sa flotte n'était pas invincible. La défaite qu'elle venait d'apprendre le lui avait cruellement rappelé.

Elle ne devait pas céder à la colère et attaquer immédiatement ; de trop grosses pertes ici seraient préjudiciables à sa croisade. Il fallait préserver la foi en la toute-puissance ori, surtout parmi ses fidèles.

Si le doute s'installait, ce serait la fin.

                                                  —————

— On leur a fait peur, vous croyez, captain ?
— Je n'en sais rien et ça ne m'intéresse pas. Occupe-toi plutôt d'installer la fréquence du SG-C sur un de nos émetteurs. Je déposerais bien nos invités directement devant leur base, mais je suppose qu'il faut que je m'annonce avant...

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O'Neill attendait un peu en retrait derrière le général Landry que quelque chose se passe. Tout le personnel présent arborait une expression perplexe. Lui se sentait frustré – bon, d'accord, il était soulagé d'avoir évité une bataille qui s'annonçait plutôt mal pour eux, mais il trouvait vexant que les Oris soient partis sans explications.

Ils ont estimé que nous n'en valions pas la peine, ou quoi ?

Oui, décidément, c'était vexant.

Un haut-parleur quelconque se mit soudain à cracher des parasites. Jack se précipita.

— Qu'est-ce que vous captez ?
— Euh... Pas grand-chose, mon général, répondit le radio. Ce n'est que de la friture inaudible. Probablement un phénomène spatial – une éruption solaire ou quelque chose du genre...
— Sur quelle fréquence ?

L'homme consulta son pupitre.

— La transmission n'est pas stable, mon général. Il y a trop de fluctuations, et les pertes dues à l'atmosphère n'arrangent rien. Le signal est très faible et ressemble plus à une perturbation naturelle.
— Non. Continuez à chercher dans la même gamme de fréquence. Et stabilisez ça pour que ce soit audible.
— Une intuition, Jack ? intervint Landry.
— En effet.

Peut-être ne captaient-ils effectivement que des rayonnements radio émis par un lointain pulsar, ou les restes d'une tempête magnétique... Non. Les Oris étaient partis, et il leur avait fallu une bonne raison.

Le haut-parleur cracha à nouveau, mais pas seulement des parasites, cette fois.

— ... un... appelle la... ici... recevez ?

O'Neill adressa un sourire victorieux au radio.

— Amplifiez le signal, ordonna-t-il. À moins que vous n'ayez déjà croisé des éruptions solaires qui vous parlent en anglais.

Il tendit l'oreille pour saisir des bribes de conversation tandis que le technicien tentait fébrilement d'améliorer la réception.

— J'ai l'impression que la cavalerie est arrivée à temps, commenta Landry.
— Yep. Et maintenant j'aimerais bien savoir combien ils sont et surtout qui ils sont. Parce qu'ils ont fait fuir une flotte ori et que, à ma connaissance, c'est la première fois que ça arrive, dans cette galaxie.
— Je crois que j'ai une transmission en clair, monsieur ! interrompit le radio.

Le haut-parleur égrena une série de sifflements et un méchant bruit de larsen lorsque l'homme augmenta le volume. La voix qui retentit à travers la salle de contrôle était entrecoupée de crachotements mais terriblement familière.

— Ici le colonel Mitchell, j'appelle le SG-C. Est-ce que vous me recevez ?

Hank Landry arracha presque le micro des mains du radio.

— Mitchell ! s'exclama-t-il. Nous vous recevons faiblement ! Où êtes-vous ?
— Je viens de sortir de l'hyperespace, mon général, et... pour autant que je sache, on se dirige vers la Terre.
— Toute l'équipe SG-1 est avec vous ? continua Landry. Et... que s'est-il passé avec la flotte ori ?

La transmission fut de nouveau brouillée et siffla, comme si quelqu'un cherchait également à optimiser le signal à l'autre bout. Puis la conversation reprit, beaucoup plus nette à présent, et avec un interlocuteur différent.

— SG-C, ici l'Arcadia. Mon entrée dans l'atmosphère terrestre est estimée à quatre minutes. Souhaitez-vous que je me pose à Cheyenne Mountain ou en zone 51 ?

Landry ouvrit des yeux ronds.

— Mais comment... ?
— Laisse-le-moi, lui souffla Jack. Je connais.

Il se saisit à son tour du micro. Il avait reconnu l'accent et la pointe de sarcasme du nouvel arrivant et n'avait pas eu besoin qu'il mentionne le nom de son vaisseau pour l'identifier.

— Ici O'Neill. Bienvenue, capitaine, et merci d'avoir sauvé la planète. Nous sommes actuellement dans notre base en Antarctique – je pense que vous êtes capables de vous guider sur nos signaux radio pour la localiser avec précision.

Il y eut une pause, comme si son interlocuteur prenait le temps de digérer les informations.

— Cela veut-il dire que je peux faire l'économie du mode furtif, O'Neill ?
— Débrouillez-vous pour ne pas vous faire repérer par un satellite civil ou un télescope amateur, c'est tout ce que je vous demande.

Nouvelle pause. Plus longue, cette fois, et O'Neill aurait mis sa main à couper que cela n'avait rien à voir avec les délais de transmission. L'Arcadia était trop près pour qu'il y ait un décalage dans les communications – Harlock devait s'amuser à le faire mariner.

Dix contre un qu'il se demande quel effet il produirait s'il se posait devant la Maison-Blanche...

— Temps de descente neuf minutes, reprit finalement le capitaine de l'Arcadia. Mode furtif enclenché... Je l'enlèverai en basse atmosphère, O'Neill, vous aurez visuel sur l'atterrissage... Harlock, terminé.

                                                  —————

Mitchell avait préparé un compte-rendu succinct qu'il avait l'intention de transmettre au général Landry... du moins jusqu'à ce qu'Harlock coupe la liaison. Il aurait dû se douter que des notions telles que « faire un rapport » ou « supérieur hiérarchique » étaient complètement étrangères à ce pirate.

