2 - Chapitre 10
Les lumières vacillèrent lors du premier choc, puis s'éteignirent totalement au deuxième, tandis que des bruits de tôles froissées résonnaient d'un bout à l'autre du vaisseau.
Adria quitta sa méditation. Enfin, elle pouvait passer à l'action. Elle ignorait ce qui avait poussé l'équipage à encastrer leur moyen de transport dans un ha'tak goa'uld – et n'avait de toute façon pas l'intention d'approfondir – mais elle sentait les perturbations psychiques qui l'affectaient depuis son arrivée sur le vaisseau s'affaiblir.
C'était le moment ou jamais : il était temps qu'elle se rappelle au bon souvenir de ses hôtes, et qu'elle soit enfin considérée comme l'ennemie dangereuse qu'elle était. Sans compter qu'elle ne renoncerait pas à ce vaisseau avant d'en avoir compris son fonctionnement... et avant d'avoir identifié précisément qui était « l'Autre », celui qui envoyait les perturbations psychiques.
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— Rapport des dégâts !
Kei s'était cramponnée au fauteuil de navigation lorsqu'elle avait compris où la trajectoire de l'Arcadia les menait. Le vaisseau vert avait pris une assiette descendante improbable juste avant de désactiver son bouclier de camouflage. L'angle était certes idéal pour immobiliser le ha'tak qui se trouvait sur leur route, mais il ne pouvait résulter que par un double crash :à cette altitude, il était illusoire de penser redresser la trajectoire après une collision.
Résultat, l'Arcadia n'avait même pas disposé de suffisamment d'espace de manœuvre pour effectuer un éperonnage dans les formes. Au lieu de cela, le vaisseau pirate s'était enfoncé aux deux tiers dans le ha'tak tandis que l'inertie les précipitait tous deux au sol.
— Mineurs, ma'am, répondit Sabu depuis sa console. Boucliers à quatre-vingt-onze pour cent, dégâts structurels faibles et sans impact opérationnel. Moteurs à plein puissance. Pas de blessés.
— Et nous avons récupéré les commandes, annonça Yattaran.
Ah. Bonne nouvelle. Peut-être allaient-ils pouvoir se situer, contacter le capitaine et reprendre le contrôle de l'ordinateur principal avant que la situation n'empire davantage.
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Mimee s'était éclipsée de la passerelle dès qu'elle avait constaté que les dommages subis étaient minimes et ne nécessiteraient pas sa présence. Elle savait qu'un combat difficile l'attendait ailleurs : elle avait senti que l'ordinateur principal était « occupé » et ne diffusait plus d'ondes perturbatrices. Elle-même avait d'ailleurs retrouvé la pleine possession de ses propres capacités psychiques. Elle percevait une présence menaçante.
Puissante. Hostile.
Elle devait l'arrêter. Elle était seule à bord à posséder les mêmes armes que cette « Adria ».
Elle ne disposerait d'aucune aide. Il lui faudrait être forte.
Harlock...
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Debout face à l'écran tactique du Queen, Harlock injuria son vaisseau dans toutes les langues qu'il connaissait sans se soucier du regard interloqué de SG-1, derrière lui. Curieusement et une fois qu'il eut épuisé son stock d'expressions imagées, le seul commentaire qui lui venait à l'esprit était « qu'ils ne viennent pas me reprocher d'érafler la peinture lors de mes atterrissages après ça ». Ce qui était certain, c'était qu'il allait avoir une longue explication avec Tochiro sitôt qu'il aurait remis le pied sur l'Arcadia.
Il se tourna vers O'Neill.
— Si je vous montre rapidement les commandes de navigation, vous pensez pouvoir maintenir ce vaisseau en vol pendant que je vais récupérer le mien ?
Il s'appliqua à fixer le général d'un air impassible pendant que celui-ci s'efforçait de ne pas montrer un enthousiasme de collégien.
— Bah, si ça peut vous dépanner, répondit finalement O'Neill d'une voix posée, comme si cela n'avait somme toute que peu d'importance.
C'était loin d'être le cas, et les deux hommes le savaient. Harlock retint un sourire : les yeux d'O'Neill pétillaient.
Le capitaine programma une trajectoire d'attente en orbite basse – suffisamment éloignée de l'Arcadia, du ha'tak crashé et du Speranz pour échapper, espérait-il, à d'éventuels tirs. Puis il installa une interface de navigation simplifiée à l'extrême (droite, gauche, haut, bas, surtout pas les armes), et laissa le Queen entre les mains d'O'Neill. Lorsqu'il s'assit aux commandes, le visage du général était fendu du sourire du gosse qui vient de recevoir le plus gros dirigeable télécommandé qu'il puisse imaginer. Le capitaine se força à ne pas penser à la réaction d'Emeraldas.
Mitchell s'interposa.
— Et nous ?
— Vous, dehors, répondit Harlock en les entraînant. Moins il reste de monde sur ce vaisseau, mieux ce sera.
— Quoi ? s'exclama Daniel. Vous sous-entendez que cela pourrait être dangereux pour Jack ? Jamais...
Harlock lui coupa la parole d'un geste péremptoire. Tous regardèrent en direction du général : O'Neill, l'air émerveillé, pianotait sur la console de navigation.
Le Queen amorça une large courbe. Harlock ne peut retenir une grimace soucieuse.
— Tant qu'il ne casse rien...
Si jamais O'Neill crashait le Queen, il n'osait imaginer les conséquences.
Harlock soupira. Quitte à mettre Emeraldas de mauvaise humeur (enfin, plus qu'elle n'était déjà), autant minimiser les dommages. La pirate rousse connaissait le général avec un peu de chance, sa présence à bord du Queen serait tolérée. Les autres, en revanche... Évidemment, cela signifiait qu'il allait devoir traîner Mitchell et son équipe, mais c'était un moindre mal.
— Bon, exposa-t-il. On rejoint l'Arcadia. Je localise Emeraldas, je la raccompagne ici, je ramène O'Neill. Des objections ?
— Ça me paraît acceptable, convint Mitchell.
Heureusement pour lui, car il n'y avait pas d'alternative. Harlock se mordit la lèvre pour s'éviter de répondre « c'est ça ou je vous assomme », essaya de ne pas exprimer de façon trop visible tout ce qu'il pensait de la présence de Mitchell à ses côtés (sans succès, vu le regard noir que le colonel lui retourna), et quitta la passerelle du Queen après un dernier coup d'œil inquiet au général O'Neill.
