Rosalind Crowe

Je m'étais préparée à tout, mais pas à ça. C'est sûrement de ma faute, après tout. J'ai sous-estimé l'ennemi. En fait, je pensais que ce terme, ennemi, était bien trop fort et injuste pour ce qui sommeillait dans l'ombre, grandissant de jour en jour à l'approche de Yule. Je croyais avoir des rivaux, des jaloux, des envieux, ou des cas désespérés, mais pas des créatures capables du pire. Je ne mentirai pas ; quand le sortilège m'a touchée en plein dans le dos, que j'ai senti la brûlure par-dessus mon manteau, quand la pluie m'a préservée des flammes mais pas d'un heurt contre la pierre des marches, je me suis estimée bonne à enterrer. La douleur qui a irradié mon crâne. La violence de ce coup. La cruauté de son lanceur.

— Rosie...

Je flotte dans les nimbes de la tranquillité, le corps tout entier anesthésié de ses perceptions. Je ne dispose plus que d'un seul sens, et c'est l'ouïe. Enfin, si je n'invente pas la voix qui appelle mon nom. Je me laisse bercer par ce son mélodieux sans m'apercevoir des pointes d'inquiétude qui s'accentuent rapidement en cris quasi-hystériques. 

— Rosie ! Réveille-toi, Rosie !

Je me suis toujours demandé ce qui se trouvait par-delà le monde réel. Petite, je n'imaginais même pas que Caeddarah puisse exister et perdurer derrière une barrière protectrice, un royaume séparé du commun des mortels par un fin voile invisible. Quelle prouesse d'avoir caché tout un territoire, des centaines de milliers de créatures dotés de magie, depuis des siècles et des siècles, évoluant en parallèle des humains. Fascinant. Qu'est-ce qui attend les morts ? Allons-nous tous au même endroit, que l'on possède des pouvoirs ou non ? Sommes-nous réellement tous égaux face à l'au-delà ?

— Rosie, s'il te plaît, réponds-moi !

S'il s'agit de la voix d'un dieu, alors il est bien impatient. Je suis tellement à mon aise. À flotter. J'ai l'impression d'être ballottée doucement, je me balance d'un côté à l'autre du monde, comme sur un navire voguant sur une mer apaisée. Je n'ai aucun haut-le-cœur, je suis si bien, je ne m'en lasse pas. Mais, le capitaine du bateau s'exclame de plus en plus fort. Je souhaite lui dire de se taire, de me laisser onduler sur les flots en paix. 

— Rosie, ouvre les yeux !

Pourquoi hurle-t-il ? J'aimerais soupirer, mais il me faut d'abord reconquérir la maîtrise de mon corps. Très bien. S'il insiste, alors je lui répondrai. Avec un effort surhumain, je m'extirpe des ondulations paisibles de mon esprit et remonte à la surface. Le navire disparaît, la mer s'efface de mes pensées qui deviennent chaotiques, désordonnées, un flot tempétueux qui me surprend. J'étais si bien. Plus je longe les chaînes de ma raison, plus les sensations reviennent dans mes membres. Rien ne va plus. Je me mets à discerner le monde réel autour de moi. La pluie qui m'étouffe, s'infiltre par ma bouche entrouverte, par mes narines, s'abat violemment sur mon visage paralysé dans une expression de douleur. Parce que je souffre, plus que je n'aurais pu le présager. Mon dos brûle et me fait l'effet d'un coup de poing entre mes omoplates, là où je me souviens avoir été frappée par un sortilège vicieux et barbare. Lâche. J'étais de dos. Mon front et mon nez saignent. Je devine l'écarlate se mélanger à l'eau du ciel.

— Rosie, je t'en prie, dis-moi que tu vas bien !

