Evelyn Dupree

Des ailes rouge sombre planent au-dessus de nous, valsent avec les épais nuages d'un mois de décembre qui se refroidit de jour en jour. La neige ne tardera pas à tomber sur Caeddarah et pour une fois, je ne la subirai pas, emmitouflée dans des draps troués retrouvés dans les poubelles des quartiers riches. Je pourrai m'étouffer sous des couches de pulls et me cacher du gel avec un manteau doux et chaud. La nuit, je dormirai sous la couette, dans une maisonnette tenue à bonne température par le feu dans l'âtre ou par la magie de Rosa. Je n'aurai pas à pleurer de désespoir, les joues glacées par mes propres larmes. Je suis en sécurité ici. Et quand je sortirai de la Starborn Academy, j'obtiendrai un travail stable, je nourrirai mes ambitions à l'aide de mon diplôme, et je ne craindrai plus jamais la faim et la soif, la neige ou la sécheresse. 

Voilà ce que je me répète tous les soirs en m'endormant aux côtés de Rosa, quand elle se tourne vers moi et enroule ses bras autour de mon dos pour profiter de notre chaleur commune. Je ne suis plus seule. J'ai des amis ici. Même si tout s'effondre, ils ne m'abandonneront pas. N'est-ce pas ? Je ne souffrirai plus de la famine et de la misère. Plus jamais. 

Me voyant chaque semaine dans le haut du classement, des rêves émergent. Ils se sont consolidés depuis l'éveil de mon Ordre, depuis que Madame Vandran ou Monsieur Argent me considèrent comme la plus précieuse des créatures de tout Caeddarah. Les autres étudiants ne semblent pas totalement le réaliser, bien que Draigh m'observe souvent avec cette lueur admirative dès que je parviens à produire ma lumière, et Conrad s'est une fois transformée pour me léchouiller la joue, heureux de mes progrès. Certains me dévisagent avec jalousie, d'autres avec trouble. Je ressemble à n'importe qui, à chacun d'entre eux. Pourtant, je suis destinée à devenir plus puissante qu'eux tous. Un quelqu'un qu'ils ne seront jamais. Je peine à en prendre conscience moi-même et en y songeant, je n'aime pas m'estimer plus méritante ou plus importante que les autres Ordres du royaume. Pour une raison très simple : je refuse d'être associée à l'Étoile en moi, je refuse de n'être qu'une Étoile et que l'on me traite différemment pour cela. J'aspire à réussir par ma valeur, par mes efforts et certainement pas à cause d'un privilège de rareté.

Je contemple Maera haut dans le ciel, qui s'amuse avec un autre Dragon que son Cavalier a laissé ici par désintérêt. Je ne comprends pas comment l'on pourrait se détourner ou ne pas adorer une créature pareille. Je suis fascinée par leurs ailes osseuses et raides qui slaloment entre les nuages et s'étendent pour planer ou voltiger. Une danse aérienne dont je ne me lasse pas. La monture de Xavier apprécie beaucoup Rosa. Mais, cette dernière ne s'est pas détendue une seule seconde. Cinq jours que les vacances ont débuté, et elle est toujours crispée à chaque fois qu'elle pénètre dans les Grottes.

Le Dragon n'a pas l'air de lui en vouloir. Elle m'a raconté que Maera était présente lors de l'incident, qu'elle a assisté à l'empoisonnement de son maître et qu'elle s'est contentée de câliner le bras de Xavier, son torse aussi, mais qu'elle n'a pas bondi sur Rosa pour venger son Cavalier. Cela me paraît logique, après tout. C'est une jeune créature, mais une créature très intelligente. Elle a bien remarqué qu'il s'agissait d'un accident involontaire des deux partis. 

