2 - Chapitre 3

L'étoile Eridan Neuf était située en limite de la Bordure. Elle possédait un système planétaire composé de sept géantes gazeuses et de multiples satellites, tous inhabitables, et était jumelée à une naine brune dont l'orbite erratique perturbait grandement la gravitation dans la zone. Autant dire que la navigation spatiale s'y avérait particulièrement ardue.

Le vaisseau qui se faufilait entre deux astéroïdes semblait pourtant parfaitement à son aise. Il évita habilement un piège gravitationnel invisible avant d'adopter une orbite plus large. C'était un appareil semblable aux cargos qui croisaient de planète en planète sans jamais quitter leur système solaire d'appartenance. Les flancs de celui-ci étaient cependant balafrés de toutes sortes d'impacts qui n'étaient visiblement pas dus à des rencontres impromptues avec des météorites. Une curieuse quille, disproportionnée par rapport à la taille du vaisseau, contribuait à lui conférer un aspect plus menaçant que n'aurait eu un inoffensif cargo – les batteries de canons devaient jouer également.

Afin de dissiper les doutes d'un éventuel observateur, il arborait de plus le pavillon à tête de mort, crâne et tibias entrecroisés sur un fond vert délavé.

Morgane commandait le Speranz depuis plus d'une quinzaine d'années. Son domaine de prédilection était peut-être moins étendu que celui de l'Arcadia, mais sa réputation n'avait pas à rougir de la comparaison avec celle d'Harlock.

Le vaisseau poursuivit sa patrouille le long de la Bordure. Les territoires néo-humains n'avaient guère été inquiétés par les mécanoïdes qui leur préféraient des planètes plus fertiles, et plus accessibles.

Les humains, quant à eux, ne s'aventuraient que rarement dans cette zone où les radiations finissaient par leur être fatales – seules quelques planètes limitrophes avaient été aménagées pour eux.

— Contact sonar ! annonça l'opérateur.

Morgane se redressa sur son siège. Elle naviguait trop loin des routes commerciales : les vaisseaux civils honnêtes avaient depuis longtemps appris à éviter largement le coin. S'agissait-il d'un imprudent qui s'était égaré, d'un fugitif qui cherchait un refuge illusoire ou d'un imbécile qui se prenait pour un héros ?

— Activez le bouclier de camouflage, ordonna-t-elle. Et armez les torpilles longue portée.

Le sonar basse fréquence installé dans la quille lui donnait l'avantage d'une portée de détection inégalée dans la galaxie. Le Speranz était capable de repérer et engager ses cibles avant même qu'elles n'aient conscience de sa présence.

Un cadeau d'un certain Tochiro Oyama...

                                                  —————

Quelque chose sonnait. Strident. Une sonnerie... Deux... Trois...

Harlock finit par admettre que l'appel devait lui être destiné, puis identifia la surface lisse sur laquelle il était allongé comme son bureau.

— Harlock, répondit-il en enclenchant l'interphone.

Il ne se souvenait pas comment il avait atterri ici... Ah, si. Une histoire de cryptage. Il ne restait qu'à se rappeler ce qu'il était en train de crypter.

— Capitaine, enfin !

C'était Yattaran. En passerelle.

— Nous avons atteint la destination que vous aviez programmée dans le pilote automatique, capitaine, reprit son second d'un ton un petit peu angoissé. Il n'y a aucune planète ou station spatiale habitée sur un rayon de vingt années-lumière, au moins... Qui soit répertorié, en tout cas. Vous pouvez me dire ce que vous êtes venu chercher dans cette zone ?

Grnf. Zone ? Quelle zone ?

— J'arrive, fit Harlock.

Normalement, ses idées devraient s'éclaircir en chemin. Le capitaine se trouvait vaguement ouateux. Le réveil en sursaut, probablement...

— Capitaine ? continuait Yattaran. Capitaine, est-ce que ça va ?
— Ça va, répondit-il automatiquement.

Ses jambes n'avaient pas l'air du même avis. Il insista, mais constata vite qu'il lui était impossible de rejoindre la porte de sa chambre, qui s'éloignait au fur et à mesure qu'il avançait.

Il finit par s'effondrer au sol.

Aïe.

Une douleur cuisante lui remontait le long du bras. Il se mordit les lèvres. Il avait l'impression que tout son corps irradiait une chaleur intense. Sa vue se brouillait bizarrement – les murs de ses quartiers se coloraient d'un camaïeu de jaune orangé tandis que le plafond s'incurvait comme s'il voulait le broyer.

Le point positif, c'est que tout cela lui remit en mémoire les événements, SG-1, le cryptage et tous les petits détails annexes – le doc qui n'avait cessé de le harceler pendant ces quatre derniers jours, l'état de Josh qui s'était aggravé au point que Zero avait été forcé de le placer en stase contrôlée et l'envoi d'un message d'identification muni d'un code bien spécifique qui devait éviter à l'Arcadia des désagréments futurs, comme se faire attaquer sans sommation, dans le meilleur des cas.

Le capitaine regarda son bureau. Son ordinateur était toujours allumé ; l'écran indiquait « encodage terminé ».

Il fallait qu'il transmette le message maintenant. Et s'ils étaient déjà arrivés, comme venait d'ailleurs de lui dire Yattaran, alors il était même déjà trop tard.

                                                  —————

Il y avait eu une légère vibration. Cam ne l'aurait pas senti s'il n'avait pas été en train d'ajuster sa visée et que le tressautement ne lui fasse manquer sa cible. Agacé, il avait jeté un coup d'œil par le hublot de la salle d'entraînement et s'était aperçu qu'ils étaient revenus en espace normal.

Depuis leur départ de la Terre, ils alternaient les sauts en hyperespace avec de courts passages en navigation sub-luminique. Mais il n'y avait pas eu d'annonce générale pour annoncer le prochain saut, cette fois-ci. Ils devaient donc avoir atteint leur terminus.

Carter lui avait montré la distance qu'ils avaient parcourue : la trajectoire qu'ils suivaient les rapprochaient du centre de la galaxie. Une zone qui n'était pas desservie par le réseau de porte des étoiles et que Sam qualifiait d'instable. Les pirates la nommaient « la Bordure », ce qui était idiot, en un sens, car elle était entourée de territoires colonisés par les humains ou d'autres races aliens dont Mitchell n'avait jamais entendu parler.