Il fixa le capitaine, hésitant entre une remarque désobligeante et... et une autre remarque désobligeante.

— O'Neill peut attendre dix minutes, pour les détails, répondit Harlock contre toute attente. Et vous aussi.

Mitchell grogna. Oui, évidemment. Mais il revenait avec un vaisseau grâce auquel le rapport de forces avec les Oris pourrait bien être inversé, c'était normal qu'il manifeste un peu d'impatience.

— On ne pouvait pas conserver la liaison plus longtemps, lui glissa Kei. Nos antennes ne sont pas conçues pour ces fréquences... ça grille les relais.

D'accord. Très bien. Cam se força à s'intéresser à la descente – les panneaux d'observation offraient une vue plongeante sur l'Antarctique qui se rapprochait à grande vitesse, mais apparemment Harlock avait décidé que son vaisseau pouvait se poser tout seul.

— De plus, ajouta le capitaine en venant se placer à côté du fauteuil que Mitchell s'était attribué, qui vous dit que vos fréquences ne sont pas écoutées ? Le SG-C utilise un cryptage de débutant. N'importe qui est capable de vous intercepter.

Le pirate avait un demi-sourire narquois qui donnait envie à Mitchell de tester sur le champ l'efficacité des techniques de combat sodan.

— De toute façon, peu importe, rétorqua Cam sèchement. Dans quelques minutes, vous serez définitivement débarrassé de nous, n'est-ce pas ?

Harlock lui lança un regard dont la signification n'était pas contestable : Mitchell n'était pas le seul à envisager une petite démonstration de boxe.

— Vous pensez que je vais me contenter de vous larguer et repartir ? siffla-t-il. Je suis peut-être un pirate, mais je sais parfaitement dans quel camp je suis... et vous avez un problème, avec ces Oris.
— Hmm. Ça veut dire que vous allez nous aider ?
— Si vous songez à me retenir ici avec mon vaisseau, alors non. En revanche, je crois qu'on va pouvoir vous donner un petit coup de pouce au niveau de votre armement.

Harlock haussa les épaules comme pour signifier le peu de considération qu'il avait pour les équipements du SG-C, et se détourna pour observer la vidéo du sol glacé sur l'écran principal.

— Tu as repéré un endroit pour atterrir ? demanda-t-il à Kei.
— J'ai localisé des bâtiments, répondit la jeune femme blonde. Ils sont construits à l'ouvert d'une vallée et juste à côté d'une petite piste qui pourrait éventuellement servir à accueillir un spacewolf.
— J'ai besoin d'un peu plus de place, pour l'Arcadia.
— Vous pouvez toujours vous servir de la vallée, capitaine, mais elle est courbe et son extrémité est trop étroite pour l'utiliser sur toute la longueur. Et je ne garantis pas le relief, à cause de la neige...
— Ça fera l'affaire, fit Harlock en reprenant sa place derrière la barre. J'ai l'habitude...

                                                  —————

O'Neill et Landry étaient sortis sur l'héliport pour profiter en direct de l'arrivée de l'Arcadia. Jack avait facilement convaincu son ami de le suivre – les deux généraux étaient aussi curieux l'un que l'autre d'apercevoir le vaisseau.

— J'espère que cet Harlock a bien repéré notre position, fit remarquer Hank alors que tous deux tapaient des pieds pour se réchauffer malgré le vent polaire. Tu ne lui as donné aucune coordonnée, en fin de compte.
— Oh, il nous a trouvés, je lui fais confiance. S'il ne s'est pas posé dans les prochaines minutes comme il l'a annoncé, c'est qu'il a finalement estimé plus amusant d'aller narguer nos chefs au Pentagone. Ou de visiter New York, va savoir.
— Attends. Il sait, que le programme est top secret, non ?

O'Neill leva les yeux au ciel.

— Justement. Ça s'appelle avoir l'esprit de contradiction.
— Mmm.

Jack attendit que son ami ajoute l'inévitable « ça me rappelle quelqu'un » – le fait que le général O'Neill avait été (et était toujours) une tête de mule n'était un secret pour personne – mais Hank pensait visiblement à autre chose.

— Au fait, il lui faut beaucoup de place, pour atterrir ? demanda-t-il en observant les contreforts montagneux qui entouraient la base.

Jack fit signe qu'il n'en savait rien.

— Faudrait demander à Fields. D'après son rapport, l'Arcadia avait labouré la zone 51 sur plusieurs kilomètres, la première fois... Mais le vaisseau était arrivé par la porte des étoiles ; c'est plus conventionnel, aujourd'hui.

O'Neill scruta néanmoins à son tour les montagnes. Effectivement, c'était exigu. Il essaya de visualiser mentalement le vaisseau d'Harlock se faufilant entre deux pics enneigés... ça passait, non ? Ou bien l'appareil était-il plus grand qu'il ne se souvenait ?

Il prit soudain conscience d'un sifflement persistant dont l'intensité allait croissant. Il avait déjà entendu ce bruit, auparavant...

— Il arrive, annonça-t-il à Landry. On entend ses réacteurs.

Le son était tout à fait audible et se doublait à présent d'un grondement sourd – un peu moins fracassant que le tonnerre, mais à peine.

— Il en fait un vacarme, commenta Hank.
— L'air est très pur, ici, les sons portent mieux...

Ou alors Harlock s'était offert des nouveaux réacteurs boostés et avait omis de les passer au contrôle technique. O'Neill sourit. Il ne manquerait pas de poser la question au gamin une fois qu'il aurait atterri.

— Tu le vois ? demanda Landry.
— Nan. J'ai l'impression que ça résonne encore plus à cause des montagnes.

Les deux généraux plissaient les yeux pour distinguer le moindre indice de la présence du vaisseau, mais ce fut Walter qui l'aperçut le premier. L'Arcadia volait quasiment au même niveau que les sommets, du côté de la vallée le plus encaissé – Harlock ne s'embêta pas à se faufiler entre les pics : il passa à travers celui qui était sur son axe de descente.

