Evelyn Dupree

Mercredi. Deux jours entiers depuis que Xavier a reçu sa convocation pour lundi prochain. Nous n'avons pas eu de signe de représailles depuis. Même Conrad, son ami le plus proche, son plus vieux frère de cœur, se défie de lui. Il nous a dépeint des avertissements du plus logique et attendu, c'est-à-dire des regards noirs et des menaces dormantes, à des conseils drastiques et angoissants, avec la possibilité d'une revanche bien plus violente de Misty notamment. Cette dernière s'est peu montrée, mais il est probable qu'elle se cache de honte à sa neuvième place, redoutant les moqueries des étudiants ou encore la colère de sa mère. Le Cavalier de Dragons, lui, s'est assis seul à sa table habituelle, sans broncher, sans un regard pour Rosa, et cela m'inquiète bien plus que toutes les insultes qu'il aurait pu lui balancer à la figure.

Ce soir, je termine mon cours supplémentaire avec Madame Vandran afin de récupérer mon retard en Perfectionnement. Il s'avère que je progresse très lentement que ce soit avec elle, en cours de Magie Offensive ou Défensive, ou avec Monsieur Argent. Ce dernier m'en avait avisé au lendemain de mon éveil et les autres professeurs se sont tous accordés là-dessus : si des Ordres moins puissants sont pénibles à maîtriser, alors les pouvoirs d'une Étoile sont cent fois plus complexes, puisqu'ils sont incompris, sous-développés et que des nœuds mentaux persistent malgré tout. J'ai réussi à produire de la lumière et...c'est tout. Mais, soi-disant, il s'agit d'un excellent début. 

Je m'éloigne au pas de course du Pré d'entraînement, laissant cette pauvre Madame Vandran vaquer à ses occupations. Dès lors que mon Ordre s'est manifesté, elle n'a plus profité d'une seule soirée de tranquillité. Elle est presque autant épuisée que moi à la fin de nos sessions, qui peuvent durer d'une heure classique à plusieurs heures si elle estime que je fais des progrès. Elle est dévouée et d'une gentillesse à la hauteur de tous les compliments que m'en avait fait Rosa, et je m'efforce d'écourter nos séances en donnant le maximum de moi-même. Cela m'a apporté un succès modéré, voire faible. 

Filant dans la pénombre nocturne, je vise la bibliothèque. Madame Vandran m'a suggéré quelques livres sur la psychologie, quasi-sûre que mes difficultés sont encore liés à mes nœuds mentaux. Je ne me rends même pas compte d'à quel point je me pénalise. En surface, tout va bien, tout est parfait ici, hormis les obstacles naturels de la Starborn, mais plus je gratte, plus je découvre des couches d'émotions toutes plus lourdes et déprimantes les unes que les autres. Je saisis les manuscrits dont j'ai besoin, studieuse au possible et déterminée à mettre tous les avantages de mon côté. Je n'aimerais pas m'attarder dans le coin. Il paraît que Misty rôde dans la Citadelle, ne supportant pas son dortoir. En route vers l'extérieur, vers le Bosquet des Sorcières où j'ai élu domicile pour le reste de l'année avec Rosa, une voix forte résonne contre les parois du hall.

— Où courez-vous ainsi à cette heure, Mademoiselle Dupree ? 

Je souris instantanément au calme nonchalant de Monsieur Argent. Ses clés de son bureau pendent au bout de ses doigts et il marche vers les escaliers, sûrement pour rejoindre le dortoir des professeurs. Je n'arrive pas à me l'interdire ; à chaque fois que je le regarde, je repense à ce baiser désespéré dans cette pièce étroite et inconfortable. Je ne songe plus à ces malheureux événements obscènes dans sa salle de classe, car j'ai l'impression qu'il croit encore que la drogue agissait totalement pour moi. 

Dans son bureau, ce baiser était réel et il ne peut pas le nier... Enfin, si, il le peut. Monsieur Argent a l'air de penser que mes émotions, cette fois, s'exprimaient à ma place et que ma détresse m'a incitée à lui sauter dessus. J'ai eu envie maintes et maintes fois de lui prouver le contraire, mais je ne parviens pas à puiser le courage en moi. Donc, je me contente de le fixer de loin, de rougir à notre proximité quand il essaie de m'aider à développer ma magie. Parfois, je désire simplement l'enlacer, sentir à nouveau sa chaleur rassurante contre moi, mais je n'ose pas franchir des limites si périlleuses. Alors, je lui montre mes livres. Il s'avance et en lit les titres.