Non, je ne vais plus bien du tout. Encore moins en reconnaissant cette voix. Un dégoût grimpe en flèche dans ma mémoire. Celle-ci s'ouvre et étale sous mes paupières closes tous les récents souvenirs de mon tortionnaire. Celui qui m'a humiliée devant Oberon, deux fois d'affilée, à cause de qui Ebony a brisé ma colonne vertébrale, celui à qui j'ai tendu la main et ai proposé une trêve, celui qui m'a craché à la figure en réitérant ses coups bas la semaine suivante et a passé son temps à s'assurer que j'échoue dans le plus de matières que possible, que ce soit en m'empêchant de montrer mes progrès ou en détournant mon attention de mes objectifs principaux. Xavier Crimson, le sale con que je commence sérieusement à haïr du plus profond de mon être. Une haine profonde et rancunière, une haine revancharde et pleine de mépris. 

Je soulève brutalement mes paupières, me faisant violence pour regagner le monde réel. Ce simple mouvement me réclame non seulement beaucoup d'énergie, au point de m'en couper le souffle, et en plus déploie une énième vague de douleur dans tout mon visage. La pluie rebondit dans mes yeux, je bats des cils pour y voir clair. 

Au-dessus de moi, le ciel gris gronde avec colère. Les nuages sont tous entassés les uns sur les autres, remplis d'une tempête furieuse, gonflés à bloc. Mais, ils ne sont pas les seuls dans mon champ de vision immédiat. Xavier s'affaire sur mon visage, récitant tout un tas de sorts de guérison dont je ne sais rien. À vrai dire, il pourrait aggraver mon état, je n'en serais pas sûre. Quoi que... Les plaies, de mon choc contre la pierre des escaliers, semblent se refermer, signe qu'il essaie bel et bien de me soigner. Ses cheveux noirs ruissellent sur ses tempes. Des gouttes y glissent et coulent sur mes pommettes. 

— Te revoilà enfin...

Je ne réagis pas, sur le coup. Il a l'air définitivement soulagé. Xavier ne s'arrête pas de picoter ma peau avec ses sorts, mais, moi, je suis immobilisée par un souvenir brut. Le jour de la rentrée. Lorsqu'il m'a jetée par terre, hors de ma maisonnette en feu. Ce regard à la limite de la désolation, de l'indifférence feinte et du soulagement. Je n'ai rien fait, mais je suis tout de même coupable d'une certaine façon ; il affiche précisément cette mine-là. Et je comprends ce qui vient de se produire. J'ai été victime d'une attaque. En route vers la salle de Monsieur Argent. En route vers l'un de mes tests de Potions et Sortilèges. Un sabotage. Ni plus, ni moins. Une pathétique tentative de m'éjecter du haut du classement, et pourquoi pas de l'académie. Mon regard croise celui du Cavalier de Dragons. Celui d'un prédateur.

— Rosie ? Dis quelque chose... Je t'amène à l'infirmerie, c'est peut-être plus grave que je ne le soupçonne.

Ses mains s'agrippent à mes épaules. Je ne réfléchis plus correctement. De mes paumes détonnent des ombres noires qui le propulsent dans la boue à un mètre de moi, assez loin pour me permettre de me redresser et de me recroqueviller contre les marches. Mon instinct prend le dessus. J'ai besoin de mettre de la distance avec lui. On dirait... Oui, on dirait de la peur. 

— Rosie, calme-toi, tu es en état de choc. Tu dois consulter l'infirmière, tout de suite. Laisse-moi t'aider.

— Pour que je manque mon test.

Mon ton est sombre et rauque, et ça n'a aucun rapport avec l'engourdissement dans ma gorge. Je ressemble sûrement à un chat sauvage effrayé, griffes et canines apparentes. Xavier s'agenouille, une main dressée entre nous, en signe de paix.

— Tu as reçu un grave coup à la tête. Ton test n'est pas urgent. Ta santé l'est.

Un rire mauvais lui rétorque tout le contraire. 

— Ne t'approche pas de moi !

— Ne fais pas l'enfant ! contre-t-il. Tu es blessée. Il te faut te mettre à l'abri, te sécher et que tu te reposes. 

— Ah, donc je devrais également manquer tous les autres tests de la journée ? Ne me touche pas.

