Chapitre 48 : pas de pitié chez les avocats
"Un homme peut être heureux avec n'importe quelle femme, du moment qu'il ne tombe pas amoureux d'elle".
Je jette mon livre dans le tiroir de la table de chevet et écrase mon visage contre mes oreillers.
- Je t'emmerdes, Oscar Wilde.
Le weekend est passé trop lentement. Frustré et enragé, j'attendais les retours de Saddie comme un labrador devant la porte. J'épiais chaque mouvement qu'elle effectuait. Chaque aller et venue du grenier à la cuisine, de la cuisine à la chambre... De la maison à je-ne-sais-où.
Une part de moi-même mourrait, lorsque le bruit d'une porte qui se fermait retentissait dans mon être... Et ressuscitait, juste l'espace d'un instant, quand un rare moment commun faisait croiser nos regards.
Hier, quand j'en ai eu marre de la peinture qui défigurait toujours et encore le salon, j'ai éteint toute source de lumière, fermé les rideaux et les stores... Et j'ai nettoyé. Je ne savais pas bien ce que je faisais, plongé dans l'obscurité. Si je rendais la situation encore pire ou si j'arrangeais les choses. Tout ce à quoi je pouvais penser, c'était notre maison que j'avais rendue hostile pour la femme que j'ai épousé.
J'ai mis quatre heures, à tâtonner dans le noir, jusqu'à ce que je ne sente plus aucune flaque de peinture sous mes mains, avant de me ruer à la douche où je recouvrais chaque miroir d'une serviette. Mais quand je suis finalement sorti et que je suis allé me chercher quelque chose à manger dans la cuisine... J'ai découvert une assiette encore fumante, fournie de tagliatelles au saumon fumé, ainsi que d'un verre d'eau et d'un calmant.
Saddie m'avait entendu gémir, sous la douche. Quand, avec l'aide de toutes les éponges que je pouvais trouver, j'ai frotté ma peau jusqu'à ce qu'elle rougisse et qu'elle se mette à saigner.
Elle m'avait entendu dans ma détresse... Et son repas était un câlin qu'on ne m'avait jamais donné.
Et parce qu'elle me manquait trop, hier soir, alors que nous dormions dans deux lits séparés... Je me suis pris l'un de ses livres préférés pour me tenir compagnie...
J'aurais dû m'en tenir à Gatsby. Au moins, je savais que Jay mourrait à la fin, le cœur gonflé d'un espoir infondé...
Et non brisé.
- Qu'est-ce que tu lisais ?
La voix de Saddie est si soudaine, qu'elle me fait redresser d'un bon. Je me redresse sur les coudes et la vois dans le couloir, déjà habillée d'une veste, ainsi qu'un tote-bag accroché à son épaule. Ses cheveux sont haussés dans un chignon parfait, mais ses cernes creusés témoignent d'un manque de maquillage qu'elle n'a pas remis depuis vendredi. Je la scrute si longtemps que sous mon manque de réponse, elle soupire et fait mine de partir.
- Le portrait de Dorian Gray, je réponds, avant qu'elle ne disparaisse entièrement.
Elle recule d'un pas et fronce les sourcils.
- Tu balances Oscar ?
- Il m'avait énervé.
- On ne balance pas Oscar, Holden.
Je souris et je jurerai apercevoir les commissures de ses lèvres frémir pour en faire autant. Du moins avant qu'elle ne replace une lanière de son sac sur son épaule et qu'elle se redresse pour me faire pleinement face.
- Je vais essayer d'aller écrire à la librairie. Je ne sais pas quand je rentre.
- D'accord.
- Alors...
- OK.
- Et toi ?
Je passe ma main sur mon visage, ainsi que ma barbe négligée et lorgne ma montre comme si j'étais terriblement en retard. Je le suis. Mais je ne sais pas si j'en ai quelque chose à faire.
- Je dois aller au travail.
Saddie se crispe et comme un héros grec dans une tragédie, le début de son sourire se meurt.
- Bonne journée alors.
- Toi aussi.
Sans un regard de plus, elle s'en va et j'attends d'entendre la porte de l'entrée se fermer derrière elle avant de m'écrouler sur le lit, mes paumes lourdement enfoncées dans mes orbites...
