2 - Chapitre 5

L'odeur fut la première chose qui les accueillit à la sortie du tube d'abordage. Une odeur de sang.

Ils étaient entrés dans la station par un sas secondaire, deux ponts sous la salle de contrôle – le plus près possible, en fait. Harlock aurait préféré arriver directement dans la salle de contrôle, mais Shark n'appréciait pas trop qu'on perce des trous n'importe où dans sa station.

Il y avait généralement quelques techs à cet endroit.

... Ils étaient toujours là.

— Oh, merde ! C'est quoi ce... massacre ?

Une poignée d'impacts de laser constellaient les murs, un cadavre vêtu d'une armure curieusement médiévale gisait en travers de la coursive, mais les échanges de tirs n'étaient pas la cause de sa mort. Le soldat comme les techs étaient figés dans des positions grotesques, le visage convulsé. Un filet de sang avait coulé de leur nez et de leurs yeux.

Harlock s'approcha du cadavre le plus proche, mais le colonel Mitchell le retint par le bras.

— Virus, expliqua-t-il.
— Qu'en savez-vous ?
— Celui-là fait partie de l'armée ori, fit le colonel en désignant le corps du soldat. Les prieurs ne se soucient guère des pertes dans leur propre camp et l'attaque bactériologique est une de leurs tactiques lorsqu'ils rencontrent trop de résistance... Pour l'exemple.
— Pour l'exemple ? Et une fois morts, les peuples se convertissent plus facilement à une quelconque religion obscurantiste ?
— La peur est le principal vecteur de leur croisade, renchérit Teal'c.

Mitchell avait absolument tenu à ce qu'il les accompagne – « il sera utile en cas de coup dur », avait-il insisté.

— Je ne suis pas impressionné par les armes biologiques, répondit Harlock en retournant le cadavre du tech du bout de sa botte. C'est bon pour les lâches... marmonna-t-il.
— Je ne le toucherais pas, si j'étais vous, reprit Mitchell. Pas avant de savoir ce qui l'a tué exactement.

Le tech avait les yeux exorbités, la bouche remplie de sang et ses mains étaient crispées contre sa gorge, comme s'il avait étouffé. Les petits vaisseaux sanguins à fleur de peau avaient éclaté... ce devait être dans le même état à l'intérieur. Quelle que soit la cause de la mort, ça n'avait pas été agréable.

— S'il s'agit d'un virus, le mal est fait, trancha Harlock. Nous ne sommes pas protégés. Il ne reste qu'à espérer qu'il ne soit plus dans l'air ambiant... ou qu'il ne soit pas trop foudroyant.

Il fit signe à un des pirates derrière lui.

— Toi, tu restes ici, ordonna-t-il sans se soucier de l'expression du gars à la perspective de rester seul avec les cadavres. Préviens le doc afin qu'il établisse une zone de quarantaine pour notre retour.

Pendant ce temps, il réfléchirait aux moyens de contourner l'examen médical et le passage obligé par l'infirmerie.

Et s'il croisait un de ces « prieurs », il lui ferait passer l'envie de jouer avec des virus contagieux...

                                                  —————

— C'est bizarre... Le générateur warp est soumis à d'importantes fluctuations d'intensité...
— Nous sommes en bordure d'une zone instable, répondit Kei, nous rencontrons toujours ce phénomène lorsqu'on s'arrime ici.
— Je sais, miss, mais jamais à cette échelle, rétorqua le navigateur. Tous les détecteurs s'affolent.

Kei échangea un regard interrogatif avec Yattaran. Cela relevait davantage de son domaine, là... Le second se contenta de hausser les épaules et continua de faire rouler son modèle réduit de char d'avant en arrière sur l'accoudoir de son fauteuil. Okay...

Il boude parce que j'ai mieux géré le combat que lui, ou parce que j'ai pris sa place ? Ça ne lui ressemble pas, pourtant...

— C'est possible que la présence des vaisseaux oris soit la cause de ces perturbations, intervint Carter. Après tout, il a bien fallu qu'ils viennent de quelque part...
— Les variations sont différentes de ce que nous avons pu observer auparavant, renchérit le navigateur. Plus fortes, mais également plus cohérentes.

Il consulta attentivement ses relevés.

— Elles suivent un cycle général d'environ quarante secondes au-dessus duquel se superposent plusieurs signaux parasites distincts...

Yattaran s'étira paresseusement, puis daigna enfin jeter un coup d'œil à la console.

— Ce sont des communications radio qui transitent par la dimension warp, lâcha-t-il.
— Mimee ?
— Filtrage en cours, répondit celle-ci en entrant les paramètres nécessaires dans le pupitre radio. C'est codé, continua-t-elle à la lecture des résultats. Je lance une recherche de clés dans nos banques de cryptage, mais je ne pense pas... Attendez...

La jeune femme s'interrompit, les yeux rivés sur son écran.

— Je capte un message sur une de nos anciennes fréquences d'urgence.

Elle saisit ses écouteurs et se concentra quelques secondes.

— C'est haché, mais audible...

Elle cligna des yeux, perplexe, puis fixa Kei.

— ... et je crois que c'est toi, à l'autre bout...
— Comment ça ?

Mimee lui tendit les écouteurs. Le signal était faible, noyé dans la friture, mais Kei reconnut sa propre voix.

Elle reconnut également le contenu du message.

— C'est la communication que j'avais envoyée depuis le SG-C... ou plutôt, depuis cette base, dans le désert... juste avant le saut temporel de l'Arcadia.
— On te capte du vingt-et-unième siècle ? demanda Yattaran.
— Je ne sais pas... Ce n'est pas direct, ça ressemble à un enregistrement. Ça passe en boucle, en tout cas.
— Le SG-C cherche à vous contacter, fit Carter. Seul l'appareil que vous aviez utilisé la dernière fois a été modifié pour être compatible avec vos fréquences et vos codes. Ils ont dû parer au plus pressé et réutiliser les enregistrements d'origine – simplement pour attirer votre attention... Ça marche, d'ailleurs.
— Mmm... C'est une hypothèse valable.
— Il y a un passage dans le coin avec le vingt-et-unième siècle, continua la scientifique. Et ça a en plus le mérite d'expliquer la présence de deux vaisseaux oris ici.

Yattaran ôta ses lunettes et les essuya soigneusement avant de les remettre sur son nez.

— S'il y a un trou dans la trame temporelle, il ne devrait pas passer inaperçu, fit-il. Reste à savoir s'il est praticable dans les deux sens.

Il pianota sur son clavier en marmonnant – il semblait avoir oublié de bouder.

— Ce qui est étonnant, c'est que le phénomène a l'air d'être durable. Le continuum ne se déchire pas d'un claquement de doigt...

