Chapitre 3 : La liste

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                                   12h30

Je n'ai que très peu dormi cette nuit, jusque là rien d'anormal. Le manque de sommeil est devenu un partenaire nocturne avec lequel je dois cohabiter. Mais pendant cette nuit, j'ai réfléchi sans cesse à la façon d'annoncer ma maladie à Astrée, sans trop la brusquer.
Je sais que ça ne sera pas facile, mais après longue réflexion, être honnête avec elle est la meilleure option. Même si devoir lui annoncer mon sort provoque en moi un stress qui me consume.


Je voudrais trouver les bons mots pour la réconforter, la rassurer. Hélas, je sais de source sûre que cette nouvelle ne la laissera pas indifférente, et je m'en veux d'être celui qui lui apprendra mon destin funeste.
Je l'aime, plus que les mots ne peuvent le dire. Je ne souhaite pas que ma perte lui cause trop de chagrin, mais plutôt qu'elle l'utilise comme une leçon pour saisir et profiter de chaque instant.

J'ai fini par me faire à l'idée, à accepter cette réalité implacable. En revanche, devoir en parler à cœur ouvert, qui plus est à celle que j'aime, cela m'angoisse énormément.
Mon corps réagit à cette angoisse d'une manière étrange. Mon cœur bat plus vite, comme s'il tentait désespérément de rattraper le temps perdu. Mes mains tremblent, témoignant de ma vulnérabilité face à l'inévitabilité de ma destinée.

– Si seulement, si seulement, je l'avais retrouvée avant.

Je laisse un soupir de désespoir m'échapper, puis ma mère toque à ma porte.

– Oui, entre.

Elle s'exécute et s'avance dans la pièce.

– Chéri, viens manger, s'il te plaît.

– Je n'ai pas trop faim... Peut-être plus tard.

– Côme... Il est important que tu manges au moins juste un peu...

Devant l'air de chien battu de ma mère, je cède et m'avance vers la porte de ma chambre, en râlant.

– Seulement un peu.

Je me dirige vers la cuisine, guidé par un doux parfum qui flotte dans l'air.
À peine j'entre dans la cuisine que les odeurs envoûtantes éveillent mes sens et me creusent l'appétit. Moi qui n'avais pourtant pas si faim, il faut croire que la cuisine d'une mère est un remède imparable.

Une symphonie de senteurs se mêle dans l'air, créant un ballet olfactif enivrant.
Ces parfums tentateurs me rappellent de tendres souvenirs de repas de famille, à l'époque où mon père prenait encore la peine de dîner tous les soirs avec nous.

L'odeur enivrante des épices flotte également dans l'air, provenant des plats qui mijotent  sur la cuisinière. Le parfum chaleureux du curry, avec ses notes exotiques et envoûtantes.
Je m'imprègne des odeurs flottant dans l'air de la cuisine, les émotions se manifestent à travers chaque effluve.

Le plat mijotant me fait saliver d'avance, mes yeux pétillent rien qu'en pensant au bon repas qui m'attend.
Ma mère semble rassurée de voir que la maladie n'a pas encore emporté mon appétit.

L'odeur alléchante du riz parfumé et la symphonie de la cuisson font danser mes sens, une valse qui réveille doucement un sentiment de bonheur en moi.

Je prends ma place à table et sourit tel un enfant en voyant ma mère me servir une assiette de son plat.

– Prends des forces, mon cœur, surtout si tu vas voir la belle Astrée cette après-midi.

J'étais tellement réjoui de mes retrouvailles avec Astrée que j'en ai parlé à ma mère pendant un long moment en rentrant à la maison. Ma mère l'a toujours portée dans son cœur, après tout elle s'entendait relativement bien avec sa mère. Je n'irait pas jusqu'à dire qu'elles étaient amies mais a la sortie des cours, elles parlaient toujours ensemble.

– Je pourrais m'en réjouir, si je ne m'apprêtais pas à lui annoncer que d'ici quelques mois, je fumerais les plantes par la racine.

– Profite des moments passés avec elle... Elle les chérira toute sa vie.