Cinq jours que nous visitons la chambre de Xavier, que nous versons de l'eau dans une bassine géante que la femelle a vidé le lendemain et que nous l'accompagnons dans l'arène après avoir pris soin de l'encercler d'un sortilège de confusion. Nous ne sommes pas nombreux à rester à l'académie pour les vacances, mais sait-on jamais. Xavier a été très clair sur l'importance de dissimuler l'adolescence de sa monture, donc nous prenons nos précautions. J'aide volontiers Rosa, émerveillée par le vol des Dragons. Maera raffole du ciel. Elle est maladroite dans ses cabrioles, preuve qu'elle apprend encore à voler et à se stabiliser dans les airs. Elle est adorable.  

— Tu devrais partir maintenant, sinon tu vas être en retard.

Je jette un coup d'œil à ma montre et constate en effet que l'heure de rencontrer Monsieur Argent pour nos sessions se rapproche. Néanmoins, je discerne cette pointe de morosité dans sa voix et j'hésite. Ces derniers jours, j'ai tenté d'aborder le sujet Xavier, mais ses réponses demeurent à la surface, évasives, ou elle esquive la conversation. Je sais que tout va plus loin qu'une simple affaire de tricherie. Elle se sent coupable envers lui, pour avoir échoué à se rétracter au bon moment et ainsi leur épargner cet incident dramatique, pour l'avoir éjecté des dix premières places, là où il ne pourra plus jamais monter ; et elle se sent coupable envers elle-même, pour s'être autorisée à se venger, pour avoir répliqué aux coups bas de Misty, et de Xavier, et pour avoir permis à la nocivité de la Starborn de s'ancrer en elle... Je suis persuadée qu'elle pense à lui tout le temps, à chaque instant du jour et de la nuit, de ce qu'il se passe actuellement au manoir des Crimson. J'avoue que je m'invente parfois des scénarios, je me demande s'il va bien, malgré tout. 

— Tu es sûre ? 

Le visage fermé et austère de Rosa se fend d'un rictus narquois.

— Evie chérie, nous savons toutes les deux que tu meurs d'envie de rejoindre ton preux chevalier.

Je tape mollement son bras en ricanant. Je ne suis pas très subtile, c'est vrai.

— Et puis, je peux m'occuper de Maera. Ne t'inquiète pas. Mais, attention, ne faites pas de bêtise les enfants ou mettez une protection.

Je ne saisis absolument pas son allusion et lance un dernier coup d'œil à Maera qui tournoie à présent entre les bains d'eau chaude tout en savourant l'air humide et bouillant qui se dégage de là-bas. Je laisse Rosa au bord des rochers et trottine vers la Citadelle, en m'apercevant de mon retard qui se rallonge de plus en plus. En toute franchise, je préfère largement nos séances d'accompagnement au perfectionnement de mon Ordre, que nos sessions semi-psychologique, semi-moi-qui-sanglote-comme-un-gros-bébé-ou-qui-se-braque. Mais, je n'ai pas le choix. Monsieur Argent est intransigeant en la matière. Il ne songerait pas à deux fois à me traîner par le col de ma chemise jusqu'à son bureau.

Alors, je le gagne au pas de course, essoufflée, et replace mes habits correctement, réajuste une mèche derrière mon oreille, me racle la gorge, calme ma respiration et lève la main pour toquer. Seulement, la porte s'ouvre sur un Monsieur Argent dans toute son élégance. Je sais, puisqu'il me l'a dit, qu'il quitte la Starborn ce soir pour célébrer Yule avec sa famille. Cela implique de nager dans la richesse, montrer sa bonne éducation et assister à des repas pompeux. J'ignore si je me plairais dans ce genre d'endroits. Qu'importe combien j'aimerais tirer un trait sur mon passé, combien j'envie les gens aisés de Caeddarah, je détesterais toute la mascarade qui vient avec. Il a revêtu un costume plus uniforme, qui contraste par sa rigueur et sa rigidité avec ses pantalons et ses vestes à carreaux qu'il a l'habitude de porter. Il s'est plaqué les cheveux en arrière, mais n'a pas encore noué son nœud.