L'Arcadia se posa dans une gerbe de neige et de graviers, à un endroit où O'Neill n'aurait pas cru qu'on puisse faire entrer un appareil de cette taille, puis s'employa à freiner sa course tout en slalomant selon la topographie du terrain. Landry eut une moue sceptique lorsque le vaisseau entama une série de zigzags plus ou moins gracieux.

— Je me serais posé dans l'autre sens, à sa place, fit-il. Il y avait plus d'espace pour se présenter.

Le vaisseau pirate stoppa face aux deux généraux, à une centaine de mètres de l'entrée de la base et après avoir raboté deux pitons rocheux qui se trouvaient sur son passage. Et sur lesquels le SG-C avait récemment installé des balises de ralliement hors de prix, pensa O'Neill qui se souvenait avoir vu passer la facture dans son bureau à Washington.

Le vent rabattit sur eux un nuage de vapeur provoqué par le contact des réacteurs sur la glace tandis que le sifflement des moteurs de l'immense vaisseau s'atténuait et mourait dans un chuintement.

Puis la porte latérale de l'Arcadia s'ouvrit. Jack entraîna Hank Landry à sa suite.

— Viens, on va assurer le comité d'accueil.
— Sans attendre que les équipes de soutien aient positionné leurs tireurs ? Je demande juste...
— Surtout pas ! Paraît que ça les rend nerveux, et je n'ai pas envie d'une bavure.

Les deux hommes s'avancèrent en évitant prudemment les plaques de verglas. En face, un petit groupe descendait du vaisseau et ce n'étaient pas des pirates, à moins qu'Harlock n'ait trouvé les uniformes du SG-C seyants pour son équipage.

— SG-1 a l'air au complet et en bonne santé, se réjouit Landry.

Le colonel Mitchell se fendit d'un salut impeccable à leur intention, quelque peu gâché lorsqu'il frissonna à cause du froid.

— SG-1 au rapport, monsieur, annonça-t-il à Landry dès qu'il fut suffisamment près. Carter rapporte les enregistrements de P4X-48C, et je peux confirmer que les Oris ont effectivement pris possession de cette planète.
— J'ai l'impression que vous avez été forcés de faire un détour, pour le retour... ironisa O'Neill.
— Un prieur a tiré sur la porte alors que nous la franchissions, mon général, expliqua Carter. Il y a eu surcharge, comme la dernière fois.
— Le couloir hyperspatial qui avait été créé existe toujours de façon résiduelle. Il est activé par rémanence à chaque passage warp sur le même trajet, et il prendra l'avantage à la moindre défaillance de votre système de portes des étoiles... Vous avez intérêt à abandonner les voyages vers cette planète, O'Neill, je n'irai pas récupérer chaque équipe qui échouera chez moi.

Le capitaine de l'Arcadia les observait du haut de la rampe d'accès à son vaisseau. Jack lui adressa un salut militaire désinvolte accompagné d'un grand sourire.

— Le voyage s'est bien passé, capitaine ? Il me semble que vous avez eu de petites difficultés à l'atterrissage...

Harlock eut l'air de ne pas apprécier le sarcasme. Sans dire un mot, il gratifia O'Neill d'une expression qui réussissait à être plus glaciale que l'air de l'Antarctique. Jack haussa les épaules.

— J'aurais dû me souvenir que tu n'avais aucun humour, mon garçon, ajouta-t-il.

Il tourna les talons. Il était transi malgré son pull et l'anorak des forces spéciales qu'il avait réquisitionné à l'habillement. Et il n'était pas le seul : tous tentaient avec plus ou moins d'efficacité et de discrétion de lutter contre le froid – la palme revenait à Vala qui sautillait sur place en se frictionnant les bras. Quant à Jack, son cerveau lui envoyait avec insistance et alternativement des images de fauteuil au coin du feu (avec pantoufles), et de plage tropicale (avec Carter en bikini). Il était temps qu'il rentre se réchauffer.

Il jeta un coup d'œil en coin à Harlock, toujours impassible : l'Arcadia était beaucoup plus près que la base du SG-C et ses salles de réunion – chauffées – conviendraient parfaitement à un débriefing... Mmm. Le pirate s'était positionné à l'entrée de son vaisseau de façon à leur interdire implicitement l'accès ; son regard était d'ailleurs sans équivoque.

Jack n'insista pas.

— Café pour tout le monde, annonça-t-il en commençant à progresser dans la neige en sens inverse. On débriefera quand on aura tous fini de claquer des dents.

Il réfléchit un instant puis décida qu'une petite précision supplémentaire ne serait pas superflue.

— Le débriefing vous concerne aussi, capitaine, reprit-il à l'intention d'Harlock qui n'avait pas bougé.

Le jeune homme eut un demi-sourire qui devait vouloir dire à la fois « bien sûr, c'est évident » et « heureusement que vous me le demandez, sinon je ne serai pas venu » et se contenta de reculer d'un pas.

— Je vous rejoins, lâcha-t-il avant de s'enfoncer dans les entrailles et son vaisseau et de disparaître.

Jack échangea un regard interdit avec Hank Landry, puis les deux généraux considérèrent d'un œil critique le personnel de SG-1 frigorifié. S'ils restaient sur place plus longtemps, ils allaient finir par se transformer en glaçons.

— Okay, on y va, trancha Landry. Ton pirate trouvera bien le chemin tout seul.

Et le vent ne soufflait pas assez fort pour cacher le quintuple soupir de soulagement.

                                                  —————

Harlock remonta en passerelle et nota distraitement le baraquement dans lequel O'Neill et son équipe étaient entrés – ça allait lui servir. Kei avait déjà terminé le diagnostic des systèmes de l'Arcadia et avait affiché une liste des avaries sur l'écran principal ; rien de bien grave, et rien de nouveau. Excepté les éraflures sur la peinture, l'atterrissage s'était passé sans casse – seuls les réacteurs avaient protesté au freinage, et encore, cela ne portait pas à conséquence, selon Tochiro.