Xavier ne parvient pas à m'approcher et mon obstination le rend a priori fou, à en juger par ses jurons sourds. 

— De toute façon, pourquoi ma santé t'intéresserait autant ? Puisque c'est toi qui m'as infligé ce coup.

Il encaisse l'accusation avec une lente déglutition. Xavier ne nie pas ; pourtant, je lis la riposte qui menace de s'exfiltrer de ses lèvres. D'accord. J'en déduis bien plus qu'il ne le voudrait. Ce n'est pas lui. Mais, il s'est miraculeusement trouvé là, au bon endroit, au bon moment, pour me sauver d'une commotion cérébrale et d'un saignement abondant. Quelle heureuse coïncidence. Quelles foutaises !

 — Tu n'es pas le coupable ? Tout comme ce n'était pas toi, ma maisonnette en feu ? Soit tu es mon ange gardien et tu voles à mon secours dès que j'en ai besoin, soit tu es un putain de tricheur, l'un de mes rivaux les plus déloyaux, et tu protèges l'autre personne qui rêve de me voir échouer. Salue Misty de ma part et dis-lui d'aller se faire cuire un œuf dans une autre académie !

Je m'appuie sur la pierre pour me lever. Je grogne et gémis à ces mouvements. Dans la seconde, Xavier se tient dans mon dos, à m'aider. Un coup de coude suffit à le faire reculer de deux pas. 

— Tu ne comprends pas, Rosie. Elle n'est plus dans son état normal. Yule la terrifie. Ne pourriez-vous pas faire en sorte de baisser dans le classement, juste un peu, pour qu'elle soit rassurée, pour qu'elle passe des vacances correctes ? S'il te plaît, Rosie, je ne vous demande même pas de quitter les dix premières places, simplement de rester en dessous d'elle.

— En dessous ? 

Je braille, le timbre aigu et incontrôlable, une frénésie en moi.

— En dessous, là où est notre place ? Très drôle, Xavier, vraiment hilarant ! 

— Pas du tout, ce n'est pas ce que je... Rosie ! Ne me force pas à argumenter sur un sujet qui est évidemment injuste et stupide. Fais-le, c'est tout. S'il te plaît. Nous savons tous ce que vous valez. Evelyn et toi n'avez rien à démontrer. Vous réussirez forcément en fin de compte.

— Mais pas en haut du classement.

Sa moue navrée me donne envie de le gifler. Il tente un pas de plus vers moi, mais n'engendre pas l'effet escompté. Mes yeux sont attirés par sa montre ancienne. Quinze minutes avant la fin du test d'Argent. Quinze fichues minutes. Je peux encore le faire. Je peux encore éviter un zéro et un autre avertissement. Au bout du troisième, c'est l'exclusion. Je dois esquiver cette punition à tout prix. Xavier constate l'agitation sur mes traits et amorce l'approche de trop. Paumes sur son torse, je laisse ma rage m'envahir. Mes ombres noires le frappent de plein fouet. Je fais volte-face vers les escaliers à l'instant où son corps massif s'effondre dans la boue. Sans me retourner une seule seconde, je fonce, sautant les marches deux par deux. 

Arrivée dans le couloir de Monsieur Argent, je sprinte jusqu'à sa porte. La pluie se déchaîne au-dehors, le tonnerre gronde. Je pousse la porte avec fracas, en même temps qu'un éclair jaillit dans le ciel gris. Les étudiants sursautent tous. Y compris le professeur qui me dévisage comme si j'étais folle, ou une morte-vivante. Evelyn pousse un geignement pour attirer mon attention, un mixte de questionnements et de joie à l'idée de me revoir. Je ne la regarde pas et me précipite sur le bureau de l'enseignant, dégoulinante et mouillant ses papiers. Il rouspète et j'ordonne :

— Mon sujet.

Argent me toise, hésitant entre se moquer de moi ou m'observer avec stupéfaction.