Kei sourit. Rien de tel qu'une petite énigme scientifique pour motiver le second. Elle le laissa programmer l'envoi d'une sonde automatique, se lancer dans des calculs de probabilité et tenter de les expliquer à Carter – le tout en même temps – et demanda à Mimee de contacter le capitaine. Quelle que soit la situation sur la station, savoir qu'il existait un chemin direct vers le vingt-et-unième siècle intéresserait aussi bien Harlock que Cameron Mitchell.

Et puis, Harlock ne l'avait pas encore appelée, elle allait finir par se faire du souci...

                                                  —————

— Les prieurs ont des pouvoirs psychiques dans un rayon limité, disait Mitchell. N'espérez pas en battre un au corps à corps.

Harlock se contenta d'un « mmh » évasif pour toute réponse. Ah, bah. Il s'en apercevrait bien assez tôt... par exemple, lorsqu'il se retrouvera suspendu dans le vide, paralysé par le bâton du prieur. « Au moins, il ne pourra pas dire que je ne l'ai pas prévenu », pensa Mitchell avec humeur. Il s'était fustigé intérieurement lorsqu'il avait vu les cadavres – les Oris lui avaient déjà fait le coup du virus, il aurait dû y penser avant de poser le pied sur cette station. Le peu d'intérêt que les pirates accordaient à l'information n'arrangeait pas son état d'esprit du moment. Bon sang, c'était lui, l'expert en Oris, ou pas ?

Ils avaient croisé d'autres cadavres. Des deux camps. Tous semblaient être morts de la même façon : dans d'atroces convulsions. La station spatiale prenait de plus en plus des allures de tombeau.

Mitchell vérifia son arme : un peu plus lourde qu'un zat, avec une prise en main qui rappelait un peu les pistolets réglementaires de l'US Air Force, mais avec un canon beaucoup plus long et effilé. Un petit bijou de technologie, il devait le reconnaître. Il avait hâte de pouvoir l'essayer.

Harlock stoppa brutalement.

— Un homme, chuchota-t-il à l'intention de Mitchell. Robe et bâton.
— Un prieur. Prenez garde, il n'est peut-être pas tout seul.

Le pirate adressa une question muette à l'un de ses hommes, qui consulta un écran portatif sur son poignet.

— Je détecte une activité psychique intense, captain. Les données sont quasiment illisibles, mais il semblerait qu'il y ait des formes de vie à l'intérieur de la salle de contrôle.
— Les survivants doivent s'y être réfugiés. C'est la pièce la mieux défendue de la station. Et qui possède son propre système de recyclage d'air.
— Isolée du virus, donc, conclut Cam.
— Exact. Mais l'inconvénient majeur est qu'il n'y a qu'un seul accès, et que votre prieur se trouve devant.
— Ce n'est pas « mon » prieur.
— Il a pénétré le verrouillage informatique de la porte et cherche à forcer le système d'ouverture, captain, intervint le pirate qui lisait toujours son écran. C'est en train de céder.
— Dans ce cas, c'est le moment de lancer une diversion, répondit Harlock en dégainant.

Mitchell échangea un regard sceptique avec Teal'c.

— Vous ne l'atteindrez pas. Il possède un bouclier personnel.
— Et alors ? Nous aussi, rétorqua le capitaine pirate. Paré ? demanda-t-il à ses hommes.
— C'est en place, captain.
— Feu à volonté.

Cam se plaqua contre la cloison afin de laisser aux pirates toute latitude pour se défouler sur leur cible et put ainsi apprécier la triple expression de surprise du prieur. D'une part, parce qu'il se faisait attaquer par-derrière sur une station qu'il devait penser avoir nettoyé avec son virus ; d'autre part, parce que sa riposte – un simple rayon lumineux jaillissant de son cristal, mais le colonel savait les dégâts que cela provoquait – fut stoppé par le bouclier énergétique des pirates ; enfin, parce que cinq ou six tirs suffirent à percer sa propre protection – les coups furent certes déviés, mais le bouclier avait tout de même été transpercé.

Le prieur battit en retraite dans une coursive.

— Je crois que je comprends pourquoi le prieur a utilisé un virus ici, colonel Mitchell, lâcha Teal'c.
— Il faut juste partir du principe que ce genre de tour de passe-passe demande beaucoup d'énergie et qu'il n'est pas capable de recommencer, fit Harlock.
— Augmentation de l'activité psychique ! cria un pirate dans leur dos.

Harlock jura.

— Et s'il essaie quand même, je ne vais pas le laisser finir...

Il fixa un objet cylindrique au bout du canon de son arme et tira en direction de la coursive.

— À terre !

L'explosion assourdissante fut suivie du bruit des plaques métalliques qui se tordaient sous l'effet de la chaleur.

— Vous ne devriez pas utiliser ça à l'intérieur, captain, protesta timidement un des pirates.
— Tu préfères te retrouver dans le même état que tous les types de la station ?

L'homme déglutit.

— Voyez s'il reste des morceaux vivants, poursuivit le capitaine. Je vais tenter de contacter la salle de contrôle.

Il devait rester des caméras en état de marche, car la porte devant laquelle le prieur s'était trouvé quelques minutes auparavant s'ouvrit pour laisser passer un géant au large sourire.

— Tu ne peux pas savoir comme je suis content de voir enfin arriver les renforts !
— Enfin ? sourit Harlock. À t'entendre, on dirait que tu viens de subir un siège...
— Ce salopard a tué quatre-vingt-dix pour cent de mes effectifs en moins de vingt minutes, répondit le géant, les dents serrées. Là-dedans, j'étais peut-être à l'abri, mais je n'avais pas l'arsenal que tu trimbales toujours avec toi pour me défendre.
— Ben faudra y penser, la prochaine fois...

Mitchell observa distraitement les pirates qui revenaient avec un bout du bâton du prieur en guise de trophée – heureusement, ils semblaient ne pas avoir jugé bon de ramener un bout du prieur lui-même. Puis, comme Harlock n'avait pas l'air de vouloir le présenter, ni même d'évoquer le virus, il se décida à intervenir.

— Colonel Cameron Mitchell... Du vingt-et-unième siècle, précisa-t-il. Le prieur a utilisé un virus contre vous. Vous auriez peut-être dû attendre...
— Nos analyses d'air n'ont rien révélé, coupa l'autre. Vous pensez que j'aurai risqué la contamination en sortant juste pour vous dire bonjour ? Je ne suis pas une tête brûlée comme votre ami le pirate !

Le pirate en question se contenta de hausser les épaules.

— Si tu ne voulais pas qu'on vienne t'aider, Shark, alors il ne fallait pas envoyer d'appel de détresse.
— Oui, bien sûr... Ou bien tu aurais pu faire comme Morgane et appeler avant d'entrer, petit génie...