— On s'en tire sans mal, pour une fois, captain, remarqua Kei d'un ton égal.

Harlock tiqua, autant à cause du « pour une fois » que pour le sourire contenu des hommes de quart à ces mots, et prit mentalement note de suggérer à Kei d'éviter ce genre de réflexions devant tout le monde, à l'avenir.

Comme s'il ne savait pas se poser correctement, tiens...

La jeune femme blonde lui adressa un sourire triomphant qui le convainquit, d'une part qu'elle le faisait exprès, d'autre part que tout ce qu'il pourrait lui dire ne servirait à rien. Depuis le temps, il devait pourtant savoir qu'elle adorait lui lancer des piques du même style, et que rien ne lui faisait plus plaisir que lorsqu'il y réagissait.

Ah, bah. De toute façon, il était trop tard pour essayer de faire croire aux gars qu'il n'avait rien entendu.

— Je te rappelle que c'est toi qui m'as conseillé ce site d'atterrissage, rétorqua-t-il.
— Je le reconnais. Mais j'aurais dû vous prévenir que la piste était glissante... Enfin, ça m'avait semblé évident. C'est souvent le cas, pour la neige...

Deux à zéro. Un opérateur ne parvint pas à retenir un rire étranglé ; rouge comme une pivoine, il se souvint aussitôt qu'il avait une maintenance importante à effectuer et disparut sous sa console. Harlock décida d'arrêter les frais.

— Prends une unité portable, demanda-t-il à Kei. Et arrange-toi pour trouver un moyen de transmission de données qui soit compatible avec les ordinateurs du SG-C.
— Pour donner ou prendre les informations, capitaine ?
— Les deux.

Harlock parcourut la passerelle du regard à la recherche de son second. Non. Yattaran avait quitté son fauteuil juste après l'atterrissage en grommelant quelque chose comme « trop de secousses » et « pas arrimé ». Il devait probablement être en train de ramasser ses maquettes dans sa cabine.

— Appelle Yattaran et commencez à me faire une extraction de notre bibliothèque, reprit-il. Tout ce qui concerne l'armement et qui est susceptible d'intéresser le SG-C. En fonction des moyens dont ils disposent, je verrai ce qu'il est plus facile de leur installer.

Il se dirigea vers l'ascenseur mais bloqua les portes avant qu'elles ne se referment sur lui.

— Tout ce qui concerne l'armement conventionnel, j'entends, termina-t-il. Les spécificités de l'Arcadia ne quittent pas ce vaisseau.

Kei répondit par une moue agacée. Cela signifiait « je ne suis pas stupide ». Il se contenta d'un demi-sourire qu'elle interpréterait comme elle voulait avant de laisser l'ascenseur repartir.

                                                  —————

Sam Carter exposait les conclusions de ses relevés devant un auditoire somme toute assez peu intéressé par les fluctuations énergétiques de P4X-48C. Vala faisait des grimaces à Daniel, lequel fronçait les sourcils pour la faire cesser (sans succès) ; le général Landry chuchotait avec Mitchell – les mots « supériorité technologique » et « armes de pointe » revenaient assez souvent dans leur conversation – ; Lee essayait vainement de ne pas consulter ses propres notes ; Teal'c avait l'air concentré, mais le Jaffa avait toujours l'air concentré. Pour ce qu'elle en savait, il aurait très bien pu être en train de méditer les yeux ouverts.

Seul O'Neill la dévorait du regard, mais elle était certaine qu'il ne l'écoutait pas. Le général et ex-leader de SG-1 lui lança un clin d'œil complice. Elle rougit.

— Bref, termina-t-elle vaillamment, le pic enregistré provenait du trou spatio-temporel qu'Harlock a emprunté pour nous ramener. D'après son second, le phénomène était latent depuis le dernier passage de l'Arcadia dans la zone, mais il n'a pu être réactivé et stabilisé que par un nombre conséquent de sauts temporels entre nos deux univers.

La scientifique fit une pause pour s'assurer de l'attention de son auditoire. Précaution inutile : tout le monde avait redressé la tête lorsqu'elle avait évoqué le vaisseau pirate.

— Ceux de l'Arcadia estiment que les Oris ne possèdent pas la technologie suffisante pour effectuer des voyages temporels contrôlés, reprit-elle. Et par conséquent qu'il s'agit d'un vaisseau de chez eux qui est venu chez nous.

O'Neill se renversa sur son siège.

— C'est pour cette raison que je souhaite qu'Harlock soit là pour le débriefing, fit-il.
— Vous avez effectivement repéré un vaisseau du futur, mon général ?
— Nous n'avons pas de certitudes. Juste de très fortes présomptions. Mais il est apparu pour la première fois au niveau de l'anomalie de P4X-48C et à présent il fait du grabuge dans les bastions reculés de la rébellion jaffa.

Mitchell haussa un sourcil.

— Si ce vaisseau est du gabarit de l'Arcadia, ça risque d'être difficile de le neutraliser.
— Exact. Et donc nous avons besoin de l'aide d'Harlock.

« Reste à le convaincre », pensa Sam, et elle lut sur le visage d'O'Neill que cette problématique le préoccupait également.

                                                  —————

L'espace se brouilla lorsque les deux vaisseaux sortirent de l'hyperespace, et une infime vibration perturba un instant leur instrumentation. La planète autour de laquelle ils se mirent en orbite ressemblait à n'importe quelle autre planète, si l'on omettait bien sûr cette fluctuation bizarre qui apparaissait lorsqu'on la regardait du coin de l'œil. L'analyse spectrale de la zone révélait une multitude de traînées ioniques, tellement entrecroisées qu'il était impossible d'en déduire un schéma de trajectoire cohérent.

— Bon sang ! pesta Morgane. L'endroit est animé... Ce n'est plus un trou spatio-temporel par ici, c'est une gare de triage !
— Je ne retrouve aucune trace de la signature ionique de l'Arcadia, annonça Loren.
— 'm'étonne pas. Ce foutu vaisseau est déjà difficile à pister en temps normal, alors vaut mieux pas y penser quand il passe par un carrefour fréquenté !