Ses mots résonnent dans l'air et je sens une montée d'émotion en moi.

– Ou alors ils seront juste de mauvais souvenirs qui laisseront une trace indélébile dans son esprit. Une blessure qui refusera de guérir.

Je grommelle ces mots en regardant ma jambe qui tremble nerveusement.

– Ne laisse pas la peur, la colère et la tristesse provoquer un cocktail toxique dans ton esprit. Astrée sera d'abord peinée, bien sûr, mais quand elle saura que son temps avec toi est limité, elle profitera de chaque seconde... Aucun de vous n'aura de regrets.

J'inspire profondément en fermant les yeux, retenant mes larmes.
Je lutte contre mes émotions négatives, m'efforçant de maîtriser mes angoisses. Ma tête sature de pensées incontrôlables et intrusives, comme souvent ces derniers temps.

La main de ma mère se pose sur ma joue, la caressant doucement dans un geste qui se veut réconfortant.

— Tu l'aimes éperdument, cette jeune fille...

Je redresse la tête et acquiesce timidement, les lèvres tremblantes.

– Depuis que je l'ai revue... Elle... Elle me fait ressentir toutes sortes de choses que je pensais mortes en moi...

Ma mère se leva et m'enveloppa de ses bras avec une tendresse rassurante. Elle a toujours fait ça, à chaque fois que j'en avais besoin.

– À l'époque, quand vous étiez au lycée, je te soupçonnais déjà d'avoir le béguin pour elle... Tu étais devenu si souriant et heureux d'aller en cours, c'était inhabituel. J'ai commencé à me demander ce qui pouvait bien provoquer cette transformation en toi.

– Tu t'en es peut-être rendu compte avant moi...

Elle étouffe un rire avec sa main puis hoche la tête pour acquiescer à mes propos. C'est la première fois que je la vois et l'entends rire depuis que je suis malade. Instantanément, tout mon mal-être disparaît, j'écoute simplement ce qu'elle a à me dire, le cœur un peu plus léger.

– Et oui, une mère a un instinct infaillible ! Le jour où mes suppositions se sont confirmées fut lorsque je t'ai vu sortir des cours avec elle. J'ai observé comment tu la regardais, cette fille dont tu me parlais souvent. J'ai vu comment ton regard se posait doucement sur elle, comme si tu essayais de la graver dans ta mémoire. J'ai remarqué comment tu étais attentif à chacun de ses mots, accroché à ses moindres gestes. Et c'est à ce moment-là que j'ai compris que tu étais amoureux.

Je déglutis bruyamment avant de regarder ailleurs, gêné.

– Ça... ça se voyait tant que ça ?

– Comme le nez au milieu de la figure !

Elle verse avec délicatesse une boisson rafraîchissante dans mon verre, son visage est illuminé d'un sourire radieux. Ce moment complice entre elle et moi réchauffe un peu mon cœur, faisant par la même occasion s'envoler toutes mes peurs.

Ma mère retourne à son siège et nous commençons à déguster le repas préparé par ses soins.
Je m'émerveille devant la saveur de chaque bouchée, une véritable explosion de saveurs qui me rappelle les plats de mon enfance.
J'ai remarqué que j'étais bien plus attentif et réceptif au goût et aux odeurs depuis quelque temps, comme si inconsciemment je voulais profiter de tous les petits plaisirs de la vie, avant qu'il ne soit trop tard.

Le temps s'écoule lentement, je me délecte de chaque instant et profite de ce repas partagé avec ma mère.
Je termine mon repas, rassasié, puis me lève pour prendre ma boîte de médicaments.
Je saisit la boîte, prend une profonde inspiration et avale le comprimé d'évérolimus.

L'heure de partir retrouver Astrée approche, un frisson à la fois d'excitation et d'appréhension parcours mon corps. Mon cœur bat à tout rompre, faisant palpiter mes veines.

– Côme, va retrouver ta belle. Tu verras tout se passera bien.

Sans un mot de plus, je quitte mon domicile en tentant de faire le ménage dans ma tête.
Mon esprit est envahi par une anxiété suffocante à l'idée d'annoncer à celle que j'aime la nouvelle la plus difficile qu'elle n'ait jamais entendue.

