Chapitre 14


Tiraillé entre deux sentiments contradictoires et sans perdre plus de temps, je retourne à l'intérieur histoire de retrouver ma chaleur fictive pour la nuit.

La nuit qui me fait oublier un peu ma folie.

La nuit qui m'enveloppe et qui me calme.

La nuit qui me donne l'impression d'être parfaitement normal et sain d'esprit.

Je traverse le salon sur la pointe des pieds, comme si j'avais peur de faire du bruit, de réveiller quelqu'un, mais pourtant il n'y a personne. Parce que je suis seul. Parce que je suis insignifiant.

Parce que je suis moi.

Avant de quitter la pièce pour rejoindre mon lit qui m'appelle de plus en plus désespérément, mes yeux se tournent une dernière fois vers les photos.

Puis je souris. Sincèrement. Les regarder me réchauffe le cœur, me rassure, me fait me sentir un peu mieux.

Je ne suis pas complètement seul. C'est ce que je me dis.

Et finalement, mes pas m'entraînent hors du salon pour rejoindre les ténèbres envoûtant de ma chambre. Je m'allonge sur les draps frais après avoir enlevé rapidement mes vêtements, et éteins toutes les lumières. Mes pupilles restent plantés sur le plafond que je n'arrive même plus à discerner.

Parfois, dans ma chambre, il m'arrive de me sentir observer. J'ai l'impression qu'il y a quelqu'un qui me regarde, sans perdre une miette de ce que j'y fais. Il me regarde dormir, il me regarde travailler, il me regarde me déshabiller, il me regarde me faire du bien. Il observe les dernières bribes de vie normale qu'il me reste.

Pourtant je le sais bien, c'est impossible. Il ne peut pas m'observer, parce qu'il ne peut pas rentrer. Il n'a pas pu avoir la clé. Je n'ai jamais oublié de verrouiller ma porte. Il n'a jamais forcé la serrure. Tout ça c'est dans ma tête, je le sais bien. Cependant, certains jours cette impression me semble tellement réelle qu'elle me fait douter.

Je soupire finalement en sentant le sommeil m'appeler. J'ai peur de m'endormir à chaque fois, toutefois, l'appel insistant de la fatigue a toujours raison de moi, et je m'effondre dans un court coma qui m'accompagne comme toutes les nuits jusqu'au lendemain matin.

La sonnerie résonne à m'en faire péter les tympans, ma tête est sur le point d'exploser. Depuis quelques semaines, j'ai d'horribles migraines dès que je me lève. Pourtant, je ne bois pas, je ne fume pas, enfin je ne fais rien qui pourrait justifier ces horribles maux de crâne. M'enfin, maintenant j'y suis habitué alors, je laisse couler.

Suivant mon rituel matinal, je fais la seule chose qui me fasse vraiment du bien, une douche, brûlante et fumante. Sous l'eau qui ruisselle sur mon corps, je peux respirer et faire le point sur la manière dont je vais aborder la journée, et ce matin, j'en ai définitivement besoin.

Je vais devoir faire face aux garçons, que j'ai quitté hier d'une façon complètement inattendue. Comment est ce que je vais pouvoir regarder Yoongi dans les yeux ? Adresser la parole à Jimin ? Ou m'approcher à plus d'un mètre de Taehyung ? Je n'en ai foutrement aucune idée, mais de toute façon idée ou pas, je dois quand même le faire. Pour tirer tout ce bordel au clair.

Après une bonne trentaine de minutes de préparation, je suis sur le départ. Aussitôt sorti de mon appartement, mes jambes se mettent à dévaler les escaliers de mon immeuble pour déboucher sur l'extérieur. Mes pieds sur le bitume tracent la route rapidement sans s'arrêter.

Je suis en train de courir à en perdre haleine, évitant les passants, parfois choquant dans leurs épaules, mais je continue ma course, sans m'excuser, sans me retourner. Je ne peux pas m'arrêter, c'est plus fort que moi. Même si je suis complètement éreinté par ma course folle, j'ai ce besoin de me dépenser avant d'arriver à l'université, avant de les voir. Parce que si je suis épuisé, je serais plus calme, et je garderais mon sang froid.