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La seule phrase que fut capable de prononcer Loren lorsque l'Arcadia désenclencha son mode furtif fut « oh, putain ! », puis il observa bouche-bée le vaisseau vert heurter sa cible, s'y enfoncer, et la pousser implacablement vers le sol à la force de ses réacteurs.
Il savait pourtant que l'Arcadia utilisait l'éperonnage de manière habituelle. Il savait aussi que personne de sensé n'éperonnerait un vaisseau alors qu'une planète était sur la ligne de visée. Il espérait que l'équipage d'Harlock était sensé, et que ce qu'il venait de voir n'était que le résultat d'une fausse manœuvre. Puis il repensa à sa dernière conversation avec Harlock, et l'impression persistante que le capitaine pirate ne contrôlait plus son vaisseau. Bon sang, avec la puissance de feu que l'Arcadia pouvait déployer, cette perspective avait de quoi glacer l'esprit.
Il secoua la tête. Le problème de l'Arcadia concernait Harlock sa priorité était ailleurs.
— Morgane ? demanda-t-il.
— Sa balise est toujours active, monsieur, répondit le navigateur. Et l'équipe d'abordage attend vos ordres.
Loren hésita. Lorsque la navette d'abordage s'approcherait du « ha'tak » dans lequel se trouvait Morgane, elle entrerait fatalement dans le gabarit de tir de l'Arcadia... Et l'officier scientifique ne se faisait aucune illusion : le bouclier de camouflage ne tromperait pas une seule seconde les senseurs du vaisseau d'Harlock.
...
D'un autre côté, il ne se verrait plus offrir une aussi belle occasion : ce devait être une belle pagaille, à l'intérieur du vaisseau éperonné.
C'était un risque à courir.
— Envoyez la navette, ordonna-t-il. Mode furtif. La procédure d'exfiltration qui a été briefée.
Il se tourna vers l'artilleur.
— Soyez paré à couvrir notre navette en cas d'engagement, ajouta-t-il. Et surveillez attentivement les conduites de tir de l'Arcadia.
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Ba'al avait reconnu le vaisseau qui lui fonçait dessus... et qui s'était dévoilé trop tard pour lui laisser le temps de réagir. Il ne se permit qu'un sourire suffisant, et resta impassible lorsque l'Arcadia percuta son ha'tak.
Cela devait se terminer ainsi. Même s'il avait refusé de l'admettre, Ba'al rêvait de se confronter au vaisseau vert depuis qu'il avait recroisé Emeraldas. En dépit de son désavantage technologique évident, il avait espéré avoir repéré des schémas d'attaque et quelques points faibles, suffisamment pour pouvoir mettre Harlock en difficulté... au moins au début du combat. Il s'avéra que ce n'était pas le cas, et l'Arcadia ne lui laissa aucune chance de riposte.
Le vaisseau vert traversa la coque aussi facilement que si le bouclier énergétique, la double épaisseur de blindage et les renforts internes de structure n'avaient pas existé. Ba'al sentit le ha'tak se déchirer en deux. Puis le vaisseau pyramidal s'écrasa.
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Seule une lumière blafarde éclairait la salle des anneaux de transport. Encore sonnée par sa rencontre brutale avec la cloison bâbord de la pièce, Emeraldas enjamba une colonne métallique qui avait surgi du plancher et vérifia le fonctionnement du panneau de contrôle des anneaux. Hors service. Il fallait s'y attendre, après un tel choc.
Il ne restait plus qu'à sortir de ce ha'tak par un sas standard. Les hangars des al'keshs étaient proches d'ici : elle y trouverait une sortie, si toutefois ils n'étaient pas complètement détruits et impossibles d'accès.
La pirate rousse jeta un coup d'œil alentours. Morgane gisait inconsciente, coincée entre deux plaques de métal tordues, vestiges d'un mur. De sa position, Emeraldas ne savait dire si la néo-humaine était blessée ou simplement assommée. Elle hésita une fraction de seconde.
Bah, chacun pour soi. Les temps changeaient, et les anciennes amitiés étaient remplacées par des promesses de duels à mort. Morgane n'hésiterait pas, elle.
Emeraldas quitta la pièce. Ce qui était certain, c'était que sa prochaine confrontation avec Morgane résulterait par un combat. Dans cette optique, autant rejoindre le Queen. Un abri sûr. Avec un potentiel destructeur non négligeable. Et Morgane serait forcée de réfléchir soigneusement avant de se jeter dans la bataille.
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Les coursives étaient plongées dans la pénombre. Le vaisseau était silencieux, à l'exception peut-être d'un moteur qui ronronnait au loin. Cependant, ce n'était pas cela qui préoccupait Mimee. Elle sonda les alentours : l'ennemie était proche, et occupait plusieurs plans de conscience en même temps. La Jurassienne inspira profondément. Elle ne possédait pas la maîtrise d'Adria en navigation astrale, mais l'Arcadia était son territoire et elle était prête à le défendre coûte que coûte. Une promesse qu'elle s'était faite à elle-même. Pour Harlock.
Elle entra dans un local de maintenance vide, s'installa soigneusement, puis ouvrit son esprit et gagna son « jardin secret ». Une vallée d'iris mauves. Mimee adorait ces fleurs, et avait imaginé cet endroit en souvenir de Jura, sa planète détruite. Les iris, la vallée, les quelques arbres qui se balançaient au gré du vent, tout n'était qu'illusion, tout avait été créé pièce par pièce au fur et à mesure de ses voyages astraux. Pourtant, Mimee savait que ce lieu immatériel avait sa place dans l'architecture de l'Arcadia, et elle soupçonnait l'ordinateur principal de l'avoir déjà visité.
Elle y avait même emmené Harlock, une fois ; il avait détesté – mais il fallait admettre que le voyage astral était tout sauf naturel pour un humain.
Mimee sentit une vague de colère la submerger. Elle ne laisserait personne d'autre venir souiller son refuge !
« Je sais que vous êtes là ! » lança-t-elle. « Montrez-vous ! »
Adria se matérialisa près d'elle.
« Vous sentez ma présence mais vous ne pouvez ni me localiser, ni m'arrêter », fit l'intruse, l'air hautain.
Mimee estima que le sentiment de colère qui l'habitait était une réponse suffisante, et concentra sa puissance psychique pour riposter.
La Jurassienne s'illumina de jaune.
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Harlock atteignait le hangar à navettes du Queen lorsque son communicateur bipa. Il vérifia d'un coup d'œil la fréquence utilisée : l'Arcadia.
Kei.