Mes mains tremblent et la sueur perle sur mon front. Chaque battement de mon cœur est douloureux, comme si mon corps ressentait déjà la gravité de ce que je m'apprête à lui révéler. Mon estomac est noué, comme si des milliers de papillons s'envolaient à l'intérieur de moi. Mon souffle est court, comme si l'air se faisait rare autour de moi.

Les pensées tourbillonnent dans ma tête, me faisant douter de mes choix et de mes décisions. Je me demande si je suis prêt à affronter les larmes qui inonderont ses yeux, les questions sans réponse qui hanteront nos conversations, et l'ombre de la mort qui planera désormais sur notre relation.

Je me sens cruel d'annoncer une telle chose, mais que puis-je faire d'autre ?

                                    Astrée
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Depuis hier soir, mes pensées sont un mélange d'inquiétude et de curiosité.
Je sens que Côme s'apprête à me révéler quelque chose de grave, mais je ne sait pas quoi, je n'arrive pas à mettre le doigt dessus.

Ce suspense me dévore mais m'attire à la fois, c'est si troublant.
Je me tortille d'impatience sur la chaise capitonnée du café, étant déjà présente au lieu de rendez-vous depuis une dizaine de minutes, je trouve le temps long. Les minutes passent, des minutes qui me semblent être des heures. Le froid de janvier pénètre mon corps sans se faire prier, malgré que je sois à l'intérieur du café, rendant mon attente encore moins agréable. Peut-être suis-je un peu trop à cheval sur les horaires, après tout il est à peine 14h00.

Heureusement que la beauté de cet endroit me permet de prendre mon mal en patience.
L'odeur du café moulu danse dans l'air et parfume les environs. Les serveurs transportent les tasses et les plateaux avec sveltesse. Une telle habileté dans leurs mouvements est déconcertante, je dirai même fascinante.
Le parquet en Wengé, un type de bois exotique, apporte une atmosphère accueillante dans ce petit café convivial. On s'y sent comme à la maison !
Les murs sont habillés de différents tableaux, de vielles affiches de films des années 90, d'une petite télé ainsi que du menu du jour. Cet endroit est une sorte de petit cocon réconfortant.

Je balaye les alentours du regard et l'aperçois, Côme. Alors qu'il s'avance dans ma direction, je le détaille des pieds à la tête.
Son corps musclé, sa prestance dès qu'il arrive, ses cheveux couleur piano et toujours un peu en bataille, ses grandes mains qui vous donnent envie qu'il vous étreigne, son regard bleu qui peut à la fois vous glacer et vous faire sentir toute chose. Comme à son habitude, il porte toutes ses bagues aux doigts, ses minuscules boucles d'oreilles, ainsi que quatre colliers autour du cou. Il est vêtu d'un pull noir corbeau, d'une ceinture argentée, d'un jean délavé et d'une paire de Converse.


Soudain, je le vois entrer. Côme. Mon regard cherche le sien, mais il est fuyant, évitant tout contact visuel. Mon cœur se serre, un frisson d'inquiétude me parcourt l'échine. Qu'est-ce qui peut bien l'ennuyer autant ? Qu'est-ce qui peut le rendre si préoccupé ?

Je me lève lentement et mes pas incertains me guident jusqu'à lui. Je pose ma main doucement sur son bras, cherchant à capter son attention.

– Côme... Qu'est-ce que tu as ?

Aucune réponse. Son silence en dit long sur la gravité de la situation...

– Côme...

Je répète son prénom, espérant obtenir une réaction de sa part.

Il lève enfin les yeux vers moi, et mon cœur se serre davantage en voyant ses yeux rougis et humides. Les larmes menacent de déborder, prêtes à couler sur ses joues. Sans un mot, il se jette dans mes bras, une étreinte désespérée, ses sanglots secouant tout son être.

Mes sourcils se lèvent, et ma bouche se courbe légèrement vers le bas, signe de toute mon empathie pour lui.
Je le serre contre moi, cherchant à apaiser sa douleur invisible.
Je lui murmure des mots tendres, ma voix se mêle à ses pleurs. Je ne l'ai encore jamais vu dans un état pareil, ce qui me bouleverse.