                                                  —————

— Affichage vidéo sur écran principal.

Yattaran étudia les chiffre en provenance de la sonde avec attention tandis qu'il transférait les images envoyées par sa caméra sur l'écran tactique.

— Et ben ! C'est pas très impressionnant, commenta Sabu, blasé.
— C'est vrai qu'il n'y a pas grand-chose à voir, le taquina Kei.
— Attends... Je change la gamme de fréquences de la caméra...

La déchirure du continuum émettait dans l'ultraviolet et encore au-delà, par vagues concentriques. On ne décelait rien dans le spectre de lumière visible mais la sonde possédait toute une série de filtres sophistiqués... La deuxième vue que Yattaran transmit à l'écran tactique était autrement plus spectaculaire.

— Wow, fut le seul mot que Sabu trouva à dire, cette fois.

C'était grand, mouvant, et ça donnait l'impression de pouvoir jeter un coup d'œil direct dans la dimension warp. Le centre du phénomène bouillonnait d'activité.

— Ce sont exactement les coordonnées du point de saut temporel de l'Arcadia, fit Yattaran.
— Tu veux dire que nous avons quelque chose à voir là-dedans ? demanda Kei.
— Si ce n'est pas le cas, alors c'est une sacrée coïncidence, tu ne trouves pas ?
— Ses caractéristiques sont identiques à celle d'une porte des étoiles activée, intervint Sam Carter. Je crois bien que nous avons affaire à un trou de ver stable.

Yattaran considéra la « chose » pensivement.

— Une porte...
— Sauf qu'elle subsiste sans support, et ça, je ne me l'explique pas, continua Carter.

Kei balaya tous ces mystères de la science d'une main désinvolte.

— Après tout, l'essentiel est qu'elle soit là, dit-elle. Vous allez pouvoir rentrer chez vous...
— À condition que cela mène au bon endroit, marmonna Yattaran.

Il envoya de nouvelles instructions à la sonde. Ils savaient déjà que le passage fonctionnait dans un sens, restait à tester l'autre. Exécutant docilement les ordres reçus, le petit vaisseau automatique se rapprocha de la déchirure et disparut soudainement dès que son nez en toucha le centre.

— Wow, répéta Sabu. Ça ne ressemble pas à un saut warp...

Yattaran contrôlait toujours la sonde. L'image avait été brouillée lorsqu'elle avait franchi la déchirure, mais le flux de données n'avait pas été interrompu.

— Allez ma jolie, murmura-t-il. Montre-nous ce qui se cache de l'autre côté...

Tous les voyants d'alarme de la sonde s'allumèrent d'un coup.

— Putain !
— Que se passe-t-il ? demanda Carter.
— Sonde détruite. La liaison est coupée.
— Bon sang ! On ne peut pas passer ?
— Euh... Si, si.
— Expliquez-vous. Pourquoi votre drone a-t-il été détruit, dans ce cas ?

Yattaran isola les quelques fractions de seconde de vidéo que la sonde avait réussi à envoyer.

— Apparemment, les deux vaisseaux oris qui ont explosé de ce côté possèdent des amis...

L'image s'afficha sur l'écran principal. Elle n'était pas de très bonne qualité, mais la résolution était suffisante pour distinguer l'identité des vaisseaux... et leur nombre, surtout – au moins une dizaine.

— M'est avis qu'ils viennent par ici, constata Yattaran.

Kei étouffa une exclamation, puis enfonça le bouton de la radio.

— L'Arcadia pour le capitaine, dit-elle. Captain, il faut que vous rentriez à bord. Je crois que nous allons avoir beaucoup d'animation dans le coin d'ici peu...

                                                  —————

— Bien reçu, terminé.

Harlock rejoignit le doc qui discutait propagation microbienne avec Shark. Apparemment, le virus n'était plus dans l'atmosphère, mais il restait quelques souches actives sur les cadavres. Et cette station était infestée de cadavres.

— ... aucune contamination pour l'instant, disait Zero. Mais je préfère que vous attendiez que les tests du vaccin soient terminés. Une ou deux heures, au maximum.
— Pas le temps, doc, coupa Harlock.

Il referma l'unité de diagnostic sous les yeux ébahis du médecin.

— On met les voiles ! cria-t-il. On a de la compagnie !

Shark le retint par le bras.

— Attends un peu, gamin... Ton toubib m'a sermonné sur sa zone de quarantaine et me fait poireauter ici alors que j'aurais pu ramasser mes morts et chercher d'autres survivants, et toi, tu as l'intention de retourner maintenant à bord de ton vaisseau sans attendre ce putain de vaccin ?
— Tu ne m'appelles pas « gamin », siffla Harlock en se dégageant. Il y a dehors une dizaine de vaisseaux identiques à celui qui est encastré dans ce tas de ferraille. Toi et tes hommes pouvez venir sur l'Arcadia, ou rester leur tenir tête ici.
— Cen't possède en tout quatorze zones isolées. Je vais récupérer ceux qui ont réussi à s'enfermer à l'intérieur.
— Cette épave ne restera pas en un seul morceau suffisamment longtemps.

La voix métallique du système de sécurité de la station s'activa à ce moment comme pour corroborer ces derniers mots. « Fuite d'atmosphère hall central. Rupture de confinement imminente », annonçait-elle.

— Je reste... capitaine, s'entêta Shark.

Le contrebandier avait mis suffisamment de sarcasme dans le « capitaine » pour que tous ceux qui étaient à portée d'oreille puissent l'entendre – y compris le colonel Mitchell, remarqua Harlock, agacé.

— Et toi ? reprit le géant sur le même ton. Tu comptes leur tenir tête ici, ou bien trouver refuge dans un quadrant plus calme ?
— Je ne suis pas comme ça.
— Tout le monde n'est pas du même avis, gamin !

Harlock serra les poings. Il détestait ce genre d'insinuations. Bien sûr qu'il lui arrivait de battre en retraite ! Il n'était pas non plus suicidaire... Il lança un regard furieux à Shark. Le contrebandier avait adopté une pose décontractée, les mains dans les poches.

Et il avait la main posée sur la crosse de son arme, sous son blouson.

« Il a l'avantage et il le sait », pensa Harlock. « Je fais un geste pour le remettre à sa place et je me fais humilier en public. »

Reste calme. Ce ne sont que des mots...

— Meurs ici, alors, si c'est ce que tu veux, lâcha-t-il amèrement.

Shark éclata d'un rire sardonique.

— Va au diable, gamin ! Va t'amuser avec tes joujoux high-tech ! Ma station est peut-être bonne pour la casse, mais je vais te montrer que je peux encore me défendre avec !