— Capitaine, enfin ! s'exclama la jeune femme à peine se fut-il identifié. Je suis désolée de n'avoir pu vous contacter plus tôt, mais nous avons eu quelques... soucis avec les commandes. Tout est pratiquement rentré dans l'ordre. Où êtes-vous ?
Harlock tiqua au « pratiquement ». S'il décodait bien le message, cela signifiait que Kei avait encore un problème : Tochiro ou... autre chose.
— Je suis sur le Queen, en orbite au-dessus de vous, répondit-il. Je monte dans une navette, vous pouvez m'ouvrir les portes ?
— Nous contrôlons à nouveau l'ordinateur principal, capitaine.
Hmm. Autre chose, donc. Et suffisamment dangereux pour ne pas en préciser la nature sur les ondes. À moins qu'il ne s'agisse de sa paranoïa qui refaisait surface... Harlock se pinça l'arête du nez. D'un autre côté, rares étaient les cas où sa paranoïa avait été prise en défaut.
Il fit un signe de tête à l'intention de Mitchell et son équipe afin qu'ils embarquent dans la navette.
— On y va, déclara-t-il. Restez sur vos gardes à l'arrivée.
— Encore un souci ? demanda Mitchell. Votre subordonnée vient pourtant d'annoncer que tout était sous contrôle !
— Pratiquement, précisa Harlock, reprenant le terme de Kei. Pratiquement.
Il se mordit nerveusement la lèvre.
— Oui, bon, ça ne m'a pas paru si catastrophique que ça, à entendre votre conversation, intervint Vala.
— Une intuition, répondit Harlock laconiquement.
Une intuition qui se faisait bizarrement de plus en plus pressante. Oppressante, même. Comme une sorte de... malaise diffus.
Un appel au secours muet.
Harlock serra le poing. Intuition, paranoïa ou autre, sa présence était requise sur l'Arcadia d'urgence.
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Adria recula. Son adversaire n'était pas humaine, et elle avait sous-estimé la puissance de ses attaques psychiques. Les vagues d'énergie successives que l'alien nimbée de jaune lui envoyait l'avaient mise en difficulté, elle, l'Orici ! Cela ne pouvait durer.
Il était inconcevable qu'elle perde : elle possédait la puissance des Oris, et leur force était inépuisable tant que persisterait la foi de leurs fidèles.
Adria se concentra. Cette étrangère avait réussi à limiter ses déplacements astraux. Toutes deux étaient confinées dans un plan bien délimité et qui, Adria l'aurait juré, était lié au vaisseau.
Le vaisseau...
Le vaisseau possédait sa propre présence psychique, Adria en était désormais certaine. Il englobait les lieux, entité trop vaste pour qu'Adria puisse la cerner. Il n'était pas encore intervenu dans le combat, mais il les surveillait.
Elle ne le laisserait pas en influencer l'issue.
« Gloire aux Oris ! » cria-t-elle en libérant toute sa puissance mentale.
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Harlock tressaillit lorsqu'il posa le pied sur le sol du hangar de l'Arcadia.
— Tochiro, murmura-t-il.
Le vaisseau vibrait. Et ce n'était pas à cause de ses moteurs. Le capitaine quitta le hangar en trombe. Il percuta Kei en tournant le coin qui menait à l'ascenseur.
— Capitaine ! fit la jeune femme aussitôt. Je suis soulagée que vous nous ayez rejoints si vite !
— Je me doutais de la destination que prendrait l'Arcadia, répondit Harlock sans avouer que c'était O'Neill qui lui avait soufflé la solution.
Kei ne s'étendit pas davantage sur les caprices de l'ordinateur principal. Elle avait la mine soucieuse.
— Capitaine, nous avons été abordés, déclara-t-elle, l'air grave. Elle a dit s'appeler Adria.
Harlock haussa un sourcil. Une seule personne ? Où était le problème ? Il remarqua cependant que ceux de SG-1 faisaient une grimace qui n'augurait rien de bon.
— Vous avez un dispositif d'autodestruction efficace ? demanda Mitchell.
Kei le fixa d'un air interdit.
— Vous plaisantez ?
— Adria possède des pouvoirs psychiques contre lesquels nous sommes impuissants, répondit le colonel, très sérieux. Et honnêtement, malgré votre avancée technologique, je ne pense pas que vous puissiez y faire quoi que ce soit.
— Nous, peut-être pas... fit Harlock. Tout le monde sait que les humains n'ont aucun don psy.
Mais l'Arcadia ne comptait pas que des humains. Il se tourna vers Kei en essayant de masquer son angoisse et bien que le malaise qu'il ressentait depuis qu'il avait quitté le Queen fût très net, à présent.
— Où est Mimee ?
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— Commandant, ne bougez pas.
Morgane grogna, éblouie par la lumière crue. Elle avait reconnu la voix du méd-tech du Speranz, et, vu que celui-ci ne quittait jamais le vaisseau auquel il restait perpétuellement branché, cela signifiait qu'elle était revenue à bord.
Elle se massa les tempes. Sa tête bourdonnait. Elle avait dû prendre un mauvais coup sur le ha'tak lorsqu'il s'était écrasé. À moins que cela ne provienne de la blessure que lui avait infligée Emeraldas.
La néo-humaine fit la moue. Elle ignorait la cause du crash : il n'y avait eu aucune explosion interne qui aurait validé la thèse du sabotage, et aucun bombardement extérieur, ce qui aurait été plus plausible mais ne pouvait avoir eu lieu (ou alors l'isolation phonique du ha'tak était excellente, ce dont elle doutait). Et les vaisseaux de cette taille ne tombaient généralement pas sans raison.
Elle se redressa brusquement, ignorant les protestations du méd-tech.
— Faites-moi un rapport complet de la situation actuelle ! ordonna-t-elle.
Loren était à son chevet, ainsi que son chef de la sécurité. Le méd-tech, comprenant qu'il n'aurait pas gain de cause, s'était reprogrammé sur une autre tâche. Morgane haussa un sourcil en constatant que le lit voisin était occupé par son premier lieutenant.
— Détaillé, le rapport, ajouta-t-elle sèchement. Vous avez intérêt à être convaincant quant à votre présence ici, à l'encontre de mes ordres.
Elle lança un regard appuyé au premier lieutenant, inconscient.
— Et j'espère que vous avez aussi de bons arguments pour expliquer l'état de mon officier en second, finit-elle.
Loren sourit amèrement.