– Je t'en supplie, dit-moi ce qui ne va pas... Ça me tue de te voir comme ça...

Je prononce ces mots à voix basse dans un souffle presque imperceptible.

– Tu vas me détester... Tu vas me détester de te dire ça alors qu'on vient à peine de se retrouver...

– Je ne détesterai jamais, je crève d'amour pour toi.

Est-ce que je viens vraiment de dire ça à voix haute ? Astrée, Mon Dieu.

Son regard encore larmoyant plonge dans le mien et sa respiration se cale contre la mienne, créant une certaine harmonie, une symbiose entre lui et moi.

J'effleure sa joue de mes doigts pour le débarrasser des larmes qui glissent le long de ses joues, en soutenant toujours son regard.

– Astrée... Le sablier de ma vie s'écoule inexorablement...

Au fond de moi, je sens que quelque chose vient de s'éteindre. Mon monde s'écroule autour de moi, j'ai l'impression que le sol se dérobe sous mes pieds. Vient-il vraiment de m'annoncer ça ? Est-ce que cela veut bien dire ce que j'ai compris ?

– De q... De quoi tu...

Je reste immobile, figée par cette nouvelle dévastatrice.
Les souvenirs jaillissent en moi, faisant ressurgir les moments de bonheur partagés, les éclats de rire, les doux échanges de regards complices...

Non... Il ne peut pas mourir... Pas lui, pas maintenant...


– Je ne peux plus te cacher la vérité... J'y arrive plus... Je veux juste qu'on profite du temps qu'il nous reste et...

Il s'arrête brusquement en voyant mes yeux qui s'emplissent de larmes. Ma respiration se saccade, m'empêchant de respirer normalement.
Mes mains tremblent et je ne parviens pas à stopper ces tremblements qui sont si violents que mes poignets me font souffrir.

– D... D... Dit-mo... Moi que c'est... faux...

Parler me demande maintenant un effort surhumain. Je ressens comme un poids écrasant sur ma poitrine, comme si mon cœur allait imploser.

Il me guide jusqu'à l'extérieur du café et me fait assoir en terrasse. Je suis dans un tel état de choc que je n'ai même pas la force de faire un quelconque geste.
Le vent vient frapper mes joues, d'une telle manière qu'on dirait presque qu'il tente de me ramener à la réalité.
Mes larmes se transforment en sanglots, et les sanglots en cri strident de douleur.

                                Côme
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Ce cri... Ce cri de douleur et de désespoir m'arrache les tripes.

– Je ne peux pas accepter ça, je ne peux pas accepter de te perdre. Je tient tellement, tellement à toi, je ne peux plus imaginer ma vie sans toi, je viens à peine de te retrouver ... Comment vais-je trouver la force de vivre, en sachant que tu ne seras plus là... Et cette fois-ci, ça ne sera pas car tu as emménagé dans la ville d'à côté...

S'écrie-t-elle, la voix prête à craquer.

– Tu as une force en toi que tu ne soupçonnes même pas, tu me survivras...

– Qu'est-ce qu'on va faire...

Je prend son visage entre mes mains et la rapproche de moi, pour qu'elle essaye de se calmer.

– Je vais te dire ce qu'on va faire pour surmonter ça... On va savourer chaque instant, chaque seconde passé ensemble... J'ai une liste...

– Une... Une liste de quoi... ?

Je recule doucement mon visage du sien et sèche mes propres larmes avant de répondre.

– De choses à faire, avant qu'il ne soit trop tard. Et je veux la compléter avec toi... Sauf si tu préfères t'éloigner...

– Je...

– Ne me laisse pas te retenir, si ce n'est pas ce que tu veux... Si tout ça est trop pour toi, je comprends.

À peine je fini ma phrase qu'elle saisit ma main et dépose un baiser sur mes phalanges, un baiser qui me surprend agréablement.

La soudaine détermination dans son regard me laisse sans voix.

- ... On commence par quoi... ?

*ೃ༄

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