Rosalind Crowe
À mon grand dam, les mardis et jeudis sont désormais dédiés dans leur entièreté aux cours de Magie Offensive et Magie Défensive. En toute franchise, je les déteste. Nous les avons commencés depuis une semaine et j'ai fini à chaque fois courbaturée, épuisée et surtout démoralisée. La bonne nouvelle ? Nous dédramatisons au fur et à mesure des séances sur les enjeux des tests hebdomadaires. Nous ne sommes pas censés nous entre-tuer ou écraser nos adversaires au cours des duels ; il n'est même pas question de gagner, pas forcément, mais de montrer sa valeur d'une façon ou d'une autre. Cela nous offre une chance de briller, malgré tout.
Enfin, j'essaie de voir les aspects moins déprimants de ces cours en me rassurant, mais j'ai conscience de l'angoisse profonde d'Evie. Les mardis et jeudis sont devenus synonymes d'anxiété, de vomissements et de mal-être viscéral. Elle se lève avec la boule au ventre et se couche vidée de toute motivation. Elle a pleuré en début de semaine. Je le sais parce qu'il s'agit de l'unique soir où elle a proposé que nous dormions séparément. Sur le coup, je me suis dit qu'il serait bon de se ressourcer de son côté, ou que peut-être j'empiétais un peu trop sur sa routine. Et puis, j'ai bêtement compris mon erreur. En gagnant ma maisonnette cette nuit-là, je l'ai laissée vulnérable, la proie de ses démons. Ses rendez-vous avec Monsieur Argent ne l'aident pas beaucoup, même s'ils participent à la détendre et à ouvrir des pans de sa magie qu'elle n'avait pas encore utilisés. Elle s'accroche à cet espoir.
Le réveil sonne atrocement en ce jeudi matin. La journée des tests. J'inspire pour me donner du courage et me tire hors du lit, pendant qu'Evie éteint vite la sonnerie stridente. Mon uniforme sous un bras, mes chaussures en main, je me dirige naturellement vers la porte de sa chambre, visant la salle d'eau commune. Or, je me fige net. Achevant de frotter mes yeux, je scrute un morceau de papier qui paraît avoir été déposé là, glissé sous le bois. Il est plié. Je ne le lis pas et l'apporte à la blonde. Elle se redresse en marmonnant. Je devine sans mal qu'elle n'a pas envie de vivre ces épreuves. J'ignore quoi lui dire pour la réconforter.
— Bizarre...
Je me rassois sur son lit et elle me tend le papier.
— Faites attention. Crimson et Latimer ont insisté auprès du Professeur Natas pour rejoindre votre groupe.
Je fronce les sourcils à cette lecture.
— Qui nous préviendrait de ça ? bredouillé-je. Conrad n'utiliserait pas les noms de famille de ses meilleurs amis. Draigh non plus.
— Quelqu'un qui a entendu une conversation. C'est signé D. A.
Nous nous passons en revue tous les étudiants de notre connaissance avec ces initiales. Tout à coup, elle sursaute et s'exclame :
— Damian Argent.
Un sourire railleur étire mes lèvres.
— Monsieur Argent veille sur sa petite protégée, que c'est gentil de sa part.
Elle rougit sur tout le visage et le défend en des bégaiements suspects.
— Bien sûr que c'est gentil !
Je ne commente pas, en particulier parce qu'elle court déjà vers la salle d'eau commune. Je la suis mollement et nous ne reparlons pas de cette note. Par ailleurs, nous ne la mentionnons pas du tout à Draigh qui siège tous les jours à notre table maintenant et s'il s'est fait des amis, obtenant la confiance de ses semblables petit à petit, il n'a pas tenu à les fréquenter plus qu'il ne le devrait. J'ai bien cerné ce jeune homme. Il s'enterre sous des apparences de riche arrogant, derrière un masque de fils à papa agaçant, mais il est en réalité juste et généreux. Il s'est en tout cas révélé loyal envers celles qui lui ont tendu la main et il ne s'est pas détourné de nous quand il en a eu l'occasion.
