Chapitre 7 : Mia
Comment commencer alors que le monde se finit ?
Le mien, en tout cas, s'écroule.
Le nez enfoncé dans mon dressing, je souffle mollement. Assise par terre, je passe mes doigts à travers mes vêtements et laisse mes pensées s'assombrir de jais.
Parce que oui, cet aspect, c'est le seul qui me convient.
Si Holden jubile de plus en plus à l'arrivée du jour fatidique de notre départ pour Phœnix, moi, je comble le vide qu'il gouverne d'une main de fer, habituellement.
C'est dur, d'hériter d'un royaume tyrannisé par un usurpateur aussi macabre.
Trop occupée à ruminer à travers mes habits, je ne le vois même pas s'incliner dans l'embrasure de la porte, un sourire mesquin cornant ses lèvres.
— Alors ?
— Alors quoi ?
— J'espère que tu réfléchis bien à ce que tu vas mettre...
— Qu'est-ce que ça peut bien te foutre ?
Il s'agenouille tendrement à mes côtés et déblaye mes cheveux de ma nuque pour venir murmurer à mon oreille :
— Choisis une robe noire... Elle ira bien avec ton humiliation.
J'aimerais le gifler à nouveau. Me retourner avec l'escarpin pointu que je tiens en moment, l'enfoncer dans ses yeux... Mais la sonnerie de la porte d'entrée interrompt mon envie de meurtre.
Heureusement pour lui.
Il m'embrasse furtivement sur la joue et s'en va, laissant ma grippe autour du talon de mon escarpin se renforcer.
Pendant une seconde, je me conforte dans l'idée que je pourrais le tuer une fois sur place... Malheureusement, la peine de mort est toujours instaurée en Arizona, alors je ne pourrais pas y commettre mon crime, si je ne veux pas le rejoindre la seconde d'après, pour des éternités flamboyantes. Je ravale un grognement et redresse la tête lorsque je reconnais le pas joyeux d'Emilia dans le couloir.
— Saddie ?
— Dans le dressing !
Ses petites boucles sont les premières à apparaître, son sourire lumineux et pourtant confus, suit.
— Mais c'est Bagdad, ici...
— Je confirme... tonne la voix d'Holden, au loin.
Je l'ignore cependant en claquant violemment la porte de la chambre derrière Emilia et soupire lourdement.
— Qu'est-ce que tu viens faire ici, Mia ?
— Wow... Merci pour l'accueil...
— Désolée, mais c'est juste que je suis très occupée.
— Je vois ça. Tu t'apprêtes à aller où ?
Je me fige devant mes vêtements alors que ma sœur vient s'asseoir sur le lit fait. Son regard insistant me brûle le dos, à la manière d'un laser.
Lui dire parait simple.
Le faire, en revanche, est plus complexe. Les mots se bousculent dans ma bouche et ne dépassent pas la barrière de mes lèvres.
C'est comme se retrouver en face de quelqu'un et de le regarder droit dans les yeux. De voir les paupières battre et ses pupilles se rétracter au gré de la lumière. C'est être face à la porte de l'âme et d'avoir une clef.
Mais pour ça, il faut être prêt à s'ouvrir aussi.
Je m'apprête à le lui annoncer quand même, mais lorsque je me retourne, je découvre une Mia abasourdie devant mon ticket d'avion jusqu'à présent posé sur le lit.
— Phœnix ?!
— Surprise...
— Mais... Attends, pourquoi ?
Le silence me regagne et m'étrangle. Pendant des années, Emilia a été mon roc. Mon armoire à secrets. Phœnix en est le code. Vive comme l'air, elle se redresse de mon lit et se répète.
— Pourquoi ?!
— Parce que l'anniversaire des dix ans de ma promotion a été avancée à cet hiver.
Ma petite sœur enfonce ses mains dans ses hanches et se pince si violemment les lèvres qu'ils semblent disparaître dans sa bouche.
Je sais ce qu'elle va dire.