— Bons choix de la part de...Madame Vandran, n'est-ce pas ?

J'acquiesce et il m'imite par réflexe. Monsieur Argent hésite un instant, puis marmonne, comme sidéré par son propre constat :

— Il est vrai que je n'ai pas exploré la cause psychologique depuis votre éveil. Erreur de débutant, navré. Si vous le désirez, nous pourrions explorer cette piste.

Un ange passe entre nous, le temps que je comprenne sa proposition.

— Maintenant ? 

— Oui, sauf si vous avez plus important à faire, ou si vous êtes fatiguée.

Je suis si exténuée que mes jambes tremblent et je m'oblige à tenir debout pour garder contenance face à lui. Cependant, j'opine du chef avec empressement et il fait demi-tour en direction de son bureau. Ces livres pèsent une tonne et je m'en débarrasse vite sur sa table grinçante. Apaisée par rapport à ma dernière visite, j'observe mieux cette pièce. Toujours ridiculement petite, désagréable, avec un parfum de vieux et de renfermé, avec une étagère de travers sur laquelle Monsieur Argent n'a pas jugé utile de poser des documents ou de la décoration. Fade. 

— Asseyez-vous. Mettez-vous à l'aise. Pour la faire courte, j'entrerai dans votre esprit et je m'appliquerai à détecter la moindre émotion, la moindre parcelle d'énergie négative. Le but étant de mesurer la profondeur de vos nœuds mentaux. M'autorisez-vous à manipuler certaines de ses émotions ? Je ne le ferai pas ici, ni ce soir. Il nous faut un endroit en extérieur, car si cela fonctionne, votre magie risque de déborder.

Je lui donne mon accord pour à peu près tout. En m'asseyant sur son fauteuil, je me sens partir en arrière, mais, par miracle, le dossier ne cède pas. Monsieur Argent ôte sa veste et retrousse ses manches sur ses poignets, comme pour se préparer mentalement. J'en ai lu des informations sur les Sirènes, j'en ai entendu des histoires, je sais combien cela peut être perturbant pour eux de vivre constamment avec le poids des émotions d'autrui. J'apprécie ce qu'il fait pour moi. Cela ne doit pas être plaisant du tout, et il n'y a que moi qui me réjouis de ce moment ensemble. 

— Prête ?

De nouveau, je hoche de la tête et cela lui suffit pour entamer une énième intrusion sur moi. Je suis à présent habituée à sa magie et me détends complètement. Au début, la sensation m'amuserait presque. Elle s'apparente à des chatouillements à l'intérieur de ma tête. Il fouille en moi. Cela pourrait m'offenser ou me braquer si je me méfiais de lui, ce qui n'est absolument pas le cas. J'en souris et Monsieur Argent pouffe à ma mine joyeuse. Or, cela ne dure pas longtemps. Bien sûr, il fallait qu'il tombe de plus en plus bas dans mes émotions. Il arrache les couches une à une. Ce qu'il lit en moi le dégoûte, de toute évidence, parce qu'il ressort de mon esprit d'une traite et soupire en remettant sa veste. Je ne bouge pas, craignant de fracturer cette instance de paix et de silence.

— Qu'est-ce que j'ai fait de mal ? 

Il fait volte-face vers moi, les sourcils arqués, l'air sombre.

— Vous venez de répondre à votre question, Mademoiselle Dupree. Pourquoi auriez-vous fait quoi que ce soit de mal ? 

Une moue incertaine allonge mes lèvres. Je me lève en un petit saut, échappant à ce siège de malheur, et je prends mes jambes à mon cou, passant à côté de lui pour sortir de cette pièce en première.

— Pas si vite !

Je me fige à la porte, la main enroulée sur la poignée.

— Je veux la réponse. Pourquoi auriez-vous fait quoi que ce soit de mal ? 

Je ne comprends pas pourquoi sa voix s'est soudainement durcie et assombrie ; ou du moins, je refuse de voir l'évidence.