Bon. Jour numéro trois après notre dispute...
Ma Saddie m'a parlé.
Et c'est ce qui compte.
***
Maverick est silencieux, quand je passe les portiques de sécurité. C'est à peine s'il m'accorde un regard. Aussi immobile qu'une statue, les yeux rivés devant lui et les mains poliment croisées sur son ventre, il m'adresse les mêmes salutations que tous les membres du cabinet qui arrivent.
Sauf que j'ai déjà une ennemie de trop, dans ma vie...
Et je n'ai pas besoin de plus de haine.
Je me mords donc la lèvre, reviens sur mes pas et me range à ses côtés en scrutant le point invisible sur lequel il préfère se concentrer.
- Tu avais tenté de me dire que Saddie était là, vendredi.
Il ne répond pas et je soupire en prenant appui sur son épaule.
- T'es un gars bien, on te l'as déjà dit ?
- J'ai du travail, Parsons. Tu me déconcentre.
Il essaye de se dégager et j'ouvre la bouche pour lui dire quelque chose, mais la voix d'Allen intervient brusquement depuis les balustrades qui mènent aux bureaux.
- Holden ! Te voilà enfin !
Son ton n'a rien de convivial et quand je redresse la tête, à en juger sa posture néfaste et les éclairs qui sont projetés directement depuis ses iris glacés... Je sais que je vais passer un sale moment.
Peut-être que je serais renvoyé, aujourd'hui.
Peut-être que Jill, trop vexée, est venue se plaindre auprès de son paternel pour inventer une histoire où elle ne passera pas pour la traînée de service.
Ou peut-être... Et juste peut-être... était-ce lié à l'affaire.
Mais on ne compte pas trop là-dessus.
Ma lèvre coincée entre mes dents, je monte lentement les escaliers et passe directement dans le bureau d'Allen, sous les regards curieux de tous mes collègues.
- Ferme la porte.
Je m'exécute, silencieux, mais j'ai à peine le temps de me retourner que mon patron me jauge déjà. Un dossier dans une main et l'autre glissée dans la poche de son pantalon de costume, il me toise avec un air totalement dépouillé des émotions de vendredi.
Il n'y a plus d'ambition.
Plus de fierté.
Et encore moins de la confiance.
- Je peux tout expliquer.
- Quoi donc ? De pourquoi tu t'es barré après que je t'avais donné l'opportunité de travail avec moi sur mon affaire ? Sans un seul mot ? Ni même des excuses ?
- J'avais des problèmes qu'il fallait que je gère, me contenté-je de répondre en dissimulant avec difficultés un dégluti.
- Ah oui ? Et quoi précisément ? Un parent qui mourrait ?
Je sais qu'il n'acceptera pas d'autres réponses. Pour un homme comme Allen, qui a sacrifié son mariage pour son travail, y compris sa relation avec sa fille jusqu'à ce qu'elle rentre elle-même dans le milieu du droit... Il n'y a que la mort qui puisse venir en travers du masque qu'on porte en même temps que le costume, ici, au cabinet.
Mon manque de réponse le fait lourdement soupirer.
- Je suis très déçu de toi, Holden. Vraiment. Parmi tous ceux qui travaillent ici... jamais, je n'aurais cru ça capable de toi.
- Je suis là, à présent, c'est ce qui compte, non ?
Il étouffe un rire offusqué dans le renflement de son épaule et contourne son bureau pour venir se planter en face de moi.
- Tu te fous de moi, j'espère ? Tu crois encore avoir une chance, après que tu m'ais trahi de la sorte ?
Je grimace. Le mot "trahison" est un peu fort, dans ce contexte. OK, j'ai foiré... Mais j'ai vécu bien pire ce weekend.
- J'aurais encore pu te pardonner si tu étais revenu ce weekend pour t'excuser. Mais à la place, tu n'as même pas daigné faire ça. Tu sais mieux que personne que je n'accepte pas ce genre d'attitudes. Je ne ferai pas une exception pour toi.