Je sais que le halo qui transperce la fenêtre et qui fait illuminer son regard sur son visage, hantera le restant de mon existence, si je ne suis pas sincère avec elle.
Mentir a toujours été mon bouclier face au monde.
Mia, ma kryptonite.
Je baisse donc les bras et me redresse du sol du dressing pour venir la rejoindre dans la chambre. Mon cœur manque de jaillir de ma poitrine lorsque j'enroule mes bras autour de son cou et que je me presse contre elle. Sa carrure doucereuse a quelque chose de bénéfique et j'ai presque envie de l'emmener avec moi.
Ce serait mieux, pas vrai ?
Tout serait mieux, avec elle.
Mes épaules vibrent sous ses doigts rassurants et pendant un instant, j'ai bien l'impression que les larmes qui embrument mes yeux menacent de perler le long de mes joues.
Mais jamais plus.
Jamais plus.
Je les rattrape en reniflant avec doléance et replace nerveusement mes mèches rebelles derrière mes oreilles percées.
— Je ne peux pas toujours fuir, pas vrai ?
— Tu n'as pas fui, Saddie. Tu es partie après avoir diplômé. Et lui aussi. Tu n'as pas à y retourner !
Un frisson ignoble manque de peu de me réduire à néant. Mes vertèbres entières me trépassent et pourtant je ne fais que souffler comme si ce n'était rien d'autre qu'une épine dans le pied.
— J'irai. C'est tout. Ça dura le temps d'un soir et je reviendrai. Et tout sera comme avant. Je serais ici, j'écrirais des livres et... Je l'aurais vécu. Ce grand moment... Ce n'est qu'un caillou qu'on balance dans un étang. Rien de bien important.
— Il y sera. Un homme comme lui ? Il ne manquerait l'occasion pour rien au monde.
— Et bien...
Je me tourne vers ma valise, finit d'y enfoncer mes dernières chaussures et rabat la portière d'un coup sec.
Je n'ai pas besoin de regarder Mia pour d'avoir qu'elle a envie de dire bien plus. Que d'innombrables mots sont posés sur le bout de sa langue et attendent que je me redresse pour être expulsées.
Mais non.
Pas maintenant.
Et sûrement pas plus tard.
Parce que je ne veux pas encore penser à lui.
Je garde et chéris chaque seconde qui me sépare de mon arrivée en Arizona. De ces gens que je n'ai pas vu depuis des années.
L'oppression d'Holden me suffit.
—... Si je le vois, je le vois. Il me verra aussi et point. Que veux-tu que je te dise ?
— S'il te parle...
— Arrête avec tes "si". Ils ne me facilitent pas ce moment, Mia.
Mon ton froid cloue ses épaules dans un socle abbatial que j'ignore et alors que je passe devant elle pour récupérer ma trousse de toilettes, je change de conversation.
— Tu restes dîner ?
***
Assis aux extrêmes de la table, Holden et moi sommes séparés par les plats qu'il a préparé. Et si Emilia débite des phrases plus vite que les balles du revolver d'un cowboy dans un film de Clint Eastwood, nous, on se regarde en silence. Je peux voir ses jambes tressauter sous la table de verre, alors que son regard fait de pénombre et de charbon est braqué sur moi, en harmonie avec un demi sourire alléchant. Les manches blanches de sa chemise sont retroussées sur des avant-bras pulpeux saillants de veines palpitantes. Son corps entier vibre rien qu'en me regardant et je n'arrive pas à m'en défaire. Moins encore à prêter attention à ce qu'Emilia est en train de dire.
Il enfonce sa fourchette dans les pennes régate qui se teint de la couleur verdâtre du pesto et après avoir repoussé une petite tomate, l'enfonce dans sa bouche. Ses dents qui grincent sur l'inox de l'objet sont le seul son qui perfore mes tympans.
Pas la musique Italienne qui ondule en arrière-plan.
Pas la voix d'Emilia.
