Chapitre 2


Je l'ai vu.

Ce soir. Pour la première fois depuis trois mois. J'ai enfin vu quelque chose. Quelqu'un. Qui me suit. Qui me traque. Quelqu'un qui, ce soir, a essayé de m'avoir, pour de bon.

Mais il a raté son coup.

Cependant, il y a quelque chose qui me chiffonne. Pourquoi avoir attendu autant de temps avant de faire ça ?

Pourquoi maintenant ? Pourquoi ce soir ?

Il aurait pu essayer ce genre d'approche bien plus tôt. Pourquoi avoir passé son temps à m'observer, à me suivre à la trace, pour finalement échouer sur une tentative que je pourrais qualifier de minable ?

Pourquoi il n'avait pas préparé un plan ? Pour me coincer dans le coin de la ruelle, par exemple.

Il connaissait mes habitudes, mes horaires, les chemins que j'empruntais tous les jours, tous les soirs.

Pourquoi est ce que j'ai la foutue impression qu'il avait juste foncé dans le tas, sans réfléchir ?

Ou alors, est ce que c'était un avertissement ? Un nouveau jeu qu'il veut mettre en place pour me faire encore plus peur ? Pour que je devienne encore plus paranoïaque que je ne le suis déjà ?

Si c'est ça, à coup sûr il vient de réussir son coup.

Je monte les escaliers de l'immeuble, chancelant et complètement paniqué parce que je viens de voir. Cette personne, dans le coin de la rue, qui m'attendait. Ça ne pouvait pas être une coïncidence, quelqu'un qui passait juste par là, par hasard.

Je le sens. C'était lui.

Mes mains ne veulent pas s'arrêter de trembler, et mon cœur bat comme un dingue dans ma poitrine. J'ai des palpitations beaucoup trop rapide. Mon souffle est court et haletant. J'ai peur, vraiment peur.

En apercevant la silhouette, j'avais aussitôt tourné les talons pour me diriger vers les escaliers. Mais, je n'avais pas pris le temps de vérifier s'il était parti ou non. Peut être m'attendait-il encore. Et s'il pouvait rentrer ici ? S'il avait les clés de l'immeuble ? De mon appartement même ?

Non, c'est impossible, tout bonnement impossible.

Je continue mon ascension silencieuse dans les marches en essayant de chasser cette idée de mes pensées. Mais bon, c'est plutôt compliqué. Comment oublier un mec qui vous suit partout et qui a assiégé votre cerveau pour y instaurer un règne de terreur ?

J'atteins enfin le sixième étage. Il y a des jours où je me maudis vraiment d'avoir choisi un appartement sans ascenseur. Après cette course pour fuir, j'ai, en plus de mes poumons en feu, les jambes en coton. Je suis un gars plutôt athlétique à la base, mais là, la peur m'a littéralement vidé de toutes mes forces.

Arrivé sur le palier, je me dirige précipitamment vers mon appartement et, la porte enfin verrouillée derrière moi, je m'effondre au sol. Je peux enfin respirer tranquillement. Ici personne n'a la capacité de rentrer.

C'est mon château, ma forteresse, ma prison.

Après quelques minutes de reprise de conscience, je me lève finalement, et observe minutieusement chaque recoin de mon trois pièces. C'est une sorte de coutume qui j'ai adopté le soir en rentrant chez moi. On est jamais trop prudent. C'est devenu ma façon de penser maintenant.

Partiellement rassuré du vide intersidéral de mon studio, je retire immédiatement mes vêtements que je pose nonchalamment sur le dossier d'une chaise, avant de me diriger dans ma salle de bain.

L'eau coule dans la baignoire, la remplissant à moitié. Le liquide chaud atteint finalement le sommet du bain quand j'y plonge mon corps. Je respire sereinement. Je ferme les yeux et repense à ce gars. Je sais pertinemment que je ne devrais pas y penser, histoire d'avoir l'esprit un minimum tranquille, mais c'est plus fort que moi. Je suis en stress continuel et permanent.

Je plonge ma tête dans la cuve jusqu'à ce que mon crâne soit finalement stoppé par le fond, puis j'ouvre les yeux.