C'est ridicule cette manière de penser. En ce moment, j'agis comme un dingue, mes réactions comme mes actions sont beaucoup trop exagérées, pourtant je ne peux pas m'en empêcher, c'est presque comme un toc que je suis en train de développer.

La bâtisse s'étend enfin devant moi, et je m'arrête brusquement en posant mes mains sur mes genoux et en reprenant mon souffle. L'air qui arrive dans mes poumons est glacé et acide, il me brûle littéralement la trachée, pourtant je ne m'arrête pas de l'aspirer. Bouffée par bouffée, je savoure cette sensation de douleur, mêlé à un léger plaisir.

Puis quelques minutes plus tard, je me relève, comme si de rien était. Comme si ce que je venais de faire était la chose la plus normale du monde. Comme si se délecter de la souffrance que l'on ressent pour une raison inconnue était un acte parfaitement naturel. Pourtant ça ne l'est pas.

Et ça, même si je le sais, je l'ignore.

Mes pas m'entraînent dans la cours, puis à l'intérieur du bâtiment. Je passe devant des étudiants, les évitant, sans leur accorder un regard, mon esprit est seulement fixé sur la salle de classe que je veux atteindre au plus vite. Quelques minutes plus tard, la porte s'étend enfin devant mes yeux, et je souris légèrement en pénétrant dans l'amphi avant d'aller m'asseoir.

Presque seul dans la pièce, les mains sur le bureau, je triture mes doigts rapidement, essayant de faire abstraction du stress qui commencent à monter de plus en plus en moi. J'entends à peine la chaise se tirer à côté de moi. C'est seulement quand une main se pose sur mon bras que je sors de ma torpeur et que je me retourne vers mon pseudo interlocuteur.

Hoseok, me souriant à peine, chose qui ne lui ressemble définitivement pas.

Après lui avoir fait comprendre que j'ai pris conscience de sa présence avec un hochement de tête, je dégage mon bras de sa main et l'intime de parler, puisque je sais qu'il a quelque chose à dire. Il prend alors immédiatement l'initiative.

- Jimin m'a appelé hier soir.

Aussitôt, je me retourne alors vers lui, les yeux grands ouverts, prenant ses paroles beaucoup plus au sérieux. Ces simples mots ont réussis à reporter mon attention sur ce qu'il disait mais aussi à faire monter en flèche mon taux de stress déjà bien présent à la base.

Jimin l'a appelé. Qu'est ce qu'il lui a dit ? C'était avant ou après qu'il vienne me voir ? Mon dieu, qu'est ce que Hoseok va penser de moi s'il sait ce que j'ai fait ? Peut être qu'il va me laisser tomber lui aussi. Comme beaucoup d'autres ont fait avant lui. J'ouvre alors la bouche pour parler d'une voix légèrement hésitante.

- Ah... et qu'est ce qu'il t'a dit d'important pour que tu m'en parles ?

Le regard de mon ami se fait grave.

- Il s'est passé quelque chose hier soir, et les garçons se sont engueulés.

Je déglutis aussitôt, mais ma gorge est complètement sèche, et je n'arrive pas à être à l'aise. Il le sait c'est sûr. Il sait ce que j'ai fait. Pourquoi il ne va pas droit au but ? Il essaye de me faire cracher le morceau, c'est ça ? C'est encore pire.

- Ils se sont battus Jungkook. Taehyung et Yoongi. Jimin aussi. Quand il m'a appelé, il m'a dit qu'il ne les avait jamais vus comme ça.

Il fait alors une légère pause, cette dernière faisant toujours plus monter mon appréhension, avant de reprendre.

- Il s'est passé quelque chose de grave entre eux je pense. Alors je voulais savoir si tu avais une idée de ce que ça pouvait être.

