Conrad Lovelace

1 - Xavier Crimson

2 - Misty Latimer

3 - Conrad Lovelace

4 - Draigh Skinner

5 - Rosalind Crowe

6 - Azura Wood

7 - Evelyn Dupree

8 - Vivianne Jones

9 - Derrick Le Torneau

10 - Innis Zayne

Un sourire carnassier s'étire sur mes lèvres. Malgré moi, je prends note de la légère baisse d'Evelyn, signe qu'elle commence d'ores et déjà à faiblir. Il est évident qu'elle s'angoisse de la suite de l'année, avec l'arrivée s'annonçant désastreuse des cours de Magie Offensive et Défensive auxquels elle peut renoncer et donc prendre du retard, ou accepter de relever le défi sans que son Ordre ne se soit manifesté, au risque d'échouer lamentablement. Néanmoins, je ne peux ravaler une vague de satisfaction à la vue de son nom dans la liste. J'en éprouve presque plus de contentement qu'à l'idée d'avoir retrouvé ma troisième place, là où je suis à mon aise. Je ne vise pas plus. Je laisse tout le loisir à Xavier et Misty de s'entretuer pour le trône. Le haut du classement n'a pas beaucoup bougé en un mois. 

À moi de jouer. 

Je rejoins le réfectoire au pas de course, ma bonne humeur à son paroxysme. J'ai passé toute la semaine à flirter avec Eve, à la taquiner ou à simplement tenter d'entamer une conversation avec elle. Un échec affreux. Cuisant pour mon ego. Soit elle m'a rabroué, soit Rosalind a fait barrage. Selon ma source, c'est-à-dire une fille au hasard que j'ai envoyé parler aux filles, elles ne se connaissaient pas avant la Starborn et ont bâti très vite une amitié fonctionnelle, qui m'a l'air assez puissante. Une force et un avantage pour elles deux. Misty envisage de frapper à ce niveau-là, pour les séparer, les diviser, les isoler. Ce serait intelligent.

Lorsque je pénètre dans le réfectoire, je sais exactement où les chercher. Elles sont assises à leur table habituelle, en train de petit-déjeuner. En général, elles occupent leur fin de semaine aux révisions. La théorie, c'est leur unique et principal atout et par conséquent, elles se préparent à se confronter aux nouveaux cours pratiques, afin de ne pas chuter trop bas dans le classement. De vrais rats de bibliothèque. Je m'avance vers elles, puis m'immobilise à quelques pas. Une autre personne siège avec elles, ce qui est rarissime. Je le reconnais de dos à cause de ses stupides cheveux blonds plaqués en arrière. Celui qui incarne le mieux l'expression fils à papa de tout le royaume, l'héritier de la société Skinner et compagnie, le plus ancien apothicaire de Caeddarah, riche, influent dans la société. Draigh. Quel salopard ! Je fonds sur eux et pose durement ma main sur son épaule, lui tirant un couinement de douleur.

— Skinner, quelle surprise de te voir là ! Je ne te pensais pas aussi fourbe... Attends une minute. Je trouve ça plutôt suspect que tu te sois catapulté à la quatrième place, venu de nulle part, et que tu traînes maintenant avec les filles.

Je me tourne vers elles.

— Vous ne lui auriez pas donné des cours privés, par hasard ?

Rosalind roule des yeux avec un air dramatique.

— N'importe quoi, soupire Eve. Draigh s'est dédié corps et âme aux tests, c'est tout. 

— Avant que tu ne continues à nous enquiquiner, Draigh s'est adressé à Evie hier soir, soit après les tests.

Draigh par ci, Draigh par là. Une grimace agacée me saisit. J'enfonce davantage ma main dans son épaule, mes ongles dans sa peau et sa veste ne le protège pas, à en juger par son geignement. Cela déplaît fortement aux filles. Rosalind claque sa langue contre son palais et Eve me décoche une expression de reproches intense. Bon... Très bien. Je relâche ce rat et attrape une chaise pour m'incruster à leur table, plaçant immédiatement un bras autour de la jolie blonde. Monsieur Fils à Papa raille aussitôt :

— Moi, ce que je trouve suspect, c'est ton soudain rapprochement avec Evelyn. De mon point de vue, il n'y a pas de doutes sur tes intentions. Tu cherches à la mettre dans ton lit ou ta bande et toi la ciblez pour son classement. 

— Ah oui ? Dans ce cas-là, j'insiste pour te faire les mêmes commentaires. Tu te propulses dans les cinq premiers et je te retrouve le lendemain matin à petit-déjeuner avec elles. Quelle coïncidence !

Nous nous jaugeons longuement en chien de faïence, jusqu'à ce que Rosalind peste et se lève pour remplir leur pichet d'eau à l'entrée du réfectoire. Pendant ce temps, Eve me toise avec plus de hargne que je ne l'aurais anticipé. Quoi ? Je m'efforce de la protéger et elle me remercie avec cette mine accusatrice ! Il est vrai que je ne devrais pas être en position de critiquer Skinner, mais je n'aime pas qu'un autre charognard rôde autour d'elles. Lorsque la rousse se réinstalle, je décide de m'adoucir un peu pour leur plaire.