— Vous donnez l'impression que je vous ai déçu, c'est tout.

Ma toute petite voix l'adoucit aussitôt et il comble l'espace entre nous, me tire loin de cette porte et s'adosse à son bureau, saisissant mes mains entre les siennes. Un frisson remonte le long de mon échine.

— Vous ne me décevez pas, Evelyn. C'est juste que je n'arrive pas à vous cerner, à suivre vos raisonnements... Il est clair, depuis ma toute première intrusion, que vous nourrissez des sentiments durs et virulents à votre égard. Vous ne vous faites pas confiance. Vous doutez même de votre place dans cette académie. N'est-ce pas ? Bon sang, Evelyn... Je ne suis pas déçu. Je suis agacé. Franchement agacé par...oui, par vous ! Pourquoi ne réussissez-vous pas à voir ce que vous êtes réellement ? Pourquoi alimenter de telles incertitudes envers votre propre réussite ? Vous êtes une Étoile. Que vous faut-il de plus ? 

— L'Ordre d'une personne ne détermine ni sa puissance, ni sa personnalité, ni sa valeur. Un Cavalier de Dragons peut être lamentablement faible s'il ne s'unit pas à sa monture et n'améliore pas ses pouvoirs, tout comme les Sorciers. Mon Ordre ne...

Il me fait taire. Apparemment, je le contrarie en bonne et due forme, parce qu'il ne supporte pas de m'entendre argumenter. Et il me fait taire de la meilleure des manières. D'un coup, je me retrouve projetée dans ses bras, coincée contre son torse ferme. Ses lèvres si proches, tellement proches, et si loin des miennes. Il caresse ma joue d'une main, tout en glissant mes mèches pêche derrière mon oreille de l'autre. Son souffle frôle le haut de ma nuque. J'en frémis d'impatience. 

— Vous me rendez fou, Evelyn. Ouvrez les yeux. Vous pourriez être la plus puissante étudiante de la Starborn, éjecter Xavier de son trône et vous assurer la première place pour toute l'année, si seulement vous acceptiez d'abandonner votre perception cruelle et faussée de vous-même. Dites-le. Dites que vous le mériteriez. Que vous en seriez digne. Dites-le.

Mon cœur manque plusieurs battements, je bats des cils avec empressement. Ses bras encerclent mon dos et me maintiennent contre lui. Ce serait un rêve, s'il ne me parlait pas de moi. Je préférerais parler de nous. Ou ne pas parler du tout, en fait. Ma bouche tremble à ce qu'il exige de moi. C'est au-dessus de mes forces. Je ne pense pas mériter la réussite plus qu'un autre. Je ne pense pas que mon Ordre me permette de grimper dans l'échelle sociale de Caeddarah. Je demeure la fille des rues. La fille de drogués. La fille de deux prostitués. Et à ma sortie de la Starborn, si la presse se penche sur mon cas, je devrais affronter des articles dévastateurs : la fierté de l'académie la plus prestigieuse est issue de la pauvreté du royaume, Evelyn Dupree ou l'enfant des bidonvilles, l'Étoile est en réalité une miséreuse, comment une fille sans un sou a remporté le gros lot, l'histoire d'un succès bouleversant... J'attends les titres de journaux et ils me donnent déjà tous envie de vomir. 

— Dites-le, Evelyn. Croyez-y. Croyez en vous pour une fois. Vous verrez, ça change la vie.

Ses lèvres viennent se loger dans le creux de ma nuque. Il y dépose un bref baiser. Jamais un homme a pris autant de précaution avec moi. Jamais.

— Personne n'a cru en moi, répliqué-je. Pas même mes parents. Ils étaient convaincus que j'échouerai dans la vie. Jusqu'à une nuit où nous nous sommes disputés. J'en avais assez d'eux. Je m'apprêtais à partir de notre taudis. Tout pour les fuir. C'est là que je leur ai balancé qu'ils avaient détruit leur vie, que je ne le ferai pas, que j'étais supérieure à eux. Je les ai méprisés et ils m'ont ri au nez. Et puis, un matin de cette semaine, je suis rentrée dans ma ridicule chambre, qui est aussi notre salon et notre cuisine, et tous les manuels trouvés dans les poubelles étaient éparpillés dans la poussière. C'est là qu'ils ont compris que je ne mentais pas. Que je m'étais débrouillée toute ma vie, sans eux, pour survivre. Et ils ont candidaté à ma place à la Starborn. C'était la seule fois où ils ont cru en moi. Comme un dernier espoir. Une ultime tentative de sauver leur fille. La seule.