                                                  —————

Morgane avait suivi les conseils de Shark malgré l'envie impérieuse qu'elle avait de voir de ses propres yeux ce qui se passait sur Cen't. Elle en profitait pour intercepter les émissions d'une sonde automatique que l'Arcadia avait envoyée vers ce qui semblait être une « anomalie warp ». En tout cas, c'est ce qu'affirmait Loren, l'officier scientifique.

Elle observa avec curiosité la sonde plonger dans l'anomalie. Le Speranz ne fut pas assez rapide pour intercepter les fragments de données en provenance de l'autre côté, mais perçut toutefois la destruction de la sonde. Presque aussitôt, l'Arcadia rallumait ses moteurs principaux et commençait à se désarrimer de la station.

Intéressant.

— Je détecte un pic d'activité warp, ma'am ! annonça l'opérateur radar.

Ce qui signifiait, en clair, qu'un ou plusieurs vaisseaux quittaient l'hyperespace à proximité.

— Nombreux échos au un sept un ! Distance douze point cinq, en rapprochement rapide !

L'Arcadia s'éloignait à toute vitesse de Cen't, boucliers relevés et conduites de tir activées. Okay, la paranoïa était une seconde nature chez Harlock, mais Morgane savait par expérience qu'il avait souvent raison. Ce ne pouvait pas être un convoi civil, vu sa vitesse et sa provenance, et le Speranz ne comptait de toute façon pas beaucoup d'alliés dans la zone.

— Aux postes de combat ! ordonna-t-elle.

Elle pesta contre ce foutu pirate qui n'avait même pas la délicatesse de la prévenir de ses intentions, puis elle se demanda comment, stratégiquement, elle pourrait s'arroger la meilleure part de l'action à venir. Il n'y avait aucune raison que l'Arcadia monopolise le devant de la scène.

Elle se cala dans son fauteuil avec un sourire.

                                                  —————

— Woops ! Eh ! Qui a pris le volant ?

La pièce penchait dangereusement. Vala rattrapa d'une main experte son verre qui tentait de s'échapper et lança un coup d'œil complice à Daniel. Peine perdue. Monsieur le professeur était plongé dans des archives historiques et le monde aurait pu s'effondrer autour de lui sans qu'il interrompe sa lecture. Et pourtant, ce n'était pas faute d'avoir essayé.

Vala se planta une nouvelle fois devant lui, coudes sur la table et sourire aguicheur aux lèvres.

— Ça ne t'intéresse pas, d'aller voir ce qui se passe, mmh ?

Daniel répondit par un grognement. Cela voulait dire « vas-y, toi, et laisse-moi tranquille ». D'ordinaire il changeait d'avis dès qu'elle faisait mine de s'inquiéter pour sa santé, ses yeux, ou quoi que ce soit d'autre, mais cette fois-ci elle n'eut même pas à insister. Simultanément, l'éclairage diminua d'intensité, les hauts parleurs diffusèrent un long coup de klaxon strident et l'estomac de Vala lui remonta dans la poitrine, preuve que l'Arcadia accélérait plus vite que les capacités des compensateurs inertiels. Daniel jura : son terminal s'était éteint – le vaisseau devait avoir besoin d'un maximum d'énergie ailleurs. Dans les systèmes d'armes, par exemple.

— Okay ! J'ai compris ! râla-t-il. Viens, on va en passerelle.

Vala lui lança une œillade triomphante qu'il fit semblant d'ignorer. Il bouda jusqu'à ce qu'ils sortent de l'ascenseur. Après, ça lui sortit de la tête. Il y avait de quoi. La première chose à laquelle Vala pensa, ce fut qu'une flotte de cette importance risquait de se jouer d'une éventuelle résistance avec la même facilité que la première vague d'assaut ori avait détruit les forces combinées humaines et jaffas.

Ce qui était bizarre cependant, c'était que l'Arcadia ne manœuvrait pas pour éviter l'affrontement – au contraire.

Il régnait en passerelle un calme surréaliste, de celui qui s'installe juste avant les grandes tempêtes, par exemple.

— Ôtez-moi d'un doute, demanda Vala à un Harlock qui faisait de son mieux pour paraître absorbé par un diagramme de trajectoire et ignorer leur présence. Vous ne comptez pas vous opposer à eux avec seulement deux vaisseaux, si ?

Le capitaine de l'Arcadia se tourna vers elle avec réticence. Vala avait toujours l'impression qu'il hésitait entre l'étrangler maintenant ou plus tard. Okay, elle avait essayé de le séduire (et elle comptait bien continuer), mais il n'allait pas lui en tenir rigueur éternellement, tout de même.

— J'ignore quelles sont les intentions de Morgane, répondit-il à contrecœur. Elle est libre d'attaquer ou non. Quant à moi, je viens de constater les effets de leur croisade sur Cen't. Il est hors de question que je les laisse passer sans rien faire.
— Vous ne comptez pas vous opposer à eux tout seul ?
— Où est le problème ?

Ça y est, elle en était sûre maintenant : cet homme était complètement dingue.

— C'est de l'inconscience ! intervint Daniel. La technologie de ces vaisseaux est supérieure à celle des nefs asgards. Et ils sont au moins une dizaine !
— Neuf, corrigea Harlock. Rien qui ne soit insurmontable.

Il darda un regard noir sur Vala qui ravala sa remarque sur la santé mentale du capitaine. Enfin bon, s'il voulait se suicider, c'était son affaire, hein ?

Elle aurait juste apprécié qu'il ne l'entraîne pas avec elle. Ou qu'il lui fournisse un canot de sauvetage.

                                                  —————

Harlock s'installa confortablement dans le fauteuil de commandement et vérifia rapidement que tous les systèmes de l'Arcadia étaient opérationnels. Il avait encore le temps avant de reprendre la manœuvre – avec sa trajectoire actuelle, l'Arcadia intercepterait ses adversaires dans un peu plus de douze minutes.

Les senseurs longue portée affichèrent les résultats de leur scan ; les calculateurs du bord entrèrent aussitôt en action pour modéliser une image tridimensionnelle des vaisseaux oris sur l'écran tactique, tandis que l'ordinateur principal cherchait les meilleurs points d'impact pour causer un maximum de dommages en un minimum de coups. Rien d'insurmontable, effectivement, mais la partie s'annonçait tout de même serrée.

Le capitaine plia et déplia sans y penser son bras blessé et réprima une grimace lorsque la plaie frotta désagréablement sur les bandages. Il sentait la perfusion diffuser au goutte-à-goutte le contrepoison dans son avant-bras, et se demanda une énième fois pourquoi cela n'avait pas été possible de tout lui injecter en une seule fois.