La néo-humaine leva les yeux vers l'écran principal.

— Et maintenant ? demanda-t-elle à l'image de Shark qui la considérait amusé depuis sa propre passerelle.
— Il y avait des terriens du vingt-et-unième siècle avec lui, répondit le contrebandier. Si on a bien remonté le temps, je propose d'aller voir là-bas.
— Sur Terre ?
— 'xact.

Morgane ne tergiversa pas ; la Terre était en effet la destination la plus logique connaissant l'attachement d'Harlock pour cette planète – d'autant plus si l'Arcadia avait servi de taxi pour des autochtones. Ce n'était pas pour lui déplaire : elle ne connaissait la « planète bleue » que par de mauvais reportages ou des mémodisques endommagés ; à défaut d'autre chose, un peu de tourisme pourrait être des plus intéressants.

                                                   —————

Harlock trouva fermée la porte du bâtiment qui servait d'entrée à la base SG, supposa qu'il devait exister un interphone ou assimilé pour signaler sa présence, décida que parcourir depuis l'Arcadia cent mètres à pied par moins trente degrés était suffisant pour ses orteils qui commençaient à geler dans ses bottes et explosa la serrure d'un coup de cosmodragon.

Le soldat qui était en faction juste derrière recula précipitamment.

— Conduisez-moi au général O'Neill, fit Harlock.

L'homme bafouilla quelques mots, mais sa diction était visiblement perturbée par le cosmodragon qu'Harlock lui agitait devant le nez. Le capitaine prit donc le parti d'ignorer le « posez vos armes » qu'il lui avait semblé entendre. Comme le soldat paraissait ne vouloir ni l'arrêter, ni le guider, il le bouscula sans ménagement et s'enfonça au jugé dans la base.

Au bout d'une trentaine de mètres et deux sas, il tomba sur une... mmh. Salle de garde devait être le meilleur terme. La poignée de soldats qui s'y trouvait fut plus prompte à réagir que le type qu'il avait laissé paralysé de peur à l'entrée. Le capitaine fut encerclé, mis en joue et sommé de déposer ses armes de façon plus intelligible, cette fois-ci.

— Je suis venu voir le général O'Neill, répéta Harlock sans baisser sa garde, mais en prenant soin de ne viser personne avec son arme.

Les soldats étaient moins de dix. Sans toutefois espérer en sortir indemne, Harlock estimait être capable de quitter la pièce par la porte en face de lui après avoir massacré tout le monde à l'intérieur.

Il n'était pas certain qu'O'Neill apprécierait, en revanche.

                                                  —————

Landry raccrocha le téléphone qui avait sonné près de lui, une expression ennuyée sur le visage.

— Bon, énonça-t-il calmement. Il est entré en défonçant la porte et l'équipe de garde l'a coincé en salle d'alerte. Je ne sais pas quel crédit accorder à la description du factionnaire, mais apparemment il est armé, et pas avec du petit calibre.
— Je t'avais bien dit qu'il viendrait pour le débriefing, répondit O'Neill.
— Okay, soupira Landry. C'est ton pirate, Jack, alors si tu pouvais aller le chercher et lui demander de laisser son artillerie au vestiaire avant qu'il n'y ait un bain de sang, là-haut...

                                                   —————

Un silence tendu s'était installé. Harlock conservait une immobilité attentive, à l'affût d'une faille ou du moindre signe d'hostilité. Les autres avaient l'air plutôt nerveux. Jack O'Neill ne s'embêta cependant pas à prendre des précautions particulières. Il poussa la porte avec entrain et lança un « c'est bon les gars, je m'en occupe ! » qui fit sursauter tout le monde.

— Je m'attendais à un accueil plus amical, O'Neill, commenta Harlock tout en continuant à surveiller les soldats en train de refluer, hésitants, vers l'entrée de la base.
— Eh bien, si tu t'étais présenté poliment plutôt que de menacer les gens avec ce... machin, répondit O'Neill en désignant le cosmodragon, peut-être aurions-nous pu en effet l'envisager.

Harlock considéra l'arme qu'il tenait toujours en main, la rengaina, haussa les épaules et sourit dédaigneusement à l'ancien leader de SG-1.

— C'est vous qui m'avez invité, O'Neill. C'est à vos soldats de baisser leurs armes devant moi, pas l'inverse.
— Et prétentieux, avec ça, hein ?

Harlock foudroya O'Neill du regard, sans que cela ne semble produire le moindre effet – le capitaine eut même l'impression que le militaire ricanait sous cape, mais ce devait être son imagination.

— J'ai appris que vous étiez passé général, fit-il comme il suivait son guide à l'étage inférieur. Félicitations.
— Nul n'échappe à l'avancement, répondit O'Neill.
— Ils ne vous ont pas donné le commandement du SG-C ? Ç'aurait été logique, vu votre expérience du terrain...
— Si.

Bon. Okay. Harlock attendit qu'O'Neill développe, ce qu'il ne fit pas. Qu'on ne vienne pas lui reprocher de ne pas être expansif, après ça. Quant à lui, il estimait avoir suffisamment alimenté la conversation.

Le trajet se fit en silence jusqu'à une salle de réunion qui avait été aménagée un peu en retrait du complexe, lequel s'étendait sous la surface de l'Antarctique dans un dédale de galeries de facture plus ancienne (et non humaine), et dont l'utilité s'était probablement perdue avec le temps. SG-1 s'y trouvait au complet, ainsi que le général auquel Mitchell avait fait son rapport – Landry, se souvint Harlock.

— Je ne vais pas m'embarrasser de formules de bienvenue ou détailler l'art et la manière de se présenter dans une base militaire, commença celui-ci de but en blanc. Tu t'en chargeras, Jack, si ce n'est déjà fait.

Landry se planta face à Harlock et le fixa droit dans les yeux.