Je me raccroche à lui, à son cou, je l'entoure de mes bras, et Monsieur Argent ne bronche pas. Au contraire, il m'étreint avec plus d'ardeur. Son pouvoir coule sur mon esprit. Comme la dernière fois, il ne cherche heureusement pas à modifier mes émotions, mais il m'offre les siennes. Sa compassion. Et toutes les autres sur lesquelles je ne m'autorise pas à mettre des mots concrets, de peur que je ne me trompe, que je ne le comprenne pas. Notre positon ne laisse pourtant pas de place à l'interprétation. De par notre nouvelle proximité, je pourrais suffoquer, nous pourrions être mal à l'aise, dérangés par ce contact rapproché. En ce qui me concerne, c'est un désir étouffant qui me tranquillise, ainsi qu'un besoin vital de me tenir à une ancre. 

— Je fais tout mon possible pour oublier, mais c'est trop dur... 

— Il faudrait envisager de discuter avec un adulte compétent, Evelyn. Vous avez de la chance. La directrice m'a ajouté à la liste des liaisons. 

— Ah oui ? Vous seriez un terrible psychologue, Monsieur.

Il glousse contre mon oreille et ce son, oh bon sang, ce son serait suffisant à annihiler toutes mes fichues émotions en pagaille. 

— Un professeur n'est pas censé apporter de réconfort physique à ses étudiants, m'avoue-t-il, mais je peux faire une exception.

— Juste pour moi ?

— Évidemment... Est-ce que... Est-ce que je peux vous appeler Lyn ?

Oh et puis zut ! Je me sépare légèrement de lui afin d'être face à ses lèvres et sans une once d'hésitation ou de remords, je l'embrasse à nouveau. 

— Je suppose que ça veut dire oui, susurre-t-il contre ma bouche.

Monsieur Argent ne patiente pas sagement que je fasse tout le travail et par son geste, il me prouve que je ne me suis pas enfermée dans une sordide désillusion. Il approfondit le baiser et demande rapidement l'accès à ma langue, que je lui fournis en un faible gémissement. Ses mains encadrent mes joues et les miennes agrippent les pans de sa veste. Nous ne nous aventurons pas sur des zones dangereuses, conscients que tout est déjà en train de déraper. Je présume que nous jaugeons tous les deux jusqu'où nous désirons aller. Quelle limite exactement nous sommes résolus à briser.

Il échange enfin nos positions et je ne me mets à rougir qu'après avoir écarté mes cuisses, où il se positionne tellement bien. Comme si l'univers faisait sens à présent. Monsieur Argent s'enhardit et ses mains atterrissent sur mes côtes, toujours avec sa prudence, alors que son baiser ne cesse de nous submerger dans une passion dévorante. Sans y réfléchir, je croise mes chevilles au niveau de ses cuisses, le poussant de plus en plus près de moi. Son contact, sa chaleur, cette synergie entre nous, tout me revigore. J'aime qu'il prenne soin de moi, qu'il s'inquiète de mon état, qu'il me favorise et je serais prête à tout pour toucher à ses lèvres chaque jour de ma vie. 

— Prévenez-moi, Lyn, si je vais trop loin.

Il n'ira jamais assez loin. Je gémis dans un autre baiser à ce surnom. Eve, Evie, mais personne n'a songé à Lyn. Ça me plaît. Ses mains se perdent sur mes hanches, testant mes réactions dans un premier temps, et quand il confirme que je le désire plus que tout, ses doigts soulèvent ma chemise blanche, l'extirpent de ma jupe à carreaux et effleurent ma peau frissonnante. 

— Si je pense à tous les garçons qui ont pu vous toucher avant moi, ça me donne des envies très peu appropriées.

— Comme quoi ?

— Flatter votre corps jusqu'à ce que vous gémissiez mon nom dans vos rêves.