Il monta à la pêche aux renseignements en passerelle. Yattaran, le second ou ce qui en tenait lieu d'après l'enquête que le colonel avait menée à bord, était assis dans le fauteuil de commandement.

Bonne nouvelle. Au moins, il n'aurait pas à supporter l'hostilité quasi ouverte d'Harlock, qui ne manquait pas de lui faire remarquer à chaque fois qu'il le voyait qu'il n'était intervenu que parce qu'il pensait retrouver le général O'Neill, et que jamais il ne se serait déplacé s'il avait su qu'il ne faisait plus partie de l'équipe.

Cam se rapprocha du centre de la passerelle. Normalement, il allait pouvoir poser quelques questions sans se faire rembarrer immédiatement.

Yattaran le salua de la tête avant de lui faire signe d'attendre.

— Appelez l'infirmerie, ordonna-t-il à un opérateur.
— Un problème ? fit Mitchell.
— Le capitaine est excessivement têtu.

Le second haussa les épaules comme si cela n'avait aucune espèce d'importance. Mitchell fronça les sourcils. Il avait mis presque deux jours à se rendre compte qu'Harlock n'était pas sorti indemne de sa « rencontre » avec les mutants qui squattaient ce qui était autrefois Cheyenne Mountain, puis un autre jour avant de comprendre que le médecin du bord se faisait vraiment du souci, mais que le seul moyen de persuader Harlock de rester à l'infirmerie était, grosso modo, d'attendre qu'il tombe dans le coma – et encore.

— Personne n'a essayé de le convaincre ?... Je veux dire, avec des arguments peut-être un peu plus « percutants »... plaisanta-t-il en frappant du poing dans sa paume.

Yattaran fit une moue désabusée.

— Vous êtes tenté ? Allez-y ! railla-t-il. Vous seriez bien le seul à ne pas avoir remarqué son humeur exécrable, ces temps-ci.

Il agita la main pour balayer les objections de Cam, qui s'apprêtait à rétorquer que ce n'était pas une raison, le capitaine était de mauvais poil parce qu'il était blessé, et alors ? Il était bien placé pour savoir que les médecins possédaient tout un tas de combines pour retenir leurs patients, il en avait lui-même testé quelques-unes.

— Vous avez vu le calibre de l'arme qu'il porte à la ceinture ? continua Yattaran. Je n'ai pas envie de l'énerver au point qu'il se décide à s'en servir contre moi... Trop dangereux. Je le sais, l'équipage le sait, et le doc le sait et fait avec.

Ah, oui... Dans ce cas...

Yattaran se détourna et consulta l'écran d'une console voisine.

— C'est pas bon... murmura-t-il pour lui-même. On est beaucoup trop près...

« Trop près de quoi ? », pensa Mitchell, mais il n'eut pas le temps de demander des explications.

— Alerte torpille ! cria quelqu'un.
— Manœuvre d'évitement ! répondit aussitôt Yattaran. Aux postes de combat !

Les coups de klaxon familiers retentirent aux oreilles du colonel. Comme quoi certaines choses étaient immuables...

Les pirates rejoignaient en hâte leurs postes tandis que le vaisseau entamait une courbe selon un angle qui faisait grincer sa structure... et perturbaient les générateurs de gravité, constata Mitchell en basculant en avant. Il se rattrapa de justesse à un siège. Vide.

Bon, et bien puisque personne n'avait l'air de vouloir s'asseoir à cette place, il n'y aurait certainement aucun inconvénient à ce qu'il s'y installe.

Un léger rire cristallin se fit entendre à sa gauche.

— Je ne crois pas que nous ayons besoin de la DCA contre une torpille, colonel Mitchell.

Kei Yuki arborait un sourire moqueur. Blessé dans son instinct de mâle, Cam préféra arborer l'expression « je sais ce que je fais », plutôt que d'avouer qu'il était incapable de faire la différence entre sa console et celle d'à côté, et qu'il aurait été bien en peine de reconnaître la commande qui permettait d'ouvrir le feu, si on lui avait demandé.

— Torpille verrouillée sur nous ! annonça un pirate à l'autre bout de la passerelle. Impact dans dix secondes !
— Boucliers puissance maximale !

Cam se cramponna à sa console dans l'attente du choc. La passerelle fut illuminée une fraction de seconde lorsque la torpille explosa contre le bouclier de l'Arcadia, mais le vaisseau fut à peine secoué.

Il ne devait pas y avoir de dégâts majeurs... Du moins, c'était l'avis de Cam. Kei, elle, avait pâli.

— Boucliers à trente pour cent, reporta-t-elle. Aucune détection du bâtiment lanceur.
— Nouvelle torpille en approche ! lança le radar.

Yattaran fixait l'écran tactique, les yeux écarquillés. Les deux torpilles semblaient avoir surgi de nulle part... et de deux endroits différents.

— Lancez les leurres ! ordonna-t-il.

La deuxième torpille frappa l'Arcadia juste sous la proue. Cette fois-ci, la secousse fut plus rude, et les consoles situées côté bâbord de la passerelle protestèrent à grands coups d'étincelles.

— Nos dispositifs de brouillage sont inefficaces, annonça Kei tout en faisant défiler les données sur l'écran tactique. Les boucliers sont à zéro, il y a une brèche dans la coque au niveau du local sonar et toujours aucune détection ennemie.
— Bon sang ! Quel genre de vaisseau est capable de faire ça à l'Arcadia ?

Mitchell observa les pirates. À voir leurs têtes, ils devaient surtout avoir l'habitude d'être de l'autre côté de la torpille. Mais bon, il n'allait pas les plaindre. Après tout, c'étaient des hors-la-loi, non ? Ils auraient dû s'attendre, un jour ou l'autre, à tomber sur un bâtiment militaire qui leur tiendrait tête.

Le seul problème, en fait, était qu'il se trouvait lui aussi à bord, et qu'il ne voyait pas comment réussir à quitter l'Arcadia avec SG-1 avant que le vaisseau ne soit détruit.