— « L'explication » commande l'Arcadia. Enfin, il essaie. J'ai l'impression qu'il a quelques problèmes, en ce moment. Mais vous pouvez toujours lui demander, ma'am.
Le ton de l'officier scientifique était plus formel que d'habitude, une façon comme une autre de lui faire comprendre que non, ce n'était pas de sa faute, j'ai agi dans l'intérêt de l'équipage et afin de secourir mon commandant, et j'aurais bien aimé vous voir traiter avec Harlock, d'abord.
Morgane secoua la tête, agacée. Harlock. Pourquoi n'était-elle même pas étonnée ?
— Ah, s'il a des problèmes, qu'il se débrouille ! Dis-moi plutôt si tu as eu des nouvelles de notre univers.
— De notre univers, non, répondit Loren. En revanche, nous recevons des comptes-rendus réguliers de Shark. Ils sont en place, et ils ne vont pas nous attendre éternellement.
— Il faudra bien qu'ils patientent, rétorqua Morgane.
— Ils ne peuvent pas !
Loren criait presque.
— Nous savons que le phénomène s'aggrave avec le temps. Plus Shark attend, et plus il court le risque de ne pouvoir produire suffisamment d'énergie pour combler la faille !
Morgane avait bien perçu le reproche : Loren n'avait jamais caché qu'il désapprouvait les envies de vengeance de son commandant. Bien sûr, il ne se désintéressait pas de ce qu'avait fait Emeraldas sur Heavy Melder, mais il estimait que la pirate rousse était bien trop dangereuse pour se risquer à l'affronter.
Morgane n'était pas de cet avis, évidemment, mais elle comprenait le point de vue de Loren.
Et puis, bien entendu, il restait tout de même la problématique du retour : Morgane était bien consciente que le trou spatio-temporel était le moyen le plus commode pour rentrer. Non pas que le Speranz fût incapable d'effectuer un saut temporel contrôlé en autonome, mais la néo-humaine devait convenir que le succès de la manœuvre était aléatoire – et elle ne tenait pas compte du fait qu'il fallait aussi retrouver le bon univers...
— Nous devons partir, insista Loren.
Morgane hocha la tête. Elle aurait souhaité affronter Emeraldas, face à face, maintenant. Elle aurait souhaité cesser enfin de louvoyer entre les fantômes du passé.
Elle savait aussi à qui Harlock donnerait sa préférence, si jamais il avait à choisir entre Emeraldas et elle.
— Très bien, céda-t-elle. Rejoignons Shark.
Harlock les rejoindrait bien. Emeraldas pouvait aller au diable.
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Ils trouvèrent Mimee dans un local technique, à l'arrière du vaisseau. La Jurassienne avait adopté sa position de méditation, mais son visage était inhabituellement crispé.
Harlock grimaça : s'il en jugeait la sensation désagréable qui parcourait son échine, Mimee était en pleine activité psychique.
— Vous croyez qu'il est judicieux de la déranger ? interrogea Mitchell qui l'avait suivi bien que personne ne lui ait rien demandé.
— Je perçois du danger, répondit simplement Harlock. Mimee est en difficulté.
— Qu'en savez-vous ? Si elle se bat contre Adria en ce moment, elle est peut-être en train de gagner.
— Je connais Mimee, répliqua Harlock. Elle est en danger.
Il s'avança. Kei le retint par le bras.
— Capitaine... commença-t-elle.
Harlock se dégagea brusquement.
— Je sais ce que j'ai à faire, coupa-t-il plus sèchement qu'il n'aurait voulu.
La jeune femme blonde baissa les yeux. Son expression refléta une inquiétude sincère, mêlée à une certaine forme de tristesse, ou peut-être à des regrets, le capitaine n'aurait su le dire.
Il secoua la tête. Mimee avait besoin de lui. Il rejoignit la Jurassienne immobile et posa la main sur son épaule.
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Assis dans un des fauteuils de la passerelle du Queen, le général O'Neill grognait tout seul. Malgré un examen minutieux du panneau de contrôle, il n'avait rien trouvé qui puisse lui donner plus de liberté de manœuvre. Tout ce qu'il était capable de faire, c'étaient de petites corrections de trajectoire. Et encore, il ne pouvait pas s'écarter trop loin de ce qu'avait paramétré Harlock au risque de se voir rappelé à l'ordre par un message sur la console de navigation.
O'Neill n'appréciait guère se faire sermonner par un ordinateur. Il grogna à nouveau, mais cela n'impressionna pas l'écran qui lui faisait face.
« Vous ne disposez pas des autorisations nécessaires pour cette commande », affichait celui-ci.
— Je ne t'ai rien demandé, tas de circuits imprimés ! répliqua O'Neill sèchement.
« Je ne suis pas sensible à vos mouvements d'humeur », répondit l'ordinateur.
— Et je ne discute pas avec des vaisseaux spatiaux ! ajouta le général.
Il hésita. Quoique. Si les programmes informatiques du Queen étaient suffisamment autonomes, peut-être pourraient-ils se laisser convaincre de lui montrer quelques commandes intéressantes.
O'Neill se fendit d'un sourire charmeur.
— Bon, je pense que nous sommes partis sur de mauvaises bases, reprit-il d'un ton plus conciliant. Dis-moi... Puisque nous allons passer un peu de temps ensemble, tu n'as pas envie de me faire quelques simulations de tes capacités ?
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Emeraldas n'avait pas trouvé les hangars des al'keshs. Leur accès était barré de poutrelles, de câbles échappés de leurs gaines et autres cloisons métalliques tordues.
En revanche, lorsqu'elle avait tenté un chemin moins direct, elle était tombée sur une paroi blindée qui ne faisait normalement pas partie d'un ha'tak. Verte.
— Harlock ! jura la pirate rousse. Tu ne connais donc pas d'autre méthode d'attaque que l'éperonnage ?
Emeraldas massa une épaule encore endolorie. C'était étrange, d'ailleurs. Harlock se trouvait sur le Queen peu avant le crash, et elle doutait qu'il ait eu le temps de rejoindre son propre vaisseau. Elle doutait également qu'il ait décidé de percuter le ha'tak tout en sachant qu'elle se trouvait à l'intérieur.
Et la rousse ne se faisait pas non plus à l'idée que l'équipage de l'Arcadia se soit approprié la technique favorite de leur capitaine. Même elle ne se considérait pas assez dingue pour se crasher volontairement, et ce, quelle que soit l'épaisseur du blindage de son vaisseau.