— Pas d'excuses ? Vous ne vous agenouillez même pas ? Quel culot, Crowe ! Cela vous vaudra une semaine de détention, une heure tous les soirs.

Tous les étudiants de mon groupe ont cessé de rédiger leurs réponses au sujet d'Argent, assistant à ce spectacle. 

— M'excuser ?

Je suis toujours sous pression, sur les nerfs, une marmite au bord de l'implosion.

— M'excuser de quoi ? M'excuser d'avoir pris un sortilège explosif dans le dos ? M'excuser de m'être effondrée sur les escaliers, sous la pluie, inconsciente ? M'excuser d'avoir été sabotée ? Soyons clair, vous et moi. Donnez-moi ce sujet et laissez-moi écrire le peu de réponse que les dix dernières minutes me permettront d'écrire, ou je mettrai cette académie sens dessus dessous. Je ferai en sorte que mon agresseur subisse dix fois pire et quand j'en aurais fini avec elle, je traînerai son nom dans un scandale si affreux que Morelli ne s'en relèvera pas. C'est compris ? 

Il est dépité par ma réponse, m'étudiant avec soin, quelque peu inquiet bien qu'il s'efforce de le dissimuler. Argent en conclut immédiatement de qui je parle et sa mine ahurie se transforme en lassitude. Que j'en sois capable ou non, de son point de vue, je partirai en guerre contre Misty Latimer s'il me refuse ce foutu sujet. 

— Plus que cinq minutes, Crowe. Dépêchez-vous.

Je m'évanouis presque à son accord. Sans perdre une précieuse minute, je bondis sur le sujet et m'élance sur ma chaise. Evelyn me scrute tout du long. Il est évident que je ne mens pas. Du rouge dilué à l'eau de pluie me tache encore le front et les cheveux, sans compter mon manteau brûlé. Je hoche de la tête dans sa direction, lui faisant signe de reprendre son test, et le silence retombe dans la salle au beuglement autoritaire d'Argent. Je découvre la question. Bien sûr, il a décidé de porter cet examen sur une potion étudiée en tout début d'année. Il ne m'aura pas. Je les connais toutes par cœur. Je n'ai jamais rédigé aussi vite de toute ma vie. Je crache de mémoire tout ce dont je me rappelle, balançant les ingrédients dans le désordre, listant les étapes de la préparation avec des tirets à peine rédigés, sans phrases trop longues ou trop excentriques. Tant pis. Tout pour ne pas obtenir ce maudit zéro qui me catapulterait hors du classement. 

À la fin du test, j'ignore la sonnerie stridente et les étudiants qui se lèvent un après l'autre pour déposer leur copie. J'écris jusqu'à la dernière seconde et je suis surprise que le professeur ne m'aboie pas dessus. Peut-être qu'il n'est pas aussi méchant que je le présumais... Or, il ne faut pas trop en profiter. Dès que l'ultime feuille atterrit sur son bureau, Argent s'empresse de m'arracher la mienne des mains. Je me risquerais à me renfrogner et à ronchonner, s'il n'avait pas été extrêmement clément avec moi. Maintenant que la tension est redescendue, je me rends compte de la manière dont je me suis adressée à lui. Tête baissée, je me mordille la lèvre en me rapprochant de lui.

— Cinq minutes, ce sont cinq minutes, Crowe. Vous ne compléterez pas votre copie. Déguerpissez ! Mon autre classe débute bientôt.

— Je... Je suis désolée, Monsieur. Je n'aurais pas dû...

Il me coupe net en ricanant. Sa froideur me prend de court et il s'explique :

— J'ai été dans les dix premiers de ce classement durant toute mon année. Je suis parfaitement au courant de ce que la liste vous incite à accomplir, en bien et en mal. Je m'associe sans mal à votre sentiment d'injustice et de rancune. Par ailleurs, n'oubliez pas que je suis un Sirène. Je peux détecter vos mensonges, si vous en avez. En déboulant dans ma classe, vous n'avez renvoyé aucune émotion. Savez-vous pourquoi ? Un individu qui entre dans un ouragan d'émotions négatives est illisible pour un Sirène. Parce que vous ressentez trop d'émotions néfastes et novices en même temps. Je savais quel genre d'étudiante j'avais en face de moi. 