— Carter affirme que vous pensez qu'un vaisseau de votre époque est passé par l'ouverture près de P4X-48C avant vous, dit-il.
— C'est une possibilité, concéda Harlock. Celle qui explique de la façon la plus évidente la présence d'un trou de ver stable comme celui qui nous intéresse actuellement.
— Très bien. J'ai besoin de votre avis sur deux vidéos que nous avons récupérées et qui pourraient permettre de valider votre hypothèse.

Le général alluma un antique écran plat et Harlock put visualiser un film de quelques minutes d'assez mauvaise qualité, sur lequel il reconnut la désormais fameuse planète P4X-48C, une flotte ori (probablement celle qui avait traversé le trou et qu'il avait vaincu) ainsi qu'une sortie d'hyperespace très intéressante et assez peu répandue. Il essaya de rester impassible.

O'Neill ne fut pas dupe.

— Tiens, on dirait que ça t'évoque quelque chose, gamin...
— Et l'autre vidéo ? se contenta de répondre Harlock en se forçant à oublier le « gamin » qu'O'Neill n'avait pu s'empêcher de rajouter.
— Je préférerais que tu nous dises ce que tu penses de celle-là d'abord.
— Une sortie d'hyperespace sous bouclier de camouflage, répliqua-t-il, agacé. Suivi d'une séquence d'attaque au canon à plasma. Trois coups. Armement latéral.

Et un nombre infime de vaisseaux possédant ces caractéristiques et ce schéma d'attaque.

Qu'est-ce qu'Emeraldas vient faire par ici ?

— Alors, capitaine ? insista Landry. Des suggestions ?
— Seulement si vous me montrez l'autre vidéo.
— Têtu, hein ? fit O'Neill. De toute façon ça ne fera que confirmer ce que tu sais déjà...
— Et ce que vous savez aussi, O'Neill, comprit soudain Harlock. Tout ceci ne sert qu'à tester ma... loyauté envers vous, n'est-ce pas ?
— Loyauté est un bien grand mot, mon garçon. Je voulais simplement être sûr du côté duquel tu te places...
— Je n'ai rien à voir avec Emeraldas. Elle vit sa vie comme elle l'entend et n'a pas de comptes à me rendre... Ni moi à elle, d'ailleurs.

Emeraldas. O'Neill échangea un regard entendu avec le général Landry.

Le deuxième film était de mauvaise qualité lui aussi, mais il montrait le vaisseau sans son bouclier de camouflage – même en faisant preuve de toute la mauvaise foi possible, on ne pouvait pas se tromper sur son identité.

— Yep, lâcha Harlock. Le Queen. Je ne sais pas ce qu'Emeraldas fabrique ici. Vous ne lui avez pas demandé ?

O'Neill croisa les bras et réussit à avoir l'air à la fois suspicieux et moqueur.

— Elle n'a pas répondu. Et elle s'attaque à nos vaisseaux.
— J'ignorais que vous possédiez des vaisseaux, ironisa Harlock.
— Eh bien si, capitaine, trancha le général sèchement. Ainsi que des alliés. Et pour l'instant, votre amie s'est exclusivement attaquée à des appareils et des installations planétaires qui ont un lien direct avec la Terre – de manière évidente, j'entends ; il ne s'agit pas de bases secrètes ou d'une cinquième colonne. Si vous avez une explication, je tiens à ce que vous la donniez maintenant.
— Emeraldas ne me communique pas systématiquement ses plans de vol. Nous naviguons chacun de notre côté, et j'ai très peu de contact avec elle... Sauf en cas de force majeure.
— Je crois que c'en est un.
— Elle doit avoir ses raisons. Il y a probablement des facteurs que vous n'avez pas pris en compte. C'est peut-être un problème pour vous, mais il se réglera de lui-même lorsqu'elle aura terminé... Après tout, elle défend la même cause que moi.
— Oui, c'est bien ce qui m'inquiète... à votre sujet.

Harlock se raidit.

— Le SG-C et son combat ne se trouvent pas au premier plan de mes préoccupations. Malgré tout, je suis revenu jusqu'à cette époque, avec tout ce que cela implique comme petits tracas temporels – que vous n'êtes même pas encore capables de concevoir. J'envisageais de vous fournir des armes supplémentaires, mais je me demande si cela en vaut encore la peine...

Heureusement pour l'avenir de ses relations avec le SG-C, le communicateur du capitaine bipa à ce moment. Harlock sortit l'appareil de sa poche plutôt que de dégainer son cosmodragon pour ponctuer ses propos, et marmonna un vague « 'scusez-moi » en s'éloignant du groupe.

— Harlock.
— Capitaine, répondit la voix de Kei. Nous venons d'être scannés. Le dispositif de brouillage semble avoir été efficace, mais le radar a détecté deux vaisseaux juste avant qu'ils n'enclenchent leur mode furtif. J'ai perdu leur trace, cependant, d'après leur trajectoire initiale, je dirais qu'ils se sont mis en orbite basse autour de la planète.
— Bien reçu. Tu as une identification ?
— Négatif.

Harlock se tourna vers O'Neill.

— Vous attendiez de la visite ?
— À part les Oris que vous avez croisés en arrivant, non.

Un deuxième bip les interrompit. C'était Kei, à nouveau.

— Un message du Speranz, annonça-t-elle.
— Morgane ? Tu peux me la transférer ?
— Elle a coupé, captain. Elle demandait simplement où nous étions, qu'elle puisse se poser.
— Okay. Envoie-lui nos coordonnées. Et précise-lui de rester discrète, pendant la descente.
— C'est fait. Vous n'apprécierez pas ce qu'elle m'a répondu, capitaine.

Probablement quelque chose comme « va au diable espèce de blanc-bec, j'ai plus d'expérience que toi » ou une autre gentillesse du même genre.

— Il semble que le vingt-et-unième siècle soit une destination prisée pour les hors-la-loi du futur, commenta Mitchell aigrement. Vous ne vous plaisez pas, chez vous ?

Ce n'était pas totalement faux, mais Harlock se garda d'en rajouter. Inutile de jeter encore de l'huile sur le feu.