Nous n'évoquons pas l'avertissement d'Argent au louveteau. Conrad met un point d'honneur à nous saluer tous les matins, déposant quotidiennement un baiser sur le front d'Evie, ainsi qu'un murmure d'encouragement. Je ne le sens pas. Mais, je pense qu'une part de lui s'inquiète sincèrement pour elle. Quoi que ses amis prévoient.
La note d'Argent prouve que mon intuition se valait. Nous n'avons pas réitéré de sortie ensemble. En revanche, Misty a tenté de se rapprocher de nous à plusieurs reprises et j'ai tendance à la fuir comme la peste. Une mauvaise intuition à son propos. En fait, elle se trahit d'elle-même. Cette fille pourrait être amie avec n'importe qui, mais elle se frotte à nous deux encore et encore, malgré ma froideur à son égard et les longs silences dubitatifs d'Evie. Son insistance me glace le sang. Tout comme la beauté gelée de Xavier. Je vois bien comment il me regarde. Ou devrais-je dire comment il fait exprès de me regarder. Il lui faut parfois une minute pour se souvenir de ses intentions, quelles qu'elles soient, et pour changer son expression faciale dans le but évident de me charmer. Quelle bande de crétins s'ils estiment nous tromper si facilement.
Sur le moment, je me demande si c'est bien Monsieur Argent qui a déposé cette note sous la porte d'Evie et si nous trouverons réellement Misty et Xavier dans notre groupe. Je me surprends à prier que tout ceci soit un malheureux malentendu...parce que je ne veux pas imaginer le pire. J'en ai déjà assez de ces cours, assez de me sentir faible, assez d'être considérée inférieure par d'autres car ma magie n'est pas aussi fonctionnelle que la leur. J'ai intercepté les messes basses. Qu'apparemment, je ne suis pas légitime de ma place en haut du classement, que je ne mérite pas d'être à la Starborn, que je fais honte à l'Ordre des Sorciers. De la même façon que les sans-ordre sont méprisés. Je me moque de ces critiques. Ou du moins, je m'efforce de m'en préserver.
Tous les Sorciers affrontent des difficultés similaires. Nous constituons par essence l'Ordre le plus puissant d'entre tous. Si seulement nous disposions de nos pleins pouvoirs. Lorsque l'un d'entre nous maîtrise sa magie et la pousse à son paroxysme, il peut vaincre tous ses adversaires, se protéger de toutes les attaques. Enfin, j'exagère un peu. Les Cavaliers de Dragon, par exemple, sont réputés pour leur puissance, bien que je maintienne que, sans leur monture, ils ne sont que des élémentaires avec le contrôle du feu. Les Étoiles, oui, nous feraient de l'ombre à tous, s'ils n'étaient pas si rares. Aucun ne s'est manifesté en quatre-vingt-onze ans, d'après ce que j'ai lu dans un vieux bouquin.
Quoi qu'il en soit, je traîne des pieds jusqu'au Pré d'entraînement, là où les deux cours ont lieu. Le matin, nous débutons par Magie Offensive et après une pause déjeuner, nous reprenons avec Magie Défensive. Madame Natas patiente tranquillement et je souffle en sachant que, une fois de plus, je démontrerai des pouvoirs limités et pittoresques. Quelques paires d'yeux se braquent sur nous. Draigh s'aperçoit aussitôt de la lourdeur dans le cœur d'Evie, à tous ces jugements mesquins et bruyants. Il se place entre elle et eux, et s'amuse avec ses cheveux. J'ai remarqué qu'il fait souvent ça pour la distraire et sa tactique fonctionne. Néanmoins, je prends la mouche à la critique de trop :
— Elles doivent payer les professeurs.
— Non, pire, elles écartent probablement les cuisses.
Dans le monde humain, je n'ai jamais subi une telle méchanceté gratuite. Oh, je sais qu'elle existe et je sais combien l'humain peut être abject, mais je n'avais pas prévu de me heurter à une hostilité pareille en débarquant à la Starborn. Je fais volte-face, prête à en découdre. Quitte à apprendre à me battre, autant m'entraîner sur des pestes. Non ? Toutefois, au bout de trois pas, je me cogne à un torse dur qui ne bouge pas d'un centimètre, alors que je titube en arrière, agitant des bas pour rétablir mon équilibre.