Puis il surprit le regard réprobateur de Kei et se força à reposer son bras sur l'accoudoir et à l'y maintenir immobile. Qu'elle ne s'imagine pas qu'il allait lui fournir des arguments pour qu'elle le renvoie à l'infirmerie.

La jeune femme blonde haussa imperceptiblement les épaules (« Très bien, faites ce que vous voulez ») auquel il répondit par un léger mouvement de sourcil (« Parfaitement, j'en ai bien l'intention »). Kei leva les yeux au ciel avait de se concentrer à nouveau sur les vaisseaux ennemis. La distance qui les séparaient de l'Arcadia diminuait rapidement.

Harlock se rapprocha de la barre.

                                                  —————

Morgane étudiait les projections des trajectoires des différents vaisseaux en présence sur sa propre console tactique. Les ennemis – les « Oris » et leurs bizarres aéronefs circulaires – avançaient en formation serrée. L'Arcadia avait adopté une trajectoire d'interception selon une stratégie chère à Harlock et qui avait maintes fois fait ses preuves, à savoir « je fonce dans le tas ». Tel qu'il était parti, il visait l'appareil au centre de la formation dans le but de la scinder en deux et de diminuer la puissance de feu combinée des vaisseaux.

La réussite d'une manœuvre comme celle-ci reposait en grande partie sur l'impact psychologique que l'Arcadia engendrait chez ses adversaires. Morgane n'avait jamais expérimenté la chose, mais voir un vaisseau de cette taille prendre, contre toute logique, une route de collision devait être assez perturbant, surtout lorsqu'on se trouvait précisément au point de collision.

Ajoutez à cela la vision désagréable de la tête de mort sur la proue et la réputation de son capitaine – pas le genre à dévier d'un iota, hein ? – et on obtenait en général des ennemis paralysés par la peur et qui ne songeaient même pas à riposter de manière cohérente ; alors que, de l'avis de Morgane, un tir continu concentré sur un seul point de la proue de l'Arcadia devrait suffire à surcharger ses boucliers et obliger Harlock à réfléchir à deux fois avant d'envoyer son vaisseau au crash.

Non qu'elle fut tentée d'essayer, d'ailleurs, elle le savait parfaitement capable de se faire exploser avec son équipage et son adversaire si jamais l'envie le prenait.

Enfin... Tout ça comportait tout de même un inconvénient majeur : implicitement, Harlock la reléguait au second plan. À lui le gros du travail, à elle de s'occuper des éventuels fuyards qui échapperaient aux canons de l'Arcadia.

Elle se tourna vers Loren. Si encore Harlock lui avait demandé gentiment de l'aider, mais non, apparemment, il considérait qu'un appui feu du Speranz lui était inutile.

— Calcule-moi une solution de tir pour le vaisseau central, demanda-t-elle.
— C'est celui que le capitaine Harlock a pris pour cible, protesta l'officier scientifique.
— Exact. Mais pour autant que je sache, l'Arcadia n'a pas l'exclusivité, il n'est pas dans notre gabarit de tir, et nous serons en portée avant lui.

Loren hésita un peu avant de s'exécuter.

— Ça ne va pas lui plaire, marmonna-t-il.
— Aucune importance.

Il y avait plusieurs moyens de désorganiser une formation, et quelques torpilles bien placées pouvaient être aussi efficaces qu'un éperonnage.

Il était temps qu'elle prenne l'initiative.

                                                  —————

Le prieur avait été honoré que l'Orici lui confie le commandement de cette flotte. Il se réjouissait déjà des multiples planètes qui pourraient être converties et s'était contenté de mépriser les deux seuls vaisseaux qui les attendaient. Les infidèles ne s'étaient pas rassemblés en nombre suffisant pour l'inquiéter, et tenter de convertir deux misérables équipages serait une perte de temps.

Cependant, la manœuvre que l'un des vaisseaux était en train d'amorcer le laissait perplexe. Se pouvait-il que ces infidèles aient l'intention d'attaquer ? Ignoraient-ils la toute puissance des Oris, ou ne fallait-il voir là qu'un geste désespéré, un renoncement face à la force de la vraie foi ?

Le prieur régla les armes de sa nef sur la cible et transmit aux autres vaisseaux de faire de même. Si ces humains pensaient pouvoir s'approcher assez près pour leur causer des dommages, ils se trompaient.

C'est alors que la première torpille explosa.

                                                  —————

Shark avait retrouvé sept survivants ainsi que toute une batterie de défense encore pleinement fonctionnelle. Seule la liaison entre la salle de contrôle principale et le système de tir était hors-circuit. Une simple dérivation vint à bout du problème.

Les radars avaient souffert de l'affrontement précédent mais la vidéo était toujours exploitable. Shark se fendit d'un qualificatif imagé à l'égard des vaisseaux oris.

— Vous pensez m'impressionner en envoyant des renforts ? grogna-t-il.

La conduite de tir se recala sur les échos radar.

                                                  —————

Harlock maintenait fermement la barre dans l'axe et l'Arcadia sur sa route, ignorant les voyants d'alarme qui tentaient de lui faire savoir qu'un obstacle se trouvait sur la trajectoire. D'après Tochiro, les Oris posséderaient une faiblesse structurelle de leur coque à proximité de leur cœur énergétique. Il ne restait qu'à vérifier l'information, et ce serait chose faite d'ici moins de cinq minutes maintenant, lorsque les deux vaisseaux se rencontreraient.

Un flash illumina soudain la passerelle.

— Explosion au niveau du vaisseau central ! annonça Kei. D'après le spectrogramme, la cause la plus probable serait une torpille à plasma...

Harlock jura en activant un canal général sur l'intercom. Les torpilles à plasma ne se baladaient pas toutes seules, d'ordinaire.

— Morgane, espèce de garce ! Celui-là était à moi !
— Je n'ai vu nulle part la pancarte « réservé », pirate de mon cœur, rétorqua une voix moqueuse.

La formation ennemie avait viré de bord et se réorganisait pour riposter. Le capitaine lâcha un nouveau juron – il n'était plus idéalement placé pour un éperonnage. En revanche, s'il continuait ainsi, il serait idéalement placé pour recevoir le feu croisé de tous ses adversaires en même temps. Ne jamais attaquer une formation par le flanc, bordel, c'était la première chose qu'on apprenait en stratégie astronavale !

Il fit plonger l'Arcadia pour se repositionner, et seul l'instinct lui permit d'éviter le tir qui provenait de son arrière.

— Cen't a ouvert le feu, captain ! fit l'opérateur radar.
— J'ai vu, oui ! Et j'aimerais un peu plus de préavis, la prochaine fois !