— Entrez les paramètres de saut ! fit Yattaran. Il faut avoir quitté le coin avant de se prendre une autre torpille !

                                                  —————

— Troisième torpille parée.

Morgane savoura le plaisir de retarder le coup de grâce. Elle imagina l'équipage du vaisseau touché se ruer vers les capsules de sauvetage. Peut-être voyaient-ils dans le répit qui leur était accordé un espoir de survie...

Elle eut un sourire carnassier.

— A-t-on une identification de la cible ? demanda-t-elle.
— Nous sommes encore trop loin pour obtenir une vidéo radar correcte, ma'am.

Cela avait peu d'importance. Tout ce qui cherchait à pénétrer son domaine devait être détruit. Elle ne pouvait que supposer qu'il s'agisse d'un militaire. Aucun cargo civil ne résistait à la première torpille.

Le vaisseau prenait une route d'évasion. La trajectoire exacte qu'elle avait espéré qu'il prenne en faisant démasquer ses torpilles sur deux azimuts distincts. Il était peut-être militaire, mais la stratégie n'était pas son point fort.

                                                  —————

Dépourvue de boucliers, l'Arcadia fonçait de toute la puissance de ses moteurs dans une direction que Yattaran estimait sûre. Kei afficha une simulation des trajectoires. Elle avait un mauvais pressentiment.

Le diagramme confirma ce qu'elle avait appréhendé d'instinct : les deux tirs étaient orientés de manière à repousser l'Arcadia vers une zone bien précise – à savoir la ceinture d'astéroïdes qui servait de frontière à la Bordure à cet endroit. Leurs possibilités de manœuvre seraient ainsi restreintes d'un bord et les achever deviendrait un jeu d'enfant.

Voyons... Qu'aurait fait le capitaine, dans la situation présente ?

Elle ne pilotait pas l'Arcadia avec suffisamment de dextérité pour affronter les astéroïdes, et Yattaran non plus. Le second avait de plus choisi l'option de la sécurité en s'éloignant de la position supposée du tireur. Ce qui était une erreur, selon elle. Exactement le genre de trajectoire prévisible qu'il fallait à tout prix éviter.

— Mets la barre à bâbord ! cria-t-elle.
— Quoi ?

Elle se leva vivement et poussa Yattaran de sa place à la barre.

— À gauche, toute ! fit-elle en joignant le geste à la parole.

Yattaran était peut-être un mathématicien et un informaticien hors-pair, même s'il n'égalait pas Tochiro, mais du point de vue de Kei, il lui manquait le petit quelque chose qui faisait la différence dans les batailles.

— On revient vers l'ennemi ! protesta-t-il.
Et alors ? Tu préfères fuir comme un lâche sans même avoir tiré un seul coup de canon ?

Elle vit qu'elle avait fait mouche. Yattaran grommela mais céda sa place et alla s'installer devant le pupitre de l'artillerie principale.

Bon, cette fois, ça y était... Son premier baptême du feu. Et si elle arrivait à sortir l'Arcadia de tout ce bordel, elle n'aurait aucun mal à se constituer un équipage après ça.

                                                  —————

— Feu torpille !

Morgane s'amusait. Après trois minutes et six secondes de trajectoire rectiligne, le vaisseau touché avait décrit une large courbe et revenait vers la position à laquelle il devait estimer qu'elle se trouvait.

Sauf que les portées de tir du Speranz n'entraient pas dans les distances standards...

Un dernier baroud d'honneur, mmh ?

Elle sourit lorsque le vaisseau ouvrit le feu sur la torpille qui venait de démasquer sur son avant. Elle appréciait la combativité – même si cela n'allait pas servir à grand-chose...

— Torpille détruite ! annonça soudain son artilleur d'un ton incrédule.

Fascinant. Ainsi donc son adversaire possédait une puissance de feu capable de venir à bout de ses torpilles blindées. La bataille finale n'en aurait que plus de piment.

— Programmez une trajectoire d'approche, ordonna-t-elle au navigateur. Amenez-nous en portée des torpilles warp.

                                                  —————

Harlock serrait convulsivement dans sa main la carte de données qui contenait le fameux message qu'il avait eu tant de mal à coder et se raccrochait avec toute l'énergie qui lui restait à une idée bien précise : « rejoindre la passerelle ».

Les coursives étaient désertes. Une fois n'est pas coutume, il aurait bien aimé croiser quelqu'un, ne serait-ce que pour savoir ce qui se passait exactement. Il s'en doutait, bien sûr. Nul ne pénétrait impunément sur les terrains de chasse de Morgane, du moins, pas sans s'être préalablement annoncé.

Il perdit l'équilibre une nouvelle fois, sans savoir cependant si la faute incombait à une défaillance des compensateurs inertiels de l'Arcadia ou s'il s'agissait seulement de ses jambes qui déclaraient forfait.

Les murs s'illuminèrent de noir dans un joyeux tintinnabulement de clochettes, tandis que sa bouche s'emplissait d'un goût bleu et qu'un nuage amer voletait autour de sa tête... à moins que ce ne soit l'inverse, tout ça n'était pas très clair.

Son esprit papillonna un instant dans le couloir qu'il trouvait très confortable, après tout, pourquoi ne pas faire un petit somme juste là ? Il laissa les mots « rejoindre la passerelle » tambouriner à l'intérieur de son crâne, puis son cerveau alluma un gyrophare rouge et cria quelque chose comme « hého, c'est important, vas-y, relève-toi ». Il céda pour le faire taire. De toute façon, il n'était plus très loin.

Il s'effondra dans l'ascenseur.

                                                  —————

Kei tenait farouchement la barre de l'Arcadia, emplie d'une joie jubilatoire. Elle effectua une série de slaloms courts pour retarder le verrouillage d'une nouvelle torpille, et ne put s'empêcher de sourire en donnant l'ordre de tirer.

Ainsi, c'était donc cela que l'on ressentait lorsque l'on était aux commandes de son propre vaisseau.

Elle entama un nouveau virage.