Juste le son des dents de mon mari qui claquent sur l'un des repas que mon oncle lui a appris en mains propres. Ce simple bruit me projette en arrière où je l'ai emmené le visiter pour la première fois à Termoli.
Où le soleil du soir brillait à travers les fenêtres de la maison, moucheté par les géraniums pendus sur les réverbères.
Où L'odeur basiliqué du pesto embaumait jusqu'au salon où j'essayais de lire.
Où j'avais relevé le regard, tout comme maintenant, mais vers un Holden complètement différent.
Plus doux.
Plus sincère.
Mais surtout...
Moins acharné.
Il utilise ce souvenir comme un as de pique dans une manche. Un coup fourbe et tranchant qui fragmente un cœur brisé.
Arrête, lui supplié-je, silencieusement en l'implorant de mon regard.
Bien sûr, son sourire ne fait que s'accentuer. Il abandonne sa fourchette et pose son menton barbu sur ses mains nouées avant de tourner un regard délicieux vers Emilia.
— Dis-moi, Mia... Comme tu le sais, Saddie et moi partons pour Phoenix très bientôt et je me demandais ce qui pourrait lui plaire, là-bas. Un restaurant ou... Je n'en sais rien... Un lieu en particulier ?
Si jusqu'à présent, la chaleur naturelle de la présence d'Emilia suffisait à réchauffer ce salon fait de noir et de blanc, la question de mon mari la plonge surement au même niveau de désarroi que le mien. C'est cependant avec bien plus de prudence qu'elle répond.
— Si tu voulais faire une surprise à Saddie, Holden... C'est foutu.
— Saddie n'aime pas les surprises.
— Saddie n'aime pas cette conversation. répliqué-je sur le même ton en me levant de ma chaise, attrapant le bol de pennes pour le conduire dans la cuisine. L'urgence de saisir un pinceau et jeter de l'encre sur mes toiles me prend et je manque d'en faire autant avec la cuillère et le mur en face de moi.
J'entends Holden continuer à poser ses questions d'une voix suave et mes doigts se mettent à ripper sur le plan de travail en marbre.
Arrête de me tester.
Arrête de me faire mal.
Arrête de me briser.
Je presse mon front contre le comptoir et laisse le contact froid me paralyser la tête. Une anesthésie nécessaire pour espérer geler les ombres qui m'envahissent à nouveau.
Je prends une grande inspiration, remplis à nouveau le bol de pennes et retourne dans la salle à manger où Emilia essaye de répondre aussi naturellement que possible. Je me range derrière Holden, toujours délicieusement incliné sur la table et fait glisser ma main dans son cou.
— Excuse-le, Emilia. Il est un peu trop heureux à l'idée de découvrir notre ville.
J'enfonce mes ongles dans sa peau et sourit lorsque je le sens se contracter sous la douleur.
— Ce n'est rien. De toute façon, Holden, tu auras tout le temps de découvrir... Pas vrai ?
— Hm...
Il m'attrape par le poignet et après avoir légèrement pivoté, je tombe en plein sur ses genoux. Il enroule ses bras autour de ma taille et c'est à son tour d'enfoncer ses doigts tortueux dans le creux de mes hanches. Son sourire ne déferle pas pour autant. Holden a toujours été plus doux envers Emilia, de toute façon. Peut-être qu'il voit en elle la clef de mon âme.
Il a raison de le penser.
Parce que c'est vrai.
Mais je préfère mourir plutôt que de la donner.
Emilia s'essuie la bouche avec sa serviette et après avoir fini de mâcher, se tourne vers nous, méfiante.
— Combien de jours est-ce que vous allez y rester, au fait ?
— Juste le temps de la cérémonie.
— Oh, non, Saddie. On restera quelques jours, pour profiter de nos vacances, bien sûr ! D'où ma question. J'ai vraiment envie de connaître chaque bout de ta vie de lycéenne...