Les Oris étaient suffisamment proches, à présent. Tant pis pour la manœuvre construite et les subtilités stratégiques.

— À toutes pièces, commencez le tir !

                                                  —————

Cam s'était arrêté devant un hublot solitaire près du hangar à navette et essayait d'apercevoir quelque chose par la vitre tout en pestant contre son inactivité, je suis un homme de terrain, pas un passager lambda, et au SG-C j'aurais trouvé un truc à faire, une équipe pour une action commando ou des anneaux pour me tirer d'ici. Les non-commentaires stoïques de Teal'c ne modifiaient pas son humeur.

Une dizaine de pirates envahirent soudain la coursive et le hangar, qui s'anima brusquement. Des bras métalliques déplacèrent les appareils pour les positionner sur ce qui ressemblait à une rampe de lancement, tandis que leurs pilotes s'équipaient fébrilement.

Cam arrêta un retardataire qui se hâtait, casque sous le bras.

— Eh ! Je suis pilote, est-ce qu'il reste un appareil disponible ?

L'autre haussa des sourcils étonnés.

— Bah, on n'utilise pas le quart des jets en état de fonctionner ici, répondit-il. Mais je ne pense pas...
— Je me débrouillerai, coupa Mitchell. Montrez-moi juste les commandes de base, le système de visée et le bouton pour tirer.

Le pirate hésita un instant, il sembla sur le point d'argumenter, lorsque deux de ses collègues, revenus sur leurs pas, l'apostrophèrent bruyamment.

— Qu'est-ce que tu fous ? La première escadrille est déjà partie, ce n'est pas le moment de traîner !

L'intéressé, pris en flagrant délit de « je discute dans la coursive plutôt que de monter dans mon jet », eut une moue résignée, et fit à l'intention du colonel (et de Teal'c par la même occasion) un geste qui pouvait être interprété n'importe comment et que Cam prit de façon tout à fait arbitraire pour un « d'accord, suivez-moi ».

Il adressa à Teal'c le sourire du gamin qui vient de découvrir que le plus gros paquet au pied du sapin lui est destiné et emboîta le pas des pirates. Il surprit plusieurs regards sceptiques lorsqu'il entra dans le hangar et attrapa un casque libre, mais personne ne se décida à l'arrêter. Toujours imperturbable, Teal'c finit à son tour par s'approprier un casque.

Tous deux se dirigèrent vers des appareils encore inoccupés.

— Non ! Pas ceux-là ! cria un technicien en bleu de travail maculé d'huile. Prenez les Bravo trois et quatre, ils sont prêts au décollage !

Le colonel remercia d'un geste, se demanda s'il devait insister pour que quelqu'un lui donne un cours accéléré avant qu'il ne décolle, remarqua que le tableau de bord était tout ce qu'il y a de plus classique et que les inscriptions étaient compréhensibles, et décida finalement qu'il était inutile de focaliser l'attention des pirates sur des détails au risque de se voir refuser l'occasion de voler.

Il monta joyeusement à bord de l'appareil.

— En route, Teal'c ! lança-t-il.

Le Jaffa esquissa une ébauche de sourire et s'installa dans le deuxième jet. Cam chercha lequel des boutons correspondait à la radio et espéra que les fréquences étaient préprogrammées.

— Est-ce que vous me recevez, colonel Mitchell ? demanda la voix de Teal'c.

Vexé que son coéquipier ait trouvé ce qu'il cherchait avant lui, Cam baissa toutes une rangée d'interrupteurs, dont un qui déclencha un voyant intitulé « armement missile » et qu'il s'empressa de relever.

Il mit enfin la main sur la radio.

— Cinq cinq, Teal'c, répondit-il.

Le technicien leva le pouce à leur intention. Cam répondit de la même manière et chercha discrètement le bouton « allumage moteurs » tandis que son appareil se plaçait automatiquement sur la rampe de lancement.

Il réussit à mettre les réacteurs en marche au moment où la catapulte le propulsait dans l'espace. Le jet eut comme un hoquet lorsqu'il sortit de l'Arcadia, mais Cam reprit rapidement les commandes avec toute la dextérité d'un pilote expérimenté, habitué à se retrouver assis à l'intérieur de toutes sortes de machines bizarres aux modes opératoires aussi exotiques que dissemblables.

— Je couvre votre flanc droit, colonel Mitchell, déclara Teal'c.
— Parfait. Allons prêter main forte aux autres !

                                                  —————

La situation tactique devenait complexe à gérer. L'Arcadia avait lâché ses jets contre toute une flopée de monoplaces ennemis sortis d'un des grands vaisseaux tandis que Cen't se défoulait sur quiconque entrait dans le champ de ses conduites de tir. Le Speranz était à présent trop près pour utiliser ses torpilles et ripostait avec sa DCA. Morgane envisageait l'utilisation du lance-roquettes, bien plus efficace mais un peu trop dispersif – les spacewolfs de l'Arcadia s'obstinaient de toute façon à passer et repasser dans le gabarit de tir.

— Je déteste mener des actions combinées, grommela-t-elle.

Derrière son pupitre, Loren leva un sourcil amusé.

— Rappelle-moi quand tu as planifié une action combinée avec les deux autres ?

Morgane préféra ne pas répondre au sarcasme. Elle était parfaitement consciente qu'elle ne se résolvait à accepter des alliés et adopter une stratégie commune que lorsqu'elle estimait être incapable de faire face à l'ennemi – ce qui était, somme toute, assez rare. En l'occurrence, dans le cas présent, c'était juste « un peu » tendu (et encore, uniquement parce qu'elle se restreignait à ne pas tirer sur Harlock).

L'Arcadia choisit ce moment pour passer majestueusement à moins d'une longueur de vaisseau de la proue du Speranz, et se paya le luxe d'intercepter non seulement le tir ennemi qui lui était destiné, mais aussi celui qui visait le vaisseau de Morgane et la salve de riposte qu'elle-même venait d'ordonner.

— C'est ta manière de me faire comprendre que tu maîtrises la situation, monsieur le pirate ? siffla-t-elle entre ses dents.

Les boucliers énergétiques des deux vaisseaux lancèrent quelques étincelles de protestation lorsqu'ils entrèrent en contact, mais Morgane opta humblement pour un changement de trajectoire. Sa spécialité, à elle, c'était les torpilles longue portée, pas l'éperonnage. Elle passa sa mauvaise humeur sur un ennemi qui se rapprochait imprudemment – l'Arcadia ne se trouvait presque pas dans sa ligne de visée, et seuls quelques tirs allèrent se perdre dans le bouclier du vaisseau vert.

Harlock eut le bon sens de ne pas protester.