— Faible écho radar au un sept un ! annonça Sabu.
— Verrouillez l'artillerie principale sur lui !
— Nous ne sommes pas en portée, miss, répondit le pirate.
— Débrouille-toi, rétorqua-t-elle sèchement. Montrons-lui que nous l'avons vu.

Elle ne prit pas garde à l'ouverture des portes de l'ascenseur, jusqu'à ce que le capitaine vienne s'accrocher à la barre tel un naufragé à sa bouée de sauvetage. L'Arcadia fit une embardée, mais Harlock secoua la tête lorsque Kei voulut corriger la trajectoire.

— Éloigne-toi d'elle, articula-t-il. Si tu la détectes, c'est parce qu'elle a démasqué pour t'attaquer. Et elle possède d'autres gadgets longue et moyenne portée avant de devoir passer à l'armement conventionnel.
— Elle ?

Le capitaine ne répondit pas. Il semblait sur le point de perdre connaissance.

— Transmets ça, poursuivit-il. Canal général. Une seule fois.

Il lui fourra une carte magnétique entre les mains avant de s'affaler lourdement dans son fauteuil. Kei hésita une fraction de seconde. Tout ce qui lui importait à cet instant, c'était la vie du capitaine. Quel sens cela aurait-il de sauvegarder l'Arcadia si le vaisseau perdait son commandant ?

Harlock posa sur elle un regard fiévreux, mais lucide.

— Dépêche-toi, souffla-t-il.

Kei comprit parfaitement le sous-entendu qui suivait – « je n'en ai plus pour très longtemps » – à moins que l'angoisse de la jeune femme ne fausse son interprétation... C'était sans importance.

Sans plus réfléchir, elle inséra la carte dans le lecteur du pupitre radio et bascula le message qu'il contenait sur toutes les fréquences que la console avait en mémoire.

                                                  —————

— Torpilles warp en portée dans quarante secondes.

Morgane crispait sans y penser la main sur son accoudoir. Ce vaisseau la contrariait. Il était trop maniable, trop puissant – un seul coup de ses canons suffisait à détruire ses torpilles, du moins lorsqu'il visait correctement – et suffisamment blindé pour résister à plusieurs torpilles d'affilée. Sans compter le dernier rapport de l'intercepteur électromagnétique : d'après les relevés d'intensité radar, le Speranz venait d'être détecté à une portée supérieure aux meilleurs radars sur le marché.

Et elle n'arrivait toujours pas à obtenir de vidéo correcte.

Elle foudroya un de ses hommes qui la regardait, incertain sur la conduite à tenir, s'aperçut qu'elle tapotait nerveusement son accoudoir et se leva pour se donner une contenance. Elle menait trop peu de véritables combats, ces temps-ci. Son équipage s'était habitué à des victoires faciles et réagissait mal à la combativité anormale de leur adversaire du moment. Elle avait surpris plusieurs regards paniqués parmi ceux qu'elle considérait comme ses meilleurs membres d'équipage – y compris chez certains de ses lieutenants les plus proches. Elle n'osait même pas imaginer ce qui se passait ailleurs qu'en passerelle.

Et dire que l'autre vaisseau n'avait encore tiré aucun coup de canon en direction du Speranz...

— Nous recevons un signal de la cible, ma'am, annonça le radio.
— Quelle nature ?
— C'est... – le radio effectua quelques réglages, l'air éberlué – ... un message d'identification crypté... – il fixa attentivement son écran afin, visiblement, de ne manquer aucune information – ... la clé est ancienne, mais valide.

Une suite de chiffres s'afficha sur l'écran principal au fur et à mesure que le radio les énumérait.

— Code neuf, un, huit, six, trois, tiret neuf, neuf...

Morgane jura bruyamment.

— Pourquoi est-ce qu'il envoie ça seulement maintenant ! hurla-t-elle.

Ça ne servait à rien à part faire sursauter tout le monde – ils devaient pourtant être habitués à ses sautes d'humeur, depuis le temps – mais au moins, ça calmait ses nerfs.

Et puis, il fallait bien qu'elle se défoule à présent qu'elle se voyait frustrée d'un combat. Même si, d'un autre côté, le combat en question aurait causé sa perte. Le Speranz ne faisait pas le poids contre l'Arcadia.

Harlock allait l'entendre. De vive voix. Et tout de suite.

— Envoyez l'aperçu en clair, ordonna-t-elle au radio, toujours furieuse. Et transmettez-leur qu'on envoie une navette vers eux.

Elle se tourna vers son premier lieutenant.

— Appelle en bas et dis-leur de préparer mon appareil, fit-elle... La passerelle est à toi, ajouta-t-elle avant de disparaître dans le sas.

                                                  —————

La fin de la bataille avait été un peu frustrante, et Cam Mitchell avait l'impression qu'il n'était pas le seul à le penser.

Aussitôt après l'arrivée d'Harlock en passerelle, Kei Yuki avait introduit une carte plastifiée dans un lecteur et... pour ce qu'il en savait, elle avait émis quelque chose – ce truc devait être la radio.

Toujours est-il que moins de trente secondes plus tard, le vaisseau ennemi avait répondu « bien reçu, code d'identification correct, préparez-vous à recevoir notre navette de transport. » Mais cela voulait-il dire « nous nous rendons », « cessez le feu, nous proposons une trêve » ou « nous acceptons votre reddition » ? Impossible de savoir sans connaître le contenu du message d'Harlock...

Cam jeta un coup d'œil à la dérobée au second, qui, après s'être fait éjecter – littéralement – de son poste par Kei, avait l'air de se désintéresser totalement de la question. En fait, il jouait avec un modèle réduit de char – type Sherman, a priori – et ses voisins semblaient trouver ça tout à fait normal.

Kei revint s'asseoir à côté de lui. Il ne résista pas à l'envie de la titiller.

— Corrigez-moi si je me trompe, mais le fait d'outrepasser les ordres d'un supérieur, voire de prendre sa place, ce n'est pas ce qu'on qualifie de « mutinerie » ?

La jeune femme blonde haussa les épaules en souriant.

— Je n'ai pas désobéi au capitaine, rétorqua-t-elle.

Mouais... L'argument n'était pas convaincant.