— Qui est le deuxième ? demanda-t-il à Kei.
— Sais pas. Shark, a priori.
— Mmm.

Ça, c'était bizarre. Que Shark ait quitté sa station, d'accord. Vu l'état dans lequel elle était, c'était ce qu'il y avait de mieux à faire. En revanche, qu'il ait suivi Morgane au vingt-et-unième siècle, c'était inhabituel. Avec les années, Shark était devenu davantage un commerçant qu'un aventurier et était généralement réticent à laisser tourner ses affaires sans lui.

— Encore des pirates, c'est ça ? fit O'Neill. Je vais finir par me demander s'il existe des gens normaux, au trentième siècle.

Harlock haussa les épaules. C'était le genre de phrases auxquelles il ne devait surtout pas répondre s'il ne voulait pas s'énerver.

— Ils vont se poser plus loin de la base que moi, déclara-t-il pour changer de sujet. Le terrain est totalement impraticable alentours. Vous avez un hélicoptère ?

                                                  —————

Morgane entra les coordonnées que Kei lui avait transmises dans son ordinateur de navigation et constata qu'elles pointaient vers une position à proximité du pôle sud. La bibliothèque du bord lui apprit pendant sa descente que ce continent se nommait Antarctique, et qu'il était désert à l'exception de quelques bases scientifiques. Et glacé.

« Température au sol : moins trente-huit degrés Celsius sous abri », annonça l'ordinateur.

Brr. Les planètes irradiées de la Bordure oscillaient autour du même ordre de grandeur, mais dans le positif. Elle espéra que les installations près desquelles l'Arcadia s'était posée étaient suffisamment chauffées.

Bah, sinon, elle pourrait toujours se défouler sur Harlock, c'était excellent pour la circulation sanguine.

— Le meilleur site d'atterrissage se trouve à neuf point deux kilomètres de l'Arcadia, annonça Loren.
— Tant que ça ?
— Si on essaye plus près, il risque d'y avoir de la casse... Il y a trop de relief, expliqua l'officier scientifique. Et d'ailleurs je suis curieux de voir Harlock décoller de sa position actuelle.
— Oh, il peut se permettre de se poser quasiment n'importe où, répondit Morgane. L'Arcadia possède assez de rétrofusées et de générateurs d'antigravité pour être capable de décoller presque à la verticale.

Ce n'était pas le cas du Speranz, et encore moins de l'antiquité que Shark avait récupérée. Morgane évalua le terrain que Loren avait sélectionné : une plaine gelée, hérissée de rares pics de glace érodés par les vents, et surtout assez vaste pour manœuvrer.

Les deux vaisseaux atterrirent de concert, en une longue glissade sur la glace – une belle manœuvre pour un « hors-piste », estima Morgane. Plus belle en tout cas que ne l'avait été celle d'Harlock, à en juger par les traces que l'Arcadia avait laissées sur le sol, mais les atterrissages lui avaient toujours posé problème.

« Température extérieure : moins quarante-cinq degrés Celsius », fit l'ordinateur à qui personne n'avait pourtant rien demandé.

— Pas question que j'aille dehors, râla Loren. C'est de la barbarie, d'installer une base dans un endroit aussi froid !
— Tu n'as qu'à prendre un scaphandre, si tu as peur de ne pas supporter, rétorqua Morgane.

Loren grogna.

— Pff. Je préfère encore avoir froid...

Malgré ses protestations, il suivit tout de même Morgane. Les deux néo-humains hésitèrent au seuil du sas qui menait à l'extérieur. Le vent (glacial, comme il fallait s'y attendre) s'engouffrait dans le sas, et Morgane se demanda si elle n'allait pas prendre le temps d'enfiler autre chose que la robe légère dont elle était vêtue.

— Il y a un engin bizarre qui approche, annonça Loren en pointant du doigt une forme sombre en vol au-dessus de la plaine... Ainsi que Shark, ajouta-t-il après avoir jeté un coup d'œil vers l'autre vaisseau.

Le contrebandier semblait à l'aise dans la neige. Le blouson et les bottes fourrées qu'il portait devaient y être pour beaucoup.

— 'fait frisquet, pas vrai ? lança-t-il, goguenard.

L'arrivée de l'appareil terrien épargna à Morgane la peine de faire manger de la neige à Shark en représailles à ses plaisanteries. L'engin se posa dans un flap-flap-flap en soulevant un nuage de fines particules de glace. Morgane haussa un sourcil interrogatif. Plutôt archaïque, ce truc...

Un homme leur faisait de grands signes depuis la porte ouverte de l'appareil. Quoi ? Il voulait qu'ils montent à bord ? Shark s'avançait déjà en baissant la tête pour éviter les pales qui tournaient encore.

— Allez, viens ! lui cria-t-il. Fais pas ta timide !

Ah, bah. Ce ne serait pas pire que d'y aller à pied. Elle entraîna Loren et ils coururent pour embarquer.

                                                  —————

Jack O'Neill attendait le retour de l'hélicoptère dans la même salle où il avait récupéré Harlock. Le gamin boudait à côté de lui.

« Faut que j'arrête de le considérer comme un gamin », pensa O'Neill. Même s'il avait probablement l'âge d'être son père...

— Tu connais les commandants de ces deux vaisseaux ? demanda-t-il en ravalant le « mon garçon » paternaliste qui lui venait spontanément aux lèvres.
— Mmm.
— Mais encore ? insista le général.
— Morgane navigue avec le Speranz depuis... au moins quinze ans, répondit Harlock après quelques secondes de réflexion. Mais elle ne s'éloigne jamais très loin de la Bordure, d'ordinaire... Et Shark possédait une station spatiale jusqu'à ce qu'il rencontre les Oris, ajouta-t-il. Je ne sais pas pourquoi ils sont venus jusqu'ici.
— Tu leur manques, peut-être.
— Je ne pense pas, non...