Elle secoua la tête. Quel qu'ait pu être le crétin qui avait ordonné un éperonnage en atmosphère et à proximité immédiate du sol, la présence de l'Arcadia dans le ha'tak ne pouvait qu'être utile. Après tout, elle cherchait un abri sûr, et le vaisseau vert correspondait parfaitement à cette définition.
Emeraldas longea la coque. Si elle se situait bien, elle trouverait un sas technique une vingtaine de mètres plus loin.
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Cela ressemblait à une glissade en spirale, mais vue de l'intérieur. Ce n'était pas la première fois qu'Harlock éprouvait cette sensation. Il n'avait pas aimé. Il n'aimait toujours pas.
Sa vision s'accommoda sur des iris mauves.
Le capitaine fit quelques pas vacillants. Il savait que son corps avait dû s'effondrer dans ce local technique, au moment où il avait touché l'épaule de Mimee. Il savait aussi que les iris existaient quelque part sur l'Arcadia, même s'il ne s'agissait pas d'une pièce que Tochiro avait conçue à la construction. La vallée d'iris était à bord... sans y être vraiment.
Y penser lui donnait envie de vomir – son cerveau avait un peu de mal à appréhender le concept de changement de plan.
— Mimee ? appela-t-il.
Harlock scruta les environs. Tout était silencieux, immobile, hormis les iris qui ondulaient sous l'effet d'une légère brise venue de nulle part.
— Mimee ?
Le capitaine se massa les tempes et plissa les yeux, essayant de déceler le moindre mouvement.
Des iris. À perte de vue. L'endroit était irréel, dérangeant et laissait une vague impression menaçante qui, le capitaine l'aurait juré, n'était pas là la dernière fois qu'il était venu.
— Il y a quelqu'un ?
Il avait la migraine et une sensation de vertige persistante. Cela pouvait autant être le contrecoup de sa projection astrale qu'une attaque psychique en cours – tout capitaine pirate qu'il était, il restait humain et était de toute façon incapable de faire la différence.
Il répliqua de la seule manière qu'il connaissait : avec un bouclier mental. Si attaque il y avait, au moins personne ne pourrait pénétrer ses pensées. Enfin, il l'espérait.
Un soupir. Une ondulation. Les iris se brouillèrent.
Les sens aux aguets, Harlock s'efforçait de discerner des indices de présence. Il y avait quelqu'un, il en était sûr.
Il hésita. Il avait pensé que Mimee l'aurait attendu ici, mais à présent qu'il était au calme pour y réfléchir, il se demandait quelle aide il était susceptible d'apporter à la Jurassienne. Et il ne parvenait plus à se souvenir pourquoi cela lui avait paru une si bonne idée de venir dans cet endroit, alors qu'il savait pertinemment qu'il ne possédait aucun pouvoir psychique.
Et à ce propos, maintenant qu'il était ici, comment devait-il s'y prendre pour repartir ?
Euh... Au secours ?
Tout bien considéré, il n'aurait d'ailleurs même pas dû être capable d'arriver jusqu'aux iris tout seul. Il lui fallait un guide aux capacités psy suffisamment développées pour ouvrir le chemin pour deux, et Mimee n'était de toute évidence pas là.
Il cligna des yeux. Les fleurs qu'il piétinait depuis plusieurs minutes n'étaient plus des iris.
...
Des roses. Rouges.
« Harlock... » souffla le vent.
Non, définitivement, ce n'était pas Mimee.
— Tochiro...
—————
Ensanglanté, boitillant et irascible, Ba'al avait rejoint un ha'tak encore en état de voler et y avait aussitôt exécuté le Jaffa responsable de la surveillance radar en arguant qu'il « aurait dû détecter le vaisseau d'Harlock plus tôt, cet incapable ».
— Quelle est la situation ? hurla le Goa'uld au nouveau responsable des radars, lequel n'avait pas l'air particulièrement enchanté par cette promotion. Donnez-moi les positions des vaisseaux ennemis !
— Le vaisseau vert semble immobilisé au sol, mon seigneur, commença le Jaffa.
Des images de l'Arcadia sous différents angles s'affichèrent sur les écrans de contrôle. Ba'al croisa les bras et les examina attentivement. Effectivement, le vaisseau d'Harlock semblait en mauvaise posture, mais il ne fallait pas se fier aux apparences : Ba'al ne se souvenait que trop bien comment l'Arcadia avait encaissé les assauts de trois nefs asgards. Il ne fallait pas compter sur un malheureux crash pour mettre le pirate hors d'état de nuire.
— Rien d'autre ?
— Les radars ne détectent rien, seigneur Ba'al.
Le Jaffa déglutit, conscient que son maître attendait d'autres informations. Ba'al le transperça d'un regard glacial.
— Néanmoins, mon seigneur, nos senseurs ont enregistré il y a quelques minutes un pic de chaleur atmosphérique, selon une trajectoire qui pourrait correspondre à un vaisseau furtif quittant la planète.
Ba'al observa le nouveau diagramme qui s'affichait. Oui, cela pouvait correspondre à un vaisseau furtif. En tout cas, il n'avait pu déterminer si le pilonnement autour de la porte des étoiles était le fait de l'Arcadia ou d'un autre vaisseau.
Enfin, quoi que ç'ait pu être, c'était à présent parti. Toujours ça de moins.
— L'appareil d'Emeraldas ? fit-il.
— D'après son comportement, je dirais qu'il est en pilotage automatique, mon seigneur. Pour le moment, il cercle à l'écart de notre position actuelle.
Ah. Bien. Cela signifiait qu'Harlock avait dû quitter le Queen pour regagner l'Arcadia, probablement juste après le crash. Et il y avait peu de risques qu'Emeraldas ait déjà eu le temps de rejoindre son vaisseau.
— Avez-vous remarqué des mouvements entre le vaisseau d'Emeraldas et le sol ? demanda-t-il tout de même.
— Aucun, mon seigneur.
Ba'al eut un sourire mauvais. La pirate rousse n'était pas en position de lui nuire... du moins pour l'instant. Et Harlock était en difficulté.
Il ne tenait qu'à lui de profiter de l'occasion.
— Armez les canons, ordonna-t-il.
—————
Le paysage frémit.
— J'espère que Mimee me pardonnera de m'être ainsi servi d'elle, mais c'était le moyen le plus rapide pour avoir une discussion en tête à tête avec toi, déclara Tochiro.
— Je pense qu'elle comprendra, répondit simplement Harlock.
Le petit ingénieur croisa les bras derrière la tête et le gratifia d'un sourire éclatant.