— Navette en approche, annonça le radar. Verrouillage du guidage automatique. Ouverture de la porte du hangar numéro un.

Kei se tourna vers Harlock dans l'attente d'instructions. Celui-ci se contenta de hocher imperceptiblement la tête. Il était pâle comme un mort, mais il s'entêtait à vouloir garder le contrôle des événements alors même que le docteur aurait préféré le placer en stase. Encore un bel exemple d'officier têtu qui tenait à conserver jusqu'au bout un atout dans sa manche. Et qui se croyait invincible, aussi. Quel était l'intérêt d'amener ce foutu message en passerelle au dernier moment, à part risquer la catastrophe ? S'assurer d'être indispensable ? Pouvoir jouer au héros ?

Le colonel préféra s'abstenir de tout commentaire. Après tout, il n'était pas chez lui.

Une tornade rouge fit soudain irruption en passerelle, suivie par un pirate qui devait être chargé de l'escorter, mais qui était complètement dépassé.

La nouvelle venue était vêtue d'une robe pseudo asiatique plutôt sexy et avait relevé ses cheveux en queue de cheval sur le haut de son crâne. À partir de là, la description clochait. La fille avait un teint vert pâle tirant sur le jaune – un air maladif, aurait pensé Mitchell si l'intéressée n'avait pas paru si pleine de santé – ce qui donnait un contraste intéressant avec ses cheveux rouge vif. Lorsqu'elle tourna la tête vers lui, il s'aperçut que ses pupilles étaient verticales et ses iris d'un joli jaune d'or.

« Un beau spécimen de race extraterrestre », pensa-t-il avec détachement.

Elle était furieuse. Et c'était un euphémisme.

— C'est avant d'entrer dans le quadrant qu'il faut s'identifier ! criait-elle.

Elle s'était plantée devant Harlock et l'injuriait copieusement.

— J'ai eu... un petit contretemps, répondit celui-ci avec un faible sourire.

Elle parut se rendre compte que l'état de santé de son interlocuteur n'était pas au beau fixe. Elle cessa de hurler, mais garda néanmoins un air suspicieux – peut-être envisageait-elle la possibilité d'être le sujet d'une plaisanterie. Comme si c'était le genre d'Harlock.

Le capitaine se leva avec effort.

— Le doc va t'expliquer, fit-il.

Tiens, Monsieur « je vous assure ce n'est rien du tout » se décide à se rendre aux mains de la médecine de son plein gré ?

La fille aux cheveux rouges mit son ressentiment de côté dès lors que le capitaine tenta de lâcher le dossier de son fauteuil et de marcher sans vaciller.

— Qu'est-ce qui t'est arrivé ? demanda-t-elle, soucieuse.
— Mutants... Sur Terre... J'ai pensé que tu pourrais faire quelque chose...

Kei, qui ne quittait plus Harlock des yeux depuis deux bonnes minutes, enfonça un bouton sur le côté de son pupitre.

— Doc, montez, fit-elle. Vite.

L'extraterrestre éternua. Heu... Remis dans le contexte, ce devait plutôt être un juron.

— Et ça fait combien de temps ? hurla-t-elle dans les oreilles d'Harlock.

Le docteur Zero entra en passerelle à ce moment. Pour être aussi rapide, il devait au moins attendre derrière la porte.

— Sais plus... murmura Harlock. Je ne...

Il finit par lâcher prise et se serait étalé de tout son long si le docteur ne l'avait pas rattrapé.

Zero échangea un long regard avec la fille aux cheveux rouges tandis que deux pirates installaient leur capitaine sur un brancard flottant. L'expression du médecin était éloquente : elle signifiait « et vous, que faites-vous ici, au juste ? ». La fille parcourut la passerelle des yeux avec un demi sourire.

— Le connaissant, il n'a pas dû prendre la peine de me présenter avant mon arrivée, déclara-t-elle.

C'était pure rhétorique, se rendit compte Mitchell, vu qu'elle n'attendit même pas que quiconque réponde de quelque manière que ce soit.

— Morgane, commandant le Speranz, là dehors, continua-t-elle avec un geste désinvolte du pouce vers son vaisseau.

Elle sourit franchement, dévoilant une rangée de dents blanches et des canines peut-être un petit peu trop pointues.

— Je vais voir ce que je peux faire pour lui, termina-t-elle. J'ai une petite expérience de ce genre de blessures...

                                                  —————

Zone frontalière. Station Cen't.

La station spatiale était ancrée au-dessus d'une lune anonyme. Ses capteurs solaires récoltaient la moindre parcelle de lumière en provenance de l'étoile de ce système planétaire, une naine rouge sur le déclin. L'immense structure avait plus ou moins la forme d'une coupole hérissée de protubérances qui semblaient avoir été érigées çà et là au hasard. Elle tournait lentement sur elle-même afin de générer sa propre gravité avec un minimum d'énergie.

Une petite navette de maintenance – biplace et équipée d'énormes pinces – s'était stabilisée à environ trois kilomètres de la station, au niveau de son équateur. Ses occupants observaient sans dire un mot la rotation paresseuse des superstructures. Le plus jeune rompit le silence au bout d'un tiers de révolution.

— C'est là, dit-il. Toute la partie inférieure du dock de ravitaillement numéro trois.
— Bordel de merde ! jura l'autre en constatant l'étendue des dégâts.

Il ne s'agissait pas seulement de la partie inférieure. Le dock n'existait plus. À la place, des poutrelles tordues et des câbles de ravitaillement sectionnés encadraient un trou béant. Tout ce qui restait du ponton d'accostage se résumait à une mince passerelle toute de guingois qui se déployait en « s » vers le néant.

Shark jura de nouveau.

— Qu'est-ce qui lui a pris, nom de dieu !

Des équipes de drones et d'humains – tout ce que la station pouvait fournir en techniciens et en personnel de maintenance, en fait – s'affairaient à dégager les débris et cherchaient d'éventuels survivants. Pour l'instant, ils se bornaient surtout à ramasser les cadavres – déjà dix-huit – mais il restait un faible espoir que certains des travailleurs du dock aient pu se réfugier dans les capsules de survie entre le moment où cette section de la station s'était automatiquement isolée et celui où tout avait explosé.