Xavier. Je ne retiens pas un gloussement amer en le voyant planté devant moi. Donc, cette note n'était pas un quiproquo. Une œillade sur le côté me confirme la présence de Misty. Déjà que j'étais en colère à cause des deux pimbêches derrière lui, là, je suis furieuse. Professeur Vandran m'a conseillée lors de nos cours de Perfectionnement ; elle prétend que tous les Sorciers ont besoin d'une motivation pour faire émerger sa puissance, et j'ai cherché la mienne toutes ces semaines... Face à lui, ce matin, la réponse m'apparaît d'une clarté absolue. La rage. Autour de mes poings contractés aux jointures blanches claquent des étincelles.
— Calme-moi, Rosie. Inutile d'entamer un combat que tu pourrais perdre. Tu ne souhaites pas terminer à l'infirmerie un jour de test, n'est-ce pas ?
— Ne me provoque pas, Xavier.
Je m'attarde sur son prénom, le faisant rouler sur ma langue autant qu'il appuie sur mon surnom.
— Tu n'es pas en position aujourd'hui de me contrarier. Ou tu tiens à ce que je vous mette le feu aux fesses à tous ?
— Ne joue pas avec le feu, Rosie. Si tu veux les corriger, tu n'as qu'à demander. Je ne les apprécie pas le moins du monde et j'adorerais une opportunité de me défouler.
— Je peux mener mes propres batailles.
— Non, et c'est ton problème le plus urgent, Rosie. Tu acceptes mon coup de main, oui ou non ?
J'explose d'un rire un brin hystérique. Les deux pestes se collent d'autant plus au tronc où elles sont adossées et murmurent avec frénésie sur la scène que nous leur fournissons.
— Vous ne dupez personne, craché-je, enfin. Misty et toi, vous vous êtes joints à notre groupe pour vous assurer de notre échec. Allez-vous nous empêcher de progresser ? Passer à l'action contre nous ? Et tu me proposes de corriger les commères... N'as-tu aucun scrupule, Xavier ? Ou peut-être que vous vous jugez les seuls capables et dignes de nous faire du mal ? Sommes-nous vos proies exclusives ?
À peine ai-je prononcé la dernière syllabe de mon emportement qu'un anneau doré tournoie autour de ses iris ambrés. Les flammes de son Ordre. Je n'ai pas encore aperçu son Dragon et à en croire les ragots à son sujet, les quelques autres Cavaliers non plus n'ont pas rencontré la célèbre Maera, dont j'ai relevé le nom dans plusieurs journaux. Je guette le ciel. Au cas où. Je n'aimerais pas être rôtie si jeune. Il se penche légèrement en avant tout en hochant de la tête.
— Oui, Rosie, c'est ça. Si quelqu'un doit te détruire à la Starborn, ce sera moi. Que les autres s'occupent de leurs affaires. Après tout...
Il jette un regard hautain aux deux pestes.
— Elles sont dans les cinquante si je ne m'abuse. Elles n'ont pas à te critiquer. Qu'elles se secouent un peu avant d'accuser leurs supérieurs des pires tricheries, afin de justifier leur échec personnel !
Il a crié cette phrase. Elles se taisent, sous le choc, et le dévisagent avec un mélange de peur et d'incompréhension, supposant que Xavier Crimson serait le premier à donner du crédit à leurs rumeurs grotesques.
— Tu es ma rivale. Pas la leur. Ce combat ne les concerne pas.
Et pour le prouver, il dresse une paume cruelle dans leur direction, pulvérisant une onde de fumée chaude. Elles sont envoyées abruptement contre le tronc qui se fend sous leurs poids, et je perçois d'ici le heurt sourd de leur dos contre le bois. Nous nous jaugeons une longue minute, lui en me défiant d'argumenter et moi avec irritation. Les étincelles valsent avec folie sur mes poings, et je les desserre peu à peu en respirant tant bien que mal. Je m'apprête à lui grogner une riposte, certainement pas un remerciement ou de quoi adhérer à son raisonnement, même s'il n'a pas tort, mais Madame Natas regroupe les étudiants et chantonne :
— Très belle démonstration, Monsieur Crimson. La prochaine fois, laissez une chance à vos adversaires d'élaborer une défense.