Je soupire intérieurement. C'est tout ? C'est vraiment tout ? Il n'en sait pas plus. Jimin ne lui a alors rien dit ? Enfin ce n'est pas étonnant, parce qu'il aurait aussi dû parler de sa sauterie avec Yoongi.

Mais je ne comprends pas pourquoi il a appelé Hoseok. Pourquoi il l'a appelé pour lui dire qu'ils étaient en train de se battre ? C'est pas comme si Hopie pouvait faire quelque chose pour aider, vu qu'il est monté comme une brindille.

Après avoir laissé planer un silence qui m'a permis de réfléchir, je secoue alors la tête négativement, toujours légèrement méfiant quand à ce que Hoseok pourrait savoir sur ce qu'il s'est passé hier soir.

- Non, j'étais à la bibliothèque hier soir. Jusqu'à la fermeture. Après j'ai été faire des courses et je suis rentré chez moi directement. Et puis, comment est ce que tu voudrais que je sache quelque chose ? Tu les côtoies plus que moi.

Le regard de mon ami se fait alors méfiant l'espace d'un instant, ses sourcils se froncent légèrement avant qu'il ne détourne finalement les yeux en soupirant un simple « Oui tu as raison, je suis bête de t'avoir demandé. ».

Il se met alors à fixer un point droit devant lui, immobile, esquivant tout contact visuel avec moi. Il est bizarre aujourd'hui. Pourtant, il reprend du mouvement au moment où la porte battante claque laissant apparaître trois corps bien amochés.

Hoseok n'avait pas menti, ils se sont vraiment battus, et ils n'y sont pas allés de mains mortes. Taehyung se traîne avec un œil au beurre noir, et l'arcade pétée, Yoongi s'est littéralement fait détruire la lèvre, et Jimin a des cernes qui lui descendent jusqu'aux genoux. Le tout accompagné d'un nombre incalculable de bleus recouvrant les parties de peaux visibles pour chacun.

Ils s'avancent vers nous, le regard dur pour Yoongi et Tae, et une mine complètement dépitée pour Jimin. À les voir comme ça, ils me feraient presque de la peine. Cependant, je n'arrive pas à ressentir ne serait ce que le moindre sentiment d'empathie à leur égard.

Tout simplement parce que ce qu'il s'est passé hier soir est toujours dans un coin de mon crane.

Parce que je sens encore les mains de Taehyung sur ma peau, son souffle contre mon oreille. Parce que je me rappelle des mots de Jimin prenant la défense du brun. Parce que cette idée qui a germé dans ma tête hier soir, ne veut pas s'en aller.

Je les regarde s'asseoir, lentement. Le rouquin se tourne machinalement vers moi, cherchant une sorte de soutien dans mon regard. Le sien est suppliant, inquiet, presque détruit. Son regard me fait presque penser au mien au début de toute cette histoire. Je peux clairement lire la détresse dans ses pupilles sombres. Sa bouche s'entrouvre mais se referme aussitôt, puis il refait face au tableau.

Les minutes défilent. Nous sommes tous les cinq immobiles. Je suis le seul à faire ne serait qu'un peu de mouvement. Mes yeux se tournent vers Yoongi, qui se trouvent à côté d'Hoseok. Et à ma plus grande surprise, il me regarde aussi. Le visage amoché, il retrousse légèrement ses lèvres meurtries pour me sourire difficilement. Comme s'il voulait me rassurer.

Il aurait pu être convaincant, mais pourtant ses pupilles ancrées profondément dans les miennes sont loin. Loin du moment présent et loin de la salle de cours. Son regard sombre est complètement intense. D'aussi loin que je me souvienne jamais je ne l'avais vu avec un air aussi expressif. A chaque seconde, je me sens de plus en plus faible, je n'arrive pas à soutenir cet échange. Je détourne alors rapidement la tête pour tomber sur le dos de Taehyung.