— Je sais qu'on n'était pas en très bons termes, ces temps-ci, mais ce n'est pas une raison, continuait Shark. Si seulement je lui avais demandé de payer pour le carburant, je comprendrais !

Il n'attendait pas de réponse de son pilote – et il n'en reçut d'ailleurs pas. Le jeune homme était habitué à l'entendre récriminer tout haut, ce qu'il fit pendant tout le temps que dura le trajet retour. Un méca qui réussissait à ressembler à une fouine malgré l'impersonnalité de son apparence l'attendait à l'entrée du hangar technique où le pilote rangea la navette.

— Chiffre-moi le montant des réparations, lui demanda Shark. Je veux une estimation sur mon bureau dans une heure.

Il ne pouvait pas porter l'affaire en justice. De part la nature même de ses activités, il préférait que la police ne mette pas le pied sur sa station... C'était pour ça qu'il était devenu un point de ravitaillement si prisé, d'ailleurs. Il savait se défendre cependant, et il possédait d'autres sources pour régler ses comptes, certes moins recommandables mais autrement plus efficaces. Il avait intérêt à obtenir une bonne explication, ou la prochaine fois, il saurait montrer son agressivité. La station pouvait parfaitement infliger de lourds dommages à un vaisseau, aussi puissant soit-il – même s'il préférait ne pas trop contrarier ce genre de vaisseau.

De toute façon, Cen't était un point de passage obligé pour qui voulait explorer les quadrants voisins, à l'aller comme au retour. Le ravitaillement, toujours.

Il y aurait forcément une prochaine fois.

                                                  —————

Plus tôt...

Adria fixait intensément P4X-48C depuis la baie d'observation de son vaisseau amiral, puisant dans sa mémoire génétique des informations qui auraient pu lui échapper.

Une chose était sûre : ce n'étaient pas les Anciens qui avaient causé tout ce marasme énergétique autour de cette planète. Non, c'était beaucoup plus récent – quelques milliers d'années tout au plus. Et c'était d'autant plus inquiétant car malgré ses recherches, elle avait abouti à une impasse : les Oris ne savaient pas, technologiquement, reproduire ceci.

— Devons-nous détruire la planète, Orici ?
— Non, trancha-t-elle. Je refuse de rester sur un échec.

L'hypothèse la plus en vogue chez les prieurs était que la planète elle-même était à l'origine du phénomène. Une fois qu'elle serait supprimée, le problème se résoudrait de lui-même.

Elle n'y croyait pas. Même si la cause initiale se trouvait sur la planète, à présent, le phénomène s'auto-alimentait. D'après ses observations et ses calculs, elle avait affaire à un « trou » – elle ne voyait pas comment l'appeler autrement – dans le réseau hyperspatial des portes des étoiles.

Tout concordait : les fluctuations d'énergie, les pics d'activité, si ce n'est que l'intensité était plus de dix fois supérieure à l'activité déployée par une de leurs super-portes – et aussi que rien à proximité du point d'origine ne pouvait justifier un tel débordement d'énergie. Pas de porte des étoiles – celle de P4X-48C avait une activité réduite à néant, elle l'avait personnellement vérifié plusieurs fois. Pas de trou noir. Pas de corps spatial massif ou bizarre, pas d'étoile à neutrons, pas de pulsar. Rien. Hormis ce « petit » détail, le système planétaire dans lequel elle orbitait depuis près d'une semaine terrienne était désespérément normal.

Elle avait un instant espéré qu'il s'agisse d'un accident, une bizarrerie spatiale, une étrangeté temporaire.

Mais la veille, quelque chose était passé. Rapide, furtif et meurtrier. Un de ses vaisseaux avait été détruit sans pouvoir réagir, non pas parce qu'il s'agissait d'un ennemi – ce qui se cachait sous bouclier de camouflage n'avait même pas profité de son avantage pour attaquer d'autres vaisseaux oris – mais, a priori, simplement parce qu'il se trouvait sur le passage.

Toujours est-il que depuis ce moment – cela faisait vingt-sept heures maintenant – le « trou » avait cessé de fluctuer. Sa taille s'était stabilisée à deux virgule vingt-cinq fois celle d'une super-porte, et tous ses paramètres s'accordaient avec ceux d'une porte activée.

Quoi que ce soit, et où que cela mène, c'était à présent ouvert.

                                                  —————

SG-C, base de Cheyenne Mountain.

Le général Hank Landry faisait les cent pas dans la salle de conférence qui jouxtait son bureau et surplombait la porte des étoiles terrienne. Tous les participants du briefing du jour étaient arrivés : Bra'tac était venu d'une place forte jaffa le matin même, le docteur Lee avait délaissé pour l'occasion ses calculs de probabilités, Fields avait fait le déplacement depuis la zone 51 et même cet enquiquineur de Woolsey était là. Qui l'avait invité, d'ailleurs, celui-là ? Bref, tous étaient présents, sauf un ; aux dernières nouvelles cependant, il était dans la base.

Qu'est-ce qu'il fout ?

Landry ne se souvenait pas que les ascenseurs du SG-C étaient aussi lents.

— Bonjour tout le monde !

Le général O'Neill marqua une seconde d'arrêt en entrant, prit le temps de faire un sourire à chacune des personnes présentes installées autour de la table de conférence – sauf à Woolsey, remarqua Landry – puis s'assit, imperturbable, comme s'il n'avait pas quatorze minutes de retard. Hank Landry leva les yeux au plafond. Sacré Jack, il ne changerait jamais.

— Très bien. Commençons, déclara-t-il.

Il fit signe à Bra'tac de prendre la parole. Les Jaffas étaient pour ainsi dire les yeux du SG-C : ils étaient bien plus nombreux et plus mobiles que les équipes SG sur le terrain.

— Est-ce que cela concerne SG-1 ? interrompit O'Neill avant que le vieux guerrier ait pu placer un mot.
— C'est possible, bien que je ne puisse vous apporter ni bonne, ni mauvaise nouvelle, répondit calmement le Jaffa.

Il alluma un projecteur holographique pour illustrer ses propos.