— Qui m'a trahie en premier, mes émotions ou ma respiration ? 

Il pouffe et admet :

— Un chaotique mélange des deux. 

J'entre dans son bureau où, sous mon conseil, il s'est décidé à ajouter des bougies ci et là, ne serait-ce que pour chasser cette odeur de renfermé et pour rendre l'ambiance de cette pièce sordide plus agréable. 

— Votre positionnement au classement de cette fin de trimestre démontre ce que tout le corps enseignant ressent à votre sujet, Evelyn. Vous progressez à une vitesse impressionnante. Madame Vandran et moi-même sommes très confiants pour la suite de votre parcours.

— Ah oui ? soufflé-je en prenant place sur le sofa. J'ai l'impression de stagner, au contraire.

Monsieur Argent me décoche une onde de désapprobation violente, par son regard et par une vague de ses émotions. J'hésite entre ricaner à sa réaction ou me faire toute petite. 

— Là où vous progressez moins vite, c'est sur le plan mental. Vous êtes affreusement convaincue de valoir bien moins que les autres et bien que je déploie tous les efforts possibles, vous ne paraissez pas changer d'avis un seul instant.

Lors de nos séances, quatre fois par semaine, il s'est avéré que cette pièce manquait de siège. C'est pourquoi, un soir, je suis arrivée dans son bureau et ai constaté cette planche de bois recouverte de couvertures et de coussins doux et moelleux, juste en dessous des quelques étagères à moitié vides. Un sofa sur-mesure pour nos séances de psychologie qui, en effet, ne mène nulle part. Pour toute réponse, je m'enfonce dans le rembourrage, tandis qu'il se balance calmement sur sa chaise. Elle ne grince plus, d'ailleurs. 

— Mais, je n'apprécie pas de me vanter au détriment d'autrui, finis-je par bougonner. Je veux bien formuler à voix haute autant de compliments envers ma propre personne que vous l'exigerez, mais je ne me surestimerai pas, ni ne dévaloriserai d'autres étudiants pour m'élever. 

— Ce n'est pas ce que je vous demande. Allez-y. Formulez ces fameux compliments. Je parie que vous êtes incapable d'établir une liste de dix compliments sans apporter de nuances ou des mais parasites.  

N'importe quoi. Je me redresse et étends mon pouce pour commencer à compter. Lui me toise avec défi, sûr de son pari.

— Un, ma mémoire fonctionne particulièrement bien, ce qui m'a fourni toutes les clés pour mémoriser le plus de savoir possible. 

— Au lieu d'entamer votre compliment ainsi, peut-être que vous pourriez vous attribuer plus de mérite dans ce succès. 

Je ne comprends pas ce que cela signifie, et il précise donc en imitant ma voix de façon tout à fait grotesque :

Je me suis battue contre un environnement hostile qui m'a privée de tout, j'ai choisi de m'éduquer avec ce que je trouvais et j'ai pu de la sorte entraîner ma mémoire à s'affûter, afin d'enrichir mes connaissances et espérer un avenir meilleur. J'ai travaillé dur pour en arrivant là et je suis fière de moi.

Une moue, un brin sérieuse, allonge mes lèvres, dénotant ma désapprobation face à cette piètre imitation, mais, au regard sévère et perçant de Monsieur Argent, mes traits retombent dans une neutralité pâle. Il ne rit pas du tout et le ton qu'il a employé marquait en réalité son sarcasme.

— Vous ne vous félicitez pas souvent, je me trompe ?

Encore cette ironie glaçante. Je ressemble sûrement à une enfant grondée. Il soupire.

— Un autre.

Cette fois, je dresse mon index avec une détermination affaiblie. 

— Deux... Je m'entraîne tous les jours pour développer les pouvoirs de mon Ordre.

— Et ? Cela ne s'apparente pas vraiment à un compliment.

— Et... Je dois continuer mes entraînements. Mais, je suis sur la bonne voie. Bien que mon Ordre ne se soit pas manifesté par mon action et...