À ce moment là, je n'ai qu'à ouvrir la bouche, à remplir mes poumons d'eau et tout sera fini. Le cauchemar incessant sera terminé. J'ai déjà pensé à faire ça, mais malgré la minable vie que je mène, je n'arrive pas à m'y résoudre. Alors, comme à chaque fois, j'émerge pour reprendre le souffle qui me manque.

Une bonne demie heure plus tard, je sors du liquide refroidi et m'enroule la taille dans une serviette avant de rejoindre mon canapé. Je m'y affale et allume la télé, quand mon visage se tourne vers la porte. Un vieux frisson habituel revient alors à moi et je m'immobilise.

C'est quoi ce bordel ?

Pourquoi est ce que je sens cette même présence, juste derrière ma porte ? Pourquoi ce bruit imperceptible me revient aux oreilles ? Pourquoi est ce que j'ai l'impression d'entendre une respiration de l'autre côté du pan de bois ?

Je monte le son du poste de télévision et essaye de me concentrer sur autre chose que la réapparition de la présence. Mais je ne peux pas.

Habituellement, je la sentais chez moi, bien sûr, mais au bas de ma rue, au niveau de mes fenêtres. Mais jamais, au grand jamais, je ne l'avais senti aussi proche de mon appartement. Il avait finalement réussi à passer la sécurité de la porte en bas ? Comment est ce que c'était possible ? Il n'a pas pu rentrer, il n'a pas pu passer la porte du bas. Il ne l'a jamais fait.

Mon souffle devient court alors qu'une goutte de sueur perle sur mon front. Je crispe les poings sur mes cuisses et j'ai de plus en plus de mal à respirer. C'est comme si l'air ne voulait plus rentrer dans mes poumons. Comme si la boule de peur coincé dans ma gorge bloquait tout ce qui voulait passer.

J'ouvre la bouche un peu plus grand et happe difficilement l'air ambiant et moite. J'ai l'impression d'avoir un étau qui me broie les tempes, et des millions de poignards qui s'enfoncent dans mon ventre.

C'est comme si toutes les sensations de malaise que j'avais ressenti depuis trois mois s'étaient réunis en une seule et même entité et venaient assiéger d'un seul coup, tout mon corps.

Je suis complètement soumis à la panique grandissante qui s'empare de moi au fur et à mesure que l'air commence à me manquer. Ma vision se brouille. L'écran de la télévision devant moi n'est plus qu'ombres et couleurs floues.

J'ai l'impression que tout tourne dans la pièce. Mes mains quittent mes cuisses pour venir s'accrocher à la table basse en face de mon canapé. Mes jointures doivent sûrement être blanches vu la force avec laquelle je tiens le morceau de bois.

Je risque de tourner de l'œil d'une minute à l'autre. Je ne vois plus rien, mes oreilles sifflent et bourdonnent de plus en plus fort, et j'ai chaud. Extrêmement chaud. De la sueur sort par tous les pores de mon corps et me fait bouillir sur place. Je pose ma tête sur le morceau de bois en respirant bruyamment.

Non, je ne dois pas paniquer. Pas maintenant.

Respire Jungkook. Respire. Respire putain !

Cet ordre intérieur agit alors comme un électrochoc. Une bouffée d'air frais s'infiltre immédiatement en moi et me rafraîchit aussitôt. Il faut que je me calme. Il faut que je réfléchisse, et que je ne cède pas à la panique. Il faut que je fasse abstraction de ce qu'il y a derrière ma porte. Si ça se trouve c'est juste mon imagination.

Même si, au fond de moi, je sais que ça ne l'est pas.

Mon souffle reprit, je me lève, et me dirige directement dans la cuisine. Je fais la seule chose à peu près sensée, qui me vienne à l'esprit. Je saisis le meilleur couteau qui se trouve dans mes tiroirs et le sers fermement dans mon poing, puis je retourne m'asseoir. Il n'y a que ça à faire. Se concentrer sur autre chose et ne pas céder à la panique.

Et se préparer à se battre, en cas d'effraction.

Je ne peux même pas vérifier s'il y a quelqu'un.

Dans le cas numéro un, pour me rassurer si mon palier est vide ou dans le cas numéro deux, appeler les flics s'il est occupé. Je n'ai pas de judas sur ma porte, et il est hors de question que je prenne le risque de l'ouvrir.