— On a du pain sur la planche, Harlock.
Le capitaine hocha la tête, comme s'il était tout à fait normal que son ami décédé se matérialise ainsi à ses côtés.
Non, il ne se laisserait pas impressionner sous prétexte d'arguments tels que « radiations létales », « mort depuis des années » ou « bon sang, il se comporte comme s'il n'était jamais parti ». Ce qui était d'ailleurs le cas : Tochiro se comportait effectivement comme s'il n'avait jamais quitté l'Arcadia – mais n'était-ce pas la réalité ? Harlock avait de toute façon toujours considéré que l'ordinateur principal était Tochiro.
— J'ai conçu un plan pour venir à bout d'Adria, poursuivait Tochiro. Mais je ne peux pas le mettre en œuvre seul et c'est pour ça que tu es là.
Le capitaine ne put retenir un sourire amusé. Que Tochiro soit réellement présent, qu'il s'agisse d'une projection holographique de l'ordinateur principal ou juste d'une hallucination, le petit ingénieur était égal à lui-même : enthousiaste et hyperactif. Harlock se demanda s'il devait mentionner avoir été laissé au SG-C sans aucune explication... À la réflexion, non. Pourquoi gâcher ces retrouvailles ?
Tochiro déroula un plan de l'Arcadia en deux dimensions et en papier sur une table qui n'était pas là une seconde auparavant. Le plan non plus, soit dit en passant, mais Harlock essaya de ne pas y penser pour éviter d'avoir davantage mal à la tête.
— Voilà où se situe Adria, déclara Tochiro en pointant un local aux deux tiers arrière de l'Arcadia, un peu avant les réacteurs. Elle s'est entièrement dématérialisée, mais Mimee arrive pour l'instant à la contenir dans cette zone.
Harlock tentait de visualiser mentalement l'Arcadia. Ou il connaissait bien mal son vaisseau, ou le local que Tochiro lui montrait n'existait pas. À cet endroit, il n'y avait matériellement pas la place pour une pièce de cette taille. Et pourtant cela rentrait sur le plan. Il fronça les sourcils.
Tochiro lui fit un clin d'œil complice.
— Et nous, nous sommes ici, glissa-t-il avec un sourire malicieux.
La vallée d'iris (ou de roses) rentrait également sur le plan. Le capitaine se passa la main sur le visage. Il était bizarre, ce plan... Il bougeait tout en restant immobile. Eurk.
Tochiro fit une moue désolée.
— Prends des cours avec Mimee, lâcha-t-il. C'est une catastrophe, tes projections astrales !
— J'suis humain, okay ? Je ne sais même pas comment je suis arrivé ici !
— Yep, j'ai vu, se moqua Tochiro. Et pourtant je n'ai pas spécialement été discret, question intrusion mentale. J'aurais pu m'installer à demeure dans ton esprit que tu n'aurais rien remarqué !
Harlock hésita, mais il préféra finalement ne pas demander de précisions. Non, c'était inutile que Tochiro détaille ce qu'il lui avait fait exactement – voire ce qu'il lui avait fait faire...
Le capitaine grogna. Il avait agi de son plein gré. Personne ne l'avait influencé. Et il allait s'accrocher à cette idée.
— Enfin bref, reprit Tochiro. Pour en revenir à Adria, Mimee n'est hélas pas suffisamment forte pour la jeter dehors... du moins, pas sans un petit coup de pouce.
— Et c'est là que tu interviens, continua Harlock. Tu n'aurais pas pu m'expliquer ça de façon plus simple ? En te manifestant sur les terminaux informatiques de l'Arcadia, par exemple ?
— Impossible. D'abord parce qu'agir directement sur les terminaux informatiques est plus compliqué que ça en a l'air, ensuite parce qu'Adria aurait aisément pu s'en apercevoir et me contrer... Elle est beaucoup plus mobile que moi, en astral, termina l'ingénieur.
Harlock grommela un vague assentiment. Les subtilités de la dimension astrale dans laquelle il évoluait lui échappaient complètement.
— L'idée, c'est donc de te transférer le mode opératoire de mon plan ici et maintenant, termina Tochiro. De cette manière tu peux être sûr qu'Adria sera prise au dépourvu. Et ça maximise nos chances !
Harlock recula d'un pas.
— Attends... Que veux-tu dire par « transférer » ?
Tochiro sourit largement.
— Oh, un simple téléchargement de données. 'suffit juste que tu cesses de faire de la résistance mentale, et...
— Euh... « Télécharger » ? interrompit Harlock. Si c'est de moi que tu parles, je te signale que mon cerveau n'est pas un ordinateur !
Son ami agita les bras, l'air un peu gêné.
— Oui, enfin, télécharger, c'était une image, reprit Tochiro. Faut plutôt prendre ça comme une sorte de transmission télépathique, en fait...
— La télépathe de l'Arcadia, c'est Mimee. Tu ne pouvais pas voir ça avec elle ?
— Elle est occupée, en ce moment. C'est pourquoi j'ai dépensé autant d'énergie pour que tu viennes jusqu'ici... et je ne pourrai plus t'y maintenir très longtemps, d'ailleurs.
— Et tu...
— Et je ne pouvais pas trouver quelqu'un d'autre, coupa le petit ingénieur. Tu es le seul à bord à part elle à être un tant soit peu réceptif à ma présence.
... Le seul à bord qui n'ait jamais vraiment accepté le fait qu'il soit mort, songea Harlock. Ça devait jouer.
— Bon, d'accord, céda le capitaine. Tu vas « télécharger » ton « plan ». Et après ?
— Avant, corrigea Tochiro, il faut que tu cesses avec ce bouclier mental. Tu me fais confiance, non ?
— Oui, mais comment... commença Harlock.
Tout se mit soudain à tourbillonner. Les fleurs, la vallée, le ciel semblèrent s'enrouler autour du capitaine en une sarabande de couleurs improbables.
Harlock aperçut une dernière fois Tochiro, immobile au milieu de la tourmente, souriant de toutes ses dents et qui levait le pouce à son intention.
Puis ce fut l'obscurité, et le contact brutal avec le sol en métal.
— Captain ! criait Kei. Captain, est-ce que vous m'entendez ?
— J'crois que j'vais vomir, bafouilla-t-il, encore incertain sur l'endroit où il se trouvait.
Il lutta une fraction de seconde mais ne put empêcher le contenu de son estomac d'éclabousser une paire de rangers. Il songea avec satisfaction qu'il s'agissait probablement de celles de Mitchell.