— Merci tout de même, vous n'étiez pas obligé.

Argent soupire et jauge ma copie en travers. 

— Tout juste la moyenne, probablement moins. Vous n'avez pas traité le sortilège équivalent à la potion. 

— Je n'espérais pas briller. Uniquement me tirer d'un zéro.

— Eh bien, félicitations, Crowe. Il s'avère que vous avez produit une réponse relativement satisfaisante et impressionnante, en comparaison à votre temps de composition. À présent, ouste, ou vous serez en retard pour votre prochain test !

Je ne peux contenir un rictus comblé. En me tournant pour quitter sa salle, j'intercepte une part de rétrospection dans son regard, tandis qu'il se remémore son année à la Starborn, et une part de compassion qui apparaît dans un sourire calme. Evelyn patiente dans le couloir, les orbes écarquillés de stupeur à mon état. Elle examine l'état déplorable de mon manteau et pendant que nous trottinons vers notre test suivant, je lui raconte tout. Mes suspicions fortes sur Misty, corroborées par la réaction de Xavier, la douleur qui ankylose encore certains de mes muscles. La journée se poursuit sans grand incident et par chance, nous ne croisons pas la fille Latimer de tout le lundi. Sinon je l'aurais étripée. 

Le soir, au réfectoire, je suis étonnée de percevoir un vide angoissant à la table des trois petits rois et reine de l'académie. Ce qui me rend d'autant plus anxieuse, c'est la chaise vacante de la Directrice Morelli. Les professeurs sur l'estrade dînent en silence ou en conversation intime, avec des chuchotements, peu désireux que les étudiants les épient. Nul ne se doute, pas même moi, que l'équipe de nettoyage, avec l'aide de deux Sorciers, ont dû restaurer cette vaste salle, saccagée par Misty. Tout à coup, les battants s'ouvrent à la volée. Draigh se hâte vers notre table, essoufflé, souriant mais avec des sourcils froncés. Ce contraste nous perturbe. 

— Salut, les filles, vos tests se sont bien déroulés ? 

Il tressaute sur sa chaise, sa jambe martèle la pierre.

— Oui, hormis l'agression de Rosa tout à l'heure, mais ne tourne pas autour du pot et informe-nous de cette chose qui t'excite à ce point.

Draigh est sur le point de le faire, mais il se tait et voltige vers moi.

— Une agression ? Quoi ? Tout va bien ? Qui ? Quand ? 

— Juste avant le test de Potions et Sortilèges. Tout s'est plus ou moins bien terminé. Argent s'est montré compréhensible. Du qui, j'émets des doutes très prononcés sur Misty. Pourquoi ? 

Il se décompose, soudain blanc.

— Par tout hasard, Xavier Crimson ne serait pas impliqué dans cette agression...?

Sa phrase, une question qu'il ne pose pas directement de crainte d'en connaître déjà la réponse, se meurt en murmure.

— Il était là à mon réveil. Il m'a soignée. Puis, il m'a refait son discours sur le classement, sur le sacrifice que nous devrions commettre pour que Misty et lui brillent tout en haut de leur trône. Je l'ai envoyé paître. 

— Pourquoi ? insiste Evelyn.

Draigh est secoué par une constatation qu'il est le seul à atteindre, à notre table. Je note d'ailleurs que tous les corps des étudiants sont penchés sur les tables, comme si tout le monde se racontait le dernier ragot ultra-secret, connu de tous. Il glisse une main dans sa chevelure blonde platine et cherche ses mots. Toutefois, une ombre se poste à côté de nous, derrière Evelyn. Conrad, planté là de toute sa hauteur, l'expression très neutre. Un peu trop. Le Sirène se redresse à toute vitesse, faisant tomber sa chaise, prêt à se mettre entre nous et le Loup. Je ne saisis rien du tout, et mon amie non plus.