Il ne bouge pas d'un pouce. Ses poings sur son bureau sont complètement crispés, tellement que ses jointures en deviennent presque blanche. Son odeur remonte dans mes narines et mon cœur se met à tambouriner un peu plus vite dans ma poitrine en repensant à hier soir. Un mélange de sentiments me viennent à l'esprit, tous aussi contradictoires les uns que les autres. Mais il me ramène à un même point, à une même coordination.

Mon stalker.

C'est lui. Lui et son étrangeté. Lui et ce qu'il m'a fait pour son propre plaisir malsain. Je frissonne d'effroi en repensant à ses mains sur ma peau. Je nierais si je disais que sur le moment que ce n'était pas bon, mais c'est seulement parce que j'étais excité par autre chose que ça m'a fait du bien. Ce n'est pas lui qui m'a fait du bien, ce n'est pas ses mains que je voulais sur moi. Je déteste ce qu'il m'a fait.

Ma main s'approche lentement de son épaule, tremblante, alors que je sens Hoseok tourner la tête vers moi. Son regard interpellé et surprit pèse sur ma conscience et je tremble un peu plus. Pourtant, je dois parler à Taehyung, je dois lui faire face, je dois lui dire que je sais tout et qu'il doit arrêter tout ça, je dois lui dire qu'il n'a rien à attendre de moi, parce que je le hais.

Seulement, alors que mes doigts ne sont plus qu'à quelques centimètres de lui, je m'arrête. Parce que je suis en train de prendre conscience que je me suis surestimé. En vérité, je ne peux pas lui faire face, je ne peux pas tirer les choses au clair, parce que j'ai honte, parce que j'ai peur, parce que je me sens sale.

Je me lève alors rapidement de ma chaise dans un léger fracas. Le prof n'est pas encore arrivé alors je m'en fiche de toute façon. Pendant que je ramasse mes affaires, les quatre têtes se retournent vers moi, affichant toutes une expression de surprise et d'interrogation. Mais je me fiche de ce qu'ils peuvent bien penser. Je dois partir d'ici.

Mon sac en main, je me précipite vers la sortie quand mon poignet se fait retenir, seulement l'espace de quelques instants avant d'être lâché. Je ne sais pas qui est ce qui m'a touché, mais je m'en fiche, je ne me suis pas retourné, j'ai continué ma route, jusqu'au toit. Ouvrant bruyamment la porte donnant sur l'extérieur et l'air frais.

Je respire bruyamment en m'étalant sur le sol, et j'attends en regardant le ciel. J'attends que les heures passent, j'attends que le calme reprenne possession de mon crâne, j'attends que les souvenirs de la veille s'effacent lentement, j'attends que mon esprit s'endorme.

Puis je rouvre les yeux, serein. En regardant mon téléphone, je vois qu'il est presque dix neuf heures et que j'ai plusieurs messages et appels manqués. La plupart en provenance d'Hoseok. Je les fais défiler rapidement sous mes doigts, et aperçoit, entre autre, un « t'es où ? » ainsi qu'un « on devrait éviter les garçons un moment, on avait moins d'emmerdes quand on était que tous les deux. »

Je soupire en repassant l'écran en noir, et le range dans mon sac. J'ai dormi toute la journée sur le toit. Il commence à faire froid, et légèrement sombre. Il faut que je rentre.

Je me lève alors et époussette mes fringues avant de rentrer dans le bâtiment chaud et vide, je marche dans le couloir encore éclairé. Toutes les portes sont fermées. Toutes les portes sauf une. Celle de hier soir, légèrement éclairée par une douce lumière blanche. Pourtant quand je passe devant, il n'y a pas de bruit qui s'y échappe, il y a seulement ce léger éclairage, qui provient d'un ordinateur portable.

Je ralentis ma marche, quelqu'un regarde l'écran, dos à moi. Et sur cet écran, il y a un lieu et une personne qui me sont familières, plus que n'importe qui.

Tout simplement parce que ce lieu, c'est ma chambre, et que cette personne c'est moi.

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