Chapitre 4


Je passe la porte de mon appartement en tremblant. Le pan de bois se referme derrière moi, et mes doigts tournent machinalement la clé dans la serrure avant de la laisser tomber contre le sol dans un léger cliquetis.

Le bruit du morceau de métal s'écrasant doucement au sol, résonne pourtant assez bruyamment dans la pièce. Le bruit fait écho contre les murs pour finalement venir se répercuter douloureusement dans ma tête.

Mes pieds avancent machinalement jusqu'au canapé et mon corps s'y étale difficilement. Mes muscles sont complètement raides, je ne peux même pas bouger naturellement. Je pose le morceau de papier sur la table basse avant de ramener mes jambes contre ma poitrine et de les serrer. Je me balance lentement sur le sofa, d'avant en arrière, en fixant toujours la photo que je viens de trouver sur mon palier.

Finalement, des larmes s'échappent de mes yeux.

Je n'avais jamais encore pleuré à cause de ça, mais aujourd'hui s'en est trop. Aujourd'hui, je suis trop effrayé, trop terrifié pour me retenir une minute de plus. Cette photo est la goutte d'eau qui fait déborder le vase.

Je ne comprends plus rien. Les questions assaillent mon esprit et je n'ai aucune réponse. Rien. Je n'arrive pas à trouver une seule foutue d'explication.

Pourquoi moi ?

Qu'est ce que j'ai fait pour mériter ça ?

Qui est ce mec ?

Pourquoi il m'a choisi ?

Est ce que je le connais ?

Est ce que je lui ai fait quelque chose dans le passé ?

Ces questions tournent encore et encore dans ma tête. Sans s'arrêter. Comme un violent ouragan qui me détruit l'esprit. Ces interrogations ne trouveront sûrement jamais de réponse. C'est comme ça, c'est la vie, c'est tombé sur moi, et je ne peux rien faire pour l'arrêter. C'est la fatalité qui s'abat sur moi et qui me broie sous son horrible poids.

Mon crâne me fait un mal de chien, j'ai l'impression qu'on me frappe à même le cerveau et mes membres raides sont maintenant sujets à d'horribles tremblements. Tellement violent qu'ils en deviendraient presque douloureux.

Mes larmes, quand à elles, se calment petit à petit. Mais, ce que je n'ai juste plus d'eau pour pleurer. Je crois que c'est la seule explication plausible, parce qu'au fond de moi, je suis toujours dans le même état de terreur.

Ça doit faire une bonne heure que je suis sur le canapé, immobile, les yeux embués rivés sur la photo. Sur mon visage capturé le temps d'un instant de peur insidieuse. Je n'ai pas osé la retoucher depuis tout à l'heure.

Ça me répugne.

Il ne se contentait pas de me suivre finalement. Il me prenait en photo.

Qu'est ce qu'il fait avec ces images de moi chez lui ?

Un frisson de dégoût me parcourt l'échine. Toutes les possibilités de réponses à cette question me traversent l'esprit et ça ne me plaît pas du tout, surtout une en particulier.

« Tu es beau quand tu as peur... »

Un relan remonte dans ma gorge en me remémorant cette phrase.

C'est exactement ce qui est écrit sur le bord en bas à gauche de la photo. Au marqueur noir. L'écriture est sèche, mais en même temps, cette phrase semble avoir été écrit avec presque trop de douceur pour les mots qui y sont inscrits. L'image a été sortie en format polaroid, comme pour donner un côté presque rétro.

Et en plus, c'est qu'il se prendrait presque pour un artiste.

Je fixe plus attentivement le cliché tant bien que mal. Je reconnais la route derrière, c'est pas loin de chez moi, je devais revenir de cours tôt. Il y a encore la lumière du soleil sur mon visage. Mon visage. Parlons en.

Je ne me serais jamais douté avoir cette tête là quand je le sentais me suivre à la trace. On peut vraiment lire mes émotions en me regardant finalement. Il peut donc voir en moi comme dans un livre ouvert, à cause de mon incapacité à dissimuler ce que je ressens. Tout se lit sur mes expressions faciales.

Je suis terrifié sur la photo, ça crève les yeux. Et l'autre con me le fait bien remarqué.

Je suis beau quand j'ai peur.

Je lui en foutrais du beau, moi.

C'est que ça l'excite de me savoir comme ça en plus, j'en suis sûr.

Plus je fixe la photo, plus mon ventre commence à se tordre. Puis, le vieux relan remonte de nouveau dans ma gorge, mais cette fois je ne peux pas le retenir. Je cours aux toilettes. Mes genoux s'écrasent au sol au moment où mes tripes se vident dans la cuvette. L'acide me brûle l'œsophage pourtant le goût dans ma bouche me fait continuer à cracher et cracher tout ce que j'ai pu ingurgiter ces derniers jours.