Le colonel avait cependant davantage l'air inquiet que dégoûté.
— Que s'est-il passé ? demanda-t-il. Vous ne réagissiez plus depuis presque cinq minutes ! C'était Adria ?
— Je...
Harlock cligna des yeux. Le retour à la réalité était encore plus désagréable que le voyage aller vers la vallée d'iris – mais au moins il savait à présent que ce n'était pas Mimee qui le traitait avec aussi peu d'égards. Il envisagea la possibilité de vomir à nouveau.
— Non, ce n'était pas Adria, répondit-il avec effort. Mimee... la contient, ajouta-t-il, reprenant les mots de Tochiro.
Tochiro...
Le capitaine avait en tête une série de mesures à prendre à bord afin de lutter contre Adria : principalement des transferts d'énergie et des émissions de fréquence modulée en différents points du vaisseau. À l'évidence, il s'agissait du plan de Tochiro. Harlock en voyait clairement l'issue – aussi nettement que s'il était en train de visualiser le contenu d'un cube de données directement à l'intérieur de son crâne. Et il saignait du nez.
Meilleur ami ou pas, c'était la dernière fois qu'il autorisait Tochiro à télécharger quoi que ce soit dans son cerveau.
— Il faut... monter en passerelle, continua-t-il en tentant désespérément de mettre de l'ordre dans le flot d'informations étrangères qui se bousculaient. Envoyer un surplus d'énergie dans des auxiliaires bien précis. Pour créer une barrière. Aider Mimee.
Il essaya de se composer un visage impassible, mais, vu les regards soucieux qui l'entouraient, il ne devait pas avoir l'air en forme. Il se demanda s'il allait perdre connaissance.
— Vous êtes sûr que ça va, capitaine ? demanda Kei du ton qu'elle employait habituellement pour lui faire comprendre « tout le monde a remarqué que vous teniez à peine debout » et qui devait aussi vouloir dire ici « je ne saisis pas un mot de ce que vous racontez ».
Il répondit d'un grognement et tituba jusqu'à la porte. Kei le rattrapa de justesse avant qu'il ne s'étale contre la cloison.
— Capitaine... Je crois que vous allez devoir vous allonger.
— S'il te plaît, souffla-t-il. Nous n'avons pas beaucoup de temps...
Kei soupira et secoua la tête négativement avec une mimique d'excuse navrée. Ah. S'il décodait bien, cela signifiait « j'aimerais bien, mais si je vous laisse faire n'importe quoi le docteur va encore me faire des reproches ». Mais cela signifiait également qu'il avait de grandes chances de la faire changer d'avis sans trop avoir à insister.
... Un choc. L'Arcadia fut ébranlée sur toute sa longueur par ce qui ne pouvait être qu'un tir à bout portant.
—————
Le sas technique se trouvait à l'endroit exact où Emeraldas l'attendait. Elle l'ouvrit sans difficultés – Harlock n'était pas le seul à avoir gardé d'anciens codes d'accès utiles. Elle ne croisa personne dans le dédale de locaux, ni dans la coursive principale qui menait jusqu'en passerelle. L'Arcadia était certes grand et son équipage réduit, mais la pirate rousse se serait attendue à plus d'animation... surtout après un crash.
Le vaisseau semblait vide.
Le vaisseau semblait... différent. Emeraldas ralentit, et fit un tour sur elle-même, la main sur la crosse de son arme, prête à dégainer. Elle sentait comme une présence, à la fois proche et inaccessible mais également inexplicablement familière. Elle retint son souffle, aux aguets, et eut l'impression qu'il suffirait d'un rien pour qu'elle comprenne d'où venait ce phénomène.
Mais alors que « cela » lui paraissait sur le point de se dévoiler, la sensation s'évanouit.
Emeraldas secoua la tête, plus impressionnée qu'elle ne voulait bien l'admettre. Ce qu'elle venait de ressentir avait des allures de rêve éveillé et faisait ressurgir des souvenirs qu'elle croyait avoir enfoui au plus profond d'elle-même.
Elle scruta la coursive, vaguement mal à l'aise, sans même savoir ce qu'elle s'attendait à trouver exactement. Pas un bruit, pas un mouvement. Pas même le moindre cliquetis informatique, ni le moindre ronronnement de machine. Personne.
La pirate rousse pinça les lèvres, agacée par sa propre émotivité. Voilà des années qu'elle n'était plus montée à bord de l'Arcadia, son imagination devait lui jouer des tours... Elle chassa ces pensées de son esprit lorsque les tirs commencèrent. Au bruit, il s'agissait de lasers caractéristiques de ha'tak. En quelques secondes, le bombardement atteignit son allure de croisière, noyant l'Arcadia sous une pluie de feu.
Cela n'étonna pas Emeraldas : les derniers événements n'avaient pas été à l'avantage de Ba'al, mais malgré la perte d'un ha'tak, le Goa'uld devait jubiler de se voir offrir l'Arcadia sur un plateau. Et visiblement, il ne se privait pas pour se défouler sur le vaisseau pirate avec tous les moyens dont il disposait. Ce qui était plus étrange, en revanche, c'était l'absence de réaction des membres d'équipage lorsqu'elle parvint à la passerelle. Non pas qu'ils ne fassent rien (tous étaient concentrés sur leurs consoles), mais ils n'avaient pas l'air de se préoccuper des deux ha'taks en train de s'acharner sur eux.
— Pourquoi ne ripostez-vous pas ? demanda-t-elle aussitôt, glaciale. Vous ne me ferez pas croire que plus rien ne fonctionne ici !
La pirate rousse fut gratifiée de quelques regards étonnés. Sans se troubler, elle fixa l'artilleur, qui hésita. Emeraldas sentait chez l'homme la volonté d'en découdre, mais a priori quelqu'un en avait décidé autrement.
— Gestion des priorités, la coupa ce « quelqu'un » dans son dos. Nous avons d'abord un autre ennemi plus dangereux à traiter.
Harlock n'était ni à la barre, ni dans le fauteuil de commandement, raison pour laquelle elle ne l'avait pas remarqué en arrivant. Il supervisait l'installation d'une dérivation électronique entre deux consoles, qui nécessitait apparemment un grand nombre de câbles colorés, un générateur portable et deux techniciens, mais à laquelle Emeraldas ne trouvait pas de finalité évidente.
— Je ne vois rien de plus dangereux que ces ha'taks, persifla la rousse. Et pour autant que je puisse en juger, ce n'est pas un système d'armes que tu as démonté. J'imagine mal comment tu peux espérer combattre en commençant une maintenance électronique !