Je me tais, tandis qu'il est déjà debout devant moi, sa chaise roulant jusqu'au mur pour le heurter en un bruit sourd. Cela ne fait aucun doute que je l'ai contrarié. Bon, je le confesse, je déteste me vanter par rapport à d'autres et je hais encore plus de me complimenter, tout simplement. Monsieur Argent prépare à coup sûr un discours mi-moralisateur et mi-encourageant, et je me tiens prête à contenir mon air renfrogné, mais il abandonne, désespéré. Je vois bien qu'il se démène pour altérer ma logique et ma vision des choses, dont ma vision de moi, mais il s'aperçoit douloureusement que vingt ans de ma vie ne peuvent être effacés et transformés en l'espace de quelques semaines. 

— Puisque vous ne savez pas vous récompenser, permettez que je remédie à cela.  

À la droite du sofa improvisé, un renfoncement dans le mur sert d'armoire bancale. Il en tire la petite porte, qui est à deux doigts de s'effondrer dans sa main, et en extirpe une boîte en velours noir, sobre. Monsieur Argent me la tend et un court temps s'écoule avant que je ne couine :

— Est-ce un cadeau ? 

— Quelle perspicacité, Evelyn. Oui, un présent pour vous féliciter. Ce premier trimestre s'est remarquablement bien déroulé. 

Il a pensé à un cadeau pour Yule...pour moi. Retiens-toi, retiens-toi... Trop tard, je souris comme une idiote, scintillante de joie. Ma magie me vend à Monsieur Argent qui glousse à la lumière qui se propage de mes joues rougissantes.   

— Figurez-vous que j'ai un présent, moi aussi.

Son sourcil arqué m'indique que j'ai piqué sa curiosité. Nous ne nous attendions pas à ce que l'autre amène un cadeau à cette dernière session de l'année. Je saisis enfin sa boîte et l'ouvre avec une lenteur jouissive, savourant chaque seconde de ce moment. Monsieur Argent s'appuie sur l'armoire bancale et soudain, son assurance débordante s'évanouit lorsque je découvre le cadeau. Il s'agit d'une bague, deux fins anneaux argentés qui s'entrelacent, ornés d'un diamant d'eau dans lequel vit et s'épanouit une mer miniature. Je suis émerveillée par cette magie des plus complexes et splendides. 

— Nous célébrons la fin d'un cycle et le renouveau à Yule, n'est-ce pas ? Dans ma famille, nous avons coutume d'offrir des présents en lien avec notre élément de prédilection. Cette eau provient de la mer de l'est, et elle est soumise à l'influence toute-puissante de la lune. Vous pourrez en observer les cycles à votre guise.

Un frisson me secoue en plaçant la bague sur mon doigt. Je n'y réfléchis pas et me lève pour l'étreindre chaudement. Je n'ai jamais reçu de cadeau à Yule, c'est évident. Rosa a prévu de m'en offrir un, Draigh aussi, et Conrad avec son argent qu'il dépense tout le temps, mais Monsieur Argent est officiellement le premier. Je sens son sourire contre mon épaule. Ce câlin, si réconfortant et salvateur soit-il, ne s'éternise pas, car l'excitation me happe dans ses filets. Je m'écarte de lui, presque en sautillant. 

— Nous avons eu une idée similaire, mais la mienne résulte d'un accident, en quelque sorte.

J'attrape mon sac et en sors une boule de cristal. Sur le coup, Monsieur Argent plisse les yeux et semble se concentrer pour donner du sens à ce qu'il voit. Je pouffe à sa tentative de ne pas me vexer face à un cadeau qui n'a en réalité rien d'un cadeau. Du moins, en apparence. Il l'empoigne avec prudence, ne voulant surtout pas la briser, mais sa perplexité ne s'évapore pas. C'est alors qu'un sourire étire sa bouche et qu'il ment, très mal :

— Je vous remercie, Evelyn, c'est un merveilleux...