Ma petite sœur me fait signe de me taire quand j'ouvre la bouche pour répondre, et éclate d'un rire qui sonne faux dans cette ambiance Italienne d'un chaud soir de Termoli.
— Tu sais quand même que Saddie n'était pas une pompon girl avec des couettes ? Si tu t'attends à trouver des vieux trophées et des photos d'elle bourrée sur un trottoir... C'est loupé.
— Où est-ce qu'elle était bourrée, alors ?
— La librairie. La plupart du temps. D'ailleurs, Saddie... Tu n'avais pas cachée une bouteille de vodka entre les vieux livres de Tolstoï et Pouchkine ?
Je souris face au souvenir qu'elle lance dans mon étang d'intempérance et je la remercie en lui faisant un clin d'œil. Et heureusement pour moi, avant qu'Holden ne puisse me torturer à nouveau, elle jette regarde sa montre et se lève en hâte.
— Bon, c'est pas tout, mais je dois partir réviser !
— Tu es sûre ? Tu ne veux pas attendre après le dessert ?
Elle attrape sa veste sur le porte-manteau et lance à mon mari un doigt accusateur.
— Je connais tes desserts, Holden, et non, tu ne m'auras pas. Le père de Saddie avait essayé le coup et je sais très bien où mène un dîner tel que celui-ci... Je ne tiens pas à être dans les parages, quand ça se passera !
Comme pour compléter son allusion, mon mari plaque un baiser sur le coin de ma bouche et serre si violemment son bras autour de ma taille qu'il me coupe l'air de mes poumons.
— Peut-être que tu as raison.
— Ou peut-être que tu as tort. raillé-je en me dégageant pour aller raccompagner ma sœur à l'entrée. Mon pas se fait d'ailleurs un peu trop prompt et dès que j'arrive au niveau d'Emilia elle se penche sur mon épaule et redevient sérieuse.
— C'est lui qui t'y obliges ? Tu veux que je lui fracasse les rotules à coup de pelles et que j'aille l'enterrer dans le jardin ?
— Non. Non, non, Holden essaye d'être... Compréhensif.
— Je lui en foutrai, moi, de la compréhension... Tu lui as au moins dit que tu ne voulais pas y aller ?
Je soupire, lasse et passe une main extenuée dans mes cheveux avant de lui ouvrir la porte.
— On ne va pas parler de ça encore une fois...
— On n'en a pas encore parlé, Saddie. Tu n'arrêtes pas d'esquiver la conversation !
— Emilia, le passé n'a rien de nouveau à me dire. Point.
Par dépit, elle fait un pas dehors, enfonçant sa tête dans la capuche duveteuse de sa doudoune sous les violents coups d'air froid qui résident impétueusement dehors, mais se tourne tout de même une dernière fois vers moi.
— Tu me diras comment ça se passe ? Je veux des messages. Pleins de messages.
— Bien sûr. lui assuré-je en me penchant sur elle pour l'embrasser sur la joue.
— Tu as intérêt. Sinon je descends et revient te chercher en te tirant par les cheveux.
Elle s'éloigne et je claque la porte pour couper court au froid.
Peut-être qu'au fond, je préférais cette souffrance que celle qui m'attend...
Je me retourne et tombe nez à nez avec Holden. Debout, dans le couloir, les mains enfoncées dans les poches de son pantalon noir, il manque de me faire sursauter. Pourtant, même si je m'attends à ce qu'il commence à me noyer sous les questions, il ne fait que gronder avec lourdeur :
— Reviens manger.
Et lui aussi, disparaît.
Putain, j'aimerais disparaître comme eux.
Ah. Maintenant, on sait qu'il y a eu un "il" à Phoenix 😕
Une idée plus précise de ce qu'il a pu se passer de si drastique ?
Pour changer, Holden, plus tortionnaire à chaque seconde qui passe... Avouez, vous l'adorez 😂😂
Qu'en avez vous pensé ?
Je vous dit à vendredi pour la suite ! 😍🥰
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