                                                  —————

La flotte ori était en déroute. Cela paraissait invraisemblable et pourtant, le prieur dût se résoudre à l'admettre après avoir observé l'explosion d'un troisième vaisseau-nef – un tiers de ses forces. Le plus dérangeant, ce n'était pas la résistance inattendue des infidèles, ni leur évidente avance technologique. Non, ce qui perturbait le prieur, c'était cette impression persistante que leurs deux vaisseaux ne lui prêtaient pas plus d'attention qu'à... disons... un moustique à écraser. Ses soldats le sentaient eux aussi, et la panique gagnait petit à petit les rangs oris. Les chasseurs affolés quittaient leur formation pour ne gagner qu'un court répit avant de tomber sous le feu des appareils ennemis tandis qu'un quatrième vaisseau-nef, secoué d'explosions, tentait en vain de rejoindre l'anomalie spatiale qui les avait amenés ici.

Un frisson désagréable traversa le prieur. Il était impossible qu'ils ne puissent pas vaincre, et pourtant il se prenait à douter. Il se concentra sur les Écrits des Origines, la seule vérité en cet univers. Que disait le Livre ? N'y avait-il pas une parabole qui s'adaptait à cette situation ? « Ceux qui s'opposent à l'enseignement des Origines seront réduits en poussière. » Bien sûr, mais ceux-là y mettaient vraiment de la mauvaise volonté.

Le prieur ferma les yeux, tenta de s'isoler des alarmes, des cris et des échos de souffrance psychique de la bataille, n'y parvint pas et décida que la phase « réduction des infidèles en poussière » pouvait attendre un peu, au moins le temps de leur trouver des points faibles. Il ne tirerait aucune gloire de cette bataille et aurait à supporter la honte de rapporter sa défaite à l'Orici, mais il espérait que les informations qu'il avait collectées en faisant scanner les deux vaisseaux pourraient suffire à les vaincre lors de leur prochaine rencontre.

Il ordonna le repli.

                                                  —————

— Yaaouuh ! Prenez ça !

Le jet exécuta un looping artistique et tira une salve en direction d'une formation de chasseurs oris isolée, qui s'égailla. Cam Mitchell ne s'était pas senti aussi euphorique depuis qu'il avait appris qu'il reprenait le commandement de la légendaire équipe SG-1. Il fallait absolument qu'il récupère un de ces appareils pour le SG-C. Carter pourrait le décortiquer et en comprendre le fonctionnement, puis ils commenceraient la production en série en zone 51 et...

— Colonel Mitchell ! Ils sont derrière vous !

La voix de Teal'c lui remit les pieds sur terre... enfin, façon de parler. Cam effectua un demi-tour serré pour se replacer, mais ses ennemis l'ignorèrent – ils avaient l'air pressé de retourner vers leur vaisseau-mère.

Ledit vaisseau avait d'ailleurs modifié sa route... à l'imitation des autres vaisseaux oris restants. Cam écarquilla les yeux.

— Ils se replient, Teal'c ! s'exclama-t-il.
— En effet.

Le colonel hésitait à poursuivre les traînards lorsqu'il se rendit compte qu'il n'avait plus les commandes. Heureusement pour le bon fonctionnement général de l'appareil, la communication radio de l'Arcadia leur épargna les coups de poing et autres traitement de choc que Cam s'apprêtait à leur faire subir.

— À tous les pilotes. Fin de mission, présentez-vous à la rampe d'accès principale. Je répète...

Mitchell grogna de frustration. Pour une fois qu'il avait l'occasion d'administrer une dérouillée monumentale aux Oris !

L'Arcadia s'était rapprochée et récupérait petit à petit ses jets. Le colonel n'avait toujours aucun contrôle sur le sien, mais il avait l'impression qu'on le faisait poireauter tandis que tous les pirates s'engageaient les uns après les autres dans la porte du hangar béante, sous le vaisseau. Probable qu'Harlock tenait à lui faire savoir une fois de plus qu'il était moins important que ses membres d'équipage... Ah, il devait penser à autre chose s'il ne voulait pas déverser tout son ressentiment par la radio, ça risquait d'être mal perçu, à l'autre bout.

Il se posa bon dernier, une éternité après Teal'c lui sembla-t-il, et après qu'une voix métallique eut successivement annoncé « défaut porte hangar numéro trois », « radar d'approche en mode secours, contrôle automatique petite vitesse » et « défaillance pressurisation ». Il n'était pas loin de penser qu'Harlock le faisait exprès.

— J'ai également dû attendre à l'entrée du hangar, colonel Mitchell, répondit Teal'c lorsqu'il lui fit part de son hypothèse. Ils ont certainement été endommagés par un tir ori.

Le Jaffa haussa un sourcil comme pour faire savoir au colonel qu'il n'avait aucune raison de se sentir visé.

N'empêche.

                                                  —————

Harlock pouvait presque entendre le colonel Mitchell se plaindre dans son spacewolf. Il caressa un instant l'idée de le laisser en plan, ou peut-être de prétexter un dysfonctionnement du pilote automatique pour le renvoyer sur Cen't, ou même chez Morgane...

Mmm, non, ça allait se voir, d'autant plus que Sam Carter fronçait les sourcils dans sa direction et que cela ne pouvait signifier que « hého, mon colonel est toujours dans l'espace, vous ne seriez pas en train de l'oublier, par hasard ? ».

Il ne put se retenir de sourire, ce qui accentua l'expression de suspicion réprobatrice de la scientifique.

— Portes fermées, annonça Kei. Tous nos appareils sont à bord, capitaine.

Y avait-il un reproche sous-jacent, dans la voix de la jeune femme, ou était seulement le fruit de son imagination ? Ah, bah. Était-ce sa faute, s'il n'appréciait pas le nouveau leader de SG-1 ? L'inverse était vrai aussi, d'ailleurs. Ce Mitchell n'avait qu'à faire un effort.

Pff. Et bien puisque ça a l'air de s'être un peu calmé par ici, autant les ramener chez eux.

Yattaran affirmait que le trou dans le continuum les mènerait au bon endroit... dans cet univers où l'Arcadia avait contribué à empêcher l'explosion de la planète au « point zéro ». Le capitaine se méfiait cependant de cette anomalie spatio-temporelle qui tombait trop à pic, une sacrée coïncidence, n'est-ce pas ?

Ah. Son second était justement en train d'argumenter sur le sujet.

— ... une connexion entre nos deux univers le long du flux hyperspatial qui relie la Terre à ce point précis de l'espace, disait-il. Le continuum était fragilisé sur cet axe après les sauts temporels de l'Arcadia et a fini par se déchirer au point zéro, générant cette « ouverture ».
— L'Arcadia n'a pas provoqué ça ! protesta Kei.
— Nous l'avons initié, corrigea Yattaran. Mais je pense qu'il a fallu d'autres sauts temporels identiques au nôtre pour stabiliser le phénomène... et permettre le passage de ces Oris.