— Je vous arrête là. Mon cadeau se dévoilera à vous à la tombée de la nuit. Voyez-vous, cette boule de cristal renferme mon pouvoir.

Il se focalise d'autant plus sans déceler une trace visible de ma magie. En revanche, il hoche de la tête en flairant l'empreinte magique de ma lumière.

— Dès que Rosa m'a parlé de cette tradition à Yule, ou à Noël pour les humains, d'offrir des cadeaux et de célébrer le renouveau, je me suis immédiatement dit qu'il serait fantastique d'enfermer un peu de ma magie dans un contenant afin de pouvoir l'utiliser pour n'importe quelle utilité, n'importe quand. Que ce soit pour la décoration luminaire ou pour contrer une attaque. J'ai réussi. Jusqu'au lendemain matin, où la lumière s'est volatilisée à l'intérieur des contenants que j'avais choisis. C'est là que j'ai cerné un autre aspect de ma magie. Le nom d'Étoile ne me relie pas aux véritables étoiles dans le ciel, mais ma magie répond à l'appel de leurs rayons purs. Ainsi, vous ne pourrez voir ma lumière qu'en présence des étoiles dans le ciel. Ce n'est pas grand-chose comme cadeau, je m'en rends bien compte, mais cette boule de cristal représente tous mes progrès actuels. Et puisque vous êtes la raison principale de ces progrès, cela faisait sens de vous transmettre un peu de ma magie domptée.

Monsieur Argent se révèle sincèrement abasourdi par mon récit, dans la mesure où je n'étais guère parvenue à maîtriser à ce point ma magie. Je l'admets, ces cadeaux sont nés d'une honte viscérale en moi de n'avoir aucune pièce d'or à accorder à ces présents. J'avais le choix entre des travaux manuels ou une once de créativité. Il dépose la boule avec un soin méticuleux et fait aussitôt volte-face vers moi, encadrant mes joues dans ses larges mains. Ma magie réplique dans la seconde en illuminant cette partie de ma peau. Sans cérémonie, ses yeux humides de fierté et de contentement, pour moi, pour mes progrès, se braquent dans les miens, et ses lèvres viennent taquiner les miennes avec impatience. 

— J'ai hâte d'en profiter. Et j'ai hâte de vous revoir après Yule, Lyn.

Nos sourires se font écho et je dois me contraindre à ravaler ma lumière, sans quoi je l'éblouirais. Monsieur Argent ne m'aide pas le moins du monde, puisqu'il entreprend tout à coup de baisoter la peau tendue de ma mâchoire, jusque dans mon cou, sous mon oreille, et le long de mes clavicules. Je fonds dans son étreinte et lui rends quelques baisers sur son front, sur ses joues. Nous nous reverrons bientôt ; pourtant, cette semaine sans lui, sans ses cours particuliers et ses sessions, sans ses longs regards sur moi, tout cela va me manquer. Moi aussi, j'ai hâte que Yule soit terminé et que le seconde trimestre débute. 

— Evie !

J'entends sa voix en même temps que la porte du bureau claque contre le mur. Je sursaute dans les bras de Monsieur Argent, lui qui est raide et blanc comme la neige, face à une Rosa au souffle erratique à l'entrée de la pièce. Elle ferme tout juste derrière elle, afin de masquer ce qui était en train de se passer ici à quiconque pourrait traverser le couloir, et déclare avec une mine sombre :

— Madame Onyx nous a cherchées partout. Nous avons reçu un appel.

Je fronce les sourcils. Un appel ? De qui ? Et pourquoi Madame Onyx, la gentille vendeuse dans son kiosque, le sait-elle ? Monsieur Argent éprouve ma confusion et tout en se détachant pudiquement de moi, il m'explique :

— Pour les étudiants, il n'existe que trois téléphones utilisables dans toute la Starborn. Celui du secrétariat de la Directrice Morelli, qui est employé en majorité pour les appels avec les parents dans des cadres officiels. Celui de la cabine téléphone dans cette salle non loin du panneau d'affichage du grand hall.