— Très bien. Déclamons ensemble nos intentions. Avec honnêteté, Skinner. Si je flaire un mensonge, je te décapite de mes crocs. Compris ?

Skinner ne montre pas une once de peur, ce qui me contrarie d'autant plus. J'en suis vraiment capable...je crois. Puisque je ne m'exprime pas, il souffle sa frustration et entreprend de me raconter son histoire.

— Mon Ordre s'est déclaré hier soir. Probablement après avoir vu mon nom si haut dans le classement. J'ai réussi à me détendre enfin et ma magie a...explosé. C'est le mot. Je fais partie des Sirènes, de toute évidence. J'ai d'abord noyé le rez-de-chaussée du dortoir des sans-ordre, avant de disperser mes émotions sur eux. De la peur. Qui s'est manifestée chez les sans-ordre par la nécessité instinctive de se défendre et ils se sont mis à se taper dessus. Puis, j'ai compris tout à coup ce en quoi j'ai émergé et mon excitation a débordé. 

— Ne me dis pas que ça s'est fini en orgie.

Mon gloussement souligne ma plaisanterie, mais Skinner ne rit pas du tout. Il est même très sérieux.

— Mais non ! m'exclamé-je. Vous auriez dû m'appeler ! Toute ma meute, en fait. Nous aurions pu apporter un peu d'amusement à tout ce désordre. 

Rosalind ne réprime pas un ricanement à cette pensée, alors qu'Eve désapprouve en hochant de la tête avec désespoir. Skinner hésite à poursuivre, mais conclut au bout de quelques secondes :

— Les sans-ordre m'ont chassé du dortoir hier soir et les trois Sirènes de notre promotion m'ont nettement fait comprendre que nous ne serions pas amis, tant que j'embarrasserai notre Ordre. En d'autres termes, je me suis senti seul et bien trop triste pour un vendredi soir. J'ai croisé Evelyn et elle, contrairement aux vipères de la Starborn, m'a tout de suite proposé son soutien. 

Il se redresse sur sa chaise et me pointe d'un doigt grossier.

— C'est pour cette raison que tu peux d'ores et déjà aller te faire cuire un œuf ailleurs, si tu comptes leur faire du mal d'une quelconque façon.  

J'ignore complètement cette dernière remarque et réfléchis plutôt à ce qu'il a dû traverser. Je songe un instant à tout répéter à Xavier. Je sais que le brun a souffert atrocement durant toute sa jeunesse, attendant jour après jour que son Ordre se manifeste, dévasté par le mépris de sa famille. Ici, Skinner ne peut pas pleurer dans les jupons de sa mère ou se réconforter avec les sages conseils de son père. Il est détaché de tout le reste du monde. Au moins, cela offre un brin d'espoir à Eve, qui se morfond encore de sa condition de sans-ordre. Ils tombent tous les trois dans un mutisme impatient et j'admets avec plus de sincérité que je ne l'aurais voulu :

— Je ne mentirai pas. Eve m'a effectivement tapé dans l'œil et sûrement pour des raisons similaires. Sa douceur fait du bien, dans cet environnement empoisonné. Tu connais Misty, au moins de réputation. Les deux sont tellement différentes. J'adore Misty, de tout mon cœur, mais l'innocence d'Eve me change les idées et m'attire plus que de raison. Et ne le nions pas, elle est diablement mignonne. Je ne tiens pas à la mettre dans mon lit, bien que je ne rechignerais pas non plus si elle le souhaite d'elle-même. Dans l'idéal, j'aimerais enterrer toutes ces conneries de concurrence et simplement me faire une amie moins...intense. Moins vipère. 

— Pourquoi te rapprocher d'elle maintenant, et non dès le début d'année ? riposte Skinner.

— Parce qu'elles étaient vouées à chuter. C'est ce que tu as entendu, toi aussi, n'est-ce pas ?

Skinner leur lance une œillade navrée et acquiesce. Toute l'académie a été secouée par des murmures de dédain envers elles. Deux inconnues, une en provenance du monde humain, l'autre insignifiante au possible dans la société de Caeddarah, elles étaient pré-destinées à l'échec selon toutes les messes basses. Elles ont détrompé tout le monde, et j'affiche un sourire quelque peu fier à cela. 

— Je n'avais pas envie de m'attacher à un étudiant qui partirait trop tôt. Ce qui m'amène à un autre sujet. Ton Ordre se cache encore, hum ?

Elle hoche de la tête, un frisson de honte grimpant le long de son échine. Mon bras abandonne le dossier de sa chaise pour enlacer ses épaules. Je plaque du réconfort et de la détermination sur mon visage en affirmant :

— J'ai peut-être une solution à te suggérer. J'ai fréquenté une personne qui a peiné à éveiller son Ordre.