Sur quel malade je pourrais tomber ?

Mes mains se remettent à trembler, j'ai la gorge sèche et mon estomac se tord de peur dans mon ventre.

Je ne vais pas dormir de la nuit aujourd'hui.

Mon réveil sonna à sept heures du matin.

Je n'en ai pas besoin, je suis déjà réveillé. Comme prévu, je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. Je suis resté sur mon canapé, le couteau entre les mains mes yeux faisant des allers retours entre la porte et la télévision.

Au bout d'un moment, la présence était finalement partie. Vers deux ou trois heures du matin. Mais, je ne pouvais pas me reposer malgré ma fatigue, j'étais donc resté à monter la garde toute la nuit. Ce qu'il fait, que, ce matin, je ressemble encore plus à un zombie que d'habitude.

Je me traîne jusqu'à la salle de bain et prends une douche rapide avant d'enfiler des fringues quelconques. Puis j'attrape mon sac et jette un dernier regard sur mon visage fatigué dans le miroir. Je vais être frais pour aller en cours aujourd'hui.

Je m'avance vers la porte, et m'apprête à la déverrouiller, mais le souvenir de hier soir me fait me stopper quelques instants. Et s'il avait laissé quelque chose sur le palier à mon attention ? Ça serait encore plus flippant je crois.

Finalement, je tourne prudemment la clé dans la serrure et ouvre le pan de bois. Un léger courant d'air s'abat sur mon visage et j'aperçois, non sans soulagement, qu'il n'y a rien ni personne dans le couloir. Pas une seule trace de son passage d'hier soir.

Je descends rapidement les escaliers et débouche sur ma rue. Une chose m'interpelle alors.

Je me sens ... seul.

Pour la première fois depuis des mois, j'ai l'impression d'être seul. Personne derrière moi, personne planquée dans mon ombre. Complètement seul.

Je ne comprends plus rien. Il essaye de m'attraper hier soir, il a passé une partie de la nuit devant ma porte et ce matin, plus rien.

Est ce que c'était un au revoir ? Un adieu même ?

Mon cœur s'emballe à cette idée. Le cauchemar est peut être finalement fini. Je vais peut être pouvoir revivre normalement maintenant. Retrouver une cadence normal, et ne plus être terrifié à chaque fois que le nuit tombe.

Le trajet jusqu'à l'université passe rapidement, ça faisait longtemps que je ne m'étais pas senti serein sur la route. Je marche en souriant à pleine dent, les passants qui me croisent doivent me prendre pour un dingue, mais je m'en coutre fous.

Je suis libre.

Libre. C'est ridicule quand on y pense, je n'étais pas enfermé, ou prisonnier. Enfin pas à proprement parlé. Pourtant c'est l'impression que j'avais. J'avais l'impression que ce mec m'empêchait presque, et ce de manière parfaitement calculé, d'être en contact avec d'autres personnes.

Vingt minutes plus tard, j'arrive enfin à destination. Une bonne trentaine d'étudiants sont plantés devant le portail en train de fumer leur clope. Je les dépasse rapidement pour rejoindre mon amphi. Le cours commence dans quinze minutes, soit assez de temps pour me poser tranquillement, et savourer ne serait ce qu'un peu les joies de ma liberté et ma sérénité enfin retrouvées.

Je m'installe sur un siège au fond comme à mon habitude, et attends patiemment le début de la classe. Les rangées se remplissent et le prof arrive finalement avec les derniers retardataires. Je me redresse et sors mes cahiers avant de reporter mon regard sur la salle. C'est bizarre, j'ai l'impression qu'il y a de nouvelles têtes. Plusieurs élèves que je n'ai jamais vu sont éparpillés dans la pièce.

Où alors c'est moi qui n'y avais pas fait attention, parce que j'étais trop occupée à penser à ma propre sécurité ?

Je penche pour la seconde hypothèse avant de reporter mon regard sur mes fiches quand une main se pose sur mon épaule. Aussitôt, je sursaute avant de tourner la tête vers le possesseur de ce membre qui vient de me foutre les jetons.

- Toujours autant sous pression Kook à ce que je vois.