Lentement, je retire ma veste de mes épaules, dépose mon sac près de l'un des petits fauteuils au dossier désagréable et m'avance vers son bureau où sont étalés tous ses dossiers.
- Je connais tout sur cette affaire, tu l'as dit toi-même. Tu as besoin d'un combattant... Encore une fois, tu l'as dit toi-même. Alors me voilà, ici et maintenant, à te prouver que je suis à la hauteur de la bataille.
- Jusqu'à ce qu'il soit l'heure de partir à la maison pour dîner... Raille-t-il en sifflant entre ses dents serrées.
- J'ai eu un problème. Un seul. Ça ne se reproduira plus.
Oh jamais.
- Je n'en ai rien à foutre, Holden. J'ai besoin de quelqu'un de dévoué. Chose que tu n'es pas, alors tu es renvoyé de mon affaire. Je te fais cadeau de ce supplice qui pesait autant sur toi, visiblement. Carver te remplacera. Tu peux aller t'occuper de tes contrats individuels et ferme la porte derrière toi.
Je bouillonne de rage. Ma colère m'envahit à nouveau comme une vague chaude et brûle la pointe de mes doigts qui se rétractent dans le creux de mes paumes. Je l'observe regagner ses dossiers et vient le rejoindre en posant mes mains à plat sur eux.
- Tu ne veux pas faire ça.
- Holden...
- Je suis le meilleur que tu aies. Tu as besoin de moi dans ton équipe.
- Tu ne veux pas te battre, Holden.
Je frappe un coup sec sur le bureau, ce qui me vaut un avertissement sourd que je réfute en grinçant des dents :
- Je veux me battre. Plus que tu ne le crois. Je le fais en cet instant même. Je le fais depuis que j'ai mis un pied dans ce cabinet et je continuerai à le faire jusqu'à ce que mon nom règne dans cette maudite ville... Je veux saigner cette affaire... Alors donne-moi les rennes, les armes, tout ce qu'il faut pour que je te prouve que tu as tort de prendre qui que ce soit d'autre que moi.
- Attention, Holden... Tu dépasses les bornes.
- Et je continuerai à le faire au tribunal. Jusqu'à ce que cette salope craque et qu'on gagne.
Allen se redresse en passant une main sur sa mâchoire puissante et bien rasée et plisse ses paupières ridées à demi.
- Je n'accorde pas ma confiance si facilement à quelqu'un...
- Je sais.
- Et certainement pas deux fois.
- Je sais aussi.
- Alors une troisième fois ? Je devrais te renvoyer pour une telle insulte. Pour qui est-ce que tu me prends ?
- Pour quelqu'un qui a besoin d'aide et à qui je suis prêt à l'offrir. Donne-moi un procès, Allen. Donne-moi un scandale. Donne-moi des accusations sales et complexes. Donne-moi de quoi me battre et je serais au premier rang.
Dans ses yeux d'un froid glacial commence à briller de l'admiration qu'il chasse en secouant la tête.
- Si le verdict final n'est pas en notre faveur...
- Je te donnerai ma démission dans la seconde. Mais ça n'arrivera pas... Parce que tu sais que je suis le meilleur.
Allen sourit pendant une petite minute, avant d'indiquer la sortie du bout du menton.
- Et puis merde. J'ai déjà perdu ma fille qui a décidé de retourner à New York... Je ne peux pas perdre deux éléments forts en même temps.
Je me crispe sous la nouvelle et un frisson des plus glacés fait redresser mes cheveux dans ma nuque.
- Quoi ? Jill est partie ?
- Hier soir, oui.
- Ah...
- C'est Bess qui reprendra sa place dans l'équipe.
Tiraillé entre la culpabilité et le soulagement, je balance mon poids d'une jambe à une autre. Je sais que j'ai foiré avec elle. Je sais que je n'aurais jamais dû enlever mon alliance, le jour de notre rencontre.
J'aurais dû faire bien plus pour la garder à sa place...
Mais elle est partie, maintenant.
Je me redresse en prenant une courte inspiration et attrape le dossier qu'Allen me tends. Mais au moment où j'allais le lui enlever des doigts, il le maintien et soutiens mon regard.