— Dans un véritable combat, un attaquant ne permet pas à son ennemi de dresser un bouclier, réplique-t-il en s'écartant de moi. Il agit en premier.
— C'est vrai. À présent, formez des binômes et entraînez-vous. Je vous rappelle que vos tests hebdomadaires porteront sur un unique duel, c'est-à-dire une unique occasion d'étaler vos progrès. Échauffez-vous. Je vous informerai du début de votre test. Ah, et votre binôme de l'échauffement ne sera pas obligatoirement votre adversaire de duel.
Misty serpente promptement vers Evie et je suis sur le point de bondir sur elle, affreusement méfiante et sur les nerfs, mais Draigh réagit plus vite. Il plaque un bras dans le dos de la blonde et la tire contre lui. Les deux observent la brune avec suspicion et elle fait mine de dévier sa trajectoire vers une autre étudiante. Génial, ce qui désigne Xavier comme mon partenaire, n'est-ce pas ? Un rictus sarcastique se propage sur ma bouche quand, en pivotant, je le découvre à nouveau tout près de moi, bien décidé à être mon binôme.
— Tu comptes me casser un bras ? Me faire cadeau d'un lit à l'infirmerie ?
Mon ironie sauvage ne lui plaît pas et il a l'air de ronchonner mentalement. Xavier ne répond pas et se distance des autres duels d'entraînement. Je le talonne à contrecœur, cherchant une personne sans binôme...en vain.
— Quel est ton facteur de motivation ?
— Pourquoi ?
Il aspire à tout connaître de mes maigres progrès pour les anéantir. Je suis, l'espace d'un battement de cils, aveuglée par mes soupçons envers lui, si bien que je sursaute presque à son expiration de frustration.
— Pour savoir lequel de tes boutons mentaux je dois actionner, Rosie. Pour que tu répondes à mes attaques et que ce soit un duel à double sens.
— La colère.
Un ricanement sordide lui échappe.
— Évidemment. J'aurais dû m'en douter avec ton tempérament. Très bien, ce ne sera pas compliqué de te faire sortir de tes gongs, puisque tu me hais.
— Je hais ce que je te pense être, rectifié-je.
Il croise les bras en arborant une mine curieuse.
— C'est censé vouloir dire...?
— Désespéré de confirmer à papa et maman que leur fils chéri est un prodige à l'éducation parfaite et irréprochable, qui n'autorisera pas un vulgaire moucheron à lui tourner autour.
Contre toute attente, Xavier ne cache pas la vérité. Je lis sur ses traits que je vise tristement juste, mais qu'il méprise cela autant que moi, pour une raison ou une autre. Il me dévisage une poignée de secondes avant de décroiser les bras et de faire précisément ce qu'il a suggéré. Je ressens des picotements, par ci, par là, sur mes bras, sur mes joues, sur mes jambes. En baissant la tête, je discerne des petites taches rougies partout sur ma peau. Il me brûle.
— Arrête.
Bien entendu, il continue et il amplifie la douleur, la rapidité et l'intensité de ses brûlures. Je m'applique à produire soit une contre-attaque, soit un moyen de protection, mais rien ne me vient dans un premier temps. Des arrête fusent de plus en plus et Xavier n'hésite pas à me décocher une grimace narquoise. Je recule, il ne m'octroie aucun répit. J'ai mal. Vraiment.
— Arrête immédiatement !
Il obtempère cette fois. À cause de l'humidité dans mes yeux. J'en profite tout de suite pour vérifier l'état de ma peau. Ses brûlures ont tracé des sillons douloureux. Xavier donne l'impression d'être étonné par la force de sa propre magie et s'approche, l'ombre d'une discrète inquiétude sur ses traits tendus.