Que j'avais jugé être un placard à balais.

— Et celui de Madame Onyx. Cette vieille femme est une vraie commère. Bien sûr qu'elle accueille à bras ouverts tous les étudiants de l'académie pour leurs coups de téléphone. Parfois, elle revend certains ragots. Ne téléphonez pas à n'importe qui, chez Madame Onyx. Elle est merveilleuse et pleine de ressources pour vendre ou prêter des biens, et son unique défaut consiste à trop ouvrir sa bouche.

Il pivote vers Rosa qui prend note également de ces renseignements essentiels. De toute façon, je n'ai personne à appeler.

— Qui vous a téléphoné, en cette période de Yule ? Draigh Skinner peut-être ?

Mes sourcils s'arquent cette fois, faisant des mouvements de va-et-vient troublés sur mon front. Rosa pouffe :

— Vous seriez jaloux que Draigh essaie de contacter Evie pendant les vacances ? Je devrais lui dire de rentrer plus tôt, pour tenir compagnie à Evie lorsque vous serez chez vous. Vous partez ce soir, si je me souviens bien.

Je deviens cramoisie de gêne à son timbre traînant et narquois, ce à quoi Monsieur Argent ne réagit pas, bien trop conscient de la provocation. Rosa oublie vite sa raillerie et susurre avec gravité :

— C'est bien Draigh qui nous a téléphoné. Les Crimson ont organisé une réception hier, où Xavier était absent. Ce qui est rare, voire impensable pour l'héritier de la famille. Draigh a erré dans le manoir à sa recherche, en vain. Les domestiques l'ont forcé à retourner à la soirée. 

Elle tremble en me racontant cela. Même Monsieur Argent arbore une peinture noire d'inquiétude pour Xavier.

— Conrad et Misty n'ont apparemment pas le droit de lui rendre visite aussi souvent qu'ils l'avaient prévu. Ils n'avaient pas été invités hier soir, à cette soirée. Par conséquent, Draigh a prévenu Conrad de ses soupçons et dans la foulée, Misty a eu une vision.

Elle blêmit, ce qui ne me rassure pas du tout. Rosa laisse difficilement la place à ses émotions. Elle les enterrera plutôt que de les montrer.

— Madame Onyx nous cherchait parce que deux personnes ont souhaité nous appeler. Un appel de Draigh pour moi, afin de m'avertir hier soir de ce qui se trame sûrement au manoir Crimson... Et des dizaines de Misty, ce matin. Elle a vu des scénarios où nous étions toutes les deux au manoir. Elle affirme que c'est crucial que nous nous y rendions. 

— Pour percevoir l'étendue des dégâts, clame tristement Monsieur Argent. Je connais bien la famille Crimson, comme tous les bourgeois et nobles de Caeddarah. J'ai fréquenté Vincent Crimson dans mon enfance, puisque mon père et lui étaient associés... C'est une ordure de la pire espèce. Je suis navré pour Devi et Xavier. Ces jeunes gens ne méritent pas ces parents. Ou les parents ne méritent pas ces enfants. Tout dépend du sens des mots. 

Il inspire longuement tout en se remémorant des bribes de souvenir sur les Crimson, et il tranche :

— Vous devriez écouter les conseils d'une prophétesse. Misty désire la rédemption. Je l'ai croisée samedi matin, avant qu'elle ne quitte l'académie. Elle transpirait la peine, la culpabilité et le besoin de se repentir. Accordez-lui cette chance. 

— Conrad s'est proposé de nous y conduire avec sa voiture, murmure Rosa, ayant l'air épuisé. Quel genre d'horreur se terre derrière les murs de ce manoir ?

Monsieur Argent rit d'amertume.

— Les pires, Mademoiselle Crowe, les pires.       

 

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