Oh, vraiment ?

— ... et donc, à mon avis, la création de cette ouverture n'a pu être provoquée que par le saut d'un vaisseau de notre époque. Je doute que les Oris maîtrisent le côté temporel de la navigation warp.

Fascinant. Quelqu'un avait donc bravé les tabous habituels des voyages dans le temps. Non que le saut à rebours soit difficile, un réacteur warp endommagé avait même tendance à remonter le temps tout seul, mais cela restait une manœuvre risquée – on n'était jamais sûr de pouvoir revenir exactement au même endroit.

Et, si rien n'avait pu être prouvé scientifiquement, les superstitions au sujet des paradoxes temporels étaient tenaces parmi les navigateurs de l'espace. Personne n'avait réellement envie de se retrouver face à son double, ou d'œuvrer par mégarde à sa propre destruction. Des histoires horribles d'agonie éternelle ou de piège dimensionnel se racontaient d'un bar de spatioport à l'autre, sans que personne ne soit capable de les confirmer ou les infirmer, d'ailleurs.

Harlock examina les diagrammes que Yattaran avait affichés sur l'écran tactique de la passerelle. Toutes les simulations semblaient confirmer le passage vers le vingt-et-unième siècle que l'Arcadia avait déjà visité. Bah, il était inutile de tergiverser – s'il ne traversait pas maintenant, Mitchell tenterait probablement de l'étriper la prochaine fois qu'il le croiserait.

                                                  —————

La station était perdue. Shark rassembla les survivants et les quelques vestiges encore récupérables (essentiellement des archives informatiques, les données du système de sécurité, plus une dizaine de caisses sorties de son coffre-fort personnel) et embarqua à bord d'un vaisseau cargo qui avait échappé au désastre.

Un survivant, lui aussi. L'astronef était amarré au deuxième dock depuis si longtemps que certains techs avaient cru qu'il faisait partie intégrante de la station. Shark avait craint que le berceau d'ancrage ne soit soudé par la rouille, ou que le générateur ne se révèle finalement défaillant, mais la manœuvre de désarrimage se déroulait sans accroc.

« Cette vieille épave a encore de la ressource », pensa-t-il.

Seuls quelques grincements de protestation émanant des vérins à nouveau sollicités trahissaient l'âge du cargo.

Un des hommes pestait avec la barre.

— Cet engin date du siècle dernier ! grognait-il.
— Presque, sourit Shark.

Les écrans se rallumaient les uns après les autres au fur et à mesure que les systèmes de navigation étaient réactivés. Aucun appareil n'avait fait défaut jusqu'ici. C'était presque trop beau. Depuis combien de temps ce vaisseau moisissait-il ici sans personne pour assurer la maintenance ? Shark effectua un rapide calcul mental... Quasiment quinze ans. Et il avait démarré au quart de tour.

— Ils n'en construisent plus, des comme ça, soupira-t-il.

Les gars avaient protesté lorsqu'il les avait conduits à ce dock – évidemment, la plupart étaient trop jeunes pour avoir connu la glorieuse époque de ce type de cargo. Il avait fait taire les récriminations en affirmant que c'était tout ce qui restait, mais à vrai dire, il n'avait même pas pris la peine de vérifier. Ce vaisseau avait été présent lors des débuts de Cen't, cela lui paraissait logique de clôturer cette période en repartant avec.

Sans compter que le cargo avait un nom prédestiné. Il aimait ça, les clins d'œil du destin.

— Tous les systèmes sont opérationnels, annonça le barreur. Réserves d'énergie à soixante-dix-sept pour cent. Procédure de désarrimage terminée.
— Avant lente, ordonna Shark. Réacteur principal à dix pour cent.

Le Phényx se dégagea du dock avec toute la dignité que lui conférait son âge, laissant derrière lui la station spatiale moribonde. Shark ressentit un petit pincement au cœur lorsque l'écran de visualisation afficha une image de Cen't. Il devrait reconstruire... Tout recommencer. Il s'était assuré d'en avoir les moyens, bien sûr, que ce soit dans les caisses qu'il avait sauvées, ou dans de multiples coffres à travers la galaxie, mais nul ne pouvait rester de marbre quand des années de travail partaient en fumée, pas même un contrebandier endurci tel que lui.

Voilà qu'il devenait sentimental... Ce devait être l'âge – il ne rajeunissait pas, lui non plus. Bientôt, il serait lui aussi une épave que les jeunes loups considéreraient avec dédain.

Les bips du radar interrompirent le cours de ses pensées. Le Phényx se rapprochait du champ de bataille et le barreur s'employait à slalomer prudemment entre les débris.

— Quel sera notre cap, monsieur ? demanda le navigateur.
— On reste ici pour le moment. Essayez de prendre contact avec l'Arcadia.

Il avait certaines choses à régler avant de s'occuper de reconstruire quoi que ce soit. Rien ne prouvait que les événements qui avaient affecté sa station ces dernières semaines étaient liés, mais son instinct lui soufflait qu'un certain pirate possédait une bonne vision globale de la situation.

— Aucune réponse d'Harlock, déclara le radio. Mais j'ai un appel du Speranz sur la fréquence.
— Sur écran.

Le contrebandier sourit de toutes ses dents à Morgane. Les néo-humains comptaient parmi ses meilleurs clients.

— Tu ne saurais pas comment joindre Harlock ? demanda-t-il. J'ai la vague impression qu'il est à l'origine de tout ce micmac.
— C'est une constante, chez lui, sourit la fille. À croire qu'il attire les ennuis. Et non, je ne sais pas le joindre. Il s'est rapproché de l'anomalie spatiale qui s'est installé près de chez toi, et toutes ses communications sont brouillées.

Ah. Ça, c'était ennuyeux. Les satellites d'observation de Cen't avaient enregistré le phénomène sous toutes les coutures depuis son apparition et avant qu'il ne commence à cracher des vaisseaux inconnus, et Shark s'était maudit de ne pas avoir analysé les résultats plus tôt.

Et maintenant, Harlock avait l'air de vouloir passer à travers lui aussi. Ça n'allait pas arranger les choses.

— Il y a un problème, avec ce truc, expliqua-t-il à Morgane. Mais je ne peux pas développer par radio, c'est assez compliqué. Faut que tu viennes à bord.

Un pli soucieux barra le front de la néo-humaine.

— C'est grave ?
— Plutôt.

Le Speranz manœuvra en souplesse pour se placer parallèlement au Phényx. Au loin, l'Arcadia vacilla puis disparut lorsqu'il atteignit la déchirure.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top