— Ne me touche pas.
Je le préviens. Il n'écoute pas. Il suffit d'un frôlement de ses doigts sur ma peau pour qu'une rage sans nom remonte le long de ma poitrine.
— J'ai dit, ne me touche pas !
Je hurle comme une Banshee, mais les vibrations ne proviennent pas de ma bouche. Une onde de choc se diffuse de mes paumes, à plat sur son torse pour le repousser. Xavier se retrouve instantanément projeté dans les airs et atterrit à quelques mètres. Son corps musclé heurte dangereusement la terre dure. Dans la seconde, Misty est à côté de lui. Draigh a abandonné une attaque contre Evie qui trottine jusqu'à moi. Je suis immobile, pantoise, essoufflée, le ventre bouillonnant de ma magie.
— Qu'est-ce qu'il t'a fait ? souffle Evie.
Misty a d'ores et déjà aidé son ami à se relever. Il adresse un signe de main à notre professeur. Natas nous jauge tour à tour.
— J'ai déclenché son facteur de motivation, explique-t-il.
Sa voix, rauque de la chute, me procure un frisson partagé entre l'excitation de m'être déchaînée pour la première fois de ma vie et la culpabilité de l'avoir pris au dépourvu. Il aurait pu si mal retomber. Et pourtant, je ne m'excuse pas. Je me grandis et le défie de dire quoi que ce soit. Professeur Natas scande en s'égosillant pour que le silence revienne :
— Latimer, Crowe pour le premier duel. Les autres, rangez-vous en cercle.
La brune me lance un regard meurtrier que je lui rends. Les étudiants se dépêchent de s'accroupir autour d'un large cercle. Xavier attrape le bras de son amie, chuchotant à son oreille. On dirait qu'il tente de l'apaiser, de la raisonner. Je peux presque entendre : ne la tue pas, va doucement avec elle. Cela m'énerve tellement. Dès que Madame Natas annonce le début de notre duel, je suis chargée à bloc d'une énergie...néfaste, je dirais. Nocive même. Professeur Vandran m'a prévenue que le facteur de motivation devait être manié avec précaution, uniquement pour me faciliter les choses, mais que je devais me contrôler en toutes circonstances.
Je ne le nierai pas. Je ne contrôle rien du tout. Je suis en colère contre Misty et son hypocrisie qu'elle dissimule tout juste. Contre Conrad et ses flirts fourbes, intéressés, malicieux envers Evie. Contre Xavier et son air présomptueux. Sans que je n'aie pu me l'interdire, j'ai développé une sorte de haine phobique contre ces trois-là, née de ma terreur. Parce que je ne pourrai pas me débattre contre leurs assauts s'ils choisissent de m'abattre et que cela me terrorise. Misty amorce un cri et je relâche ma magie sans pitié.
C'est grâce à ce duel que Misty nous livre un avantage contre elle, sans le savoir. Car toute information, bien exploitée et au bon moment, peut former un avantage de taille.
Elle esquive ma vague de courroux en roulant sur le côté et vocifère. Des vibrations s'entrelacent dans mon esprit et me bloquent à terre. Un braillement strident résonne dans ma tête. Le mien. Mes mains tiennent mes tempes meurtries. Consciente de mes lacunes et du gouffre épouvantable entre nous deux, j'improvise une attaque sur-le-champ, puisque son attention est toute focalisée sur son cri de Banshee. J'aurais dû la désarçonner. Or, elle pare derechef mon coup et me garde au sol. Je me souviens alors de ce que mon père, passionné des Ordres, m'a raconté sur ces créatures de malheur.
Certaines Banshees sont dotées d'un pouvoir supplémentaire : la Vision. Je ne peux pas gagner contre elle. Misty connaît déjà le dénouement de notre duel. Et c'est cet avantage qu'elle nous présente sur un plateau d'argent.