Puis, enfin, je me retire du trou puant et m'adosse contre le mur en respirant bruyamment. Ma main passe dans mes cheveux et les tire jusqu'à m'en faire mal. C'est étrange à dire mais ça me ferait presque du bien de ressentir une douleur physique, parce que je me concentre sur ça et pas sur autre chose.

Si cette douleur, aussi infime soit elle peut me faire oublier le bordel qui se trouve dans mon crâne, je serais près à accepter n'importe quelle forme de torture en cet instant.

Mes pieds avancent jusque dans la cuisine et j'ouvre mon frigo. Il me reste une bouteille. Ça fera l'affaire pour ce soir.

Affalé sur le canapé, telle une coquille vide, je bois un verre, puis deux, puis trois et je ne les compte plus au bout d'un moment. Ma tête tourne, la peur se fait la malle petit à petit. Je ne ressens presque plus rien. Mes sens sont complètement chamboulés, et c'est bien comme ça.

La photo sur la table m'attire l'œil à chaque fois que je bouge la tête. Je n'arrive pas à la faire partir de mon esprit. Pourtant, bizarrement, une partie de moi, n'en a pas complètement envie.

Je me mets finalement à genoux devant elle, comme si je m'apprêtais à prier. Les cuisses collées et parallèles, le dos tendu et le menton levé. Je déplace le morceau de papier en plein milieu de la table en prenant soin de la mettre bien droite. Enfin à l'emplacement qui me convient, je me rassois, satisfait, quand le même bruit imperceptible, la même sensation de présence qu'hier soir réapparaît à ma porte.

Cependant, contrairement à la veille, je ne tremble plus. L'alcool dans mes veines a du faire disparaître toute trace de peur dans mon esprit en même tant que ma prudence et ma rationalité.

Je me lève et me dirige contre la porte. Mon poing s'écrase de toutes ses forces contre le bois et je grogne sous le choc. Je vais le regretter en voyant l'état de ma main demain matin, mais là je m'en fous.

Le son résonne alors dans mon appartement, comme il doit probablement le faire dans le couloir de l'autre côté du mur. Puis, un ricanement, presque murmuré, atteint mes oreilles et toute mon attention restante se concentre sur le bruit.

Il est bien là.

Il est derrière ma porte.

Et il m'attend sûrement.

Il attend que je lui ouvre.

Que je le vois.

Il veut voir mon visage terrifié en face du sien, satisfait, victorieux.

Il veut se sentir puissant.

Mais il ne le sera pas.

Il ne le sera plus.

Pas après ce qu'il vient de faire aujourd'hui.

Mes doigts se posent sur la serrure et s'apprêtent à la tourner, mais se ravisent au dernier moment. L'alcool ne m'a pas donné assez de courage pour ça. Mais il m'en a donné assez pour hurler.

Mon second poing rejoint l'autre dans un cognement encore plus puissant.

- Ça te plaît de me suivre ? De venir chez moi ? De me prendre en photo ? De me harceler ? C'est ça qui t'excite ? C'est ça qui excite ton esprit de pervers ? Tu te branles sur moi en pensant à moi le soir hein ? C'est ça que tu fais, gros porc. J'en suis sûr.

Mon pied frappe sourdement contre le mur.

- Barre toi putain. Barre toi de chez moi ! Va faire chier quelqu'un d'autre avant que je te refasse le portrait fils de pute !

Alors que je m'apprêtais à en dire plus, la poignée s'abaissa et se releva dans le vide, lentement, très lentement.

Puis des bruits de pas s'éloignant résonnèrent faiblement.

Il vient de partir, en se moquant bien comme il faut de ma réaction, je suppose, vu ce qu'il vient de faire.

Les effets positifs de l'alcool disparaissent immédiatement après ce qu'il vient de se passer. Mes forces me quittent, et je m'écroule douloureusement au sol.

Il vient vraiment d'essayer d'entrer. De tenter le coup au cas où je n'aurai pas fermé à clé.

Alors il n'est pas prêt de me laisser tranquille.

Au contraire.

J'ai comme l'impression que cette pression sur la poignée avec presque une tout autre signification.

Je repense à la veille au soir, puis à ce matin, à ce que j'ai pensé, qu'il avait finalement décidé de me laisser tranquille. Que le coup flippant d'hier soir était son dernier, et qu'il tirait sa révérence.

Mais non.

Ce n'était finalement un adieu hier soir, c'était une présentation. Une salutation. Un bonjour.

Un bonjour qui avait pour but de me faire comprendre que le jeu ne faisait que commencer.

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