Oh... D'accord... Ce Monsieur Argent me fait particulièrement fondre. Puisqu'il ne se gêne plus, je tripote allègrement ses pectoraux par-dessus le tissu agaçant de sa chemise, descend sur ses abdominaux bien taillés de ce que je peux en sentir, et remonte dès que j'aborde une région des plus indécentes. Il apprécie mes mouvements, la preuve étant ses grognements de plaisir.

— Plus...  

Il répond tout de suite à ma supplique. Ses lèvres tombent progressivement le long de ma joue, sur ma mâchoire, baisent ma nuque avec une ferveur désarmante, et ses mains, elles, jouent des frissons, s'amusent à m'en procurer davantage, et taquinent la chair tendue juste en dessous de ma poitrine. J'approuve n'importe quelle session avec ma liaison, si elles se déroulent toutes ainsi. Ses pouces se faufilent sous l'armature de mon soutien-gorge et je retiens ma respiration, en m'imaginant tout ce qu'il pourrait advenir dans ce bureau. 

— Lyn...

Soudain, ses mains ont disparu et réapparaissent sur mon visage. Je dois me mordre la lèvre pour ravaler mon désir pressant de l'embrasser.

— Êtes-vous certaine qu'il s'agit bien de votre volonté ? Je ne veux en aucun cas vous forcer ou...

Mais, quel idiot. Un adorable idiot. Je l'embrasse à pleine bouche, comme je l'ai fait les autres fois. Comment pourrais-je ne pas le vouloir ? C'est moi qui ai initié chaque baiser. Et là, je me pétrifie contre lui et nous détache, en bredouillant :

— E-Et vous ? Vous... C'est votre volonté ? Je ne vous contrains à rien, au moins ? Si vous ne désirez pas de moi, d...

Il ne me laisse pas poursuivre ces bégaiements insensés. Monsieur Argent réalise un délicieux mouvement de hanche en avant. Une bosse frotte contre l'intérieur de ma cuisse. J'en tressaille de surprise. Il me renvoie une mine honteuse et mutique, dans l'attente de ma réaction. Pour toute réponse, je plaque délicatement ma main sur son membre emprisonné dans son pantalon trop serré pour les circonstances, et il s'empourpre d'autant plus. Il attrape mon poignet pour m'empêcher d'aller plus loin.

— Pas dans ce bureau inconfortable, pas ce soir, pas comme ça... Vous valez mieux que ça, Lyn. 

Il n'a pas tort. Mon amour-propre ne se relèverait pas si je me donnais à qui que ce soit dans cet endroit presque sinistre. 

— Je devrais rejoindre le Bosquet, d'ailleurs. Il se fait tard. Rosa va s'alarmer de mon retard.

Monsieur Argent scrute sa montre et hoquette de stupéfaction à l'heure. Le temps a défilé à toute allure, corps contre corps.

— Effectivement. Je vous raccompagne ? 

— Tout dépend. Saurez-vous vous restreindre ? 

Il hausse un sourcil à ma raillerie et en guise de riposte, m'embrasse avec une langueur tortueuse – une torture parce que le rêve doit prendre fin pour ce soir. Je me tiens fermement au col de son manteau, bien décidée à m'éterniser contre lui. Mais, il n'est pas le plus responsable de nous deux pour rien. En une fraction de seconde, il conclut cette soirée par plusieurs baisers rapides, puis s'éloigne pour de bon en ouvrant un carnet sur le coin opposé de son bureau. 

— Quand êtes-vous disponible ? Pour des sessions avec moi. Si vous m'acceptez comme liaison, bien sûr. 

Je m'évertue à ne pas bouder à l'absence de sa chaleur sur mon corps et lance des horaires un peu au hasard, autant que possible.

— Tous les jours, vous êtes sûre ? 

Son rictus narquois souligne qu'il a très bien compris ma manœuvre. Il lâche son emploi du temps pour poser un index faussement autoritaire sur mes lèvres, une lueur joueuse dans ses yeux océan.

— Ces sessions seront destinées à vider votre sac et à effectuer un travail rétrospectif. Compris ? 

Je fais mine de balayer son commentaire d'un revers de main et sur son rire, nous sortons de ce bureau qui, malgré ses défauts, a accueilli l'un de mes meilleurs moments à la Starborn.

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