— Ces images ont été prises par un de nos al'keshs de surveillance, près de la planète que vous appelez P4X-48C.

La vidéo montrait une flotte ori impressionnante, stationnée à proximité de la lune de la planète.

— Les Oris se sont regroupés dans cette zone peu après le pic d'énergie que votre sonde a enregistrée, expliqua Bra'tac. Cinq vaisseaux.
— J'en compte beaucoup plus, rétorqua Woolsey.

Landry lui lança un regard mauvais. Le bureaucrate à lunettes crispa les mâchoires, ce qui ne fit que le rendre un peu plus antipathique.

— Les autres sont arrivés juste après que vous nous ayez reportés la disparition de SG-1, poursuivit Bra'tac sans modifier son expression (il devait être le seul à cette table à ne pas avoir envie d'étrangler Woolsey).

Le Jaffa fit défiler rapidement la vidéo. Tout en restant à une distance suffisante pour éviter d'être détectée, le al'kesh espion avait fait le tour de la flotte afin de bien apprécier leur nombre et leur positionnement.

— Je pense que leur Orici se trouve à bord d'un de ces appareils, reprit Bra'tac. Et plus précisément dans le vaisseau central, ici.
— Adria ? Vous avez des preuves de ce que vous avancez ?
— Tous les vaisseaux protègent celui-là, rétorqua le guerrier. Stratégiquement, cela laisse peu de possibilités.
— Mais quel rapport avec SG-1 ? intervint O'Neill.
— Aucun, général O'Neill.
— Bon sang, Hank, pourquoi m'avoir dit que vous aviez des nouvelles ? s'énerva l'ancien leader de l'équipe. Vous n'aviez pas besoin de ça pour me faire venir !
— Maître Bra'tac va y venir, répondit Landry. Poursuivez, ajouta-t-il à l'intention du Jaffa.

Celui-ci inséra un autre cristal de données dans le projecteur holographique.

— Voici le passage le plus intéressant.

Landry avait déjà vu cette vidéo – c'était ce qui l'avait incité à organiser la réunion. Néanmoins, il la regarda à nouveau avec la même fascination.

Soudain, comme lorsque l'on jette un caillou dans une mare, des ondes s'étaient propagées en cercle à partir d'un point situé au beau milieu de la formation ori. Les vaisseaux, bousculés dans leur ordonnancement, avaient tenté de se réorganiser mais l'espace s'était brutalement déchiré... Une traînée lumineuse avait jailli, droit vers un vaisseau ori qui n'avait pu manœuvrer assez vite et avait explosé, littéralement coupé en deux.

La vidéo stoppait à ce moment.

— C'est tout, conclut Bra'tac. En zoomant au maximum de résolution, j'ai pu extraire quelques images intéressantes : une structure métallique... et un aperçu de canons et de projectiles, juste avant que le vaisseau ori ne soit détruit.

Le Jaffa éteignit le projecteur et récupéra son cristal de données.

— Il s'agit d'un vaisseau spatial qui est sorti d'hyperespace avec un dispositif de camouflage activé, déclara-t-il. Et dont le mode de navigation hyperspatiale est différent de ce que nous connaissons – qu'il s'agisse des vaisseaux de cette galaxie ou même des Oris.

Le vieux guerrier fixa le général O'Neill.

— Lorsque j'ai montré ces images au général Landry, il a fait le rapprochement avec la disparition de votre équipe SG-1... Personnellement, je ne vois pas le rapport.

Mais O'Neill avait saisi.

— Je comprends mieux la présence de Fields ici, fit-il.

L'amiral se frottait pensivement le menton.

— J'ai déjà vu une vidéo de vortex de sortie d'hyperespace semblable à celle-ci, murmura-t-il. Elle est dans un coffre dans les sous-sols en zone 51...
— Je savais que cela vous intéresserait, dit Landry.
— Est-ce que vous pouvez m'expliquer, général ? coupa Woolsey de son ton pincé habituel.
— Le rapport de mission de P4X-48C, répondit Landry sèchement. Le dossier « Arcadia ». Vous l'avez forcément lu, vous avez eu accès à tous les dossiers des missions du SG-C. Y compris celui-ci.

Bra'tac haussa un sourcil interrogatif poli à l'intention du général. Lui n'avait pas lu le dossier en question.

— Lors du précédent voyage de SG-1 sur P4X-48C, il y a eu une... interférence temporelle, expliqua Landry. Un vaisseau est venu du futur et a atterri sur Terre, en zone 51. Les images d'archives que nous possédons montrent que la sortie d'hyperespace est similaire à celle que vous venez de projeter.
— À part le camouflage, corrigea O'Neill.
— Exact. Cependant, d'un point de vue technologique, pensez-vous que cela soit réalisable ?
— Harlock avait parlé de boucliers de camouflage, mais j'ignore leur mode de fonctionnement.
— Et pour la puissance de feu ? demanda Bra'tac.

Jack O'Neill haussa les épaules.

— Son vaisseau a tenu tête... non, pour être plus précis, il a balayé trois vaisseaux asgards. Et d'après les rapports d'avarie que j'avais pu entendre à l'époque, il ne possédait qu'un tiers de sa puissance opérationnelle.
— Vous croyez qu'il s'agirait du même vaisseau ?

Le général Landry retint son souffle. Tout allait dépendre de la réponse à cette simple question.

Bon sang, si nous pouvons récupérer un vaisseau capable de réduire les Oris en confettis de cette manière, l'issue de la guerre est évidente...

O'Neill hésitait.

— Pourquoi Harlock ne nous aurait pas contacté, s'il est revenu ? Et d'ailleurs, pourquoi serait-il revenu ?

Le docteur Lee se leva fébrilement et afficha une série de calculs parfaitement incompréhensibles sur l'écran qui se trouvait en bout de salle. Tous ses interlocuteurs s'efforcèrent poliment de s'y intéresser, à l'exception de Jack O'Neill qui essayait sans succès de jongler avec un stylo.

— J'ai étudié le comportement de la porte lors de son ouverture retour de P4X-48C, pendant laquelle nous avons perdu SG-1, commença-t-il. Il s'avère que j'ai pu trouver des enregistrements quasi identiques, qui concernaient également un voyage retour de SG-1, d'ailleurs.
— Venez-en au fait, coupa Landry, agacé par le verbiage du scientifique.