Je ne mentionne pas le nom de Xavier et Skinner, qui a assisté à je ne sais combien de réceptions mondaines, ne peut pas trahir mon ami, puisque les Crimson ont tout fait pour dissimuler la réalité. Ils ont prétendu que leur fils chéri était un Cavalier naturel avec un puissant Dragon. Ces créatures possèdent un caractère marqué et flamboyant ; certains refusent de parader et préfèrent la solitude, n'obéissent même pas à leur monteur. Ils ont prétendu que Maera était seulement du genre reclus et timide, aux côtés de mon ami depuis des années. Mensonge sur mensonge.

— Cette personne a rencontré à de nombreuses reprises des spécialistes qui l'ont poussé à s'éveiller. Rien n'a réellement fonctionné et la plupart se sont révélé être des arnaqueurs. En revanche, cette personne a essayé la magie des Sirènes et a ressenti quelques changements en elle qui ont pu débloquer ses barrières mentales. Ce qui est logique. Dans la majorité des cas, les sans-ordre sont soumis à leurs propres chaînes et ils doivent se libérer seuls. Le chant des Sirènes peut délier les nœuds mentaux et mener à l'éveil. 

Eve pivote par réflexe vers Skinner qui opine du chef, validant mon raisonnement. Elle ouvre la bouche, sûrement pour réclamer son coup de main, mais je l'interromps.

— Pas lui. Il ne maîtrise pas sa magie et crois-moi, tu n'as pas envie qu'un Sirène éveillé hier soir pratique son intrusion sur toi. Rien que son débordement au dortoir aurait pu rendre fou tous les sans-ordre présents. 

Skinner baisse la tête, décomposé. Je ne l'ai pas formulé ainsi pour le blesser, mais pour énoncer une vérité implacable. Heureusement qu'il n'a permis qu'à deux grandes émotions d'influencer les autres et que la situation s'est désamorcée rapidement. Il aurait pu générer la démence dans l'esprit des sans-ordre si, par exemple, il avait laissé sa panique le gagner. Il a eu de la chance que la bagarre générale se soit transformée en orgie, avant que l'un d'eux frappe trop fort ou qu'un ne meurt. Tout aurait pu se terminer trop tôt pour certains. 

— Argent pourrait t'aider, marmonne Rosalind. S'il arrête de jouer au plus grognon et qu'il s'enlève le bâton dans...

— Oui, on a saisi l'essentiel, Rosa ! s'écrie Eve. Je lui demanderai lundi. Même si je n'ai pas beaucoup d'espoir.

— Il n'aura pas le choix, rétorque Skinner. S'il ne veut pas, plains-toi à Madame Scoria et elle ira négocier pour toi. 

Skinner se tourne vers Rosalind et moi, et explique :

— Scoria dispense les cours de Découverte et elle est obligée de fournir tous les moyens imaginables aux sans-ordre pour qu'ils s'éveillent dans les meilleurs délais. 

Cela détend un peu Eve et je me surprends à imiter son large sourire. Quitte à se battre contre ces filles autant que les chances soient égales. Sinon ce n'est ni drôle, ni juste. Je me remémore alors de mon objectif premier en venant les voir ce matin.

— Je me trompe ou vous n'êtes jamais sortie en ville ? 

Rosalind secoue la tête, démontrant des regrets à ce propos. Elle a beau être une étudiante studieuse, elle aime le contact, le social. C'est évident. Si elle ne détestait pas la quasi-totalité des Sorciers et si elle ne se méfiait pas des autres, elle collecterait les amis. Eve paraît moins enthousiaste à la perspective de quitter la Starborn, comme si elle craignait de perdre sa place si elle s'éloignait trop longtemps. 

— Je m'en réjouis, parce que ça signifie que je serai le premier à vous présenter Orkney. Vous verrez. La ville n'est pas très grande et elle s'est développée entièrement sur un tourisme lié à l'académie, mais il y a de quoi s'amuser là-bas. Vous êtes partante, j'espère ?

Avant qu'elles n'aient pu répondre, Skinner coupe l'élan de Rosalind qui s'apprêtait à accepter et quémande :

— Je peux venir aussi ? 

Je le toise avec lassitude. Cependant, cette très chère Eve est pendue à mes lèvres. Elle ne m'autorise pas vraiment de choix. Si je dis non, j'équivaudrais à un crétin cruel dans son esprit et elle ne me cédera pas sa confiance de sitôt. 

— Plus on est de fous, plus on rit, hum ?

Skinner rayonne, cet imbécile. Dans la foulée, Rosalind fait mine de contrôler son engouement, mais je ressens son impatience quand je leur donne rendez-vous ce soir. En me levant, je pose un bref baiser sur le front d'Eve et j'aperçois son rougissement, mais pas de dégoût ou rien qui n'indiquerait une réaction radicale contre moi. Xavier glousse au moment où je m'assois à côté de lui et Misty applaudit sous la table. Le plan est en marche.

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