- Je te préviens, Holden... C'est ta dernière chance.
- Je sais.
Je ressors en remportant mes affaires et ferme la porte derrière moi.
Mon cœur martèle tellement mes côtes que je commence à voir flou sous la douleur.
Je geins et cette maudite citation d'Oscar Wilde me revient en tête.
J'ai un jour juré que ça n'arrivera pas. Que le plus grand fléau de l'humanité, cette épidémie qui ne s'en prend qu'aux cœurs et brise même les plus noircis par une vie entière dédiée à la haine, ne m'atteindra pas.
Que je serai plus fort.
Que je serai plus sévère.
Qu'il n'y aura jamais la femme qu'il faut.
Mais elle est quand même là. A la maison. En train de m'éviter, parce qu'elle a besoin d'espace et de temps.
En train de me rendre dingue et dissocier mon âme.
Je ferme férocement les yeux et quand je les rouvre...
Je tombe face à Carver.
Et si la haine, la colère et une pointe de trahison m'enveloppe pendant l'espace d'une seconde et que je m'apprête à l'envoyer balader pour avoir essayé de prendre ma place... Il sort ses mains des poches de son costume gris et m'assure un sourire plein de bonté.
- Avant que tu ne commences à t'énerver... A me dire que je suis un fils de pute, sache que tout ce que j'ai fait lorsque tu es parti et que Maverick est venu m'avertir de ce qui s'est passé... C'est pour toi. Tu ne veux peut-être pas le croire, mais c'est la stricte vérité. Allen était fou de rage en voyant que tu avais pris tes jambes à ton cou. Mais je t'ai déjà couvert plus d'une fois et je ne me serai jamais autant battu si j'avais su que ça pouvait se terminer en te regardant sombrer dans une folie qui, pour une raison qui m'échappe... tu tiens absolument à garder pour toi.
Il s'approche d'un pas et pose une main sur mon épaule en me poussant poliment vers la direction de l'escalier qui mène au grand hall.
- Alors on va aller boire un café... Toi et moi. On va discuter. Tu vas me dire ce qui se passe, je vais essayer d'être de ton côté même si ça me gonfle, parce que t'es un vrai con, il faut se l'avouer.
- Je t'emmerdes.
- ... Et on va mettre un terme à peu importe quel maladie de l'enfer te ravages le peu de cerveau que le bon Dieu a eu la générosité de t'offrir à la naissance.
L'enfoiré !
Et pourtant, je souris.
Je ne lui dis pas, et ne dirai probablement jamais, mais... Il parvient toujours à être là dans les pires moments.
Et il sait que c'est réciproque... Même s'il semble aimer les pétrins dans lesquels il peut se mettre.
Alors tout ce que je lui adresse, c'est un coup de tête silencieux et on se dirige vers la sortie.
Peut-être que moi aussi, j'ai besoin de temps.
Sacrilège ! 😱😱😱 Comme le dit si bien Saddie : on ne balance pas Oscar Wilde, même s'il nous gonfle !
Bon, on a déjà un contact social entre nos deux jeunes mariés... C'est déjà ça, non ? 😅
Retourner au boulot et ne plus voir de Jill, ça fait du bien... Mais est-ce qu'il va en rester ainsi longtemps ? Est-elle réellement partie pour de bon, prête à laisser Holden tranquille ? Ce serait un peu trop facile... Non ? 🤔🤔🤔
Holden est un avocat dans le sang ! Rien qu'un bon procès aux âromes de scandale pour apaiser les moeurs... Et une amitié sans failles. Franchement, on peut tous dire chapeau à Carver de devoir endosser le rôle de meilleur pote de Holden. C'est un sacré travail, non ? 😅😂😂
Prochain chapitre sur le PDV de Saddie qui retrouve le réconfort dans ce qu'elle sait faire de mieux... écrire des livres. Du moins, si elle y parvient ! Sur quelle autre aide pourra-t-elle compter ? 😊
Je vous dit à mardi pour la suite ! 😍 Comme d'habitude, n'hésitez pas à me laisser une petite étoile et vos avis en commentaires ! 🥰
Je vous embrasse fort ! 😘😘😘
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