Je souris légèrement à mon interlocuteur. C'est Hoseok, ou le seul mec qui ne m'a pas tourné le dos alors que j'étais littéralement en train de devenir cinglé. On était bon amis avant. J'avoue qu'on s'est un peu éloigné, à cause de moi et de mon manque de confiance grandissant, mais malgré ça, il m'a toujours soutenu sans poser de questions.

- C'est devenu une habitude maintenant

Je lui souris. Maintenant que je suis libre, on va finalement pouvoir repasser du temps ensemble. Et j'avoue que l'idée d'avoir de nouveau une vie sociale me réjouit énormément.

Je m'apprête à lui proposer une sortie quand mon regard est interpellé par une touffe verte à côté de lui. Je penche la tête vers la tignasse de poireau et ce dernier fait de même. On se regarde dans le blanc des yeux quand Hoseok prend finalement la parole.

- Kook ? Tu te souviens de Yoongi quand même ?

Je regarde le dénommé Yoongi qui me sourit.

- T'avais les cheveux noirs avant.

Il rigole sous ma remarque avant de reprendre la parole.

- Je me les suis teintés, il y a presque trois mois déjà.

Je baisse la tête. Je n'avais pas remarqué. Je n'avais même pas remarqué qu'il était dans ma classe en fait. À part Hoseok, je n'interagissais avec personne.

J'acquiesce d'un léger mouvement de tête, avant de me retourner, quand une personne se stoppe dans la rangée devant nous. Je relève les yeux et découvre un sourire rectangulaire planté en face de moi.

- Salut les gars.

Le sourire bizarre s'assoit sur sa chaise avant de se retourner vers nous et de s'accouder sur notre table. Ses yeux se plantent dans les miens et il rigole. Je hausse un sourcil et mon ami souffle à côté de moi.

- Ne me dit pas que tu ne sais pas qui est Taehyung non plus, Jungkook. Sérieusement.

Si bien sûr que si je sais qui il est mais ça fait tellement longtemps que je ne l'ai pas vu. Comme Yoongi d'ailleurs. Enfin pas vu. Pas remarqué tout du moins.

Je me rappelle, il doit y avoir deux ans de ça, on était toujours fourré ensemble, Seokie, Taehyung, Yoongi et moi.

Je fronce les sourcils. Non il manque une personne en fait.

À peine ai je le temps de me rappeler le nom de la dîtes personne qu'une chaise se met à grincer, à ma droite et un jeune homme vient s'y installer. Un rouquin aux joues de bébés qui me sourit en se penchant vers nous.

Jimin. Voilà le dernier. Il a changé de couleur lui aussi.

Il me regarde, interpellé, en me voyant l'observer fixement.

- T'inquiète pas Jimin, finit par lancer Taehyung. Jungkook ne se rappelle pas de nous. Il doit avoir des problèmes de mémoire.

- Si je me rappelle de vous, c'est juste que ça fait longtemps qu'on ne s'est pas vu alors...

- On est dans la même classe depuis le début de l'année, tranche Yoongi en soupirant.

Hoseok pose alors sa main sur mon épaule et coupe la conversation.

- Kook a eu une mauvaise passe, faut dire qu'il n'était pas dans son état normal ces derniers temps. Hormis moi, il ne remarquait personne. Alors on va dire que sa surprise en vous voyant ce matin était dû à son inattention. Ok ?

Les trois jeunes hommes hochent positivement la tête sans rien dire, puis reporte leur attention sur le cours qui vient de débuter. Je baisse le visage, honteux d'avoir presque oublié mes amis d'autrefois.

Hoseok a l'air de toujours être en contact avec eux. Enfin, c'est plutôt normal, ce n'est pas parce que je n'avais pas de vie sociale qu'il devait tirer un trait sur la sienne lui aussi.

Du coup, à ce que je comprends bien, il va falloir que je réapprenne à me sociabiliser. À la base, je pensais ne devoir le faire qu'avec Seokie, mais du coup, de une personne ça passe à quatre maintenant. Je crois que c'est le genre de prouesse qui n'est pas du tout dans mes cordes.

Pourtant, j'ai la vieille impression qu'il va falloir que je prenne sur moi pendant un bon bout de temps.

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