Il ne manquerait plus que Lee se mette à faire des blagues vaseuses à référence cinématographique tel qu'il en avait le secret.

— Euh... Oui. La porte des étoiles avait réagi de la même manière lorsque SG-1 avait été projeté dans le passé, en 1969. Du fait des antécédents de la connexion Terre / P4X-48C, je suppose qu'ils ont été projetés dans le futur, cette fois-ci.
— Vous avez des preuves ?
— Statistiquement...
— Des preuves concrètes, docteur.

Lee se rassit, penaud.

— Non. Désolé.

O'Neill se balançait d'avant en arrière sur sa chaise. Il avait un léger sourire aux lèvres.

— Somme toute, Hank, tu nous as demandé de venir pour identifier un vaisseau invisible ?
— Tu n'as remarqué aucun détail, aucun indice dans la vidéo que tu as vue ?
— Ben... C'était un vaisseau avec un camouflage optique.

O'Neill eut un geste d'impuissance.

— La technologie colle, évidemment. Ça peut très bien être l'Arcadia... Mais ça peut aussi être n'importe qui d'autre. Personnellement, comme je l'ai dit, je pense qu'Harlock aurait appelé s'il était repassé dans les parages... et c'est d'autant plus vrai s'il ramenait Carter et les autres.
— Mais on peut tout de même tenter de contacter ce vaisseau, quel qu'il soit, intervint Fields.
— Comment ? Nous ne savons même pas il est parti !
— Le matériel de cryptage que nous avions utilisé pour le contacter la dernière fois est toujours en zone 51, répondit l'amiral. Ainsi que les enregistrements de tous les appels de la fille et la fréquence dont elle s'était servie. Si nous reprenons ça, le message que nous enverrons ne voudra peut-être rien dire, mais il sera spécifique au... trentième siècle, si je me souviens bien. Ça devrait interpeller n'importe quel vaisseau qui viendrait de la même époque.
— Okay. Cela ne nous coûte rien d'essayer, fit Landry. Lee, occupez-vous de ça.

Le scientifique opina et se hâta de quitter la pièce.

— Maître Bra'tac, continua Landry, toutes les informations que vous pourrez nous apporter sur ce vaisseau inconnu sont les bienvenues.
— C'est évident, général Landry. Je ne crois pas qu'un vaisseau de haute technologie puisse rester caché bien longtemps. Je vais activer tous les réseaux de renseignement dont je dispose.

La réunion était terminée. Tous se dispersèrent, lorsque Landry s'aperçut de l'expression goguenarde de Jack O'Neill, qui était resté en arrière et admirait la vue plongeante sur la porte des étoiles.

— Qu'est-ce qui t'amuse, Jack ?
— Oh, rien. Je pensais à tous les laïus de protestations dont avait pu nous abreuver Fields quand l'Arcadia s'était posée dans le Nevada. Il nous avait même proposé de les atomiser ! Et voilà qu'il nous donne la possibilité de les contacter à nouveau...
— Les temps changent...
— Yep. Mais tu as lu le rapport, Hank. Tu sais qui nous tentons d'appeler.

Landry soupira. Bien sûr qu'il avait lu ce foutu rapport. Il n'avait fait que ça depuis que SG-1 avait disparu.

— Oui, j'ai lu ta prose, Jack. Ainsi que les annotations d'Hammond. Et je me fiche pas mal que ce soit des pirates. S'ils peuvent nous aider contre les Oris, je n'ai pas l'intention de laisser passer cette chance.

                                                  —————

Adria sortit de sa méditation sans avoir trouvé de réponse satisfaisante. Tant pis. Si elle voulait que ce problème se résolve, elle devait trouver sa source. Elle ne repartirait pas avant.

Elle rejoignit le pont de commandement de mauvaise humeur. Tout cela la mettait en retard dans sa croisade purificatrice.

Enfin... La menace du « trou » était bien réelle, elle avait pu le constater de ses yeux lorsque son vaisseau d'escorte avait explosé.

— Quels sont vos ordres, Orici ?

Les prieurs souhaitaient reprendre la croisade, elle le savait. Ils ne mesuraient pas l'importance de ceci.

Sa décision était prise : elle enverrait deux de ses vaisseaux à travers le « trou », et elle attendrait leur rapport avant de bouger. Et elle laisserait la navette qui tournait autour de sa flotte en se croyant invisible poursuivre son petit manège. Que les Jaffas aillent au diable ! Elle s'occuperait d'eux plus tard.

Lorsqu'elle annonça ses intentions aux prieurs, elle vit bien qu'ils n'étaient pas enthousiastes – si toutefois un prieur pouvait être enthousiaste, ce dont elle doutait.

— La volonté des Oris... commença l'un d'eux.
— Je suis l'Orici ! s'emporta-t-elle. Qui mieux que moi peut connaître la volonté des Oris ?

Les prieurs s'inclinèrent avec déférence et s'exécutèrent. Bientôt, deux vaisseaux se détachèrent de la formation et s'approchèrent du « trou » avec toute la prudence que leur permettait leur taille. Adria croisa les bras, contrariée. Les prieurs contestaient son autorité. Pourquoi ne comprenaient-ils pas que le « trou » avait plus d'importance dans la croisade que les planètes qu'ils auraient pu convertir dans le même laps de temps s'ils étaient repartis aussitôt ?

Parce que ce n'est pas le cas, justement.

Elle n'écouta pas le rapport du prieur qui lui transmettait les éléments de trajectoire des deux vaisseaux. Elle se sentait oppressée, comme si son cœur était compressé dans un étau. Elle se sentait submergée par une vague d'émotions qu'elle ne maîtrisait pas mais qui menaçait de la noyer. Elle savait qu'il fallait franchir ce phénomène spatial bizarre et aller voir de l'autre côté. Elle le savait depuis qu'elle avait appris que SG-1 avait disparu, précisément ici.

SG-1, Vala.

Elle ne repartirait pas avant d'avoir ramené sa mère.

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