Harlock ne daigna pas répondre au sarcasme. Et, définitivement, les ha'taks ne l'intéressaient pas.
— Prenez garde à ne pas inverser la polarité en reconnectant les plots, fit-il aux techniciens sans plus se préoccuper de son interlocutrice. Et surtout assurez-vous que la phase est parfaitement synchronisée avec la fréquence de pulsation primaire.
Emeraldas haussa un sourcil étonné. Entendre Harlock se servir d'un langage aussi technique était presque plus étrange que de ne pas le voir se battre alors qu'il y avait des ennemis dehors.
— Je peux savoir ce que tu bidouilles exactement ? demanda-t-elle, curieuse.
Harlock lui renvoya un demi sourire fatigué.
— Pas la moindre idée. C'est... compliqué, hésita-t-il. Mais c'est urgent.
Emeraldas réfléchit à une réplique cinglante, puis y renonça après avoir examiné de plus près l'expression du capitaine de l'Arcadia. Elle ne savait pas ce qu'il avait encore fait, mais il avait mauvaise mine.
— Tu saignes du nez, l'informa-t-elle obligeamment.
— Encore ? Merde.
La pirate rousse resta de marbre pendant qu'Harlock tentait d'éponger le sang avec sa manche, sans grand succès.
— Contrecoup de projection astrale, expliqua-t-il laconiquement. Pas vraiment l'habitude de tous ces trucs.
— Oh, tu as fini par céder aux avances de Mimee ? lâcha Emeraldas d'un ton amer.
Harlock cilla, comme s'il peinait à assimiler l'information.
— Mimee... Oui, répondit-il après une respiration, et avec l'air d'avoir voulu dire autre chose.
Bon, ce n'était pas comme si cela avait une quelconque importance pour la rousse. Après tout, il vivait sa vie comme il l'entendait depuis... Elle se détourna dans un mouvement de colère.
— Eh bien puisque tu ne veux pas te défendre, je vais le faire pour toi ! déclara-t-elle.
— J'ai besoin de toute l'énergie des armes, rétorqua Harlock.
— Pas ici, corrigea Emeraldas. Je repars sur le Queen.
— Comment ? Les accès aux hangars sont bloqués par l'épave du ha'tak...
Emeraldas jura. Hors de question qu'elle reste ici à attendre que le blindage de l'Arcadia lâche, pendant qu'Harlock bricolait dieu sait quoi contre dieu sait qui ! Elle s'apprêtait à rejoindre l'ascenseur pour gagner un hangar à navettes (et si les spacewolfs n'étaient pas disponibles, elle quitterait l'Arcadia à pied), lorsqu'un tir plus puissant ou mieux ajusté percuta le vaisseau pirate de plein fouet. La secousse jeta à terre tous ceux qui étaient debout.
— Impact en tranche Lima ! cria l'artilleur. La coque épaisse est perforée et la structure intérieure déformée sur un point trois ! Ça va céder aux prochaines salves !
— Il faut répliquer par un tir de barrage, captain ! hurla un autre.
— Négatif ! J'ai besoin de toute l'énergie contre l'ennemi qui se trouve à bord ! répondit Harlock. Encore quelques minutes !
Ils ne les auraient pas, pensa Emeraldas. Le blindage de l'Arcadia, si performant soit-il, était en train d'atteindre ses limites.
Et puis, soudain, l'averse cessa.
— Le Queen vient d'ouvrir le feu ! annonça le radar.
— Quoi ? firent en même temps les deux capitaines pirates.
La rousse adressa un regard suspicieux à Harlock.
— Je l'ai laissé sur pilotage automatique ! se défendit celui-ci, perplexe.
Il se mordit la lèvre, l'air de réfléchir aux possibilités.
— À moins que...
— Une communication entrante, capitaine, interrompit le radio.
— Sur écran.
C'était le Queen, sans aucun doute. Emeraldas serra le poing. Et il y avait quelqu'un dans son fauteuil !
— Vous avez peut-être besoin d'aide ? demanda le général O'Neill.
—————
Il s'était avéré que l'ordinateur principal du Queen avait une personnalité féminine très marquée, et qu'« elle » n'était pas habituée à se faire draguer par un général terrien. Et que ça lui plaisait.
Après avoir annoncé sa présence aux pirates de l'Arcadia, Jack O'Neill coupa la communication avec le vaisseau vert puis se fendit du sourire qu'il réservait d'ordinaire à Carter.
— Joli tir d'interception, dit-il. Et tu avais raison, ton capitaine est sur l'Arcadia. Je ne sais pas ce qu'ils fabriquent, mais ils ne sont pas du tout efficaces... Contrairement à toi.
O'Neill lança une œillade ravageuse à une console au hasard (mais il soupçonnait l'ordinateur principal du Queen de posséder des caméras très bien placées et de rien manquer de ses mouvements).
— Alors, ma belle... Que dirais-tu de quitter cette orbite trop étriquée et de te rapprocher pour les couvrir ?
La luminosité de la passerelle oscilla, ce que Jack interprétait comme un « rougissement » (si tant est qu'un vaisseau puisse rougir, mais la situation était déjà suffisamment bizarre comme ça). Et puis, après tout, le général avait utilisé des tactiques autrement plus incongrues lors de ses missions avec SG-1, alors s'il fallait flirter avec un vaisseau spatial pour arriver à ses fins, et bien...
« Calculs de trajectoire en cours. », indiqua l'ordinateur.
Des lignes de texte incompréhensibles s'affichèrent sur l'écran de navigation, mais O'Neill ne s'attarda pas sur les détails : ce qui l'intéressait, c'était le message en surbrillance « valider – oui/non ». Il avait rapidement compris que l'ordinateur principal contrôlait absolument toutes les commandes du Queen et n'était pas affecté par les restrictions qu'avait pu programmer Harlock. En conséquence et à partir du moment où le général avait convaincu l'ordinateur de passer de son côté, il n'était plus limité en manœuvre.
Évidemment, cela impliquait qu'il devait faire confiance à des diodes, des boulons et autres composants électroniques pour interpréter correctement ce qu'il voulait, mais Jack était d'un naturel optimiste. Et puis, jusqu'à présent, l'ordinateur avait été tout à fait coopératif.
Le général entra « oui » sur le panneau de commande, et confirma son choix. Le ronronnement des moteurs du Queen monta en intensité.
Le vaisseau ovoïde prit une assiette descendante et amorça une large courbe.
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