A-t-elle vu l'étendue de ma haine ? Sait-elle ce que je pourrais accomplir par simple esprit de revanche ? Me connaît-elle suffisamment pour avoir tout prévu de notre duel ? Je ne crois pas. C'est exactement pour cela que je pose mes deux mains sur la terre et me détache un peu plus de ma colère. Le sol tremble et elle sautille pour éviter de tomber. Sans une once de réflexion, je laisse mon instinct agir, priant pour qu'elle n'ait pas entraperçu cette impulsion dans ses visions. Ma magie part, trop vite, vers Xavier. Je le comprends en même temps qu'elle.
Le Cavalier est stupéfait de faire l'objet d'une attaque lors d'un duel privé entre son amie et moi, et peine à dresser une protection. Il y parvient. Sauf que Misty s'est précipitée elle aussi dans la confection d'un bouclier, pour lui. Je ne gaspille pas cette brèche et lui décoche une violente onde. Elle est catapultée si loin que Madame Natas intervient en créant un coussin d'air sous son corps. Notre professeur ne déclare pas la fin du duel, en revanche...
Et c'était mon ultime opportunité contre la Banshee. Elle ne me présente plus aucune faille et je suis à genoux, agonisante, un geignement pitoyable tremblotant dans ma gorge.
— Tu t'es bien défendue, Rosa.
Merci, Draigh. Je ne réussis pas à formuler ces mots. Il n'influence pas mes émotions pour atténuer ma douleur lancinante dans tous mes membres, à cause de sa magie encore instable. L'assistante de l'infirmière, présente à tous nos cours du mardi et jeudi, accourt à mon chevet et me soigne. Je me réjouis quelque peu lorsqu'elle suggère ses soins à Misty et que celle-ci lui ordonne de la laisser tranquille, vexée d'avoir des blessures. Je note sa lèvre fendue, son œil noirci, et les bleus sur ses bras. Tant mieux. Natas demande aux prochains étudiants de se mettre en place et se poste debout à côté de moi, me surplombant de toute sa haute, alors que je ne fais pas d'effort pour me lever.
— Mes félicitations, Mademoiselle Crowe. Pour une étudiante faible, en comparaison à Mademoiselle Latimer, vous avez joué toutes vos cartes et vous n'avez pas baissé les bras. Intéressant votre choix d'attaquer Monsieur Crimson. Vous avez analysé en quelques secondes votre adversaire et vous avez entrepris de tirer avantage de ses vulnérabilités. Poursuivez ainsi et vous n'échouerez jamais dans ma classe.
Draigh me secoue, riant silencieusement, et il tape même dans la main d'Evie, tous les deux ravis des compliments que j'ai reçus. La bonne humeur du blond décuple ma satisfaction, tandis que Misty fulmine dans son coin. Natas la félicite. D'une courte phrase. Pas d'encouragements. Mais une menace : attention à enterrer ses faiblesses pour que l'adversaire soit enseveli sous vos forces.
— Je vous en supplie, faites en sorte de mettre la misère à vos adversaires. Je veux que Misty et Xavier comprennent à qui ils ont affaire.
— Fais-moi confiance, susurre Draigh.
Et il s'agenouille entre nous deux pour lister autant de conseils que possible à Evie. Son facteur de motivation ? Se sentir en confiance, puissante. Nous la submergeons de stimulations positives, de compliments et d'arguments valables, assez pour qu'elle résiste un minimum à son adversaire. Bien sûr, sans son Ordre, elle n'arrive pas à grand-chose et son état est bien pire que le mien, au final, mais Natas conclut :
— Malgré tout, vous vous êtes bien débrouillée. Écoutez-moi tous ! Mademoiselle Dupree est l'exemple parfait de ce que je souhaite voir dans ma classe. De la détermination, de la férocité. Tous ceux qui sont entrés dans leur duel avec suffisance et orgueil, je vous ai enlevé des points, sachez-le. Je ne vous demande pas d'être incertains et fébriles. Mais, trouvez un juste milieu. Vous devez engager en duel en étant convaincus que vous mettrez tout en oeuvre pour défendre votre vie, ou en l'occurrence votre place à la Starborn. Cela inclut de mesurer vos forces et vos faiblesses, mais également celles de vos adversaires. Méditez là-dessus jusqu'à notre prochain cours.
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