Harlock lâcha un vague sourire sans toutefois s'étendre sur le sujet. « C'est vrai, c'est un pirate », songea le général. « Si ça se trouve, il les a rançonnés et ils sont là pour se venger. »

— Rassure-moi, ils font partie de tes amis, n'est-ce pas ?
— On peut dire ça...

Le jeune homme sourit franchement cette fois, mais O'Neill ne réussit pas à déterminer s'il se payait sa tête ou pas.

De toute façon l'hélicoptère avait atterri. Les militaires du SG-C escortèrent les trois passagers à l'intérieur – un géant qui dépassait O'Neill d'une bonne tête et deux jeunes gens à l'air pâle (voire même vert) qui n'étaient certainement pas humains.

Le général leur souhaita les formules de bienvenue conventionnelles avant de s'apercevoir qu'il parlait dans le vide. Harlock prit le relais et s'engagea dans une conversation animée dans sa propre langue. Jack grimaça. Il avait oublié que tous ces pirates avalaient la moitié de leurs mots – ce n'était pas fondamentalement différent de l'anglais, c'était juste... comment dire... inarticulé. Avec une pointe d'accent qui, lui, n'était absolument pas anglophone.

La discussion eut l'air de tourner à l'avantage d'Harlock. La femme du groupe – crinière léonine rouge éclatant, petite robe sans manches totalement inadaptée au climat – croisa les bras avec une mimique contrariée.

— Qu'est-ce qu'elle dit ? demanda O'Neill.
— Qu'elle refuse de parler cette langue de barbares, répondit Harlock.
— Ce n'est pas bien grave, tu vas me servir de traducteur...
— Pas la peine. Notre anglais écrit n'a pas évolué par rapport au vôtre ; si vous détachez correctement vos mots, c'est facile de « visualiser » ce que vous dites... C'est la prononciation qui pose plus de difficultés.

Harlock haussa les épaules.

— Cela implique de savoir lire l'anglais, bien sûr...

La fille lâcha une phrase incompréhensible, mais ce ne devait pas être gentil, vu le ton.

— Elle te dit qu'elle sait lire et qu'elle comprend très bien ?
— Non, là, elle m'insulte...

O'Neill invita d'un geste les nouveaux venus à le suivre et conduisit tout ce petit monde jusqu'à la salle de contrôle, où l'attendait Hank Landry. Il écoutait d'une oreille le charabia des voyageurs temporels, tout en se disant in petto que les intonations utilisées pour s'adresser à Harlock ne ressemblaient pas trop à des retrouvailles enthousiastes – c'était plutôt le ton « arrête de faire des conneries ». Il stoppa brutalement : son attention avait été attirée par un mot en particulier.

— Vous pouvez me répéter ça ? demanda-t-il.

Harlock se renfrogna et ne répondit rien. Ce fut le géant – Shark, d'après Harlock – qui prit la parole, avec un débit haché et un accent à couper au couteau.

— Je disais à notre ami commun que les sauts temporels ne s'exécutent pas à la légère, et que les pirates s'estiment peut-être au-dessus des lois des hommes mais qu'il ne faut pas qu'ils se croient au-dessus des lois de la physique !
— Hmm. Je m'intéressais surtout au nom que vous aviez prononcé...
— Emeraldas ?
— C'est ça.

Shark éclata de rire.

— Ah ! La princesse vous cause du souci, à vous aussi ?
— Elle a ses raisons, intervint Harlock sèchement.
— Tu la défends toujours sans réfléchir, gamin, rétorqua le géant. Je te signale qu'elle a arraché tout un dock et sa plate-forme de ravitaillement en quittant Cen't !
— Faut pas la contrarier, c'est tout.
— Ouais, bien sûr...

Le géant attrapa Harlock par l'épaule au moment où ils arrivaient dans la salle principale de la base. Le jeune homme le repoussa rudement. O'Neill craignit un instant que Shark et lui n'en viennent aux mains, mais le géant se contenta de gratifier son interlocuteur d'un sourire mauvais – genre « tu sais que j'ai raison ».

— Elle était accompagnée de types louches quand elle est venue ravitailler chez moi, reprit Shark. Des grands costauds avec un costume bizarre... Et un tatouage sur le front comme celui-ci, termina-t-il en désignant Teal'c, à l'autre bout de la pièce.
— Des Jaffas, fit O'Neill. Cela recoupe nos informations. Elle a attaqué quelques-uns de nos postes avancés en s'appuyant sur une structure type « armée goa'uld ».
— Et elle n'avait pas l'air d'agir sous la contrainte, précisa Shark.

Harlock semblait avoir renoncé à argumenter en faveur d'Emeraldas. Au lieu de quoi, il s'enferma dans un mutisme têtu. Shark, lui, n'avait pas fini.

— J'ai toujours trouvé que vous possédiez des vaisseaux trop puissants pour vous, continua-t-il. Mais je me disais que, si l'un de vous deux pétait les plombs, l'autre serait là pour... faire contrepoids, en quelque sorte. En vérité, tu n'as pas du tout envie de te battre contre elle, n'est-ce pas ?

Harlock grogna quelque chose d'inaudible, avec un geste de la main comme pour balayer toute objection.

O'Neill tenta de se montrer conciliant.

— Il est possible que nous n'ayons pas à recourir à vos services, dit-il. Malgré les défaites face aux Oris, la rébellion jaffa possède encore plusieurs ha'taks que nous pourrons utiliser en cas de confrontation. Vous devez connaître suffisamment le vaisseau d'Emeraldas pour nous indiquer ses points vulnérables.
— Yep, répondit Shark. Le Queen est surarmé, avec une double coque blindée et un générateur de bouclier tellement puissant qu'il peut essuyer les tirs de toute une flotte sans protester. Rien de ce que vous pourrez lui opposer ne résistera, ni ne pourra lui causer le moindre dommage, à mon avis.

Il désigna Harlock du pouce.

— Il est communément admis que l'Arcadia est plus puissant que le Queen, mais ces deux-là ont toujours évité soigneusement de s'affronter. L'un comme l'autre détestent perdre, alors...


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