— Tu ne sais même pas quelle catastrophe tu as déclenchée, n'est-ce pas ? m'interroge Conrad. En ce moment, cette chère directrice est en train de torturer sa fille à coups de cris et de gifles. Xavier, quant à lui, est convoqué en conseil disciplinaire.

— Pour quelle raison ? cinglé-je. Ne me jette pas la pierre, Conrad. Tes amis se sont mis dans ce pétrin. Moi, je me suis défendue, c'est tout.

— En effet. Je ne t'en tiens pas rigueur. J'ai même tendance à approuver le tsunami qui se prépare, mais je m'en veux aussi puisque ça signifie que mes amis souffriront.

— Pourquoi Xavier serait-il convoqué à un conseil disciplinaire ? C'est en lien avec mon agression ? Misty est la fautive. Ne me dis pas que Xavier prendra le blâme pour elle.

Conrad rit sans émotion et il fait non de la tête. Derrière moi, Draigh se racle la gorge et je pivote pour l'écouter. Il ramasse sa chaise et se rassoit, se détend même tout en gardant un oeil sur le Loup, au cas où.

— Xavier était absent à tous ses tests de l'après-midi. Voilà ce que je suis venu vous dire. 

— Il est apparu qu'une personne non-identifiée, et dont il a choisi de taire le nom, l'a assommé, rajoute Conrad. En revanche, en l'apprenant, Misty a rapidement établi un rapport direct entre ses agissements de ce midi, qui ont suivi notre séparation au réfectoire, et le lieu où Xavier a été retrouvé inconscient par des étudiants. Elle t'a accusée devant sa mère, Rosa, mais la Directrice Morelli se fiche pas mal de ses accusations sans fondement et sans preuve. Xavier a d'ailleurs refusé de se justifier, de donner une explication à cet incident et n'a pas évoqué ton nom un seul instant. Par conséquent, il devra affronter le conseil disciplinaire pour absences répétées et il pourrait écoper d'une punition variant de l'exclusion d'une semaine à l'expulsion du haut du classement pour toujours. Trois zéros en un après-midi, il est condamné. 

Mon palpitant loupe quelques battements. En le neutralisant, je pensais au mieux l'écarter de moi assez longtemps pour le fuir et au pire, l'endormir une ou deux minutes... Tout l'après-midi ? J'étudie mes paumes avec autant d'effroi que de contentement. C'est peut-être la première fois que j'use d'un pouvoir aussi violent et cassant. Je ne ravale pas l'amertume dans ma bouche. Xavier, peu importe qu'il se soit acharné sur moi toute la semaine dernière, n'aurait pas dû payer pour l'attaque de Misty. Le Loup se laisse finalement choir à notre table, décomposé.

— L'ironie dans cette histoire pitoyable ? J'ai parlé à Misty et à Xavier tout à l'heure, ici même, après que Misty ait encore fait une crise. Je les ai prévenus. Que vous pourriez leur rendre leurs coups. Que vous n'étiez pas impuissantes. Qu'ils n'assumeraient pas les conséquences... Laisse-moi te dire une chose, Rosa, avant qu'il ne soit trop tard.

J'acquiesce, lui indiquant que j'ouvre grand mes oreilles.

— Misty n'abandonnera pas. Au contraire, elle sera plus délirante et insensée que jusqu'à aujourd'hui. C'est certain. Elle reportera la faute sur toi, et non sur elle. Fais attention. Je veillerai à négocier avec elle, à lui faire entendre raison, mais j'ai peur que... 

Conrad soupire une fois de plus, ses yeux humides. Même Draigh s'est décrispé et l'observe avec sympathie.

— Est-ce que je peux m'asseoir avec vous ? Je ne suis plus sûr de compter Misty parmi mes amis et...je suis effrayé à la pensée que Xavier pourrait avoir perdu l'esprit, comme elle.  

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